EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les politiques libérales menées en France sous l'impulsion de Bruxelles entraînent une casse de notre modèle social et un affaiblissement de notre souveraineté. L'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron a entraîné une accélération des réformes libérales visant à réduire les droits collectifs des travailleur.ses afin de favoriser la compétitivité des entreprises. Cette politique de l'offre a été un échec au regard du taux de chômage dans notre pays et surtout des nombreux plans de licenciements et fermetures d'entreprises en particulier dans le secteur industriel.
Depuis septembre 2023, près de 400 plans sociaux ont été annoncés en France, soit 300 000 emplois directement et indirectement menacés. Derrière ces chiffres, c'est un drame humain qui se joue avec des familles placées dans l'incertitude, des conditions de vie dégradées et des chances de retrouver un emploi amputées. Ces plans de licenciements ont des impacts sociaux profonds, des difficultés financières jusqu'à la perte de logement, fragilisant le tissu social dans de nombreux territoires.
Chaque emploi supprimé entraîne des effets domino sur les sous-traitants, les prestataires de services et tout l'écosystème économique local. Ces plans de licenciements n'effacent pas seulement des emplois, ils vident des régions de leur attractivité, de leurs commerces de proximité.
Seules une véritable stratégie industrielle, qui s'attaque aux 211 milliards d'euros d'aides publiques versés aux entreprises chaque année sans contreparties, dénoncés dans le rapport « Transparence et évaluation des aides publiques aux entreprises : une attente démocratique, un gage d'efficacité économique »1(*) de la commission d'enquête créée à la demande du groupe CRCE - Kanaky et dont notre collègue Fabien Gay était rapporteur, et une politique ambitieuse interdisant les délocalisations et les fermetures en cas de versements de dividendes, de stock-options ou de rachat d'actions, « les licenciements boursiers », peuvent remédier à cette situation.
L'affaiblissement des pouvoirs des syndicats au sein des entreprises a été aggravé récemment par un revirement de la jurisprudence qui a validé les plans de licenciements pour motifs économiques bien que le comité social et économique (CSE) n'ait pas été consulté préalablement au titre des consultations récurrentes et notamment de la consultation sur les orientations stratégiques.
Cette situation nécessite de rétablir la nullité des licenciements en cas de non-respect de l'obligation de consultation du comité social et économique (CSE).
I. Des obligations de consultation du comité social et économique
Selon l'alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. » Ce principe à valeur constitutionnelle de participation des travailleurs aux décisions de gestion des entreprises se concrétise par la présence de représentants des salariés au sein du comité social et économique.
À ce titre, le code du travail met à la charge de l'employeur des obligations de consultations et d'informations récurrentes du comité social et économique (CSE) ainsi que des consultations ponctuelles.
La Charte sociale européenne révisée en 1996 dispose en son article 21 - Droit à l'information et à la consultation : « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit des travailleurs à l'information et à la consultation au sein de l'entreprise, les Parties s'engagent à prendre ou à promouvoir des mesures permettant aux travailleurs ou à leurs représentants, conformément à la législation et la pratique nationales :
« - d'être informés régulièrement ou en temps opportun et d'une manière compréhensible de la situation économique et financière de l'entreprise qui les emploie, étant entendu que la divulgation de certaines informations pouvant porter préjudice à l'entreprise pourra être refusée ou qu'il pourra être exigé que celles-ci soient tenues confidentielles ; et
« - d'être consultés en temps utile sur les décisions envisagées qui sont susceptibles d'affecter substantiellement les intérêts des travailleurs et notamment sur celles qui auraient des conséquences importantes sur la situation de l'emploi dans l'entreprise. »
La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (2012/C 326/02) prévoit en son article 27 - Droit à l'information et à la consultation des travailleurs au sein de l'entreprise :
« Les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit de l'Union et les législations et pratiques nationales. »
L'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales a fixé trois grandes consultations récurrentes2(*) :
1° Les orientations stratégiques de l'entreprise ;
2° La situation économique et financière de l'entreprise ;
3° La politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi.
Au titre des consultations sur la situation économique et financière de l'entreprise, le CSE est consulté sur la politique de recherche et de développement technologique de l'entreprise, y compris sur l'utilisation du crédit d'impôt pour les dépenses de recherche. Dans ce cadre, le CSE doit être informé sur l'activité et sur la situation économique et financière de l'entreprise ainsi que sur ses perspectives pour l'année à venir3(*).
Enfin, au titre des consultations sur la politique sociale de l'entreprise, le CSE est consulté sur les conditions de travail et l'emploi, notamment sur l'évolution de l'emploi, les qualifications, le programme pluriannuel de formation, les actions de formation envisagées par l'employeur, l'apprentissage, les conditions d'accueil en stage, les actions de prévention en matière de santé et de sécurité, les conditions de travail, les congés et l'aménagement du temps de travail, la durée du travail, l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et les modalités d'exercice du droit d'expression des salariés dans les entreprises non couvertes par un accord sur l'égalité professionnelle et la qualité de vie et des conditions de travail contenant des dispositions sur ce droit4(*).
Surtout, au titre des consultations sur les orientations stratégiques de l'entreprise, le CSE est consulté sur les orientations stratégiques de l'entreprise et sur leurs conséquences sur l'activité, l'emploi, l'évolution des métiers et des compétences, l'organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l'intérim, à des contrats temporaires et à des stages, et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sur les orientations de la formation professionnelle et sur le plan de développement des compétences.
À ce titre, le CSE doit non seulement être consulté mais peut aussi proposer des orientations alternatives (art. L. 2312-24 du code du travail), de sorte qu'il est censé avoir un rôle très actif sur les orientations futures de la société notamment pour anticiper et éviter, grâce à sa connaissance du terrain, les difficultés économiques.
Il s'agissait là d'une innovation sociale de la loi du 14 juin 2023 conçue et présentée comme étant destinée à associer le CSE et donc les salariés à la définition de l'avenir économique et social de leur entreprise.
Par ailleurs, l'employeur doit consulter le CSE à l'occasion de projets ponctuels telle une réorganisation entraînant des suppressions de postes. L'article L. 2312-37 du code du travail prévoit ainsi une consultation du CSE en cas de restructuration et compression des effectifs et de licenciement collectif pour motif économique.
II. Le non-respect de l'obligation de consultation du CSE annule-t-il la procédure de réorganisation ?
La question qui s'est posée devant les tribunaux est de savoir si l'employeur peut consulter le CSE sur un projet de réorganisation entraînant notamment des suppressions de poste s'il n'a pas respecté son obligation de consulter le CSE au titre des trois consultations récurrentes.
Jusqu'à la décision de la Cour de Cassation du 21 septembre 2022 (n° 20-23660), les juridictions de fond étaient partagées. Plusieurs tribunaux avaient estimé, à juste titre selon nous, que l'employeur ne pouvait pas consulter le CSE sur un projet ponctuel de suppression de postes s'il n'avait pas au préalable rempli ses obligations en matière de consultations récurrentes.
Ainsi, par exemple, par jugement du 2 juillet 2020 (RG N°20/03845), le TGI de Bobigny a rappelé que : « Dès lors, pour assurer un dialogue véritable, préalable à la décision finale de l'employeur, il est nécessaire que les projets ponctuels, constituant la déclinaison concrète des orientations stratégiques, après examen éventuel des alternatives proposées par le CSE, ne soient soumis à consultation que postérieurement à la clôture de la consultation sur les orientations stratégiques, à peine de vider celle-ci de toute substance. »
D'autres, au contraire, adoptant une lecture littérale du code du travail, ont estimé que le code du travail ne faisait pas formellement de lien entre les consultations récurrentes et les consultations ponctuelles de telle sorte que l'employeur pouvait parfaitement consulter le CSE sur un projet de réorganisation pouvant entraîner des suppressions de poste même s'il n'avait pas consulté le CSE au titre des consultations récurrentes.
La Cour de Cassation a tranché le 21 septembre 2022 : la consultation ponctuelle sur la modification de l'organisation économique ou juridique de l'entreprise ou en cas de restructuration et compression des effectifs n'est pas subordonnée au respect préalable par l'employeur de l'obligation de consulter le comité social et économique sur les orientations stratégiques de l'entreprise.
III. Notre proposition : subordonner les restructurations, compressions des effectifs et licenciements pour motif économique au respect de l'obligation de consultation.
Il convient de contrer les effets délétères de l'arrêt de la Cour de Cassation en modifiant le code du travail afin de subordonner les consultations ponctuelles sur la restructuration et la compression des effectifs et sur les licenciements collectifs pour motif économique au respect par l'employeur des consultations récurrentes prévues à l'article L. 2312-17 du code du travail.
En effet, en l'état, cette décision de la Cour de Cassation affaiblit encore un peu plus le CSE puisque la perspective de ne pas pouvoir consulter le CSE avant de pouvoir licencier pour motif économique aurait constitué une incitation forte à respecter les droits du CSE au quotidien au travers des consultations récurrentes qui ont été vendues par le Gouvernement comme un moyen d'améliorer l'association des représentants du personnel aux décisions de l'employeur.
Cette situation constitue un affaiblissement de la démocratie sociale au sein des entreprises qui prive les représentants des travailleur.ses de leur droit constitutionnel de participation à la gestion des entreprises.
Notre proposition de loi vise donc à s'assurer du respect de l'obligation de consultation du comité social et économique en considérant nulles les procédures de licenciement collectif n'ayant pas fait l'objet de consultation préalable.
Cette proposition de loi prévoit donc un article unique.
L'article unique ajoute dans les sanctions des irrégularités des procédures de licenciements collectifs la nullité de la procédure en cas de non-respect de l'obligation de consultation du comité social et économique.
* 1 Transparence et évaluation des aides publiques aux entreprises : une attente démocratique, un gage d'efficacité économique - Rapport - Sénat
* 2 Art. L. 2312-17 du code du travail
* 3 Art. L. 2312-25 du code du travail
* 4 Art. L. 2312-26 du code du travail