III. LES RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

Avant de présenter ses recommandations, la commission d'enquête tient à rappeler que l'efficacité des aides publiques aux entreprises doit être appréciée dans un cadre macro-économique global et tenir compte du contexte de concurrence internationale exacerbée qui a été rappelé au début du rapport. À elles seules, les aides économiques ne peuvent pas expliquer les performances économiques et l'attractivité d'un pays, qui dépendent plus fondamentalement, d'une part, des équilibres mondiaux entre puissances économiques, d'autre part, du niveau d'éducation et de formation de la population française, de l'intensité des dépenses de recherche et développement, de la qualité des infrastructures et des services publics et de la stabilité du cadre réglementaire.

La commission d'enquête souscrit donc sur ce point à l'analyse de M. Jean-François Cirelli, président de BlackRock France, Belgique et Luxembourg, qui avait indiqué lors de son audition le 9 avril dernier que du point de vue d'un gestionnaire d'actifs « les aides publiques sont certes prises en compte dans l'analyse, mais elles ne constituent généralement pas un facteur décisif dans nos décisions d'investissement » car ce sont « la prévisibilité et la stabilité de la réglementation » qui « constituent des éléments cruciaux pour l'attractivité d'un pays ».

La commission d'enquête forme le voeu que les négociateurs européens parviendront à obtenir avec les États-Unis un accord équilibré sur les droits de douane, afin de préserver les secteurs exportateurs, comme l'aéronautique, l'automobile ou la filière des vins et spiritueux. Elle souhaite par ailleurs que des mesures de sauvegarde dans l'Union européenne soient adoptées afin de protéger la filière sidérurgique et celle automobile et établir ainsi des conditions de concurrence loyale.

A. UN « CHOC DE TRANSPARENCE » SUR LES DONNÉES RELATIVES AUX AIDES PUBLIQUES AUX ENTREPRISES

1. Demander à l'Insee de créer et d'alimenter un tableau détaillé des aides publiques aux entreprises

Les auteurs du rapport Un capitalisme sous perfusion du Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques constatent avec regret qu'« il n'existe aucun document administratif qui unifie l'ensemble des aides aux entreprises, aucun cadre unifié permettant de suivre leur évolution »557(*).

Lors de leur audition le 6 février 2025, les représentants de l'Insee ont souligné la difficulté à disposer d'une vision complète et détaillée des aides publiques aux entreprises dans la comptabilité nationale. M. Sylvain Moreau, directeur des statistiques d'entreprises de l'Insee, a ainsi affirmé que « le montant des aides accordées par l'ensemble des administrations aux entreprises en 2023 se serait élevé à environ 70 milliards d'euros », qu'il s'agissait d'un « plancher », qui ne tient pas compte de plusieurs dispositifs, précisant que cette somme de 70 milliards se décomposait en seulement deux volets (30 milliards dédiés aux aides à l'investissement et 40 milliards consacrés aux subventions à la production).

Les représentants de l'Insee ont mis en avant deux écueils pour établir un tableau détaillé des aides publiques aux entreprises :

- d'une part, la nécessité de confronter les chiffres qui proviennent de la DGFiP avec ceux issus de la comptabilité des entreprises ;

- d'autre part, la difficulté à déterminer si une aide bénéficie à une entreprise ou à un ménage.

Les propos tenus par les représentants de l'Insee ont été jugés « proprement hallucinants » par M. Maxime Combes, économiste, lors de son audition le 11 février 2025, l'intéressé considérant qu'il existait un « déficit d'information au sein même de l'Insee ».

M. Olivier Redoulès, économiste et directeur des études de Rexecode, a relevé lors de son audition du même jour que l'Insee « fournit en détail la liste des prélèvements [obligatoires] », mais qu'il n'en va pas de même pour les aides publiques aux entreprises. Cette différence de traitement entre prélèvements obligatoires et aides publiques est regrettable et entrave le travail des économistes, les obligeant à rechercher des données dans d'autres fichiers et à leur apporter divers retraitements pour permettre des comparaisons.

M. Olivier Redoulès a ajouté qu'il faut parfois « consulter les manuels de comptabilité nationale pour savoir que le CIR est traité comme une aide à l'investissement et non comme une subvention à l'exploitation. Cela n'a rien d'évident pour un quidam comme moi qui cherche à comprendre ».

La commission d'enquête observe que si un économiste expérimenté comme M. Olivier Redoulès rencontre des difficultés pour manier certaines aides retracées dans la comptabilité nationale, cela signifie que les explications fournies par l'Insee sont perfectibles et justifient un effort majeur afin de fournir des données robustes sur les aides publiques aux entreprises.

M. Jordan Melmies, économiste et co-auteur du rapport Un capitalisme sous perfusion, a également souhaité, lors de son audition le 13 février 2025, que les aides publiques aux entreprises « soient répertoriés par une instance unifiée, par exemple l'Insee, et que l'on puisse télécharger sur son site des séries statistiques sur le montant des aides publiques aux entreprises en France ». L'intéressé a ajouté qu'il « serait souhaitable d'en faire une catégorie statistique, dont le périmètre serait plus précis que le nôtre et arbitré politiquement, par exemple par une commission nationale des aides publiques ».

La commission d'enquête observe que le Conseil d'État, dans son étude annuelle de 2015, avait déjà recommandé de « faire l'inventaire de l'action économique des personnes publiques », à travers deux actions :

- « demander à l'Insee et à la direction du budget de faire une cartographie précise de l'action économique des personnes publiques, le cas échéant, avec l'appui de France Stratégie et des inspections et corps de contrôle concernés » ;

- « élaborer un document de référence permettant de disposer d'une vision d'ensemble de cette action »558(*).

La cartographie qu'appelait de ses voeux le Conseil d'État était ambitieuse car elle concernait trois cercles concentriques : le premier cercle concernait stricto sensu les actions relatives aux entreprises et aux marchés, le second visait les actions mixtes dans des secteurs régulés ou des secteurs spécifiques, le dernier cercle regroupait toutes les mesures ayant des conséquences sur l'attractivité et la compétitivité.

Force est de constater que dix ans après cette recommandation du Conseil d'État, il n'existe toujours pas de nomenclature robuste et de données chiffrées sur les aides publiques aux entreprises, alors que leur montant est considérable et intéresse un grand nombre de chercheurs et de nos concitoyens.

Le rapporteur tient à exprimer sa consternation après avoir constaté que le ministère de l'Économie et des Finances, malgré des questions écrites précises et réitérées, était dans l'incapacité « technique » de répondre à une question aussi simple que celle du montant des aides publiques reçues par les entreprises. Nos concitoyens étaient pourtant en droit d'attendre un tableau de bord présentant de manière consolidée et claire les aides publiques versées aux entreprises, au moins les plus importantes d'entre elles.

Sans minorer les difficultés méthodologiques soulevées par les représentants de l'Insee lors de leur audition le 6 février dernier, la commission d'enquête considère que cet organisme doit mettre en place un groupe de travail, associant notamment les inspections et corps de contrôle, des économistes d'autres instituts privés ou publics comme le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan (ex- France Stratégie), afin d'arrêter une nomenclature consensuelle et robuste des aides publiques aux entreprises et d'alimenter un tableau annuel, aussi précis que celui qui existe pour les prélèvements obligatoires.

Les données devront être ventilées selon la taille des entreprises : très petites entreprises, petites et moyennes entreprises, entreprises de taille intermédiaire et grandes entreprises, en accordant une attention particulière aux sous-traitants à travers des enquêtes régulières et approfondies sur les filières économiques.

Ce tableau permettra de connaître le montant des aides publiques versées aux entreprises par l'État mais aussi par les collectivités territoriales, qui ne sont aujourd'hui pas toutes recensées par les régions, faute de remontées exhaustives des données par les collectivités territoriales.

Le futur tableau devra également être assorti de notes et d'explications à l'attention du public et des chercheurs.

Le coût de la présente recommandation n'a pas pu être chiffré mais il ne devrait pas être dirimant quand on le met en regard des avantages qu'il apportera en matière de transparence. En effet, les représentants de l'Insee ont indiqué lors de leur audition le 6 février dernier que la ventilation a posteriori des aides publiques entre les différentes catégories d'entreprises à partir des données de l'Insee « serait peut-être possible en y consacrant une personne à temps plein pendant un an »559(*).

La commission d'enquête rappelle en outre que l'État est déjà engagé dans la création d'un registre national des aides de minimis à compter du 1er janvier 2026, qui viendra utilement nourrir les données collectées par l'Insee.

Le chantier qui sera ouvert par l'Insee pour améliorer la transparence des aides publiques aux entreprises devra s'accompagner d'une modernisation des outils informatiques des ministères concernés.

Une fois que l'Insee aura créé un tableau détaillé des aides publiques aux entreprises, l'étape suivante sera d'établir le taux « net » de leurs prélèvements obligatoires. Comme l'a souligné M. Louis Gallois lors de son audition le 6 février 2025, Rexecode a réalisé une étude sur les prélèvements obligatoires nets supportés par les entreprises, mais « les chiffres de Rexecode mériteraient d'être validés par l'IGF ou par la Cour des comptes », car « même si ce think tank est sérieux, une évaluation faite par l'État serait la bienvenue ».

Seule la transparence des données permettra d'avoir un débat éclairé sur la question délicate d'un point de vue technique et déterminante sur le plan politique du montant des aides publiques aux entreprises.

Recommandation

Libellé

Destinataire

Échéancier

Support

1

Demander à l'Insee de créer d'ici le 1er janvier 2027 un tableau détaillé et actualisé chaque année sur les aides publiques aux entreprises, en fonction de leur taille.

Fixer la nomenclature de ce tableau après concertation avec les inspections et corps de contrôle concernés, les principaux instituts d'économie et le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan (ex-France Stratégie).

Assortir ce tableau de notes et explications pédagogiques afin de rendre sa lecture aisée par le public et de faciliter son utilisation par les chercheurs.

Établir un tableau sur les prélèvements obligatoires « nets » imposés aux entreprises.

Ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Insee

1er janvier 2027

Instruction

2. Confier au ministère de l'Économie et des Finances le soin de créer un registre simplifié indiquant notamment les prélèvements obligatoires imposés aux grandes entreprises et les aides publiques perçues

Lors de son audition le 11 février 2025, M. Auberger, inspecteur général des finances, a affirmé : « Tout est cloisonné. Vous avez un silo Urssaf, DGFiP, Ademe, le CNC, France 2030, etc. Chacun gère ses dispositifs. C'est vrai que cela interroge. [...]. Personne ne va vous dire qu'il y a un tableau qui consolide les aides versées que touche un groupe de cinéma, par exemple, au titre de son activité de production et de vous dire combien il touche de TVA à taux réduit sur les places de cinéma. »

Le rapporteur a souvent eu l'occasion d'affirmer pendant les auditions que les travaux de la commission d'enquête étaient d'intérêt public : dans un exercice inédit par son ampleur et par la précision des informations apportées, un très grand nombre de dirigeants des plus grandes entreprises françaises ont dévoilé le montant des aides publiques qui leur ont été octroyées.

Cet effort de transparence a sans doute été parfois quelque peu contraint en raison des règles très strictes qui encadrent les travaux d'une commission d'enquête560(*) et de la publicité des auditions, qui en l'occurrence ont toutes été retransmises en direct et sont désormais accessibles à la demande sur plusieurs plateformes.

Aux yeux du rapporteur, la transparence des aides publiques aux entreprises revêt une importance capitale. Dans une société démocratique où l'information circule librement mais qui pâtit aussi de rumeurs voire de fantasmes, le public doit pouvoir connaître le montant réel des aides versées aux entreprises.

Il convient donc en quelque sorte de pérenniser le mouvement de transparence initié par la commission d'enquête, en confiant au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique le soin d'établir un tableau annuel des aides versées aux grandes entreprises.

Pérenniser, mais aussi simplifier et rationnaliser les données actuellement disponibles. Comme indiqué précédemment, de multiples règles sur la transparence existent au niveau européen, national et local, mais ces règles sont peu cohérentes et empêchent d'avoir une vision claire, consolidée et précise des aides reçues par une grande entreprise.

À cet égard, le rapporteur relève que les dirigeants auditionnés se sont souvent montrés plus ouverts à la transparence des données sur les aides publiques que les représentants de l'administration.

Les personnes auditionnées ont néanmoins mis en avant les points de vigilance suivants :

- un tableau de bord des aides publiques perçues doit indiquer en regard les impôts et taxes acquittés, ce que certains ont appelé « l'empreinte fiscale » (Mme Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, estimait que « le sujet mérite d'être étudié dans son intégralité et évalué à 360 degrés ») ;

- il doit être assorti d'éléments d'explication afin de ne pas faire naître de malentendus lors de sa lecture ;

- les secrets protégés par la loi doivent être préservés (secret fiscal et secret des affaires en particulier) ;

- l'élaboration de ce tableau ne doit pas incomber aux entreprises.

La commission d'enquête considère que ce tableau ne doit pas être alimenté par les entreprises, car ce serait incompatible avec l'objectif d'alléger leurs contraintes administratives ; en outre, il est préférable de confier au ministère l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique cette mission afin de garantir l'objectivité et l'harmonisation des données publiées.

Le tableau pourrait s'inspirer de celui qui est présenté à l'annexe 12 et qui a été établi à partir des informations fournies par les dirigeants d'entreprise entendus. Il devrait faire l'objet de notes de lecture et de brèves explications, afin de permettre à toute personne qui consulte le tableau de comprendre ses enjeux, ainsi que des renvois sur des sites internet de l'administration pour avoir de plus amples explications sur les dispositifs mis en avant.

Ce tableau devrait a minima comporter les informations suivantes :

- le chiffre d'affaires, le bénéfice net, le montant total des dividendes, le nombre de salariés, la masse salariale avec et sans cotisations ;

- le montant total des aides publiques perçues, en distinguant celles qui sont les plus emblématiques (exonérations de cotisations sociales ; aides à l'investissement561(*) ; crédit d'impôt recherche et aide à l'apprentissage) ;

- l'impôt payé ainsi que les diverses taxes acquittées (compte tenu du secret fiscal, l'administration ne peut communiquer spontanément ce chiffre, sauf accord explicite de l'entreprise).

La commission d'enquête préconise de commencer par les entreprises du CAC 40, qui manifestent déjà une très grande transparence sur leurs données économiques et financières, puis d'étendre le mouvement de transparence aux entreprises employant plus de 5 000 salariés, avant de le généraliser à toutes les entreprises employant plus de 1 000 salariés.

Le registre simplifié que préconise la commission d'enquête serait un préalable au « répertoire public en ligne sur les bénéficiaires d'aides publiques » qu'ont appelé de leurs voeux les représentants de l'association Transparency International lors de leur audition le 25 mars 2025, et qui concernerait toutes les entreprises, quelle que soit leur taille et le montant de l'aide perçue. À l'appui de leur proposition, ils évoquaient le site usapsending.gov, qui présente depuis 2014 en source ouverte toutes les dépenses fédérales aux États-Unis.

La commission d'enquête relève que la présente proposition s'inscrit également dans le sillage d'une recommandation formulée par MM. Éric Coquerel et Jean-René Cazeneuve, députés, dans un rapport d'information du 19 juillet 2023 où ils appelaient à « rendre progressivement obligatoire pour les entreprises la publication des aides publiques qu'elles perçoivent »562(*).

Le rapporteur constate enfin avec satisfaction que même M. Bruno Le Maire, qui s'était souvent opposé à la transparence des aides publiques aux entreprises lorsqu'il était ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, a radicalement changé son appréciation sur ce sujet. En effet, lors de son audition du 7 mai, l'intéressé avait affirmé : « Suis-je favorable à la transparence ? Oui, mille fois oui », précisant que « si l'on peut fournir un tableau montrant les aides par entreprise au titre du CIR, au titre des taux réduits de TVA ou d'autres aides apportées par l'État, cela mettra de la clarté dans le débat et de la sérénité dans les choix politiques. »

Recommandation

Libellé

Destinataire

Échéancier

Support

2

Créer un registre simplifié des aides publiques reçues par les grandes entreprises et des prélèvements obligatoires acquittés.

Ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

1er janvier 2026

Instruction

3. Confier au Haut-Commissariat à la stratégie et au plan (ex-France Stratégie) la mission de publier un rapport annuel comportant notamment le suivi et une analyse des aides versées aux grandes entreprises, aux ETI et aux PME, présenté aux parlementaires, aux chefs d'entreprises et aux représentants syndicaux

v Le précédent de la commission nationale des aides publiques aux entreprises

La commission d'enquête rappelle qu'une commission nationale des aides publiques aux entreprises avait été créée par la loi n° 2001-7 du 4 janvier 2001 relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises, à la suite de l'adoption d'une proposition de loi présentée par M. Robert Hue et plusieurs de ses collègues du groupe communiste563(*).

La commission nationale des aides publiques aux entreprises

La commission devait remplir deux missions :

- contrôler l'utilisation des aides publiques de toute nature accordées aux entreprises par l'État et les collectivités locales ou leurs établissements publics, ainsi que par l'Union européenne (la commission ne se limitait donc pas aux aides financières) ;

- évaluer les impacts économiques et sociaux, quantitatifs et qualitatifs de ces aides.

La finalité affichée de ce contrôle et de cette évaluation était d'« améliorer l'efficacité pour l'emploi, la formation professionnelle et les équilibres territoriaux » des aides.

La commission était composée de députés et sénateurs désignés par leur assemblée respective ; de représentants de l'État ; de représentants des organisations syndicales de salariés représentatives au plan national ; de représentants des organisations d'employeurs les plus représentatives au plan national ; enfin, de personnalités qualifiées venant notamment du monde associatif. Son secrétariat était assuré par le Commissariat général du Plan.

La commission pouvait être consultée lors de « l'institution de tout nouveau dispositif national d'aides publiques aux entreprises ». Elle pouvait s'auto-saisir ou être saisie par un représentant du personnel ou un élu national ou local.

Afin d'alimenter sa réflexion, la commission :

- bénéficiait de rapports élaborés chaque année par les préfets de région ;

- pouvait interroger un représentant de l'État dans les régions et les départements « afin d'obtenir les informations permettant d'estimer l'ensemble des aides reçues par une entreprise déterminée » ;

- tenait compte des avis formulés par les commissions régionales des aides publiques.

Sur la base de ces informations, la commission nationale devait établir son propre rapport comportant ses remarques et avis sur les politiques poursuivies : celui-ci devait être public et transmis au Parlement.

Un décret n° 2001-483 du 6 juin 2001 a précisé la composition et les règles de fonctionnement de la commission nationale et de ses déclinaisons régionales.

Sur proposition de M. Philippe Marini, rapporteur général, la loi du 4 janvier 2001 a été abrogée lors de l'examen en première lecture au Sénat du projet de loi finances rectificative pour 2002564(*). Le rapporteur général du Sénat avait alors estimé qu'il s'agissait d'un « dispositif administratif complètement inutile et stérile », « de pur bavardage »565(*), et avait rappelé que le Sénat avait opposé à trois reprises une question préalable pour s'opposer à la proposition de loi de M. Robert Hue à l'origine de la loi du 4 janvier 2001.

v Une absence regrettable de structure en charge du suivi des aides publiques aux entreprises

La commission d'enquête déplore l'absence de structure administrative chargée de suivre et d'analyser régulièrement les aides publiques versées aux entreprises.

Le tome II « voies et moyens » annexé au projet de lois de finances initiale ne présente que les dépenses fiscales, qu'elles bénéficient aux ménages ou aux entreprises, tandis que le projet annuel de performances relatif à la mission « économie » ne traite qu'incidemment des aides publiques aux entreprises. Ni l'inspection générale des finances, ni la Cour des comptes n'ont comme mission de suivre systématiquement ces aides, qui n'entre d'ailleurs pas dans le champ des autres organismes d'évaluation.

Alors que le montant des aides publiques aux entreprises n'a cessé d'augmenter depuis les années 2000, aucune structure pérenne n'a garanti leur suivi, qui a donné lieu seulement à des rapports ponctuels à la demande du Gouvernement.

v Les missions qui doivent être confiées à la structure en charge du suivi des aides publiques aux entreprises

La commission d'enquête considère qu'une instance publique devrait publier un rapport annuel de suivi des aides publiques, afin d'exploiter, commenter et mettre en perspective les données que fournira l'Insee (voir recommandation n° 1).

Ce rapport public comprendrait au moins les parties suivantes :

- une présentation des différents périmètres pertinents des aides publiques, sur le modèle des quatre périmètres identifiés par France Stratégie dans son rapport de 2020 sur Les politiques industrielles en France. Évolutions et comparaisons internationales, indiquant leurs justifications et les enjeux qu'ils soulèvent ;

l'évolution des montants des aides sur plusieurs années ;

- des données différenciées selon la taille des entreprises (très petites entreprises, les petites et moyennes entreprises, les grandes entreprises) ;

- des études sur des questions transversales (par exemple les aides reçues par les sous-traitants dans certaines filières, les aides à l'export, les aides dans l'agriculture, dans le secteur de l'industrie ou le soutien à l'intelligence artificielle...) ;

- des comparaisons internationales, en particulier avec les autres États membres.

La commission d'enquête présente également une recommandation afin que ce rapport comporte des évaluations des aides publiques majeures.

v Le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan paraît être la structure idoine pour suivre les aides publiques aux entreprises

À l'initiative du groupe Les Républicains, le Sénat a créé une commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, laquelle s'est constituée le 6 février 2025.

Dans ce contexte, la commission d'enquête ne souhaite pas proposer la création d'une nouvelle structure administrative, soucieuse de ne pas alourdir le paysage institutionnel.

Le rapporteur considère que le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan, issu de la fusion entre France Stratégie et le Haut-Commissariat au Plan566(*), pourrait être la structure appropriée pour abriter en son sein un Observatoire de suivi et d'évaluation des aides publiques aux entreprises.

En premier lieu, France Stratégie a régulièrement produit des rapports de qualité, associant des économistes de formation, comme par exemple le rapport précité de 2020 sur Les politiques industrielles en France. Évolutions et comparaisons internationales. Le rapporteur considère que ce rapport contient la réflexion la plus aboutie sur les différents périmètres que l'on peut retenir des aides publiques aux entreprises, comme l'ont reconnu d'ailleurs la majorité des personnes auditionnées.

En deuxième lieu, le Haut-Commissariat occupe une place centrale au sein du gouvernement car il apporte « son concours au Premier ministre et au Gouvernement pour la détermination des grandes orientations de la Nation ainsi que pour la préparation des réformes », grâce notamment à sa participation « à l'évaluation des politiques publiques »567(*).

En troisième lieu, le Haut-Commissariat anime déjà un réseau d'organismes spécialisés, comprenant notamment le Conseil d'analyse économique et le Conseil d'orientation des retraites568(*).

En dernier lieu, le Haut-Commissariat n'est pas une structure fermée mais au contraire ouverte sur la société qui encourage les échanges de point de vue. En effet, ses travaux sont « notamment conduits au sein de commissions thématiques ou de groupes de travail, associant en particulier les partenaires sociaux, les collectivités locales, les administrations de l'État, les organismes de recherche, les représentants des secteurs économiques, les organisations non gouvernementales et les experts français ou étrangers les plus qualifiés »569(*). Par ailleurs, le Haut-Commissariat peut organiser « des consultations ouvertes et solliciter des contributions extérieures »570(*). En outre, le Conseil d'orientation des retraites comprend également des parlementaires571(*). À cet égard, la commission d'enquête prend acte de la volonté de M. Clément Beaune, Haut-Commissaire au plan, de favoriser le débat d'idées au sein de l'instance572(*).

À titre personnel, le rapporteur estime que le futur Observatoire de suivi et d'évaluation des aides publiques aux entreprises devrait être composé, a minima, de parlementaires, de représentants des organisations professionnelles et syndicales, de chefs d'entreprises, d'experts et de personnalités qualifiées, en s'inspirant de la composition du Conseil d'orientation des retraites. En tout état de cause, la présentation du rapport annuel de cet Observatoire devrait être publique, en présence de parlementaires, de chefs d'entreprises et de représentants syndicaux.

Recommandation

Libellé

Destinataire

Échéancier

Support

3

Confier au Haut-Commissariat à la stratégie et au plan la mission de publier un rapport annuel comportant notamment le suivi des aides publiques versées aux grandes entreprises, aux ETI et aux PME, et présenté aux parlementaires, aux chefs d'entreprises et aux représentants syndicaux

Premier ministre

1er semestre 2027

Décret n° 2025-450 du 23 mai 2025

4. Renforcer les prérogatives du conseil social et économique (CSE) en matière de suivi des aides publiques aux entreprises

Lors de leur audition, l'ensemble des représentants des organisations syndicales représentatives ont insisté sur l'importance de mieux associer le conseil social et économique (CSE) au suivi des aides publiques accordées aux entreprises. Ainsi, M. Luc Mathieu, secrétaire national de la CFDT, a invité à un « contrôle social de l'usage des aides publiques aux entreprises (...) confié au CSE, qui doit disposer d'un droit d'alerte auprès des autorités compétentes », tandis que Mme Fabienne Rouchy, secrétaire confédérale de la CGT, plaidait pour un contrôle semblable au niveau des commissions paritaires de branche.

Le code du travail prévoit déjà une information du CSE sur les orientations stratégiques de l'entreprise, sa situation économique et financière ainsi que sa politique sociale573(*). De manière supplétive, c'est-à-dire en l'absence d'un accord de méthode conclu avec le CSE par l'employeur574(*), la partie réglementaire du code du travail575(*) précise que l'employeur doit mettre à disposition du CSE les informations de la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE) concernant « les aides ou avantages financiers consentis à l'entreprise par l'Union européenne, l'État, une collectivité territoriale, un de leurs établissements publics ou un organisme privé chargé d'une mission de service public, et leur utilisation. Pour chacune de ces aides, il est indiqué la nature de l'aide, son objet, son montant, les conditions de versement et d'emploi fixées, le cas échéant, par la personne publique qui l'attribue et son emploi ; ainsi que les résultats financiers de l'entreprise. »

Le rapporteur souligne le fait que les dispositions du code du travail en matière d'information du CSE ne sont pas toujours effectives. En effet, si le I de l'article L. 2312-25 du code du travail dispose que « la consultation annuelle sur la situation économique et financière de l'entreprise porte également sur la politique de recherche et de développement technologique de l'entreprise, y compris sur l'utilisation du crédit d'impôt pour les dépenses de recherche », beaucoup d'élus du personnel ont découvert le montant du CIR reçu par leur entreprise en suivant les auditions de la commission d'enquête.

L'article R. 2312-16 du code du travail prévoit qu'en l'absence d'accord d'entreprise sur les consultations récurrentes du comité social et économique dans les entreprises de moins de trois cents salariés, l'employeur met à la disposition des membres du comité, en vue de la consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise, plusieurs informations prévues dans les rubriques de la base de données économiques, sociales et environnementales (BDSE) qui portent sur :

- l'investissement matériel et immatériel (1° B de l'article R. 2312-8) ;

- les aides publiques (7° A) ;

- les résultats financiers (7° F) ;

- les partenariats (8°) ;

- les transferts commerciaux et financiers entre les entités du groupe quand l'entreprise appartient à un groupe (9°) ;

- l'environnement (10°).

Aux termes de l'article R. 2312-17 du code du travail, des dispositions quasi identiques sont prévues dans les entreprises de trois cents salariés et plus dans lesquelles aucun accord d'entreprise sur les consultations récurrentes du comité social et économique n'a été signé.

Quelle que soit la taille de l'entreprise, en l'absence d'accord d'entreprise sur les consultations récurrentes du comité social et économique, celui-ci ne dispose donc pas d'information sur les réductions d'impôt dont bénéficie l'entreprise (7° B de l'article R. 2312-8 précité), les exonérations et réductions de cotisations sociales (7° C de cet article) et les crédits d'impôt (7° D dudit article).

Afin de permettre une meilleure association du CSE au contrôle des aides publiques et de clarifier les obligations des entreprises, la commission d'enquête préconise d'élargir les informations de la BDESE communiquées au CSE en incluant dans les articles R. 2312-16 et R. 2312-17 précités les champs 7°B à 7°D de l'article R. 2312-8 du code du travail : c'est-à-dire les réductions d'impôts, les exonérations et réductions de cotisations sociales, ainsi que les crédits d'impôt dont bénéficie l'entreprise.

Bien que relevant du champ règlementaire, le rapporteur souhaite que, dans un esprit proche de celui de l'article L. 1 du code du travail, cette évolution fasse l'objet d'une « concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel » lorsqu'une concertation sera engagée sur un sujet connexe.

Recommandation

Libellé

Destinataire

Échéancier

Support

4

Transmettre au comité social et économique (ex-comité d'entreprise), dans les entreprises où aucun accord sur les modalités de ses consultations récurrentes n'a été signé, les informations de la base de données économiques et sociales relatives aux réductions d'impôt, exonérations et réduction de cotisations sociales, ainsi que les crédits d'impôt dont bénéficie l'entreprise.

Gouvernement

1er semestre 2026

Décret


* 557 Rapport Un capitalisme sous perfusion. Mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises, du Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques, mai 2022, p. 13.

* 558 « L'action économique des personnes publiques », étude annuelle du Conseil d'État de 2015, p. 81.

* 559 Audition de l'Institut national de la statistique et des études économiques, 6 février 2025.

* 560 Aux termes de l'article 6 de l'ordonnance :

- toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la commission, étant rappelé que la personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende ;

- en cas de faux témoignage ou de subornation de témoin, les dispositions des articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal sont respectivement applicables (ainsi, le témoignage mensonger fait sous serment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende).

* 561 Pour les aides à l'investissement, il sera nécessaire de détailler dans des notes ou un document spécifique leur ventilation, car les aides sont souvent versées sur une période de plusieurs années.

* 562 Rapport d'information sur les différentiels de fiscalité entre entreprises, commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, Assemblée nationale, 19 juillet 2023, p. 102.

* 563 Proposition de loi n° 1851 relative à la constitution d'une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 13 octobre 1999.

* 564 Loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002, article 84, issu de l'amendement n° 64 rectifié (M. Marini avait repris à son nom l'amendement n° 64 présenté par M. Oudin, absent de l'hémicycle lors de l'examen du projet de loi, étant précisé que l'amendement initial ne comportait pas d'objet permettant de connaître les intentions de son auteur). Cet amendement a été adopté à l'issue d'un long débat.

* 565  https://www.senat.fr/seances/s200212/s20021217/sc20021217020.html.

* 566 Décret n° 2025-450 du 23 mai 2025 portant création du Haut-Commissariat à la stratégie et au plan.

* 567 Décret du 23 mai 2025 précité, article 1er.

* 568 Ce « réseau », défini au I de l'article 4 du décret du 23 mai 2025, comprend également le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge ; le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie ; le Haut Conseil du financement de la protection sociale ; le Centre d'études prospectives et d'informations internationales et enfin le Conseil national du numérique. Outre ce réseau, le Haut-Commissariat héberge également des structures comme le Conseil national de productivité et la plateforme nationale d'actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises.

* 569 Décret du 23 mai 2025 précité, article 5.

* 570 Idem.

* 571 Article D. 114-4-0-2 du code de la sécurité sociale.

* 572 « Je serais heureux si le plan accueillait un débat entre un leader syndical et un leader patronal, pour discuter du modèle social français dans cinq ou dix ans ». Voir « Le sacerdoce de Clément Beaune, à la tête d'un Haut-Commissariat au plan attaqué de toute part », Le Monde, 30 mars 2025.

* 573 Article L. 2312-17 du code du travail.

* 574 Article L. 2312-19 du code du travail.

* 575 Articles R. 2312-16 et R. 2312-17 du code du travail.

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