EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Nos parlements modernes sont consubstantiellement liés au contrôle budgétaire : de l'Antiquité à la fondation des États-généraux en France sous l'Ancien Régime, en passant par la Magna Carta de 1215 en Angleterre, le Peuple, via ses représentants, s'est imposé progressivement pour contrôler l'action des pouvoirs exécutifs. En France, au fil de la Ve République, le Parlement s'est néanmoins retrouvé progressivement dessaisi jusqu'à se voir dans l'incapacité d'intervenir pour corriger les dérives financières excessives, notamment en cas de refus d'ouverture d'un projet de loi de finances rectificative (PLFR) par le Gouvernement. Les exercices 2023 et 2024, marqués par une succession d'irresponsabilités, en ont constitué le point d'orgue.
Avec une loi de finances en 2024 prévoyant un déficit à hauteur de 4,4 % et alors qu'aucune crise majeure ne s'est produite en 2024, la France s'est retrouvée avec un écart de gestion supérieur à 1,4 point de PIB pour un atterrissage final à - 5,8 %. Sans déclenchement d'un PLFR sur la période, nous étions dans une situation d'insincérité budgétaire patente. Le processus législatif lui-même illustre cette défaillance de la séquence budgétaire : le projet de loi de finances initial pour 2024, arrêté le 29 décembre 2023, a vu sa trajectoire déjouée en quelques semaines, conduisant au gel de près de 10 milliards d'euros par le ministre de l'Économie et des Finances, et ce sans que le Parlement ne soit consulté sur le bien-fondé du montant ou l'équité des arbitrages. La récurrence de ces écarts sur les précédents exercices invalide la fiabilité des trajectoires pluriannuelles : la dissonance persistante entre le Plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT), soumis à l'automne 2024, et la loi de programmation des finances publiques (LPFP), adoptée par le Parlement fin 2023, révèle en outre une faille majeure dans le cadre organique français. Il convient donc également d'engager une réhabilitation de la pluriannualité. Enfin, la temporalité actuelle des débats, la succession des phases législatives et la capacité d'intervention du Parlement apparaissent fragmentées et anachroniques par rapport aux dynamiques réelles de l'exécution budgétaire qui a cours toute l'année et qu'il convient de surveiller et de réviser en conséquence.
Le Haut conseil des finances publiques (HCFP), institué par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, s'inscrit au coeur du dispositif de rationalisation de la décision budgétaire. Autorité indépendante placée auprès de la Cour des comptes, il est chargé d'apprécier la sincérité des prévisions macroéconomiques, la cohérence des trajectoires de finances publiques et la conformité des lois de finances et de financement de la sécurité sociale aux engagements européens de la France. Par ses avis publics, rendus en amont du débat parlementaire - soit insérés dans une temporalité fort resserrée - le Haut Conseil participe à la consolidation d'une culture de responsabilité budgétaire et à un retour en force de l'expertise dans le débat politique. Mais son insertion dans ce débat demeure inachevée, et l'autorité du cadre organique négligée. L'action du Haut Conseil reste restreinte par le manque de moyens dont il dispose et par le caractère purement consultatif de ses avis : ses alertes répétées - sur le caractère trop optimiste des exercices précédents, mais aussi une nouvelle fois sur les prévisions présentées dans le PLF 2026 - témoignent du peu de considérations accordées par l'exécutif à ses avis.
Ainsi, les améliorations dont cette proposition de loi se fait le relais relèvent essentiellement d'un changement de méthode d'ensemble, qui devra reposer sur un triptyque indissociable : la circulation transparente de l'information, l'attention obligatoire portée aux avis d'une expertise indépendante menée par un HCFP au mandat renforcé, et le rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement. Le principe « appliquer ou expliquer » incarne cette méthode d'ensemble : en obligeant l'exécutif à soit se conformer aux alertes des contre-pouvoirs, soit à en justifier publiquement l'écart devant les représentants élus au Parlement, il instaure une pratique de dialogue renforcée et renouvelée - par une attention portée à la sincérité et à la technicité des échanges. Cette approche fait du Parlement un contre-pouvoir actif, capable d'orienter la politique nationale, de la prévision à l'exécution. Dans un moment où la régénération du parlementarisme est indispensable à la stabilité du pays, il convient de revenir aux principes fondamentaux de transparence, de rigueur et de dialogue institutionnel.
Cette proposition de loi organique, s'appuyant sur les travaux du Conseil d'État, du Conseil des prélèvements obligatoires, du Conseil d'analyse économique, de la Cour des comptes, de l'Institut des politiques publiques, du HCFP et des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, s'inscrit ainsi comme un instrument réaliste pour redonner a` l'autorisation budgétaire toute sa portée.
Son article 1er a pour objectif de renforcer la circulation de l'information et le HCFP en : dotant le HCFP de moyens humains et techniques supplémentaires pour lui permettre d'exercer une mission plus large d'analyse, d'expertise et de surveillance de la trajectoire budgétaire ; offrant au HCFP un accès élargi aux données de Bercy par la systématisation de la transmission au HCFP des notes mensuelles et trimestrielles relatives aux recettes fiscales et aux prévisions macroéconomiques et de déficit public produites par les administrations du ministère en charge des finances ; systématisant la transmission au HCFP et aux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat les projets de textes réglementaires permettant de mettre en oeuvre de nouvelles mesures fiscales d'ajustement décidées par le gouvernement, ainsi qu'une évaluation de leurs conséquences sur leurs rendements.
L'article 2 vise à avancer la date de transmission du projet de loi de finances (PLF) au Haut Conseil des finances publiques, avant la fin de la première semaine de septembre, afin d'améliorer la qualité de son analyse en lui accordant un délai plus large pour produire une évaluation technique complète. Ce décalage en amont renforcerait la crédibilité du processus d'expertise et permettrait au Haut Conseil de rendre son avis plus tôt dans le calendrier budgétaire. Il offrirait également aux parlementaires davantage de temps pour s'approprier le contenu du projet et préparer des amendements plus éclairés.
L'article 3 confère au Haut Conseil des finances publiques (HCFP) une capacité d'autosaisine, au-delà des seules saisines gouvernementales, souvent tardives et limitées au dépôt des textes budgétaires. Cette disposition lui permet de produire des avis sur l'état de la trajectoire des finances publiques de manière proactive. Parallèlement, le Parlement se voit doté d'une capacité de saisine du HCFP par les présidents des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat - sur demande d'au moins un tiers des membres desdites commissions - en cas de doute sur la sincérité ou sur l'exécution budgétaire. Les avis spontanés rendus par le HCFP seront adressés aux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat.
L'article 4 propose d'élargir le champ de compétences du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) afin de lui permettre d'approfondir son analyse des textes budgétaires. Il étend son mandat à l'évaluation des crédits alloués aux missions ministérielles et chapitres budgétaires, dans une approche par politique publique. À cette fin, le Haut Conseil pourrait solliciter des compléments d'information auprès des ministères et administrations, afin d'évaluer la cohérence entre les moyens budgétaires engagés et les besoins identifiés dans chaque champ ministériel. Cette évolution vise à renforcer la capacité du HCFP à formuler des avis étayés et opérationnels, en faisant de vrais outils d'expertise au service du travail parlementaire.
L'article 5 améliore la lisibilité et la portée opérationnelle des avis du HCFP, en les agrémentant d'un marqueur indiquant le degré de réalisme des prévisions et de l'exécution budgétaire globale. Ce dispositif, à triple niveau, s'applique différemment selon que l'on se trouve en phase de prévision, soit d'examen du projet de loi de finances (trajectoire sincère, déviante ou insincère), ou en phase de suivi, soit en cours d'exécution budgétaire (avis conforme sur l'exécution, réservé sur l'exécution ou non-conforme sur l'exécution) annuelle ou pluriannuelle. Ce système gradué permet de clarifier l'importance des écarts constatés par le HCFP et d'adapter mécaniquement la réponse institutionnelle.
Ces conclusions doivent également être formulées au regard de l'insertion du texte examiné dans le cadre des autres trajectoires pluriannuelles (nationales comme européennes) ; l'avis du HCFP doit donc indiquer clairement si le texte (dans sa phase de prévision comme d'exécution) s'inscrit dans le respect des autres trajectoires en vigueur ou tend à s'en écarter.
Afin d'assurer un contrôle continu de l'exécution budgétaire, l'article 3 impose également au Haut Conseil des finances publiques la production d'un avis circonstancié sur la cohérence de l'exécution avec les cibles fixées par le PLF de l'année, rendu public au plus tard le 15 mai ; les premières données et notes sur l'exécution remontant de Bercy à partir de la mi-avril, ce délai laisse deux à quatre semaines au HCFP pour produire ses avis. Ce dispositif place un point d'étape institutionnel essentiel, intervenant dans une séquence clef où la trajectoire réelle de l'année commence à se préciser - permettant ainsi une évaluation transparente et une réaction appropriée du Parlement et du Gouvernement.
L'article 5 appelle par ailleurs une réponse détaillée du Gouvernement devant les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat : celui-ci sera tenu de justifier de manière détaillée, technique et contre-chiffrée le maintien de toute disposition sur laquelle le HCFP aurait formulé des réserves dans le cadre de la publication d'un avis de degré deux ou trois ou statuant sur un écart trop important aux trajectoires pluriannuelles en vigueur.
Cette réforme vise à instaurer un contrôle parlementaire d'initiative propre, renforcé et éclairé. Si les explications fournies par le Gouvernement devant les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat paraissent insuffisantes ou irréalistes, il appartiendra aux parlementaires de déposer puis d'adopter une résolution exprimant leur avis quant au besoin d'examiner un projet de loi de finances rectificatif.
L'article 6 introduit dans la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances une nouvelle catégorie de lois : les lois de finances d'équilibre des comptes publics. Celles-ci seraient expressément mentionnées aux côtés des lois de finances initiales et rectificatives dans l'ensemble des dispositions pertinentes de la loi organique. Instrument dédié au rétablissement structurel des équilibres financiers, la loi de finances d'équilibre s'inscrit dans un cadre contraignant : elle est incompatible avec toute mesure susceptible de dégrader le solde budgétaire, tant en matière de recettes que de dépenses. Son contenu est strictement circonscrit aux mesures correctrices nécessaires à l'assainissement des finances publiques.