EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

C'est désormais démontré : les retards de paiement ont un impact sur les défaillances d'entreprise.

L'évolution des défaillances d'entreprises en France continue d'alerter les acteurs économiques. Déjà en 2024, 66 000 défaillances ont été observées, soit bien plus qu'un simple phénomène de « rattrapage » de la période de crise sanitaire puisque la moyenne fut d'environ 60 000 défaillances entre 2010 et 2019. Les chiffres de l'année 2025 annoncent un bilan annuel encore plus lourd, les différents observatoires économiques estimant que l'on devrait dénombrer 69 000 procédures collectives d'ici la fin de l'année.

Les conséquences sont particulièrement graves en termes de suppressions d'emplois, ce que la délégation sénatoriale aux entreprises avait déjà souligné à l'automne 2024, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025. 1219 emplois disparaissaient chaque semaine dans des entreprises de moins de 10 salariés, ces dernières représentant alors 85 % des procédures collectives engagées. Puis, lors d'un débat organisé en séance publique au Sénat en avril 2025, la délégation avait rappelé que la part des cessations d'activité des PME et ETI de plus de 100 salariés avait augmenté de 28 % en un an.

S'il peut paraître vain de lutter contre une partie de ces défaillances, bon nombre d'entre elles étant liées au contexte économique fragile, il est en revanche possible et impératif de se mobiliser pour celles que l'on pourrait éviter : les défaillances dues aux retards de paiement. En effet, comme l'a rappelé l'Observatoire des délais de paiement dans son rapport annuel de 2024, les retards de paiement augmentent de 25 % le risque de défaillance. Ce chiffre passe même à 42 % lorsque les retards dépassent 60 jours selon la Banque de France !

Ce lien apparaît assez évident lorsqu'on détaille l'impact des retards de paiement en termes de trésorerie, notamment pour les entreprises les plus petites. Les derniers chiffres publiés au mois d'octobre 2025 par la Banque de France indiquent une ventilation des effets négatifs sur la trésorerie des entreprises ainsi répartie : les 17 milliards de retards de paiement en 2024 ont pesé sur la trésorerie des TPE à hauteur de 4 milliards (23,53 %), sur celle des PME à hauteur de 9 milliards (52,94 %) et enfin sur la trésorerie des entreprises intermédiaires (ETI) pour un montant de 4 milliards d'euros (23,53 %). Ces transferts de trésorerie se font au profit des grandes entreprises qui totalisent 12 milliards d'euros de retards de paiement (soit 70,59 % du total des retards), mais également au profit des « autres agents économiques » qui incluent l'État, les collectivités territoriales et l'ensemble des administrations publiques, pour un total de 5 milliards d'euros (soit 29,41 % du total des retards de paiement).

Il convient de noter que les TPE et PME sont plus vertueuses en matière de délais de paiement. En effet, 84 % des TPE et plus de 71 % des PME payent sans aucun retard, contre une entreprise sur deux de plus de 1000 salariés.

Par ailleurs, au sein des acheteurs publics, l'État est plutôt un « bon payeur » tandis que les écarts demeurent importants entre les collectivités : les plus petites sont généralement les plus vertueuses, et les délais de paiement tendent à s'allonger avec la taille de la collectivité. Deux cas sont pointés par l'Observatoire des délais de paiement : l'outre-mer (dont les délais de paiement s'élèvent à 39,2 jours en moyenne), mais surtout les établissements publics de santé dont la moyenne des délais de paiement, se situant à 63,4 jours, représentent plus du double du plafond légal. Ces établissements subissent notamment des décalages et variations importants de leur financement dans le temps.

Trouver les outils pour limiter les retards de paiement : un impératif de justice économique pour nos entreprises.

Compte tenu de la nature des deux principaux acteurs économiques à l'origine des retards de paiement qui fragilisent les TPE, PME et ETI françaises, deux volets d'actions sont à considérer pour les « outils de dissuasion ».

Le premier volet renforce les sanctions des entreprises privées prévues par le code de commerce en cas de retard de paiement. Le déplafonnement fixe des sanctions et leur définition en fonction du chiffre d'affaires, en cas de retard, constituent « une mesure simple mais impérative pour rendre les sanctions plus incitatives », comme l'a rappelé le Gouverneur de la Banque de France lors des dernières Assises des délais de paiement et des financements organisées le 17 octobre 2025. Par ailleurs, cette mesure est complétée par l'allongement d'une année de la durée de réitération pendant laquelle une récidive expose les entreprises à un doublement de la sanction.

Le second volet s'attache à la problématique des retards de paiement imputables aux acheteurs publics. Il est crucial de limiter les effets négatifs constatés sur la trésorerie des TPE, PME et ETI, sans pour autant aggraver les charges publiques pesant déjà sur les acteurs publics, notamment sur les collectivités territoriales. Aussi un ensemble de mesures est proposé pour s'attaquer aux retards de paiement sans déstabiliser davantage les acteurs publics et creuser les déficits publics :

- La première mesure vise, dans un souci de maintien du parallélisme des formes, les sanctions des entreprises publiques prévues par le code de la commande publique, en conservant leur alignement sur celles des entreprises privées lorsque cela est possible, ainsi que la même durée de réitération ;

- La deuxième mesure précise le point de départ légal des délais de paiement, dont l'interprétation peut aujourd'hui varier au détriment des petites entreprises ;

- La troisième mesure crée un fonds public d'affacturage qui permet le paiement rapide des plus petites entreprises en cas de retard d'un paiement public représentant une part importante de leur chiffre d'affaires. Ce fonds se retournera ensuite vers les acheteurs publics en retard afin de récupérer les sommes payées aux TPE et PME ;

- La quatrième mesure interdit le renoncement aux pénalités de retard, trop souvent constaté de la part des petites entreprises en situation de dépendance économique aux acheteurs publics.

Pour compléter ces deux premiers volets « sectoriels », un troisième volet transversal prolonge et assouplit la procédure de traitement de sortie de crise, permettant aux entreprises en difficulté d'accéder plus rapidement à des dispositifs adaptés de restructuration ou de liquidation. Ce volet s'inscrit dans la perspective d'une réforme plus globale du droit des entreprises en difficulté, rendue indispensable suite à l'empilement de réformes successives qui a singulièrement complexifié ces règles.

En conjuguant ces trois volets, la présente proposition de loi vise à poser les bases d'un cadre plus juste, plus lisible et plus protecteur des entreprises, favorisant un paiement rapide, un traitement efficace des impayés et une gestion pragmatique des entreprises en difficulté.

***

L'article 1er vise à rendre les sanctions contre les retards de paiement réellement dissuasives. En l'état du droit, l'amende administrative maximale que peut prononcer la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour manquement aux délais légaux est de 2 millions d'euros pour une personne morale. Ce montant, s'il peut sembler élevé, reste de toute évidence insuffisamment dissuasif pour les grandes entreprises, pour lesquelles il représente une charge marginale. En pratique, ce plafond a montré son inefficacité à faire évoluer les comportements. Comme le montre le rapport de l'Observatoire des délais de paiement publié le 10 juillet 20251(*), 50 % des grandes entreprises payent avec retard. Les petites et moyennes entreprises sont les premières à payer mais les dernières à l'être.

C'est pourquoi il est proposé de porter le plafond à 1 % du chiffre d'affaires mondial consolidé de l'entreprise fautive, pour garantir un effet proportionné et réellement dissuasif.

Par ailleurs, la durée de réitération, c'est-à-dire la période pendant laquelle une récidive expose l'entreprise à un doublement de la sanction, est portée de deux à trois ans, afin de renforcer l'impact de la sanction sur le comportement futur des entreprises.

Les sanctions des entreprises publiques, déjà alignées sur celles des entreprises privées, sont modifiées de la même façon, dans un souci d'égalité de traitement et de maintien du parallélisme des formes.

L'article 2 s'attaque à la lenteur des paiements dans la commande publique. Si l'État affiche globalement des délais raisonnables, la situation est plus contrastée dans les établissements publics de santé, avec une moyenne de 63,4 jours de paiement, les collectivités territoriales ou dans les départements d'outre-mer, où les délais moyens peuvent atteindre, voire dépasser, 120 jours. Ces retards sont souvent liés non pas à un manque de volonté de payer, mais à des complexités procédurales et à une chaîne de traitement trop rigide. Actuellement, le code de la commande publique fixe un délai maximal de 30 jours pour la majorité des acheteurs (50 jours pour les hôpitaux, 60 pour les entreprises publiques), mais sans préciser le point de départ clair de ce délai.

Le présent article propose donc de préciser que ce délai court à compter du dépôt, dans les plateformes électroniques prévues à cet effet, de la facture ou du titre de créance établi, sauf clause contractuelle contraire. Cette précision permettra notamment d'apporter davantage de prévisibilité aux titulaires de marchés publics. Ce point de départ clair, associé au passage à la facturation électronique, permettra de moderniser les flux de paiement au sein de l'administration.

Ce dispositif ne sera pas déstabilisant pour les plus petites collectivités qui sont déjà très vertueuses en termes de délais de paiement. Ainsi, pour une moyenne de 18,5 jours au sein du bloc communal, le délai est inférieur à cette durée dans les communes de moins de 500 habitants (12,4 jours) et de 500 à 3 999 habitants (15 jours). Il augmente dans les communes de 4 000 à 9 999 habitants (19,6 jours) pour doubler dans celles de 10 000 à 49 999 habitants (24 jours) et atteindre 26,9 jours dans celles de 50 000 à 99 999 habitants et 25,4 jours dans les communes de 100 000 habitants et plus.

L'article 3 instaure un fonds public d'affacturage permettant aux micro-entreprises et PME d'obtenir la subrogation des factures destinées aux pouvoirs adjudicateurs, dès lors que leurs factures représentent plus de 30 % de leur chiffre d'affaires. Ce fonds devra régler l'entreprise créancière dans les trente jours à l'issue des délais mentionnés à l'article R. 2192-10 du code de la commande publique (50 jours pour les établissements publics de santé selon l'article R. 2192-11). Ce fonds se rémunérera par le paiement des créances et des intérêts de retard dus par les pouvoirs adjudicateurs.

L'article 4 interdit au créancier de renoncer à appliquer une pénalité de retard, en transposant, dans le code de commerce, la disposition de l'article L. 2192-14 du code de la commande publique, selon laquelle toute renonciation au paiement des intérêts moratoires est réputée non écrite.

En effet, certains créanciers, et principalement des PME et TPE, peuvent être conduits à ne pas les réclamer, de peur d'une rupture de leur relation commerciale avec l'entreprise débitrice.

Enfin, l'article 5 vise à prolonger et assouplir la procédure de traitement de sortie de crise, instaurée en 2021 pendant la crise du COVID. Cette procédure simplifiée, temporaire et réservée aux petites entreprises (moins de 20 salariés et un passif inférieur à trois millions d'euros, hors capitaux propres), s'adresse à celles qui sont en cessation de paiements mais capables de présenter rapidement un plan de redressement crédible. Elle prévoit une période d'observation de quatre mois, pendant laquelle l'entreprise, avec l'aide d'un mandataire judiciaire désigné par le tribunal, élabore un plan limité aux dettes inscrites sur une liste établie par le dirigeant. Cette procédure serait prorogée au-delà du 21 novembre 2025, dans l'attente d'une réforme plus globale du livre VI du code de commerce pour le rendre plus accessible et renforcer son efficacité.

En outre, cet article vise à assouplir les conditions d'accès à cette procédure simplifiée, notamment en ce qui concerne la présentation des comptes annuels, afin d'en permettre l'accès à un plus grand nombre d'entreprises. Plutôt que d'exiger des comptes immédiatement complets et rigoureux, le tribunal pourrait accepter qu'ils soient régularisés dans un délai de quatre mois à compter du jugement d'ouverture, en tenant compte de la qualité des exercices précédents et du respect des obligations fiscales et sociales. Cette évolution vise à éviter une liquidation judiciaire automatique pour des retards comptables ponctuels, en offrant aux entreprises encore viables une chance de se redresser rapidement, de préserver les emplois et d'éviter une défaillance.

Ainsi, à travers ces cinq articles, la proposition de loi vise à rétablir un cadre plus juste, plus clair et plus efficace en matière de lutte contre les retards de paiement et les défaillances d'entreprises qui en découlent.

* 1 Rapport de l'Observatoire des délais de paiement 2024 | Banque de France

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