EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le coliving s'est imposé en quelques années comme une nouvelle forme d'habitat en plein essor dans les grandes métropoles françaises. Présenté comme une solution « prête à vivre », associant logements meublés, espaces communs et services mutualisés au sein d'immeubles gérés de manière centralisée, ce modèle s'est progressivement transformé en produit d'investissement locatif prisé par les acteurs financiers, au détriment de sa vocation résidentielle initiale. S'il prétend répondre aux aspirations de mobilité, de convivialité et de flexibilité d'une partie des jeunes actifs et des étudiants, le coliving se traduit dans la pratique par des loyers particulièrement élevés, des prestations imposées et une perte de maîtrise du coût du logement pour les occupants, loin de l'esprit de solidarité et d'accessibilité mis en avant par ses promoteurs.

Introduit au milieu des années 2010, le coliving a connu une croissance exponentielle. D'expériences ponctuelles, il s'est développé à l'échelle d'immeubles entiers détenus en bloc par des investisseurs. Recouvrant une large gamme d'offres, de la colocation gérée à des formules para-hôtelières, le phénomène est encore difficile à mesurer, mais favorise des stratégies de contournement des régulations existantes sur le logement. Selon la société d'études Xerfi, 14 500 lits de coliving étaient exploités en France en 2023, contre 8 300 en 2021, soit une hausse de 70 % en deux ans, répartis entre une soixantaine d'opérateurs.1(*) On estime aujourd'hui que le coliving représenterait désormais près de la moitié des investissements nationaux en matière de résidences gérées, dépassant les résidences étudiantes et seniors.

La région Île-de-France concentre l'essentiel de cette dynamique, avec 18 résidences en exploitation (7 500 lits) et 32 projets supplémentaires (6 800 lits), principalement en petite couronne et à Paris intra-muros2(*). Ces chiffres témoignent d'un phénomène structurel qui tend à se développer massivement et qui s'étend désormais à d'autres grandes villes françaises.

Sur le plan juridique, le coliving demeure sans définition légale. Il est donc souvent assimilé, par défaut, aux résidences-services privées (tourisme, étudiants, seniors) dont il reprend le modèle économique avec un exploitant unique, un propriétaire ou un gestionnaire mandaté qui loue des logements meublés assortis de services complémentaires. Il s'en distingue toutefois par son public cible, l'importance étant donnée aux espaces communs et à la dimension communautaire. Dans de nombreuses résidences, les unités privatives sont réduites à de simples chambres, dépourvues de salle de bain ou de cuisine, contraignant les occupants à un usage constant des espaces partagés.

Le coliving repose, ensuite, sur une logique de rentabilisation maximale des biens loués : l'intensification de l'usage des surfaces et la valorisation de services mutualisés visent avant tout à accroître les profits, au détriment des locataires, qui en supportent le coût. Cette logique conduit effectivement à des loyers nettement supérieurs à ceux du marché locatif, avec des chambres de dix à douze mètres carrés proposées de 900 à 1 200 euros par mois, en contrepartie de prestations para-hôtelières, souvent imposées. Dans les zones tendues, elle favorise des stratégies de contournement de l'encadrement des loyers : recours aux baux exclus du dispositif ou mobilisation systématique de compléments de loyer pour des équipements et services haut de gamme. La facturation « en package » sans maîtrise effective du contenu et du prix par le locataire, alimente des pratiques assimilables à de la vente imposée, alors même que l'alternative locative est réduite dans de grandes villes françaises comme Paris. Ces pratiques contribuent à la hausse des loyers, à la précarisation des occupants et à une spéculation accrue sur le marché locatif.

Au-delà de ses effets économiques néfastes pour les locataires, le coliving soulève également d'autres problématiques. Dans plusieurs communes, son développement se traduit par la transformation d'immeubles entiers en petites unités locatives, provoquant la disparition progressive des logements familiaux et, bien souvent, l'éviction des locataires en place. En proposant des loyers largement supérieurs à la moyenne, voire au-delà des plafonds légaux dans les territoires soumis à l'encadrement des loyers. Ce modèle accentue la spéculation foncière et détourne des bâtiments de leur vocation première : l'habitation.

Dès lors, l'absence de cadre légal et le flou juridique persistant permet à de nombreux opérateurs de contourner les règles fondamentales du droit du logement. Certains recourent à des baux civils ou à des contrats hybrides mêlant location et prestations de services, qui les rapprochent du modèle hôtelier tout en leur évitant les contraintes de la loi du 6 juillet 1989. D'autres utilisent formellement des baux soumis à cette loi, mais y ajoutent des services para-hôteliers obligatoires (ménage, internet, blanchisserie, conciergerie). Dans les faits, ces pratiques permettent de dépasser les loyers de référence et de brouiller la frontière entre logement et hébergement commercial, au détriment des protections dont devraient bénéficier les occupants, souvent résidents à titre principal.

Ce vide normatif fragilise d'autant plus l'action des pouvoirs publics et le pouvoir des collectivités territoriales dans la régulation et l'encadrement des unités de coliving. Le code de l'urbanisme ne mentionne pas cette forme d'habitat parmi les destinations et sous-destinations définies par ses articles R.151-27 et R.151-28, empêchant les collectivités de la repérer et de la soumettre aux obligations de mixité sociale. Dans les faits, le classement de ces résidences dans la catégorie « hébergement » leur permet d'échapper à la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) du 13 décembre 2000, à l'encadrement des loyers et à certaines contraintes d'aménagement local.

Enfin, dans de nombreuses communes, ces résidences de coliving engendrent d'importantes nuisances pour les riverains : troubles sonores récurrents, usage intensif des parties communes, turn-over rapide des occupants, fêtes, attroupements ou occupations d'espaces collectifs extérieurs. Ces situations, rapportées par de nombreuses municipalités, dégradent la qualité de vie des habitants à proximité et nourrissent un sentiment d'impunité face à des opérateurs difficilement identifiables et peu responsables vis-à-vis du voisinage. Ces nuisances constituent aujourd'hui un motif récurrent d'alerte et contribuent à justifier un encadrement juridique renforcé.

Face à ces dérives, la présente proposition de loi vise à combler ce vide juridique et à replacer le coliving dans le champ du droit commun du logement tout en redonnant aux collectivités territoriales les moyens d'agir. Elle vise un développement encadré du coliving, compatible avec la vocation résidentielle des centres urbains et les objectifs de mixité sociale, en garantissant des loyers à un prix décent, qui respectent l'encadrement des loyers, les conditions de décence effectives et une transparence dans les pratiques économiques et contractuelles, notamment dans la facturation de services para-hôteliers.

L'article 1er crée, dans le code de la construction et de l'habitation, une définition juridique du coliving comme ensemble destiné à l'habitation principale, composé d'unités privatives meublées assorties d'espaces communs et de services mutualisés, gérées de manière coordonnée. Ces unités seront pleinement soumises aux règles du logement en matière de décence, d'encadrement des loyers, d'urbanisme et de mixité sociale. L'article précise également que les services mutualisés doivent être clairement identifiés, leur caractère optionnel garanti et leur facturation distincte du loyer, afin d'éviter toute vente imposée. Un décret en Conseil d'État déterminera la liste minimale de ces services et les conditions de leur facturation.

L'article 2 soumet explicitement le coliving à l'encadrement des loyers et autorise les collectivités locales à plafonner les frais accessoires liés aux services mutualisés, afin d'éviter que la tarification des prestations ne serve à contourner les plafonds légaux. Ces dispositions visent à assurer une transparence complète entre le loyer de base et les prestations additionnelles. Il supprime l'exception introduite par l'article 140 de la loi ELAN, qui excluait de ce régime les logements meublés en résidence avec services.
Il crée également la possibilité, pour les collectivités, de plafonner les frais accessoires facturés au titre des services mutualisés, afin d'éviter tout contournement du loyer de référence par la tarification de prestations para-hôtelières.

L'article 3 renforce également la protection des locataires en introduisant, dans le code de la consommation, une disposition spécifique qualifiant de pratique commerciale interdite le fait, pour un exploitant de résidence de coliving, de facturer des services non clairement identifiés ou dont le prix n'est pas détaillé. Cette mesure vise à garantir une transparence totale dans la facturation des prestations annexes et à lutter contre les pratiques abusives consistant à regrouper sous forme de forfaits opaques des services para-hôteliers facturés en supplément du loyer.

L'article 4 intègre les résidences de coliving dans les obligations de production de logements sociaux prévues par la loi SRU, garantissant ainsi la contribution de ce secteur à la mixité sociale. Cette intégration s'appliquera notamment lorsque le coliving résulte de la transformation d'un bâtiment existant ou d'une opération de construction neuve.

L'article 5 renforce les pouvoirs de contrôle des collectivités territoriales, en étendant le dispositif du permis de louer aux unités privatives de coliving, en permettant une autorisation préalable de mise en location, et en instaurant un registre public recensant les résidences, leurs gestionnaires, leurs prestations et les loyers pratiqués. Les communes pourront également fixer un nombre maximal de résidences de coliving et prononcer des sanctions administratives en cas de location sans autorisation préalable.

L'article 5 fixe également les modalités d'application et le calendrier : entrée en vigueur immédiate dans les communes dotées d'un encadrement des loyers ou d'un permis de louer, délai de six mois pour la déclaration des résidences existantes, et décret en Conseil d'État pour préciser les conditions de déclaration, de contrôle et de tenue du registre.

* 1 « Le marché du coliving. Les stratégies innovantes pour optimiser la croissance et diversifier la demande », Xerfi, avril 2024

* 2 « L'Essor du Coliving pour les jeunes franciliens : idéal communautaire ou symptôme de la crise du logement ? », Institut Paris Région, Janvier 2025.

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