EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

De graves tensions affectent actuellement les relations entre la France et l'Algérie.

L'initiative de ce climat délétère incombe à l'Algérie, qui refuse d'accueillir certains de ses ressortissants1(*) faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français pour des raisons d'ordre public, expulse des diplomates français et fomente même, sur notre sol, l'enlèvement de réfugiés politiques algériens en France qui s'opposent au pouvoir algérien2(*).

Selon le ministre algérien des affaires étrangères dans une déclaration du 19 avril 2025, la France, et particulièrement son ministre de l'Intérieur, régulièrement visé par la presse algérienne, portent « la responsabilité entière de la tournure que prennent les relations entre l'Algérie et la France... ».

Dans ce contexte, il est du devoir et de l'intérêt de la France de rappeler à l'Algérie qu'elle transgresse l'esprit et la lettre des accords qu'elle a pourtant souscrits avec la France dans un passé récent.

Ainsi, le 20 décembre 2012 était signée à Alger par les deux chefs d'État en exercice une déclaration sur l'amitié et la coopération entre l'Algérie et la France. Dans son préambule, ce texte profond et réconciliateur affirme que « les deux parties partagent une longue histoire et ce passé a longtemps alimenté entre nous des conflits mémoriels auxquels il est nécessaire de mettre un terme. Elles doivent, pour cela, regarder le passé en face, ensemble, avec lucidité et objectivité (...). La France et l'Algérie ont noué des liens humains, affectifs et culturels d'une exceptionnelle intensité, dans tous les domaines ».

Le même texte instituait un Comité Inter-gouvernemental de Haut Niveau (CIHN) chargé de définir et de veiller à la mise en oeuvre du partenariat stratégique entre les deux Nations (dimension humaine, coopération économique, coopération éducative et culturelle...).

Au titre de la dimension humaine, a été mis en place un groupe de travail mixte chargé de la question de la protection du droit de propriété de ressortissants français restés en Algérie après l'indépendance. Le cas souvent dramatique des Français dépossédés de leurs biens devait être soumis par la partie française à ce groupe de travail3(*).

La déclaration de 2012 a été confirmée par la déclaration pour un partenariat renouvelé signée à Alger le 27 août 2022 par les présidents Macron et Tebboune. Elle élargit la coopération mémorielle en créant une commission mixte d'historiens (cinq Français et cinq Algériens) chargée de travailler en toute indépendance sur l'histoire de l'Algérie contemporaine pour réconcilier les mémoires blessées. Cette instance traitera d'abord les origines de la colonisation française au XIXe siècle et abordera ensuite la période du XXe siècle et la guerre d'indépendance.

Deux ans après seulement, cet idéal de concorde a été malheureusement bafoué par le Président algérien qui alla jusqu'à déclarer le 5 octobre 2024 « que la colonisation française constituait un génocide »4(*).

La France de son côté a toujours tenté d'apaiser et d'enrichir ses relations avec l'Algérie. Elle a par exemple reconnu les conditions dans lesquelles avaient disparu Maurice Audin5(*) et Ali Boumendjel6(*). Elle a également procédé à l'ouverture des archives de la bataille d'Alger (janvier à octobre 1957). Enfin le 1er novembre 2024, Emmanuel Macron a reconnu, dans un communiqué officiel, la responsabilité de la France dans l'exécution, en mars 1957, en pleine bataille d'Alger, de Larbi Ben M'hidi7(*).

Sans revenir sur les signes répétés de réconciliation adressés par notre pays à l'Algérie, nécessaires eu égard au destin pour partie commun des deux nations en Méditerranée, la France doit veiller à ce que cette réconciliation soit lucide et équilibrée. Un débat doit être engagé en ce sens portant sur le bilan de la présence française en Algérie. Il doit aussi être ouvert sur l'approche de chacun des deux pays dans la relation avec son partenaire, d'autant que sont présents en France de très nombreux Algériens dont beaucoup souhaitent s'y implanter définitivement.

Il existe d'abord un débat sur la conquête de l'Algérie par la France en 1830.

En effet, la France n'avait nullement l'intention d'anéantir les habitants arabo-berbères de ce territoire ; bien au contraire, puisque leur nombre s'établissait à 2,3 millions au milieu du XIXe siècle pour atteindre 9 millions en 1962. La principale motivation était la conquête de l'autre côté de la Méditerranée d'un prolongement de la France lui permettant de rétablir sa puissance politique, économique et diplomatique affaiblie par les guerres de la Révolution et de l'Empire. L'appropriation de cette région d'Afrique du Nord, alors sous domination ottomane et coeur de la capture d'esclaves européens depuis le XVIe siècle8(*), n'était pas une violation de l'ordre établi par le concert des Nations. D'ailleurs, le maréchal Lyautey lui-même n'avait-il pas déclaré : « Il est à prévoir, et je le crois comme une vérité historique, que, dans un temps plus ou moins lointain, l'Afrique du Nord évoluée, civilisée, vivant de sa vie autonome, se détachera de la métropole. Il faut qu'à ce moment-là, et ce doit être le suprême but de notre politique, cette séparation se fasse sans douleur et que les regards des indigènes continuent toujours à se tourner avec affection vers la France »9(*).

Il existe également un débat sur le bilan de la présence française en Algérie. Elle s'exprime dans sa complexité dans des propos du président algérien Bouteflika tenus le 14 juin 2000 devant l'Assemblée nationale française : « le colonialisme, au siècle dernier, nous a ouvert à la modernité... c'était une modernité par effraction, une modernité imposée... ».

S'il est vrai que la conquête et la colonisation de l'Algérie n'ont pas toujours respecté les intérêts et la dignité des habitants initiaux de ce territoire, la France, en se retirant, a laissé un pays qui était alors le plus moderne d'Afrique, que ce soit en termes de structures ou d'infrastructures. Au bout de 132 ans, l'Algérie dont la population était de 10 millions d'habitants (avec un quadruplement de sa population) était autosuffisante sur le plan alimentaire. Le maillage des établissements scolaires était particulièrement important. En 1960, 800 000 enfants, dont le seul nombre démontre la présence majoritaire d'élèves d'origine nord-africaine, fréquentaient 16 600 classes de l'enseignement primaire. L'université d'Alger était au 3e rang des universités françaises après Paris et Lille.

Un peu plus de la moitié des terres détenues par les Européens résultait d'une transaction et 8 496 domaines dépassant 100 hectares appartenaient à des non-Européens contre 6 587 à des Européens.

Qu'en est-il enfin des accusations de violences dues à la présence française et à la guerre qui s'en est suivie ? « Cent trente-deux ans de présence française en Algérie ont mêlé inextricablement le négatif et le positif et la guerre d'indépendance a été marquée de violences réciproques », selon Jean-Félix Vallat10(*). Hélas, c'est la vérité.

Songeons en effet aux 5 626 Européens qui ont été victimes en Algérie du terrorisme indépendantiste et d'enlèvements11(*). N'oublions pas non plus les 94 enseignants assassinés et les centaines d'élus européens, chrétiens, juifs comme musulmans assassinés ou disparus. Pas plus que le maintien de la présence française en Algérie ne justifiait une application, il est vrai contestable, des pouvoirs spéciaux, l'aspiration légitime à l'émancipation politique des Algériens n'était compatible avec l'appel au meurtre aveugle et indiscriminé12(*).

La plupart de ces victimes était totalement étrangère à l'activisme des partisans inconditionnels de l'Algérie française et à leurs méthodes. De la révolte du FLN contre les intérêts français et du fait que la puissance publique française a pris conscience tardivement des inégalités liées à la colonisation.

Dès lors, si l'État français est comptable des excès commis par ses représentants pendant la guerre d'Algérie, il a aussi sa part de responsabilité au sujet des victimes innocentes des exactions des indépendantistes. Si nous voulons réconcilier les mémoires, nous devons tenir un discours de vérité et respecter la mémoire de tous les pieds-noirs comme des harkis, ainsi que de leurs descendants. Selon l'historien Jean-Jacques Jordi : « de 1955 jusqu'aux accords d'Évian (18 mars 1962), il y a à peu près 330 disparus civils. On pouvait s'attendre qu'après les accords d'Évian ce chiffre baisserait. Or, entre les accords d'Évian et la date d'indépendance (5 juillet 1962), c'est-à-dire en quelques semaines, il y en a près de 600. Donc deux fois plus en 4 mois qu'en 6 ans de guerre ».

Sur les quelque 250 000 harkis dénombrés en Algérie en 1962, 40 000 seulement rejoindront la France - 90 000 en comptant leurs familles. La moitié d'entre eux traverseront la Méditerranée par leurs propres moyens, avec l'aide d'officiers qui refuseront d'abandonner « leurs frères d'armes », désobéissant ainsi dans un geste d'humanité aux ordres venus du gouvernement à Paris.

La grande majorité des harkis resteront donc en Algérie où ils subiront d'atroces représailles de la part du FLN. Les accords d'Évian avaient acté le principe de non-représailles contre les musulmans qui s'étaient engagés avec la France, il n'en sera rien. Le FLN, ayant écarté les signataires des accords d'Évian, les considérera comme des traîtres et les conséquences furent d'une cruauté sans nom. Après les jugements expéditifs de "tribunaux populaires", entre 60 000 et 80 000 d'entre eux seront assassinés dans les mois suivant l'indépendance.

Enfin, il y a également débat sur les manquements de l'Algérie aux déclarations de 2012 et de 2022, fondées pourtant sur une lecture objective de l'histoire commune des deux pays et tenant dûment compte de la profondeur des liens humains, affectifs et culturels des deux populations.

La commission mixte d'historiens franco-algériens, instituée par la déclaration d'Alger du 27 août 2022 s'est réunie cinq fois : le 19 avril 2023 à l'Institut du monde arabe en téléconférence, le 7 juin 2023 à Paris, le 22 novembre 2023 à Constantine, le 25 janvier 2024 à Paris et les 22, 23 mai 2024 à Alger. Le 19 septembre 2024, le Président de la République française en a reçu les membres français. Or l'état d'avancement des travaux ne fait l'objet d'aucune transparence. Ceci est d'autant plus regrettable qu'il semblerait que les recommandations formulées ne sont pas équilibrées, portant pour l'essentiel sur des gestes à consentir par la partie française : restitution d'archives, remise de restes humains, rétrocession de deux millions de documents numérisés et classés aux archives nationales d'outre-mer.

Dans ce contexte, il y a lieu de s'interroger sur la volonté du « partenaire de la France » d'agir désormais dans « l'apaisement et le respect mutuel »13(*), alors que l'Algérie convoque l'histoire de l'Algérie d'une façon unilatérale et partiale.

L'invitation par les autorités algériennes de parlementaires français et franco-algériens à commémorer le 8 mai 2025 en stigmatisant le traitement par la France des émeutes indépendantistes à Sétif, Guelma et Kerata en est le point d'orgue.

Pourtant les exactions du FLN / ALN furent bien réelles et restent une blessure ouverte pour les familles des victimes : 3 000 Européens ont été enlevés, dont 1 700 n'ont jamais été retrouvés en vie. Ainsi à Oran, le 5 juillet 1962, selon un rapport du Comité International de la Croix Rouge du 25 octobre 1963, une foule d'émeutiers « ayant perdu tout contrôle massacrent sur place les Européens et s'acharnent sur les cadavres ainsi que le prouvent les observations rapportées ci-dessus et l'état des corps déposés à la morgue ». Dès le matin de cette tragique journée, d'immenses cortèges se formèrent dans les quartiers musulmans pour se diriger vers le centre-ville. La situation se dégrada vers 11 h 30, démontrant une soif de vengeance aveugle et une chasse contre les Européens. Des musulmans armés commencèrent à tirer sur des Européens qui furent ensuite attaqués par une foule d'hommes et de femmes armés de couteaux et de gourdins. Les violences continuèrent après 18h45, un grand nombre d'Européens enlevés furent conduits au quartier du Petit Lac où ils furent littéralement massacrés dans des conditions barbares. Des photographies aériennes de l'armée française montrent une vingtaine de vastes tombes collectives pouvant contenir chacune entre 300 et 400 cadavres. D'autres tombes collectives furent découvertes, notamment au cimetière de Tamasouët : 700 victimes tuées ou disparues y sont recensées.

Ainsi Jean-Félix Vallat déclare, à propos des massacres du 5 juillet : « nous organisons tous les 5 juillet une manifestation d'hommage devant les colonnes du quai Jacques Chirac où sont exposés les mots de la guerre d'Algérie : militaires, harkis, disparus, civils reconnus morts pour la France. Nous y rappelons l'existence du massacre des Européens qui a eu lieu le 5 juillet à Oran, le lendemain de l'indépendance de l'Algérie, 700 civils européens (essentiellement ndlr) y ont été massacrés, ensevelis dans des charniers jamais retrouvés. Personne ne le sait. Personne ne le reconnaît. Nous le commémorons le 5 juillet. Alors, je demande à ces députés et sénateurs français de se joindre à nous le 5 juillet devant les colonnes du quai Branly. Nous écrirons également au Président de l'Assemblée nationale algérienne pour inviter les parlementaires à commémorer avec nous ».

Les relations entre la France et l'Algérie, loin de s'apaiser, atteignent un sommet d'hostilité de la part de celle-ci avec l'incarcération, depuis le 16 novembre 2024, de Boualem Sansal, notre compatriote de 80 ans, écrivain franco-algérien gravement malade, qui est retenu en otage dans la prison de Kolea, près d'Alger. Ajoutons que le Parquet algérien a requis 10 ans de réclusion à l'encontre de l'écrivain, lors d'une audience devant la Cour d'appel d'Alger, mardi 24 juin 2025.

Son forfait ? Avoir usé de sa liberté d'expression, « le bien le plus précieux de l'homme » aux termes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. C'est dans ce contexte que le Président Macron, pourtant réfractaire à toute attitude énergique envers l'Algérie, a déclaré le 6 janvier 2025 : « l'Algérie entre dans une histoire qui la déshonore ». La persécution de Boualem Sansal s'inscrit dans une vague répressive d'ampleur : 200 détenus d'opinion, selon les ONG, auraient été récemment incarcérés dans les cachots algériens. Les motifs de l'arrestation à l'aéroport d'Alger ne relèvent d'aucun droit et sa condamnation en première instance - sans l'assistance d'un avocat - pour « atteinte à l'unité nationale » n'a aucun fondement sérieux, sinon des déclarations reprenant la thèse de certains historiens sur les frontières de l'Algérie au début du XIXe siècle et nous sommes au XXIe. Des émissaires du Président Abdelmadjid Tebboune ont même demandé à Boualem Sansal de récuser son avocat français, privé de visa, parce que juif. Rappelons-nous que la visite « annulée » du grand Rabbin de France, Haïm Korsia, qui devait faire partie de la délégation officielle du Président de la République française à Alger en août 2022, avait suscité une polémique d'ampleur en Algérie comme le rapporte le journal « le Figaro »14(*). Cette haine de la judéité et la négation de ses apports humains, religieux et culturels était déjà constatée en 1962. Cette année-là, Jean Daniel, fondateur du Nouvel Observateur, pourtant soutien du FLN, observait que l'Algérie indépendante « excluait tout avenir pour les non-musulmans »15(*).

Que dire également de ses traitements discriminants et cruels envers les femmes, les Berbères et les Kabyles ?

La France se doit de respecter sa vocation dans la défense de la liberté et de l'universalisme fondée sur les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité qui animent chaque jour notre engagement public.

On ne compte plus les conventions en matière de droit de l'homme ratifiées par l'Algérie, dont en 1989 les deux Pactes des Nations-Unies sur les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels. On citera également la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale ratifiée par l'Algérie en 1972 et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ratifiée en 2009.

Selon l'article 19 de la Convention de l'ONU sur les droits civils et politiques « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ». Nous ne voyons pas en quoi, s'agissant de Boualem Sansal, faire des déclarations sur l'histoire de l'Algérie au XIXe siècle, porterait atteinte à l'unité ou à la sécurité nationale, comme l'a décidé un tribunal d'Alger à l'issue d'un procès à huis clos qui n'a pas duré plus de 20 minutes...

Une fois encore, la liberté de la plume doit affronter la dictature, comme en leur temps Václav Havel ou encore Soljenitsyne, d'un pays qui cherche à construire son « roman national » contre la France et notre histoire commune.

En embastillant un écrivain francophone, Alger semble chercher à nuire à la relation entre nos deux pays.

Est-ce une vengeance du fait de la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par le Président Macron et sa visite d'État menée au Maroc ? Boualem Sansal n'est-il pas le bouc émissaire des tensions entre nos deux pays ?

N'oublions pas non plus Kamel Daoud, autre écrivain franco-algérien et ami de Boualem Sansal, qui fait face à deux mandats d'arrêts internationaux émis par l'Algérie et un véritable harcèlement judiciaire en France, sans parler des menaces de mort ayant justifié sa protection policière16(*).

En dernier lieu, le débat porte aussi sur les échanges de biens entre les deux pays qui seraient facilités si l'Algérie respectait les accords d'Évian du 18 mars 1962 dans leurs stipulations concernant l'indemnisation des actifs de citoyens français dépossédés par le pouvoir algérien.

En matière économique, la France met en oeuvre le partenariat des déclarations d'Alger de 2012 et 2022. Selon le directeur en Algérie de Business France, les entreprises françaises en Algérie (400 sociétés) ont créé 100 000 emplois. La France est un des tout premiers investisseurs, le premier hors hydrocarbures17(*).

L'accélération du flux d'investissements français en direction de l'Algérie serait favorisée par le règlement serein et objectif, conforme à l'esprit des déclarations de 2012 et 2022, du problème posé par l'indemnisation des Français expropriés par l'Algérie indépendante.

Dans un avis du 19 décembre 2007, sollicité par le Premier ministre, le Conseil économique social et environnemental se référait aux accords d'Évian, stipulant que « nul ne sera privé de ses droits patrimoniaux sans une indemnité équitablement fixée », et constatait qu'ils n'avaient pas été appliqués par le cosignataire de la France. Par suite, énonce la troisième assemblée, « L'indemnisation des Français ne pourrait provenir que d'une négociation avec l'Algérie visant à liquider le passé afin de mieux construire l'avenir ensemble... ». Une telle négociation aurait pour objet de mettre en oeuvre effectivement les stipulations de ces accords. Quelques semaines après leur signature ils étaient considérés comme une plate-forme néo-colonialiste qu'il n'était pas question d'appliquer (congrès de Tripoli de mai-juin 1962, réunissant l'ensemble des chefs civils et militaires de l'insurrection algérienne). Soutenu par Boumediene, Ben Bella, devenu président de la République algérienne fin septembre 1962, avait ainsi fait prévaloir son opposition à l'imprégnation trop pro-française des accords d'Évian.

L'apaisement entre la France et l'Algérie, 63 ans après l'indépendance, est une nécessité. Cela passe par des relations équilibrées et le respect du droit international public, en l'espèce les accords franco-algériens, au regard des engagements pris envers les Français d'Algérie et leurs enfants. En effet, pour ces Français d'Algérie devenus des rapatriés et ce, dans des conditions souvent indignes, l'indépendance a été un moment de détresse signifiant la fin d'un univers et le départ d'une terre qu'ils considéraient comme la leur car présents depuis plusieurs générations et cohabitant le plus souvent dans la paix avec les populations d'origine.

En outre, la communauté nationale, attachée à préserver son Histoire multiséculaire trop souvent dénaturée, ne peut que souhaiter des gestes, du gouvernement français, posant les bases d'une réconciliation :

- recourir réellement au groupe mixte de travail mis en place par la déclaration franco-algérienne du 20 décembre 2012 au titre de l'objectif « dimension humaine ». Cette instance est chargée de la question de la protection du droit de propriété des ressortissants français restés en Algérie après l'indépendance. Le cas des Français dépossédés de leurs biens et non indemnisés contrairement aux stipulations des accords d'Évian18(*) doit être soumis par la partie française à ce groupe mixte ; 

- présenter dans la transparence un bilan complet des travaux de la commission mixte d'historiens franco-algériens chargée de travailler sur l'histoire de l'Algérie contemporaine de 1830 à 1962 et exposant les recommandations déjà émises et celles en cours d'examen ;

- exiger, conformément aux résolutions du Parlement européen et de l'Assemblée nationale, la libération immédiate et sans condition de notre compatriote Boualem Sansal et son rapatriement sanitaire d'urgence en France, et retirer les deux mandats d'arrêt internationaux à l'encontre de l'écrivain Kamel Daoud ;

- conférer un caractère public et officiel à la cérémonie associative organisée chaque année en mémoire des 700 victimes européennes enlevées et assassinées à Oran le 5 juillet 1962 ainsi que de tous les disparus civils et militaires de la guerre d'Algérie. À cette cérémonie seraient conviés des parlementaires algériens, avec l'appui du gouvernement français, traduisant ainsi l'indispensable symétrie réconciliatrice.  

Tel est le sens de la présente résolution.

* 1 Le président Abdemadjid Tebboune a évoqué en juillet 2020 le chiffre de « plus de six millions d'Algériens » vivant en France.

* 2 L'influenceur Amir Boukhors, dit "Amir DZ", avait été enlevé le 29 avril 2024 en région parisienne puis relâché le 1er mai. Trois hommes, dont un agent consulaire algérien, ont été mis en examen en avril 2025 pour arrestation, enlèvement, séquestration, en relation avec une entreprise terroriste. Dans cette affaire, selon la presse, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) incrimine, dans un rapport d'enquête d'avril 2025, un ancien haut responsable de l'ambassade algérienne à Paris, non poursuivi à ce stade, présenté comme un « sous-officier algérien de la DGDSE », un service de renseignement algérien.

* 3 Pourtant depuis 2012, les éléments et les conclusions de ce groupe de travail n'ont pas encore été communiqués.

* 4 « Je n'accepte pas les mensonges sur l'Algérie. Nous étions une population d'environ quatre millions, et 132 ans plus tard nous étions à peine neuf millions. Il y a eu un génocide », a affirmé Abdelmadjid Tebboune.

* 5 Emmanuel Macron reconnaît, le 13 septembre 2018, la responsabilité de la France dans la disparition de Maurice Audin, enseignant et soutien du FLN, en 1957, pendant la guerre d'Algérie.

* 6 Suivant la recommandation émise par l'historien Benjamin Stora dans son rapport sur la mémoire de la guerre d'Algérie, le président de la République Emmanuel Macron reconnaît, le 2 mars 2021, l'assassinat par l'armée française de l'avocat nationaliste algérien Ali Boumendjel en 1957.

* 7 En mai 1945, il participe aux manifestations réclamant l'indépendance de l'Algérie. Il est arrêté et incarcéré à Constantine. À sa libération, il adhère au MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques). En juillet 1954, Ben M'hidi est parmi les 22 militants indépendantistes qui décident du passage à l'insurrection, puis est choisi pour devenir l'un des six chefs historiques du Front de libération nationale (FLN) qui déclenchent la guerre d'indépendance, le 1er novembre. En août 1956, il préside le « Congrès de la Soummam », dans le maquis de la petite Kabylie, qui dote le FLN de structures politiques et militaires.

* 8 La traite des esclaves de Barbarie est le commerce d'êtres humains, majoritairement européens, qui a fleuri principalement entre les XIVe et XVIIIe siècles, principalement à Alger sous la domination ottomane. L'historien anglais Robert C. Davis estime le nombre d'esclaves européens capturés par les Barbaresques à 175 000 de l'année 1680 à l'année 1800.

* 9 Le Monde Diplomatique, avril mai 2006. https://www.monde-diplomatique.fr/mav/86/A/52520.

* 10 Jean-Félix Vallat est président de la Maison des Agriculteurs et des Français d'Afrique du Nord (MAFA), vice-président du Groupe de recherche des Français disparus en Algérie (GRFDA) et membre du comité de soutien international pour la libération de Boualem SANSAL

* 11 Selon le rapport pour la ministre déléguée aux anciens combattants chargée des rapatriés de décembre 2020 de Jean Jacques Jordi, Historien expert, auprès de l'Office national des combattants et des victimes de guerre.

* 12 L'inspirateur idéologique du FLN, Abane Ramdane, cible les musulmans francophiles dans un tract de décembre 1955 : « chaque patriote a le devoir d'abattre son traître ». Citons enfin Jean Paul Sartre qui écrivait en 1961 dans une préface au livre de Frantz Fanon - Les Damnés de la Terre : « car dans ce premier temps de la révolte, il faut tuer. Abattre un Européen c'est faire d'une pierre deux coups : supprimer un oppresseur et un opprimé, restent un homme mort et un homme libre ».

* 13 Préambule de la déclaration de 2022.

* 14 https://www.lefigaro.fr/international/positif-au-covid-19-le-grand-rabbin-de-france-haim-korsia-ne-se-rendra-pas-en-algerie-20220825

* 15 Rapport Stora, page 46.

* 16 Le régime de Tebboune interdit le roman Houris de Kamel Daoud, au salon international du livre d'Alger de novembre 2024. L'oeuvre en question, prix Goncourt 2024, est consacrée à la décennie sanglante 1990/2000 où militaires algériens et islamistes se livrèrent à des horreurs réciproques. Pour ces motifs, en mai 2025, deux mandats d'arrêts internationaux ont été émis à l'encontre de Kamel Daoud par le pouvoir algérien.

* 17 Communiqué du service de presse de l'ambassade de France à Alger du 27 mars 2024.

* 18 Le chapitre II des accords d'Évian prévoit notamment « qu'afin d'assurer, pendant un délai de trois années, aux nationaux exerçant les droits civiques algériens et à l'issue de ce délai, de façon permanente, aux Algériens de statut civil français (Les Pieds-Noirs), la protection de leur personne et de leurs biens, et leur participation régulière à la vie de l'Algérie, les mesures suivantes sont prévues :

Ils auront une juste et authentique participation aux affaires publiques.

Dans les assemblées, leur représentation devra correspondre à leur importance effective. Dans les diverses branches de la fonction publique, ils seront assurés d'une équitable participation.

Leur participation à la vie municipale à Alger et à Oran fera l'objet de dispositions particulières.

Leurs droits de propriété seront respectés. Aucune mesure de dépossession ne sera prise à leur encontre sans l'octroi d'une indemnité équitable préalablement fixée.

Ils recevront les garanties appropriées à leurs particularismes culturel, linguistique et religieux. Ils conserveront leur statut personnel qui sera respecté et appliqué par des juridictions algériennes comprenant des magistrats de même statut. Ils utiliseront la langue française au sein des assemblées et dans leurs rapports avec les Pouvoirs publics. Une association de sauvegarde contribuera à la protection des droits qui leur sont garantis. Une Cour des garanties, institution de droit interne algérien, sera chargée de veiller au respect de ces droits. »

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