EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les pénuries de médicaments peuvent avoir de graves conséquences pour les patients. Or, selon le Groupement pharmaceutique de l'Union européenne (PGUE)1(*), celles-ci sont de plus en plus fréquentes et affectent tous les États membres, si bien que 19 d'entre eux ont demandé à la Commission européenne, en mai 2023, de proposer un texte législatif pour lutter contre ces pénuries.
Conformément à son engagement pris en début de mandat, la Commission a présenté, dans les cent jours suivant sa prise de fonctions, la proposition de règlement COM (2025) 102 final2(*) qui doit permettre de lutter contre les pénuries de médicaments critiques figurant sur une liste de l'Union européenne et de médicaments d'intérêt commun pour lesquels une disponibilité insuffisante a été constatée dans au moins trois États membres.
Tout d'abord, ce texte fixe les critères de reconnaissance des projets stratégiques qui permettent la production de médicaments critiques sur le territoire de l'Union. Ces projets pourront bénéficier d'un soutien réglementaire et financier prévu par la proposition de règlement, en contrepartie d'un engagement à fournir à tous les États membres de l'Union les quantités nécessaires pour assurer la disponibilité du médicament.
En outre, ce texte vise à modifier les règles relatives aux marchés publics pour permettre aux pouvoirs adjudicateurs de prendre en compte des critères autres que le prix pour l'attribution d'un marché public de médicament critique ou de médicament d'intérêt commun.
Les pouvoirs adjudicateurs pourront ainsi favoriser les fournisseurs qui fabriquent une part significative de ces médicaments dans l'Union. Ce texte établit également des procédures d'achats conjoints de médicaments auxquelles les États membres volontaires pourront participer.
Enfin, il propose d'instituer un groupe de coordination des médicaments critiques (groupe « médicaments critiques ») composé de représentants des États membres et de la Commission européenne. Celui-ci devra faciliter la coordination des actions de la Commission et des États membres.
La proposition de règlement COM (2025) 102 final a pour base juridique l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Celui-ci prévoit que le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur. En matière de santé, la Commission, dans ses propositions, prend pour base un niveau de protection élevé.
Ainsi, la proposition de règlement doit permettre d'harmoniser les conditions dans lesquelles les États membres peuvent, s'ils le souhaitent, soutenir le développement des capacités de production de médicaments critiques et sécuriser l'approvisionnement en médicaments dans le cadre des marchés publics.
Toutefois, elle ne doit pas imposer aux États membres des solutions pour assurer leur approvisionnement en médicaments ni définir leurs besoins. En effet, l'article 168, paragraphe 7, du TFUE prévoit que l'action de l'Union dans le domaine de la santé est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux.
Sur cette base, les dispositions tendant à encadrer les choix des États membres pour organiser leur approvisionnement en médicaments ne paraissent pas conformes au TFUE. C'est le cas des articles 19 et 20 de la proposition de règlement.
L'article 19 prévoit que chaque État membre sera tenu d'élaborer un programme national de soutien à la sécurité de l'approvisionnement en médicaments critiques, notamment dans le cadre des procédures de passation de marchés publics. Selon le dispositif envisagé par la proposition de règlement, les programmes encouragent l'utilisation cohérente des exigences en matière de marchés publics par les pouvoirs adjudicateurs dans un État membre donné. Ceux-ci favorisent des approches multi-gagnant lorsqu'elles sont bénéfiques à la lumière de l'analyse du marché. Ils pourront également inclure des mesures ou pratiques, en matière de fixation des prix et de remboursement, qui favorisent la sécurité de l'approvisionnement pour les médicaments critiques non achetés dans le cadre de procédures de passation de marchés publics. Toutefois, le contenu de ces programmes n'est pas précisé par la proposition de règlement. Lors de son audition, la Commission européenne a indiqué qu'il sera très probablement nécessaire de le préciser dans le cadre de l'examen de ce texte.
Ces programmes devront être notifiés au groupe « médicaments critiques », par l'intermédiaire de la Commission. Le texte prévoit que ce groupe pourra émettre un avis sur les programmes des États membres. Dans ce cas, ceux-ci le prennent dûment en considération et peuvent en tenir compte lors de la révision de leur programme. Le considérant 30 ajoute que le partage de ces programmes doit faciliter l'échange de bonnes pratiques et la coordination entre les États membres.
Dès lors, à la lecture du texte de l'article 19 et du considérant 30, on peut s'interroger sur le caractère contraignant de l'avis du groupe « médicaments critiques ». Pour assurer la conformité au principe de subsidiarité de cet article, il apparaît nécessaire de préciser que l'avis du Groupe « médicaments critiques » n'est pas contraignant, d'autant plus que le contenu des programmes n'est pas précisé.
L'article 20 tend, quant à lui, à limiter la capacité des États membres à demander aux entreprises de constituer des stocks de sécurité.
Selon la Commission européenne, la proposition de règlement distingue les stocks d'urgence, détenus par les États membres pour faire face à une situation de crise, des stocks de sécurité que les États membres demandent aux entreprises de constituer pour garantir la disponibilité des médicaments. Ce sont ces derniers qui sont visés à l'article 20, ce qui n'est pas évident à la lecture du texte de la proposition de règlement.
L'article 20 dispose que les mesures relatives à la sécurité d'approvisionnement appliquées dans un État membre ne devraient pas avoir d'incidence négative dans les autres États membres. Cette disposition vise en particulier les obligations de détenir des stocks de sécurité imposées aux entreprises produisant des médicaments critiques et des médicaments d'intérêt commun. L'article 20 précise également que ces mesures devraient être proportionnées et respecter les principes de transparence et de solidarité.
Aucune définition de ces principes n'est proposée. Toutefois, dans le cadre de l'examen de l'article 134 de la proposition de règlement COM (2023) 193 final3(*) du paquet pharmaceutique relatif au rôle de la Commission en cas de pénurie de médicament critique, le Parlement européen propose que la Commission établisse des lignes directrices pour s'assurer que les initiatives nationales sont proportionnées et qu'elles n'ont pas d'incidence négative dans d'autres États membres.
En outre, le considérant 29 de la proposition de règlement indique que la Commission prévoit de publier des lignes directrices relatives à la mise en oeuvre de la proposition de règlement COM (2025) 102 final. De surcroît, le considérant 31 précise que les États membres devraient tenir dûment compte de ces lignes directrices en ce qui concerne l'absence de toute incidence négative sur le marché intérieur lorsqu'ils proposent et définissent la portée et le calendrier de toute forme d'obligation pour les entreprises de détenir des stocks de sécurité. Ces lignes directrices, bien qu'elles ne soient pas contraignantes, pourraient préciser la portée de l'article 20 et limiter la capacité des États membres à demander aux entreprises de constituer des stocks de sécurité pour assurer la disponibilité des médicaments.
Or, l'obligation imposée aux entreprises de constituer des stocks de sécurité et la détermination du niveau de ces stocks ont bien pour objectif la fourniture de soins de santé et relèvent donc de la compétence des États membres, conformément à l'article 168, paragraphe 7, du TFUE.
L'article 20 n'apparaît donc pas conforme au principe de subsidiarité.
Dans sa résolution n° 120 (2023-2024)4(*) adoptée à l'initiative de sa commission des affaires européennes, le Sénat recommandait que chaque État membre puisse fixer des obligations de constitution de stocks aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché selon ses propres besoins et que la Commission propose des mesures pour promouvoir une approche stratégique commune en matière de stockage de médicaments, sous réserve que les États membres restent libres d'y participer.
La France impose aux entreprises pharmaceutiques de détenir des stocks de sécurité
Le décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 relatif au stock de sécurité destiné au marché national impose à tout titulaire d'autorisation de mise sur le marché et à toute entreprise pharmaceutique exploitant un médicament en France de constituer un stock de sécurité destiné au marché national.
Ce stock correspond à une semaine de couverture des besoins, porté à un mois pour les médicaments contribuant à une politique de santé publique définie par le ministre chargé de la santé.
Pour tout médicament d'intérêt thérapeutique majeur (MITM), ce stock correspond à au moins deux mois de couverture des besoins. Les MITM sont des médicaments ou classes de médicaments pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante pour les patients au regard de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie. La liste des MITM est régulièrement actualisée par les entreprises qui déclarent chaque année à l'ANSM les médicaments qu'ils considèrent être des MITM selon les critères prévus par le code de la santé publique.
Si un MITM a fait l'objet de ruptures de stock ou risques de ruptures de stock réguliers au cours des deux années civiles précédentes, le stock de sécurité doit correspondre à au moins quatre mois de couverture des besoins. 748 médicaments sont désormais concernés par cette mesure.
Les laboratoires pharmaceutiques qui ne respectent pas cette obligation s'exposent à des sanctions financières prononcées par l'ANSM.
Pour ces raisons, la commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Lundi 23 juin 2025 :
- Commission européenne :
o M. Bruno GAUTRAIS, chef d'unité « Produits médicaux : qualité, sécurité, innovation », direction générale de la santé.
* 1 https://www.pgeu.eu/publications/pgeu-press-release-pharmacists-ask-for-actions-and-support-in-mitigating-shortages/?lang=fr
* 2 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre visant à renforcer la disponibilité et la sécurité de l'approvisionnement en médicaments critiques ainsi que la disponibilité et l'accessibilité des médicaments d'intérêt commun, et modifiant le règlement (UE) 2024/795.
* 3 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des procédures de l'Union pour l'autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et établissant des règles régissant l'Agence européenne des médicaments, modifiant le règlement (CE) nº 1394/2007 et le règlement (UE) nº 536/2014 et abrogeant le règlement (CE) nº 726/2004, le règlement (CE) nº 141/2000 et le règlement (CE) nº 1901/2006.