EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 2 juillet 2025, la Commission européenne a publié une proposition de révision de la loi européenne sur le climat1(*), entrée en vigueur en juillet 2021. Cette proposition vise à inclure un objectif climatique contraignant de réduction de 90 % des émissions nettes de gaz à effet de serre, par rapport à 1990, d'ici à 2040, lequel devra également servir de référence et de cadre d'action pour la législation qui sera élaborée dans la perspective de l'après-2030.

La proposition soumise au Sénat prévoit aussi un réexamen par la Commission européenne de la législation pertinente de l'Union pour l'après-2030, « afin de rendre possible la réalisation » du nouvel objectif en matière de climat pour 2040, ainsi que l'objectif de neutralité climatique d'ici 2050. À cette fin, elle actualise la liste des éléments - désormais au nombre de dix-huit - comprenant des flexibilités et des conditions facilitantes, qui devront être prises en compte dans les prochaines propositions législatives.

Il est ainsi prévu que la Commission européenne présente, en 2026, la révision de la directive du système d'échange de quotas d'émission (SEQE-UE), du règlement sur l'utilisation des terres, le changement d'affectation des terres et la foresterie (UTCATF), du règlement sur les émissions de CO2 des voitures et camionnettes et, éventuellement, du règlement sur le partage de l'effort. Des réflexions sont, en effet, en cours sur la manière dont l'objectif 2040 serait réparti entre les États membres.

Ce texte s'inscrit dans un cadre plus large qui comprend le pacte pour une industrie propre, le cadre des aides d'État et le cadre financier pluriannuel.

1. L'état des négociations au Conseil et au Parlement européen

La loi européenne sur le climat définit un cadre juridique contraignant pour atteindre la neutralité climatique dans l'Union européenne d'ici 2050. Elle constitue l'élément phare du pacte vert pour l'Europe, présenté en décembre 2019, qui réaffirme l'ambition de la Commission européenne de faire de l'Europe le premier continent neutre sur le plan climatique d'ici 2050. Elle constitue aussi un pilier de la diplomatie climatique de l'Union européenne.

Afin de rendre possible l'atteinte de la neutralité climatique à l'horizon 2050, ce règlement fixe un premier objectif intermédiaire de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990. Il impose également de déterminer un nouvel objectif climatique intermédiaire à l'horizon 2040, devant être présenté dans les six mois suivant le premier bilan mondial de l'Accord de Paris, soit au cours du premier semestre 2024.

La fixation d'un objectif à l'horizon 2040 correspond à une demande exprimée par le Sénat lors des négociations sur la « loi européenne sur le climat », alors que la Commission européenne avait initialement proposé de fixer la trajectoire intermédiaire entre 2030 et 2050 par actes délégués. Le Sénat, dans sa résolution n° 88 (2019-2020) du 22 mai 2020, avait affirmé que, « compte tenu de la nécessité de donner aux acteurs de l'économie et aux investisseurs de la prévisibilité sur la durée complète d'un cycle d'investissement, mais aussi de l'importance des enjeux d'une telle décision en termes économiques et sociaux, technologiques et industriels, ainsi que d'aménagement du territoire dans chacun des États membres, la fixation de la trajectoire permettant d'atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050 revêt un caractère éminemment politique et doit être pleinement acceptée par les États membres pour être mise en oeuvre avec succès. Le Sénat considère ainsi que la fixation de cette trajectoire constitue un élément essentiel de cette proposition de règlement, ce qui interdit le recours envisagé aux actes délégués ». Cette position l'avait conduit à adopter un avis motivé sur la proposition de règlement portant « loi européenne sur le climat ». Sa position avait ensuite été correctement prise en compte lors des négociations.

Le nouvel objectif envisagé à l'horizon 2040 doit être basé sur une analyse d'impact détaillée et prendre en compte les meilleures connaissances scientifiques disponibles, notamment l'avis du Conseil consultatif scientifique européen sur le changement climatique.

Ce nouveau cadre juridique est destiné, selon la Commission européenne, à offrir de la stabilité et de la prévisibilité aux décideurs politiques, aux acteurs économiques et aux investisseurs, afin de créer les conditions d'« une économie forte et stable, une industrie compétitive et des emplois à l'épreuve du temps en Europe ». Celle-ci estime, en effet, que la fixation d'un objectif pour 2040 est à la fois nécessaire et réalisable, à condition que les politiques de décarbonation soient pleinement mises en oeuvre et que les investissements augmentent.

L'Union européenne doit aussi présenter une contribution déterminée au niveau national (CDN) actualisée, au titre de l'Accord de Paris, dans la perspective de la COP 30, qui se tiendra à Belém, au Brésil, du 10 au 21 novembre 2025. Afin d'éviter des discussions parallèles, il était prévu que la CDN pour 2035, qui ne constitue qu'un objectif indicatif, soit élaborée sur la base de la loi européenne sur le climat, et plus particulièrement de son objectif pour 2040.

La présidence danoise du Conseil de l'UE espérait, en effet, parvenir à un accord entre les États membres sur ce texte lors du Conseil Environnement du 18 septembre dernier, afin de pouvoir valider l'objectif pour 2040 avant le début de la COP 30, et l'utiliser ainsi comme base pour définir la contribution de l'Union européenne aux efforts climatiques mondiaux (CDN).

Or, une dizaine d'États membres, parmi lesquels la France et l'Allemagne, ont indiqué leur souhait qu'un débat approfondi sur ce sujet soit inscrit à l'ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2025.

Ce report fait écho aux divergences entre États membres concernant, d'une part, le niveau d'ambition pour 2040 et, d'autre part, la nécessité de disposer de plus de temps pour évaluer la proposition de la Commission européenne. Les désaccords portent notamment sur les impacts économiques, les mécanismes de flexibilité, ainsi que sur les garanties techniques, financières et réglementaires indispensables à une transition équitable. La discussion devrait permettre aux chefs d'État et de gouvernement d'échanger sur les orientations à donner aux futures politiques climatiques de l'Union et de préciser le niveau d'ambition souhaité à l'horizon 2040.

Au Parlement européen, le rapporteur désigné est le député tchèque Ondøej Knotek, membre du parti des Patriotes pour l'Europe. Il s'est prononcé pour le rejet de la proposition, justifiant sa position par le « risque extrême de délocalisation de la production hors de l'UE, de perte d'emplois dans toute l'Europe et d'affaiblissement général de l'économie de l'Union ». Il critique également la volonté de la plupart des autres groupes politiques de conclure un accord sur la cible 2040 et d'en faire découler la contribution déterminée au niveau national de l'UE. Le vote en commission de l'environnement, initialement prévu le 23 septembre 2025, a été reporté.

2. Vers la neutralité climatique de l'Union européenne à l'horizon 2050 : du cadre juridique à la réalisation

L'Union européenne s'est engagée à atteindre la neutralité climatique d'ici à 2050. Cet engagement doit se traduire par une baisse considérable des émissions nettes de gaz à effet de serre et par une compensation intégrale des émissions industrielles. Les États membres doivent ainsi réduire suffisamment leurs émissions pour qu'elles puissent être absorbées par les puits de carbone naturels et technologiques. Pour y parvenir, la loi européenne sur le climat établit déjà un objectif intermédiaire contraignant visant à réduire d'au moins 55 % les émissions nettes de gaz à effet de serre d'ici à 2030.

a. Une réglementation européenne traduisant les objectifs climatiques de transition vers une économie neutre en carbone

La mise en oeuvre du règlement dit « loi européenne sur le climat » s'est traduite par la révision et l'actualisation de la réglementation de l'Union ainsi que par la mise en oeuvre de nouvelles dispositions qui ont été proposées dans le cadre du paquet législatif « Ajustement à l'objectif 55 », présenté par la Commission européenne le 14 juillet 2021.

Ont ainsi été notamment revues ou adoptées les réglementations européennes suivantes :

- le règlement dit du « partage de l'effort »2(*), qui a aligné les objectifs des États membres de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) des secteurs des transports, des bâtiments, de l'agriculture et des déchets avec l'objectif européen de réduction de 55 % des émissions de GES d'ici 2030 ;

- la refonte du système d'échange de quotas carbone de l'Union européenne3(*) (SEQE-UE). Applicable depuis le 1er janvier 2024, la directive prévoit une réduction de 62 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030, par rapport à 2005, dans les secteurs couverts par le SEQE (installations industrielles, aviation, maritime). Le texte crée, à partir de 2027 ou de 2028, un marché du carbone pour les émissions du transport routier et du bâtiment (ETS bis), et étend le marché existant au transport maritime ;

- le règlement établissant le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières4(*). Ce mécanisme vise à compléter le système d'échange de quotas d'émission (SEQE) de l'UE, initié en 2005, en imposant une tarification du carbone sur les importations de produits à forte intensité de carbone. À partir de 2026, les importateurs devront ainsi acquérir des certificats correspondant aux émissions des marchandises importées dans l'Union européenne pour les secteurs de l'acier et du fer, du ciment, de l'aluminium, des engrais azotés, ainsi que de l'importation d'électricité ;

- le règlement du secteur de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie (UTCATF)5(*), qui vise à équilibrer les émissions et les absorptions de gaz à effet de serre liées à l'utilisation des sols, aux changements dans l'affectation des terres, telles que la conversion de terres agricoles en zones urbaines ou forestières, et à la gestion forestière ;

- la directive relative à la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, dite « directive RED III »6(*), qui vise à accélérer le déploiement des énergies renouvelables dans tous les secteurs de l'économie européenne et à porter la part des énergies renouvelables à 42,5 % de la consommation finale brute d'énergie dans l'Union européenne d'ici 2030 ;

- la directive relative à l'efficacité énergétique7(*) qui vise à renforcer les engagements des États membres pour améliorer leur efficacité énergétique et à mettre en place des politiques de réduction de la consommation d'énergie dans tous les secteurs ;

- la directive relative à la performance énergétique des bâtiments8(*), qui vise à renforcer la performance énergétique des bâtiments dans l'Union européenne pour atteindre les objectifs climatiques du Pacte vert ;

- le règlement sur les émissions de CO2 des véhicules légers9(*). Ce texte acte la fin de la commercialisation des voitures et des camionnettes à moteur thermique en 2035. Il est prévu une clause de revoyure en 2026.

b. Un objectif climatique pour 2030 que l'Union européenne devrait atteindre ou être proche d'atteindre

Selon l'évaluation réalisée par la Commission européenne des plans nationaux en matière d'énergie et de climat (PNEC) des États membres, leur mise en oeuvre intégrale, ainsi que les mesures nationales existantes et la législation européenne en vigueur, permettraient de réduire d'environ 54 % les émissions nettes de gaz à effet de serre, par rapport à 1990, d'ici à 2030.

Le degré de réalisation des objectifs fixés dans le cadre du partage de l'effort diffère d'un État membre à l'autre. Environ une dizaine d'entre eux prévoient de les atteindre sur la base des mesures nationales existantes, une autre dizaine dont la France devrait y parvenir en utilisant les flexibilités internes, tandis qu'une dernière dizaine anticipe un déficit et devra envisager des mesures additionnelles ou le transfert d'allocations d'autres États membres. Ces éléments de suivi, de rapport et de planification sont couverts par le règlement sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat10(*), qui a fait l'objet d'une évaluation en 2024 et dont une révision est attendue dans les mois à venir.

Les plans nationaux mis à jour et communiqués à la Commission européenne font ainsi état d'un alignement satisfaisant sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » et d'une meilleure coordination entre les secteurs concernés.

c. Une baisse significative des émissions de gaz à effet de serre dans l'Union européenne depuis 1990

Le rythme des réductions d'émissions de GES dans l'Union européenne s'est accéléré au cours des dernières années, ce qui lui a permis de dépasser largement son objectif de réduction d'émissions pour 2020, avec une diminution effective de 32 %, par rapport au niveau de 1990, contre un objectif initial fixé à 20 %.

Après deux années de ralentissement dans le contexte de la reprise post-COVID et de l'impact de la crise énergétique, l'Union européenne renoue avec une forte trajectoire de réduction des émissions grâce aux progrès réalisés dans plusieurs secteurs, en particulier dans celui de l'énergie. Elle a notamment atteint son objectif en matière d'énergies renouvelables, avec 24,6 % de la consommation d'énergie européenne provenant de sources renouvelables en 2023. Entre 2005 et 2023, les émissions des centrales électriques et des usines couvertes par le système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne ont aussi diminué de 47 %, l'objectif étant de parvenir à une réduction de 62 % d'ici à 2030 par rapport à 2005.

Selon les projections de l'Agence européenne pour l'environnement, l'Union européenne, qui ne représente qu'environ 6 % des émissions mondiales totales de gaz à effet de serre, a réduit d'environ 37 % ses émissions entre 1990 et 2023.

L'Union européenne semble donc bien placée, selon la Commission européenne, pour atteindre son objectif pour 2030, à condition que les États membres mettent pleinement en oeuvre les mesures nationales et les politiques européennes existantes et prévues dans le cadre du Paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

Les pays les plus émetteurs sont, bien entendu, ceux dont le poids économique est le plus important, à savoir l'Allemagne, la France, l'Italie, la Pologne et l'Espagne. En France, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 30 % depuis 1990, avec une baisse spectaculaire entre 2022 et 2023 dans tous les secteurs. Le secteur de l'énergie a fortement contribué à cette baisse, tout particulièrement la production d'électricité, en raison notamment du retour à une disponibilité élevée du parc nucléaire. Les États membres qui émettent le moins de gaz à effet de serre sont Chypre, le Luxembourg et Malte.

Les émissions nettes par habitant dans l'Union européenne s'élèvent ainsi, en 2023, à 6,5 tonnes équivalents CO2. Le Luxembourg est le pays plus émetteur de gaz à effet de serre par habitant, suivi par l'Irlande, l'Estonie et la République tchèque. La France - avec 5,4 tonnes équivalents CO2 en 2024 -, la Roumanie, le Portugal, la Suède et Malte se situent en dessous de la moyenne européenne.

Les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre dans l'Union européenne sont respectivement l'approvisionnement en énergie (27,4 %), le transport domestique (23,8 %), l'industrie (20,3 %), les activités résidentielles et commerciales (11,9 %) et l'agriculture (10,8 %). Des progrès ont été réalisés dans tous les secteurs, sauf dans celui des transports qui enregistre une hausse de 19 % entre 1990 et 2023. Des efforts supplémentaires sont néanmoins nécessaires dans l'ensemble des secteurs, en particulier dans le bâtiment, les transports, l'agriculture et concernant les puits de carbone.

Au niveau mondial, des signaux positifs se manifestent également, même si un décalage persiste souvent entre les ambitions déclarées et la mise en oeuvre effective des engagements.

À ce jour, l'Union européenne et neuf pays, à savoir l'Argentine, l'Australie, le Brésil, le Canada, le Japon, la Russie, l'Afrique du Sud, le Royaume-Uni et les États-Unis, ont atteint leur pic d'émissions. Des signes récents indiquent aussi que les émissions de CO2 de la Chine pourraient être proches d'un pic, avant de connaitre un plateau, voire une période de déclin structurel.

3. La pertinence d'un nouvel objectif intermédiaire pour 2040

Sur la base d'une étude d'impact et des connaissances scientifiques, la Commission européenne a proposé de fixer l'objectif intermédiaire en matière de climat pour 2040 à hauteur de - 90 % d'émissions nettes de gaz à effet de serre, par rapport à 1990. Cette perspective doit permettre de reconnaître le rôle important joué par la décarbonation dans la transformation de l'économie européenne. Elle traduit la nécessité de procéder à des transformations majeures de long terme dans le cadre de l'objectif de neutralité climatique à l'horizon 2050.

Pour le Haut Conseil pour le climat, l'objectif de réduction de 90 % des émissions nettes de gaz à effet constitue un minimum pour respecter le principe de responsabilités communes et différenciées, sur lequel s'appuie la répartition équitable de l'effort climatique au niveau international et les engagements titres de l'Accord de Paris.

Selon les estimations du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la France étant l'un des pays européens les plus avancés dans la décarbonation, l'objectif européen envisagé pour 2040 représente, pour notre pays, une réduction comprise entre 78 % et 80 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, compte tenu des efforts déjà accomplis pour atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050.

a. Une obligation inscrite dans la loi européenne sur le climat

L'amendement à la loi européenne sur le climat, proposé dans le cadre de la proposition de règlement publiée le 2 juillet 2025, découle d'une obligation légale inscrite à l'article 4, paragraphe 3, visant à la réalisation de l'objectif climatique pour 2050. En conséquence, la Commission européenne était tenue de présenter un objectif intermédiaire entre 2030 et 2050.

À cette fin, la Commission européenne a publié, en février 2024, une communication recommandant ainsi une réduction de 90 % des émissions de gaz à effet de serre, par rapport à 1990, d'ici à 2040. Elle s'est appuyée sur une étude d'impact détaillée, couvrant les différents aspects mentionnés dans la loi européenne sur le climat, incluant l'évaluation des trajectoires sectorielles nécessaires pour atteindre la neutralité climatique en 2050.

La Commission européenne a également pris en compte la position du Conseil consultatif européen sur le changement climatique, conformément à l'obligation mentionnée à l'article 4, paragraphe 5, de la loi européenne sur le climat. Cet avis garantit que la Commission s'appuie sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles pour formuler les nouveaux objectifs climatiques de l'Union européenne pour la période post-2030 dans sa proposition législative.

La publication de la communication a été suivie d'un processus de dialogue politique, au sein de l'Union européenne, avec les différents acteurs européens, nationaux et sectoriels, sur la base des recommandations formulées par la Commission européenne.

Cette ambition climatique est ouvertement critiquée par un certain nombre d'États membres11(*), tandis que d'autres la soutiennent et défendent une position ambitieuse12(*).

Le niveau de réduction, - 90 %, n'est pas remis en cause par le gouvernement français. Toutefois les autorités françaises souhaitent que cet objectif s'accompagne de conditions facilitantes et de dispositifs de soutien à l'industrie européenne.

Cet objectif revêt également un enjeu majeur au niveau international. Simultanément, en amont de la COP 30 à Belém, l'Union européenne doit soumettre sa nouvelle contribution nationale déterminée (CDN), laquelle doit inclure un nouvel objectif indicatif à l'horizon 2035.

b. L'engagement de l'Union européenne dans la réalisation de l'objectif climatique fixé par l'Accord de Paris

Signé en 2015, l'Accord de Paris, dans son article 4, paragraphe 2, exige que chaque Partie établisse, communique et actualise les contributions déterminées au niveau national successives (CDN) qu'elle projette de réaliser. Ces actions doivent jouer un rôle dans la réalisation des objectifs de l'Accord de Paris, et par conséquent, dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial.

L'Accord de Paris prévoit que les pays présentent des plans d'action climat appelés « contributions déterminées au niveau national » et que la nouvelle CDN de chaque Partie représentera une progression par rapport à sa contribution antérieure et correspondra à son niveau d'ambition le plus élevé possible, compte tenu des responsabilités communes mais différenciées ainsi que des capacités respectives des pays, eu égard aux différentes situations nationales. Les CDN doivent être alignées sur les stratégies à long terme de développement à faible émission de GES et être compatibles avec l'objectif de température de l'Accord de Paris.

Chaque État définit donc sa propre contribution en fonction de ses capacités, ressources et priorités nationales. Les CDN sont renouvelables et révisables tous les cinq ans, afin de renforcer progressivement l'ambition collective. L'Union européenne, en tant qu'entité et par chacun de ses États membres, soumet ses CDN à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

Faute d'accord à ce stade entre les États membres sur une cible précise pour 2040, le Conseil a choisi de recentrer les discussions sur la position internationale de l'Union européenne concernant ses ambitions climatiques à l'horizon 2035, afin de présenter une CND avant la COP 30.

Dans ce cadre, une « déclaration d'intention », préparée par la présidence danoise du Conseil, a été adoptée à l'unanimité. Ce texte dresse un état des lieux de la politique climatique de l'Union et propose une fourchette indicative de réduction des émissions comprise entre - 6,25 % et - 72,5 % par rapport à 1990.

Cette fourchette indicative tient compte de l'objectif de - 55 % en 2030, de la neutralité carbone en 2050 et de l'ambition de - 90 % en 2040.

Si elle reste une solution transitoire, cette déclaration d'intention permet néanmoins à l'Union européenne de mettre en avant ses efforts climatiques et d'afficher une position commune lors du Sommet sur le climat du Secrétaire général des Nations unies, le 24 septembre à New York, tout en laissant ouverte la négociation sur l'objectif 2040.

En revanche, la contribution déterminée au niveau national de l'Union européenne, qui devait inclure un objectif de réduction des émissions pour 2035 et être présentée à ce Sommet, n'a pas encore pu être finalisée en raison du désaccord sur la cible 2040. Elle devrait toutefois être adoptée et transmise avant le début de la COP 30.

c. Les coûts du changement climatique : la nécessité de moderniser le système économique européen

Comme l'ont souligné plusieurs interlocuteurs auditionnés par les rapporteurs, l'Europe est le continent qui se réchauffe le plus rapidement. Réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre est essentiel pour limiter les impacts néfastes et potentiellement dévastateurs du réchauffement climatique, à l'exemple des incendies et vagues de chaleur qui ont frappé la France et l'Europe cet été.

Selon l'Agence européenne pour l'environnement13(*), les événements météorologiques et climatiques ont provoqué de l'ordre de 2 738 milliards d'euros de pertes dans l'Union européenne au cours de la période 1980-2023, dont 162 milliards d'euros pour les trois dernières années. Elle relève que les coûts ont tendance à augmenter avec l'accélération du changement climatique.

Une étude récente de l'université de Mannheim et de la Banque centrale européenne a ainsi évalué que les phénomènes météorologiques extrêmes de l'été 2025 -- vagues de chaleur, sécheresses, inondations -- ont engendré environ 43 milliards d'euros de pertes directes pour l'économie européenne, soit 0,26 % de la valeur ajoutée brute de l'UE pour cette année. À moyen terme, les pertes économiques cumulées pourraient atteindre 126 milliards d'euros d'ici 2029, représentant 0,78 % de la valeur ajoutée brute, car les impacts se prolongent et s'aggravent dans le temps. Les pays les plus touchés sont la France, l'Espagne et l'Italie, avec des pertes respectives estimées à plusieurs dizaines de milliards d'euros.

d. Une cible climatique insuffisamment consolidée

La Commission européenne propose un objectif juridique contraignant de réduction des émissions nettes sans distinguer la part atteinte par les réductions d'émissions brutes.

L'étude d'impact prévoit ainsi une réduction de 83 % des émissions brutes pour atteindre les 90 % d'émissions nettes. Or il est important de construire une architecture de la cible distinguant les émissions brutes des émissions nettes. En effet, la Commission européenne doit utiliser l'objectif 2040 pour calculer le plafond de répartition du marché carbone après 2030, ainsi que la répartition des objectifs entre les États membres dans le cadre du règlement sur le partage de l'effort.

Le gouvernement français estime qu'il faut poursuivre des discussions approfondies sur la faisabilité et l'architecture de la cible sur la base d'options de différentes natures. Par conséquent, il considère qu'il est trop tôt pour se prononcer sur un objectif pour 2040.

En l'absence d'une contribution brute fixée par la loi européenne sur le climat, le risque est que les secteurs émetteurs traditionnels doivent compenser le déficit sur les puits de carbone. Par conséquent, il faudrait demander aux secteurs industriels de fournir des efforts additionnels en raison d'un objectif trop élevé pour les puits naturels. Ces efforts seraient donc extrêmement coûteux.

Les auditions ont fait apparaître que la construction de l'objectif de 90 % de réduction des émissions de GES se base sur des niveaux de contribution des puits naturels et technologiques surévalués par rapport à la tendance actuelle de déclin des puits forestiers. En effet, depuis dix ans, le puits forestier a perdu un tiers de sa capacité d'absorption, soit 322 millions de tonnes équivalents CO2 en 2015 contre 200 millions de de tonnes équivalents CO2 aujourd'hui, en raison principalement des impacts du changement climatique sur les forêts. Or la réversion de cette trajectoire nécessite un temps long. L'hypothèse de la Commission européenne - 316 de tonnes équivalents CO2 pour contribuer aux 90 % - apparaît donc surestimée compte tenu de la tendance actuelle. Il existe également des préoccupations concernant les puits technologiques tant en raison de leur disponibilité que de leur potentiel de déploiement à grande échelle sur le territoire européen.

Le gouvernement français appelle à tenir compte des incertitudes sur l'évolution des puits de carbone, notamment liées aux impacts du changement climatique, dans l'élaboration de l'objectif climatique pour 2040. Cette position est partagée par la commission des affaires européennes.

Tout en reconnaissant la pertinence de fixer un objectif climatique à l'échéance de dix ans, avant l'atteinte de la neutralité climatique, les rapporteurs considèrent que les auditions qu'ils ont menées ne leur ont pas permis de se positionner clairement sur le niveau de l'ambition proposée par la Commission européenne.

Ils jugent essentiel que l'Union européenne affiche un engagement clair et stable en matière de décarbonation, afin de guider les investissements et de renforcer la confiance des acteurs économiques, dans un contexte où la restauration de la compétitivité de l'Union européenne constitue une priorité politique de cette mandature européenne. Ainsi, ils soutiennent l'adoption d'un objectif intermédiaire pour 2040, estimant que l'adaptation au changement climatique doit être actée non seulement au niveau des États, mais aussi pour offrir de la visibilité aux entreprises européennes.

Néanmoins, ils s'interrogent sur la capacité de l'Union européenne à atteindre ce niveau d'ambition, compte tenu de la diversité des situations entre États membres, et se montrent critiques vis-à-vis de la méthodologie retenue par la Commission européenne concernant la distinction entre émissions nettes et brutes.

4. L'introduction de flexibilités dans la manière d'atteindre l'objectif climatique pour 2040

Pour parvenir à l'objectif de réduction de 90 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2040 et faciliter l'adhésion de l'ensemble des États membres, notamment les plus réticents comme la Hongrie et la République tchèque, la Commission européenne propose d'introduire des flexibilités dans la manière de réaliser cet objectif.

Selon une étude publiée en août 2025 par l'Institut Brueghel, la France et la Suède sont les deux pays les mieux préparés à la transition énergétique au sein de l'Union européenne, avec respectivement 9 % et 8 % de leur PIB exposés à cette transition, contre une moyenne européenne de 16 %.

Ces flexibilités visent à combiner réduction des émissions, absorption de carbone et coopération internationale. Leur introduction constitue une réponse aux arguments avancés par certains États membres et acteurs économiques concernant le rythme de décarbonation.

Les flexibilités introduites dans la proposition résultent ainsi des discussions qui se sont déroulées à l'issue de la publication de la communication, en février 2024. Leurs modalités de mise en oeuvre feront l'objet de propositions législatives ultérieures de la Commission européenne.

En outre, les différentes règlementations sectorielles en vigueur devront être révisées prochainement pour se conformer au cadre post-2030, en tenant compte des flexibilités qui seront introduites dans la loi européenne sur le climat.

a. Une utilisation de crédits carbone internationaux qui soulève de nombreuses interrogations

La Commission européenne souhaite donner un rôle limité à des crédits carbone internationaux de grande qualité. Elle propose qu'à partir de 2036, les États membres puissent comptabiliser, dans la limite de 3 % des émissions nettes de l'Union européenne en 1990, des crédits carbone provenant de projets réalisés dans des pays tiers pour le calcul de la réduction de leurs émissions. Ces crédits carbone doivent aussi permettre de financer des projets dans les pays tiers contribuant à réduire leurs émissions conformément aux trajectoires compatibles avec les objectifs de l'Accord de Paris en matière d'évolution des températures.

Cette possibilité s'appuie sur les travaux réalisés à la COP 29, à Bakou, qui ont permis d'aboutir à un accord sur la mise en oeuvre de l'article 6 de l'Accord de Paris concernant la coopération internationale volontaire en matière d'atténuation. Elle a aussi été introduite à la demande de l'Allemagne, en raison de sa mention dans l'accord de coalition du gouvernement allemand.

Ce rôle, limité, des crédits carbone internationaux doit permettre d'offrir une flexibilité quant à la manière d'atteindre collectivement l'objectif, en s'appuyant sur des indicateurs précis. Les conditions relatives à l'acquisition et à l'usage de ces crédits devront être réglementées par le droit européen, après une éventuelle étude d'impact spécifique. Une proposition d'évolution du cadre réglementaire devrait être présentée par la Commission européenne en 2026.

Or le recours aux crédits carbone internationaux soulève de nombreuses interrogations, que ce soit, par exemple, concernant le choix du pourcentage, la période d'application, les modalités de mise en oeuvre ou la qualité des projets concernés. En effet, ses modalités de mise en oeuvre ne sont pas précisées, ces précisions devant être apportées dans un texte ultérieur.

Les auditions menées par les rapporteurs n'ont, par ailleurs, pas permis d'apporter d'éclaircissements sur ce point. Ils estiment que cette flexibilité doit s'accompagner de garanties solides et effectives pour s'assurer qu'elle ne compromette pas la crédibilité de la réalisation des objectifs climatiques européens au niveau domestique. L'enjeu est aussi de s'assurer de l'intégrité environnementale de ces crédits.

Les autorités françaises considèrent qu'il existe un intérêt à explorer cette flexibilité prévue par l'Accord de Paris, sous certaines conditions : la réduction des émissions doit continuer à s'effectuer en priorité sur le territoire européen au regard des enjeux de souveraineté et d'indépendance énergétique. À ce stade, le gouvernement français n'a pas encore de position sur le montant des 3 % ni sur la période 2036-2040. Il a demandé une réserve d'examen sur les paramètres de l'article 6. Il considère, par ailleurs, que les crédits internationaux n'ont pas vocation à être utilisés dans le système d'échanges de quotas d'émission, considérant que cela remettrait en cause les efforts sectoriels de décarbonation.

Il convient aussi de tirer les leçons de l'expérience européenne en matière d'utilisation des crédits internationaux dans le cadre du protocole de Kyoto14(*), notamment en termes de solidité du signal prix dans le marché du carbone. L'utilisation de ces crédits peut également conforter le rôle de l'Union européenne au niveau international, en montrant que tous les instruments de l'Accord de Paris sont mobilisés.

Pour le Bureau européen de l'environnement et les ONG environnementales, l'utilisation de crédits internationaux retarde les efforts à l'intérieur de l'Union européenne. Ils estiment que la neutralité climatique doit rester domestique et demandent la suppression de cette flexibilité.

b. Un rôle des absorptions permanentes nationales nécessairement limité et encadré

La révision de la loi européenne sur le climat vise à prendre en compte le rôle des absorptions permanentes nationales dans le système d'échanges de quotas d'émission de l'Union européenne, dont le réexamen de la directive est prévu d'ici le 31 juillet 2026.

Cette flexibilité doit permettre de compenser les émissions résiduelles dans les secteurs difficiles à décarboner ; cela inclut le stockage naturel du CO2 ainsi que le stockage industriel du CO2, c'est-à-dire la capture du CO2 directement dans l'atmosphère ou à la source des émissions, puis son stockage permanent dans le sous-sol. Les modalités de mise en oeuvre seront déterminées dans un texte ultérieur dans le cadre de la révision de la directive ETS pour l'après 2030.

Le stockage du carbone par des sources naturelles s'inscrit dans le cadre du règlement européen relatif à l'utilisation des terres, au changement d'affectation des terres et à la foresterie (règlement UTCATF). Des objectifs ont été fixés pour 2030 qui présentent un certain nombre de difficultés déjà mentionnées, mais qui sont essentiels pour l'atteinte de la neutralité carbone en 2050. Ces sources d'absorption sont fondamentales pour l'atteinte de l'objectif « zéro émission nette ».

Cette flexibilité concerne aussi un certain nombre de nouvelles technologies de stockage du carbone, soit biogénique soit directement capturé dans l'air. L'utilisation de ces crédits n'est aujourd'hui pas possible dans le cadre du marché du carbone. Pour les secteurs industriels pour lesquels les options de réduction de GES sont actuellement limitées sur le plan technologique, les industriels concernés pourraient compenser les émissions par l'absorption permanente d'autres émissions. Cette option est envisagée dans le cadre de la réforme à venir du marché du carbone. Une consultation publique vient de s'achever sur cette question.

Cette flexibilité n'a pas été demandée par la France. Le gouvernement français n'y est pas défavorable, tout en adoptant une position prudente sur ce sujet. Il apparaît ainsi essentiel de définir des principes stricts sur les modalités d'intégration de ces émissions négatives dans le marché carbone pour ne pas compromettre la réduction des émissions brutes, qui doit demeurer la priorité.

c. Une flexibilité intersectorielle insuffisamment définie

La troisième flexibilité introduite par la proposition de règlement consiste à accorder une souplesse entre les différents secteurs concernés par la décarbonation, ainsi qu'entre les législations sectorielles, afin de soutenir la réalisation des cibles de manière efficiente et rentable. La surperformance dans un secteur compenserait la sous-performance dans un autre. Il s'agit notamment de répondre à la diversité des situations nationales dans l'Union européenne.

La Commission européenne propose ainsi de laisser plus de marges de manoeuvre aux États membres pour choisir leur trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, dès lors qu'un État membre atteindrait globalement son objectif au titre du partage de l'effort, il serait considéré comme conforme, les différentes cibles étant évaluées de manière agrégée. Toutefois, des limites à cette flexibilité seraient posées, afin de s'assurer que tous les secteurs participent à l'effort de décarbonation. En effet, il existe un risque de contournement partiel des efforts de réduction des émissions de GES structurelles, notamment dans les secteurs les plus difficiles à décarboner comme l'industrie lourde et l'agriculture.

Le cadre législatif s'appuie aujourd'hui sur trois piliers : le marché du carbone qui concerne la production d'électricité et de chaleur ainsi que les industries électro-intensives, le règlement du partage de l'effort qui comporte des objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre pour les États membres pour un ensemble de secteurs de manière agrégée (transport routier, bâtiment, agriculture, déchets) et le règlement UTCATF.

Actuellement, il existe entre ces trois règlements, qui devront être révisés une fois l'objectif 2040 adopté, un certain nombre de flexibilités à la disposition des États membres. Néanmoins les objectifs et sous-objectifs définis par la réglementation actuelle apparaissent trop rigides dans leur conception. Ils servent à s'assurer qu'ils permettent d'atteindre l'objectif global en 2030, 2040 et 2050. La Commission européenne souhaite accroître le rôle de cette flexibilité à l'avenir, selon des modalités qui restent à définir.

Dans une logique de subsidiarité accrue, les rapporteurs approuvent l'approche conduisant à laisser une plus grande marge de manoeuvre aux États membres quant à la manière d'atteindre l'objectif global, en répartissant l'effort de manière plus adaptée entre les secteurs au niveau national. Ils s'interrogent néanmoins sur les conditions de mise en oeuvre de cette flexibilité qui ne doit pas se faire au détriment de certains secteurs et activités économiques. La Commission européenne ne propose à ce stade aucune orientation concrète quant aux modalités d'une flexibilité accrue entre les secteurs. Il conviendra donc d'être vigilant sur ce point lors de la révision, prévue en 2026, du cadre réglementaire actuel.

5. L'impératif de se doter de conditions facilitantes pour atteindre la neutralité climatique en 2050

La Commission européenne propose également de renforcer le cadre facilitateur nécessaire pour atteindre l'ambition climatique de l'Union européenne. Elle envisage de compléter à l'article 4 de la loi européenne sur le climat les conditions facilitantes visant à accroître la souplesse dans l'atteinte des objectifs climatiques, notamment pour le cadre législatif après-2030.

Les rapporteurs font valoir que ces conditions facilitantes doivent contribuer à concilier la compétitivité européenne avec l'ambition climatique de l'Union. L'enjeu de la compétitivité européenne est aujourd'hui central dans les discussions sur la stratégie climatique. La Commission européenne souligne que la transition vers une économie décarbonée doit s'accompagner d'un renforcement de l'innovation, de la création d'emplois durables et d'une croissance économique stable.

Atteindre cet objectif suppose également de garantir une transition juste, pour que les ménages vulnérables, les entreprises et les travailleurs des secteurs en transition soient accompagnés.

Prenant en compte la nécessité de restaurer la compétitivité de l'Union européenne, à la suite des constats posés par les rapports de Mario Draghi et Enrico Letta, les rapporteurs estiment que maintenir un cap stable sur la transition climatique est essentiel pour orienter les investissements, donner de la visibilité aux acteurs économiques et stimuler l'innovation industrielle.

a. Garantir la reconnaissance du principe de neutralité technologique

L'introduction du principe de neutralité technologique dans la loi européenne sur le climat s'inscrit dans le cadre du respect des traités européens. Les rapporteurs souhaitent rappeler l'attachement du Sénat à ce principe, qu'il a réaffirmé à plusieurs reprises, notamment dans le cadre des travaux de la commission des affaires européennes.

L'application de ce principe est essentielle, en particulier pour les pays européens qui disposent déjà d'une production d'électricité fortement décarbonée, comme la France.

Ainsi, en vertu de ce dernier, les moyens mis en oeuvre par la Commission européenne doivent permettre aux États membres de conserver des marges de manoeuvre suffisante pour atteindre les objectifs fixés en matière de transition climatique et énergétique, au regard des particularités de leur mix énergétique et des technologies ou procédés retenus, mais aussi du degré actuel de décarbonation de leur production d'énergies.

La décarbonation de l'économie doit ainsi être assurée par toutes les technologies existantes zéro émission qui couvrent les énergies renouvelables, le nucléaire, l'efficacité énergétique, le stockage de l'énergie électrique et du carbone, la géothermie...

Les rapporteurs se félicitent que ce principe soit mentionné explicitement dans la partie opérative, parmi les critères contraignants que la Commission européenne doit prendre en compte dans ses futures propositions législatives pour l'après-2030. Ils relèvent que le considérant 5 mentionne le rôle du nucléaire et des énergies renouvelables parmi les solutions de décarbonation du système énergétique dans la perspective de la réalisation de l'objectif climatique pour 2040.

Ils demandent que la neutralité entre les technologiques ne soit pas remise en cause dans le dispositif de la proposition de règlement, au cours des négociations.

b. Soutenir l'industrie européenne dans la transition énergétique

Pour atteindre ses objectifs climatiques tout en assurant sa souveraineté industrielle et technologique, l'Union européenne doit transformer ses capacités de production existantes, mais aussi développer de nouvelles filières dans des secteurs stratégiques. L'adoption d'un nouvel objectif intermédiaire doit être assorti de mesures en faveur de la compétitivité de l'économie et de l'industrie européennes. Certaines conditions sont ainsi indispensables à sa mise en oeuvre et à sa réalisation.

Le rapport de Mario Draghi, remis à la Commission européenne en septembre 2024, propose de concilier compétitivité, innovation et décarbonation pour relancer et accroître la croissance de l'Europe. Les rapporteurs soulignent que l'Union européenne doit adopter une véritable stratégie industrielle afin de restaurer sa compétitivité face aux États-Unis et à la Chine.

Ils estiment que la réduction des émissions de gaz à effet de serre doit aller de pair avec le déploiement d'une véritable stratégie industrielle européenne, fondée sur les technologies propres, le développement massif des énergies décarbonées et l'électrification des usages. Cette stratégie doit aussi permettre à l'UE de réduire sa dépendance aux importations d'énergies fossiles dans un contexte géopolitique incertain.

À ce titre, les rapporteurs rappellent la nécessité de réviser rapidement le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui doit entrer pleinement en application au 1er janvier 2026, afin qu'il contribue effectivement à protéger de manière efficace les industries européennes dans leurs efforts de décarbonation.

Le MACF vise, en effet, à encourager la décarbonation des entreprises européennes tout en les protégeant de la concurrence des produits importés à moindre valeur environnementale dans plusieurs secteurs. Toutefois, ce mécanisme ne s'applique pas aux produits manufacturés, ce qui représente des risques pour certains secteurs industriels, ainsi qu'en termes de fuites de carbone.

Par ailleurs, il tend à augmenter le coût des matières premières importées, ce qui peut aussi nuire à la compétitivité des industries européennes qui les transforment. Il existe ainsi un risque de délocalisation de ces activités industrielles hors de l'Union européenne, entraînant de nouvelles fuites de carbone. Par exemple, dans l'industrie automobile, le surcoût de l'acier pourrait inciter les constructeurs disposant d'usines dans l'Union européenne à les délocaliser hors de cette zone.

Les rapporteurs proposent de revoir les contours de ce mécanisme et d'en corriger les effets négatifs dans les meilleurs délais, notamment en remédiant aux problèmes structurels identifiés, tels que le contournement du dispositif, les fuites de carbone à l'exportation et dans le secteur aval, ainsi que les impacts sur la compétitivité à l'export.

b. Mobiliser des financements au service de la transition climatique

La stratégie européenne de décarbonation nécessite aussi de mobiliser des financements accrus, ainsi que des investissements publics et privés. L'Union européenne doit déployer d'importantes ressources pour atteindre ses objectifs climatiques, en particulier pour moderniser le système énergétique européen. Ces investissements représentent environ 3,6 % du PIB de l'Union européenne, soit un accroissement de 1,5 point de PIB en besoins d'investissements par rapport à la décennie 2011-2020. Cela inclut des actions dans la rénovation des bâtiments, l'électrification de la demande énergétique dans l'industrie et les transports ainsi que le développement de production électrique bas-carbone.

L'objectif proposé entraîne une forte réduction des importations de combustibles fossiles représentant des économies substantielles de près de 3 000 milliards d'euros sur la période 2031-2050 pour l'Union européenne.

Le rapport Draghi estime que 750 à 800 milliards d'euros d'investissement supplémentaires sont nécessaires tous les ans pour enrayer le déclin de l'Europe et financer les transitions verte et numérique. Selon la Commission européenne, les besoins pour la décarbonation industrielle en Europe se situent entre 600 et 700 milliards d'euros d'ici 2050. Or, en 2023, seuls 498 milliards d'euros ont été investis dans la transition climatique. Il convient de noter que la Chine a investi, en 2024, environ 680 milliards de dollars dans sa transition énergétique, soit 20 % de plus que l'année précédente.

Or le manque d'investissement est le principal obstacle à l'atteinte de la neutralité climatique. Le dernier rapport annuel de l'Observatoire européen de neutralité climatique souligne que « l'économie de l'Union européenne risque de s'enfermer dans des dépendances critiques à l'égard d'économies étrangères ».

La transition climatique doit donc s'accompagner d'un financement ambitieux tout en assurant la compétitivité de l'économie européenne.

Un certain nombre d'outils peuvent être mobilisés pour favoriser les investissements privés. Les investissements publics sont également nécessaires pour mobiliser les investissements privés.

Le cadre financier pluriannuel 2021-2027 prévoit ainsi que 30 % des fonds européens doivent être consacrés à des projets liés au climat ; la proposition présentée par la Commission européenne le 16 juillet dernier porte cet objectif à 35 % dans le CFP 2028-2034. Par ailleurs, le marché du carbone constitue un outil générant des financements pouvant être redistribués aux entreprises et aux ménages.

Au sein du règlement dit « loi européenne sur le climat », il est possible de définir des engagements financiers en cohérence avec les investissements nécessaires à la décarbonation, notamment par le biais d'instruments financiers.

La France, qui a proposé la création d'une « banque européenne de la décarbonation et de l'électrification », souhaite d'ailleurs la création de cet outil de financement de la décarbonation. Il aurait pour mission d'aider les entreprises industrielles européennes à abandonner les énergies fossiles et à financer les investissements nécessaires à leur transition énergétique. Le modèle s'inspire d'un mécanisme français de subventions basées sur la tonne de CO2 effectivement évitée, avec des appels d'offres sur dix à quinze ans. Les fonds de la nouvelle banque proviendraient du fonds européen d'innovation.

c. Assurer la convergence des États membres dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre

Les objectifs nationaux sont ainsi déclinés dans le règlement dit de partage de l'effort, qui a été révisé en 2023, dans le cadre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 ». Le règlement actualisé a ainsi renforcé l'objectif global à l'échelle de l'Union de réduction des émissions de GES de 40 % par rapport à 2005, contre 30 % auparavant, avec des cibles contraignantes pour chaque État membre dans les secteurs non soumis au marché européen du carbone, à savoir une partie de l'agriculture, la gestion des déchets, le transport routier et le bâtiment.

Ces objectifs sont déterminés par rapport aux niveaux d'émissions de 2005, avec une flexibilité de plus ou moins 20 % autour de cette valeur de référence. La répartition des efforts de réduction entre pays est basée sur le PIB par habitant. Les pays ayant un PIB par habitant plus faible sont autorisés à augmenter leurs émissions, tandis que les pays plus riches, ayant un PIB par habitant plus élevé, doivent supporter une charge de réduction plus importante.

L'Union européenne applique ainsi le principe de « responsabilités communes mais différenciées » en fonction du niveau de développement économique des États membres. Le mode de calcul prévoit aussi une correction tenant compte du rapport « coût-efficacité » afin de ne pas imposer aux États membres disposant d'un PIB supérieur à la moyenne européenne des coûts trop élevés pour atteindre leurs objectifs.

Avec l'actualisation de ce règlement, la France s'est vue assigner un objectif nettement plus ambitieux de diminution de 47,5 % de ses émissions d'ici 2030, contre 37 % précédemment, en prenant la même période de référence (2005), l'Allemagne devant les réduire de 50 %, contre 38 % auparavant.

Le gouvernement français souhaite qu'il y ait une convergence des efforts entre les États membres et que cette répartition se fasse de manière plus efficace, à savoir en fonction du coût d'abattement de la tonne de CO2 entre les différents pays.

Les rapporteurs partagent pleinement la démarche visant à instaurer une convergence dans la répartition des objectifs climatiques, ainsi que celle visant à assurer une répartition efficace et équitable des coûts liés aux efforts entre les États membres. La crainte est, en effet, que l'utilisation de la même méthodologie que celle choisie pour répartir l'objectif 2030 -- basée sur le PIB par habitant, avec un effort accru demandé aux États membres ayant les revenus les plus élevés -- conduise à ce que les pourcentages de réduction des émissions de gaz à effet de serre soient beaucoup plus coûteux pour les États les plus avancés dans leur transition que pour ceux au début de ce processus.

En outre, le gouvernement français propose une approche complémentaire en empreinte carbone, ce qui permettrait de combiner réindustrialisation sur le sol européen et décarbonation, laquelle est partagée par les rapporteurs. Se fixer un objectif de réduction de l'empreinte carbone pourrait permettre de réduire les émissions importées et de garantir une décarbonation réelle. La question des émissions importées devient de plus en plus prégnante. Il s'agit aussi de pouvoir tracer les fuites de carbone et de valoriser la production bas-carbone sur le sol européen.

À l'issue de la présentation des rapporteurs, la commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution européenne qui suit.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Vendredi 5 septembre 2025

- Commission européenne :

o M. Alban KITOUS, adjoint au chef d'unité « Prévision, analyse économique et modélisation », DG CLIMA ;

o Mme Cécile HANOUNE, chef d'unité « Gouvernance climatique, plans et intégration », DG CLIMA.

- Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne :

o M. Jack WANG, conseiller climat, biodiversité, eau, OGM, contentieux.

Lundi 8 septembre 2025

- Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires :

o Mme Diane SIMIU, directrice du climat, de l'efficacité énergétique et de l'air ;

o M. Yue DONG, chef du bureau climat à la direction de l'action européenne et internationale du secrétariat général ;

o Mme Nolwenn BROSSIER, chargée de mission émissions, négociations et évaluation des politiques.

- Haut Conseil pour le climat :

o M. Jean-François SOUSSANA, président ;

o Mme Florence ALLOT, directrice, chargée des relations institutionnelles.

Vendredi 12 septembre 2025

Audition conjointe

- Mouvement des entreprises de France (MEDEF) :

o M. Jean-Baptiste LÉGER, responsable du pôle « Transition écologique » du MEDEF ;

o M. Jean-Baptiste BARONI, directeur adjoint à la direction du développement durable du MEDEF ;

o M. Ghali TANJI, chargé de mission affaires publiques du MEDEF.

- Association française des entreprises privées (AFEP) :

o M. Nicolas BOQUET, directeur « Environnement, énergie et climat » ;

o Mme Justine RICHARD-MORIN, directrice des affaires européennes, responsable du bureau de Bruxelles ;

o Mme Amina TARMIL, responsable des affaires parlementaires France.

* 1 Règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre pour la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) 2018/1999 (« loi européenne sur le climat »).

* 2 Règlement (UE) 2018/842 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris et modifiant le règlement (UE) n° 525/2013.

* 3 Directive (UE) 2023/959 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 modifiant la directive 2003/87/CE établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans l'Union et la décision (UE) 2015/1814 concernant la création et le fonctionnement d'une réserve de stabilité du marché pour le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre de l'Union.

* 4 Règlement (UE) 2023/956 du 10 mai 2023 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

* 5 Règlement (UE) 2018/841 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultant de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie dans le cadre d'action en matière de climat et d'énergie à l'horizon 2030, et modifiant le règlement (UE) n° 525/2013 et la décision (UE) n° 529/2013.

* 6 Directive (UE) 2023/2413 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 modifiant la directive (UE) 2018/2001, le règlement (UE) 2018/1999 et la directive 98/70/CE en ce qui concerne la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil.

* 7 Directive (UE) 2023/1791 du Parlement européen et du Conseil du 13 septembre 2023 relative à l'efficacité énergétique et modifiant le règlement (UE) 2023/955 (refonte).

* 8 Directive (UE) 2024/1275 du Parlement européen et du Conseil du 24 avril 2024 portant refonte de la directive sur la performance énergétique des bâtiments.

* 9 Règlement (UE) 2023/851 du Parlement européen et du Conseil du 19 avril 2023 modifiant le règlement (UE) 2019/631 en ce qui concerne le renforcement des normes de performance en matière d'émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et les véhicules utilitaires légers neufs conformément à l'ambition accrue de l'Union en matière de climat.

* 10 Règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat.

* 11 La République tchèque, la Lettonie, la Hongrie et la Slovaquie.

* 12 L'Allemagne, la Finlande, l'Espagne, le Portugal.

* 13 Rapport sur l'environnement et le climat - 29 septembre 2025.

* 14 Signé en 1997, le Protocole de Kyoto engage 38 pays industrialisés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Il prévoit un traitement différencié entre pays industrialisés, importants émetteurs de gaz à effet de serre, et pays en développement.

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