EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis l'accession de Donald Trump à la présidence des États-Unis, son administration laisse une empreinte profonde dans les relations internationales, réaffirmant la logique de domination impérialiste de Washington à travers des mesures coercitives, des pressions économiques et un discours ouvertement interventionniste. Ce constat vaut également dans les relations interaméricaines.
Au Panama, des déclarations à caractère annexionniste sur le canal ont ravivé la mémoire historique de l'ingérence et de la dépossession. Concernant le Brésil, les pressions américaines se sont traduites par des menaces directes : le secrétaire d'État Marco Rubio a annoncé que Washington réagirait « en conséquence » à la poursuite de ce qu'il a qualifié de « chasse aux sorcières » contre Jair Bolsonaro, détenu dans le cadre de procédures judiciaires internes. Cette rhétorique s'est accompagnée d'un relèvement des droits de douane sur l'acier et l'aluminium brésiliens, utilisé comme levier de pression politique. Enfin, en Colombie, l'arrivée au pouvoir du président Gustavo Petro a conduit à des tensions accrues avec Washington, son refus d'accueillir des ressortissants expulsés des États-Unis ayant entraîné des menaces implicites pesant sur la coopération bilatérale, notamment en matière militaire et commerciale.
Concernant le Venezuela, l'administration Trump a justifié l'envoi d'une flotte de guerre dans les Caraïbes au nom d'une « guerre » contre les cartels du narcotrafic allant jusqu'à déclarer officiellement au Congrès que les États-Unis étaient engagés dans un « conflit armé » contre les cartels du Venezuela. Dans les faits, cette stratégie a conduit à la destruction de plusieurs embarcations dans les eaux internationales, causant la mort à ce jour de 32 personnes, et à l'incursion de chasseurs américains dans une zone de contrôle aérien de Caracas. Cette stratégie constitue d'ailleurs la conséquence concrète d'une directive révélée en août 2025 visant à autoriser l'armée états-unienne à mener des opérations directes à l'étranger contre les cartels désignés comme organisations terroristes. Le 15 octobre, Donald Trump a d'ailleurs admis avoir autorisé la CIA à intervenir sur le territoire vénézuélien.
Ces exemples démontrent que les États-Unis, loin de rompre avec leur logique hégémonique, ont au contraire intensifié une politique impérialiste fondée sur la coercition économique, la stigmatisation idéologique et le mépris des principes de souveraineté, au détriment de la stabilité régionale et du respect de l'égalité entre nations.
Cette logique, la République de Cuba en est victime depuis plus de soixante ans, à travers un embargo économique, commercial et financier imposé unilatéralement par les États-Unis d'Amérique. Initié en 1960, renforcé par la loi Helms-Burton en 1996 et maintes fois aggravé depuis, ce blocus constitue aujourd'hui le régime de sanctions le plus long, le plus étendu et le plus complexe jamais appliqué contre un pays dans l'histoire contemporaine.
Ses conséquences humaines, sociales et économiques sont considérables. L'assouplissement significatif du blocus engagé par l'administration Obama - marqué notamment par le rétablissement des relations diplomatiques en 2015 et la levée de nombreuses restrictions commerciales et financières - démontrait qu'un consensus international se dessinait en faveur de la normalisation des relations avec Cuba, conformément au sens de l'histoire ; le revirement brutal opéré par l'administration Trump, motivé non par des considérations stratégiques mais par une posture idéologique, a rompu cette dynamique de dialogue et de coopération.
Selon les estimations officielles, de mars 2024 à février 2025, les dommages causés à l'économie cubaine atteignent 7,55 milliards de dollars, soit une augmentation de 49 % par rapport à la période précédente. Depuis son instauration, le coût cumulé du blocus s'élèverait à plus de 170 milliards de dollars à prix courant pour la nation caribéenne. Ces chiffres révèlent une politique d'« asphyxie » économique systématique, aux effets comparables à ceux d'une guerre prolongée.
Les secteurs essentiels de la vie quotidienne du peuple cubain sont directement affectés :
· la santé publique, gratuite et universelle, subit de lourds préjudices : plus de 288 millions de dollars de pertes pour la seule période 2024-2025, du fait de la traque des transactions bancaires, du refus de livraisons de médicaments et d'équipements, ou encore des surcoûts liés aux approvisionnements ;
· l'alimentation et l'énergie sont gravement touchées : difficultés d'importation de carburants, coupures électriques massives, dépendance accrue aux importations alimentaires, avec des effets directs sur la vie quotidienne des familles cubaines ;
· le tourisme, secteur vital pour l'économie cubaine, a perdu plus de 2,5 milliards de dollars en un an, conséquence directe du maintien de Cuba sur les listes unilatérales américaines (États commanditaires du terrorisme, entités restreintes, etc.) ;
· l'innovation, la recherche et la coopération internationale sont entravées par l'impossibilité d'accéder à des technologies, des plateformes et des financements internationaux, tandis que la politique américaine encourage l'émigration forcée de professionnels qualifiés, fragilisant le développement du pays.
Le blocus est également un outil de pression extraterritoriale : en application du titre III de la loi Helms-Burton, toute entreprise étrangère investissant à Cuba s'expose à des sanctions ou poursuites devant des tribunaux américains. Cette extraterritorialité viole la souveraineté des États tiers, y compris de la France et de l'Union européenne, et est contraire avec le droit international.
Cette politique est universellement condamnée. Depuis 1992, l'Assemblée générale des Nations Unies adopte chaque année, à une écrasante majorité, une résolution demandant la levée immédiate du blocus. En octobre 2024, 187 États membres ont voté en ce sens, seuls les États-Unis et Israël s'y opposant, tandis qu'un seul pays (la Moldavie) s'est abstenu.
Il est aujourd'hui démontré que le blocus constitue le principal obstacle au développement économique et social de Cuba. Selon les autorités cubaines, l'île aurait pu connaître en 2024 - sans cette politique coercitive - une croissance de plus de 9 % de son PIB, contre une contraction de 1,1 % enregistrée la même année.
Le maintien de Cuba sur la liste américaine des États commanditaires du terrorisme, sans fondement probant, renforce artificiellement le risque-pays et décourage les investisseurs étrangers, compliquant les échanges commerciaux et financiers avec des pays tiers. Cette inscription arbitraire n'est pas seulement injuste : elle est immorale et illégitime.
La France ne peut rester spectatrice du châtiment collectif contre 11 millions de Cubains exercé unilatéralement par les États-Unis. Il s'agit d'une politique inhumaine, contraire aux droits humains et rejetée par la communauté internationale. Nous devrions nous employer et en premier lieu, le gouvernement français, à soutenir activement toutes les initiatives diplomatiques visant à mettre fin au blocus, à protéger ses entreprises contre l'application extraterritoriale des lois américaines et à défendre le droit du peuple cubain à la paix, au développement et à l'auto-détermination.
Pour la France, l'enjeu est double. D'une part, il s'agit avant tout d'un enjeu de défense du droit international. Le blocus viole la Charte des Nations Unies, les principes de non-ingérence, d'égalité souveraine et de libre commerce, ainsi que les droits fondamentaux du peuple cubain. Membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies, il est de notre responsabilité de défendre le droit international et la justice.
D'autre part, il s'agit aussi d'une question d'intérêt. Cuba est un partenaire historique, culturel et économique de la France et de l'Union européenne. La levée du blocus favoriserait non seulement le développement de l'île, mais ouvrirait aussi de nouvelles opportunités de coopération bilatérale, régionale et internationale, dans les domaines du commerce, de la santé, de l'éducation, de la culture et de la recherche scientifique.
C'est pourquoi la présente proposition de résolution invite le Sénat à condamner fermement le blocus économique, commercial et financier imposé par les États-Unis d'Amérique contre Cuba, et à demander au Gouvernement français de s'engager, autant que faire se peut, dans les instances internationales et européennes, pour que cette politique injuste et illégale soit levée.