- 1) L'Union européenne dispose d'une
compétence d'appui dans le domaine de la protection civile
- 2) Le mécanisme de protection civile de
l'Union européenne
- 1) La politique de défense est une
compétence nationale
- 2) Les trois niveaux actuels de coopération
civilo-militaire
- 3) Une proposition qui contrevient aux
traités et qui est porteuse d'incertitudes et de risques
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 26 mars dernier 2025, s'appuyant notamment sur les conclusions du rapport de l'ancien Président finlandais Sauli Niinistö1(*), la Commission européenne a présenté une stratégie pour une Union de la préparation, qui préconise en particulier une sensibilisation de la population à une « culture de résilience », une politique de stocks stratégiques, un renforcement de la coopération public-privé et de la coopération civilo-militaire, et une actualisation des missions du mécanisme européen de protection civile.
La proposition de règlement relatif au mécanisme de protection civile de l'Union et au soutien de l'Union en matière de préparation et de réaction aux situations d'urgence sanitaire, et abrogeant la décision n° 1313/2013/UE - COM(2025) 548 final, présentée par la Commission européenne le 16 juillet 2025, en est la déclinaison opérationnelle.
Cette proposition de règlement paraît soulever de nombreuses difficultés au regard du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité, pour les motifs développés ci-après.
Le groupe de travail sur la subsidiarité de la commission des affaires européennes a donc décidé d'approfondir l'examen de ce texte.
Il a également été évoqué lors de la rencontre entre les commissions des affaires européennes du Sénat français et du Sénat italien, ce dernier examinant lui aussi le dossier. Au total, cette proposition fait aujourd'hui l'objet d'un examen approfondi au titre du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité de la part de neuf assemblées parlementaires de l'Union.
La proposition est fortement soutenue par la Commission européenne, mais aussi par de nombreux États membres du Nord, de la Baltique et de l'Est de l'Europe.
I. Le mécanisme européen de protection civile complète efficacement les dispositifs de secours des États membres contre les catastrophes
A. La sécurité civile en France
En France, la prévention et la lutte contre les catastrophes naturelles ou d'origine humaine (inondations ; accidents industriels ; feux de forêt...) relèvent de la sécurité civile.
Mission régalienne par essence, elle est en pratique partagée entre différentes autorités publiques dans une véritable logique de subsidiarité : en fonction de l'importance de la catastrophe, la réponse doit en effet être au « plus près du terrain ».
Ainsi, le maire, le préfet, ou le Premier ministre via le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), appuyé par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l'intérieur, assument la direction opérationnelle de la réponse aux crises.
Ils peuvent compter sur des moyens dédiés :
· les sapeurs-pompiers volontaires et professionnels des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et les sapeurs-pompiers militaires (Brigade des sapeurs-pompiers de Paris ; Marins-pompiers de Marseille) ;
· les associations de sécurité civile (ex : Croix rouge ; Société nationale de sauvetage en mer (SNSM)...) ;
· les moyens nationaux de la sécurité civile (flotte aérienne de la sécurité civile2(*) ; démineurs3(*) ; régiments d'instruction et d'intervention de la sécurité civile4(*)), rattachés à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l'intérieur).
B. L'organisation et le fonctionnement du mécanisme de protection civile de l'Union européenne
1) L'Union européenne dispose d'une compétence d'appui dans le domaine de la protection civile
La sécurité civile est appelée « protection civile » au niveau européen. Cette mission est intégrée dans la sécurité nationale qui, aux termes de l'article 4, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne (TUE), « reste de la seule responsabilité de chaque État membre ». Il s'agit donc d'une compétence exclusive des États membres.
Toutefois, l'article 196 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) prévoit une compétence d'appui de l'Union européenne en matière de protection civile : « L'Union (européenne) encourage la coopération entre les États membres afin de renforcer l'efficacité des systèmes de prévention des catastrophes naturelles ou d'origine humaine et de protection de celles-ci. ».
Dans ce cadre, l'action de l'Union européenne vise à :
· soutenir et compléter l'action des États membres aux niveaux national, régional et local sur la prévention des risques, dans la préparation aux risques des acteurs de la protection civile des États membres et au cours des interventions en cas de catastrophes naturelles ou d'origine humaine à l'intérieur de l'Union européenne ;
· promouvoir une coopération opérationnelle rapide et efficace à l'intérieur de l'Union entre les services de protection civile nationaux ;
· favoriser la cohérence des actions entreprises au niveau international en matière de protection civile.
2) Le mécanisme de protection civile de l'Union européenne
Dans ce cadre, un mécanisme européen de protection civile a été institué en 2001. Aujourd'hui régi par la décision n° 1313/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013, il comprend trois outils principaux :
· le centre de coordination de la réaction d'urgence (ERCC), rattaché à la direction générale ECHO de la Commission européenne. Situé dans les bâtiments de la Commission européenne, il fait de la veille sur les catastrophes, sert d'interface entre les États membres mettant des moyens à disposition de la réserve européenne de protection civile et ceux qui demandent son intervention. Il peut aussi les faire bénéficier des cartes satellitaires produites par le service Copernicus de gestion des urgences. Et, en cas de crise, il assure une coordination logistique des moyens complémentaires de secours à déployer ;
· la réserve européenne de protection civile : elle est constituée d'équipements d'urgence (pompes contre les inondations ; hôpitaux de campagne ; équipes de sapeurs-pompiers ou de spéléologues...) mis à disposition par les États membres sur la base du volontariat, afin de soutenir les États membres ou les pays tiers amis touchés par une catastrophe ;
· une seconde réserve européenne, appelée RescEU : il s'agit d'une réserve européenne supplémentaire dotée d'équipements et de matériels de protection civile qui font défaut aux États membres, et qui sont achetés, loués ou en crédit-bail par les États membres, avec le soutien financier de l'Union européenne (hélicoptères bombardiers d'eau ; hôpitaux de campagne ; stocks de contre-mesures médicales aux menaces nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC)...). Ces moyens sont prépositionnés dans certains États membres, mais doivent être mis à disposition de RescEU en cas de catastrophe.
Le mécanisme repose sur des principes simples et cohérents qui garantissent l'efficacité des secours :
· les États membres dirigent les opérations de secours, se coordonnent entre eux sur le niveau opérationnel, et ont le dernier mot dans ce domaine ;
· la coordination de la gestion des crises de dimension européenne relève du Conseil et de son organe dédié, le dispositif intégré pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise (IPCR)5(*), ou, en cas d'action humanitaire hors Union européenne, ou du centre de réponse aux crises du Service européen pour l'action extérieure (SEAE)6(*) ;
· la réserve européenne de protection civile intervient à la demande d'un État membre, si les moyens de ce dernier sont insuffisants. Le dispositif RescEU n'intervient qu'en dernier ressort, si les moyens de la réserve européenne sont, à leur tour, insuffisants.
Comme l'a souligné la résolution européenne n° 147 du Sénat7(*), en date du 26 juillet 2024, adoptée à l'initiative du sénateur Cyril Pellevat, et sur son rapport conjoint avec la sénatrice Gisèle Jourda, ce mécanisme européen est aujourd'hui un succès concret de la solidarité européenne.
Signalons enfin qu'en plus des 27 États membres de l'Union européenne, certains pays tiers participent au mécanisme avec un accès différencié - l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, l'Islande, la Macédoine du Nord, la Moldavie, le Monténégro, la Norvège, la Serbie, la Turquie et l'Ukraine -, ce qui porte à 37 le nombre total d'États parties au mécanisme.
En pratique, depuis 2001, le mécanisme de protection civile de l'UE a été activé à plus de 800 reprises au sein de l'UE et en dehors de celle-ci, en particulier, pour faire face aux feux de forêt, en France et dans d'autres États membres à l'été 2022, aux inondations dans le Pas-de-Calais à l'hiver 2023-2024.
Un mécanisme sollicité pour participer à l'aide européenne à l'Ukraine
À ce stade, l'ensemble des 27 États membres de l'Union européenne, ainsi que 6 pays tiers participants (Norvège, Turquie, Macédoine du Nord, Islande, Serbie et Moldavie) ont fourni une aide en nature.
Plus de 156 000 tonnes d'assistance matérielle ont été envoyées à l'Ukraine. Plus de 4 600 patients ont été transférés dans des hôpitaux à travers l'Europe. Plus de 9 300 générateurs électriques et plus de 6 900 transformateurs ont été fournis à l'Ukraine.
En outre, des plateformes logistiques ont été mises en place en Pologne, en Roumanie et en Slovaquie afin d'acheminer plus efficacement les produits vers l'Ukraine.
I. La proposition de règlement vise avant tout à donner les « pleins pouvoirs » à la Commission européenne dans la gestion de l'ensemble des « crises »
A. La proposition de règlement s'inscrit dans un contexte de menaces multiples
Les États membres de l'Union européenne font face aujourd'hui à une augmentation des risques et des menaces : répétition des catastrophes naturelles ; pandémies ; attaques hybrides, ingérences étrangères, cyberattaques et logique de confrontation développée par la Russie à l'égard de l'Union européenne depuis le début de l'agression militaire russe en Ukraine...
Il est donc nécessaire que les États membres et l'Union européenne décident d'imaginer les crises possibles, de les anticiper dans la mesure du possible, et d'être prêts à y répondre.
Encore faut-il que cette phase renforcée de préparation s'inscrive dans la répartition des compétences prévue par les traités et s'appuie sur les outils existants de gestion des crises au niveau européen.
La présidente de la Commission européenne a souhaité « prendre la main » sur ce dossier, affirmant que la priorité de son second mandat serait le renforcement de la défense et de la sécurité de l'Union européenne.
Dans ce contexte, le 26 mars dernier, la Commission européenne a présenté une stratégie de l'Union européenne pour la préparation qui vise à préparer les 27 États membres à un large éventail de risques et de menaces : catastrophes naturelles (inondations, feux de forêt, tremblements de terre...) ; catastrophes d'origine humaine (accidents industriels ; pandémies...) ; menaces hybrides (cyberattaques ; désinformation ; sabotage des infrastructures critiques...) ; crises géopolitiques dont la perspective d'un conflit armé.
Cette stratégie met donc l'accent sur les efforts d'anticipation, de résilience des fonctions essentielles, de coordination dans la réponse aux crises, etc.
Elle prône en particulier :
· le développement de la coopération public-privé et de la coopération civilo-militaire ;
· la constitution de stocks stratégiques, qui a fait l'objet d'une communication spécifique, le 9 juillet dernier8(*), et qui est déclinée dans divers textes sectoriels. À cet égard, le Sénat, qui approuve cette démarche européenne dans son principe, reste vigilant sur le fait qu'elle n'entrave pas la liberté des États membres dans leurs choix d'approvisionnement et de stockage, en matière de médicaments critiques ou de produits agricoles9(*) ;
· la refonte du mécanisme européen de protection civile (MPCU) pour en faire l'outil central de gestion des crises au niveau européen.
B. Son champ d'application est très large
Les objectifs du texte sont multiples.
L'objectif général de la réforme est de « renforcer la coopération entre l'Union [européenne] et les États membres afin de prévenir toutes sortes de catastrophes naturelles et d'origine humaine, de s'y préparer et d'y réagir, y compris la préparation et la réaction aux situations d'urgence sanitaire qui peuvent survenir à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union, y compris les situations dans lesquelles elles ont une incidence simultanée sur plusieurs secteurs. » (article 4.1).
Six objectifs spécifiques sont également définis : renforcer la compréhension et l'anticipation des risques et menaces de catastrophes ; faciliter le renforcement des capacités des États membres et de l'Union européenne ; améliorer la préparation aux catastrophes des États membres et de l'Union européenne en intégrant tous les acteurs de la société ; faciliter une réaction rapide et efficace ; soutenir la coordination lors des crises transsectorielles ; renforcer les efforts des États membres dans la préparation et réaction aux situations d'urgence sanitaire (article 4).
En outre, la proposition de règlement :
· étend le champ de la prévention et de la réponse aux catastrophes, par l'introduction de la notion de « crise », définie comme une catastrophe « multisectorielle » (article 3) ;
· tend à élargir le champ de compétences du mécanisme européen de protection civile en y intégrant la réponse aux « urgences sanitaires » (réponse aux pandémies ; stockage ; contre-mesures médicales... ; articles 4 et 34) ;
· confère à la Commission européenne et aux organes qui lui sont rattachés (centre de coordination de la réaction d'urgence -ERCC- et une nouvelle plateforme de coordination de crise ou « hub », créée à l'article 26), un rôle premier dans la gestion des crises qui touchent l'Union européenne. En revanche, le rôle de coordination du Conseil, et de son organe dédié à la gestion des crises, sont passés sous silence, en contradiction avec les traités ;
· donne une compétence de coordination en matière de « coopération civilo-militaire » à la Commission européenne, en lien avec le Service européen pour l'action extérieure (SEAE), et moyennant une simple « consultation » des États membres (article 5) ;
· souhaite associer certains « pays tiers » de manière « complète » au fonctionnement du mécanisme de protection civile. Cette association existe déjà dans le mécanisme actuel au profit de certains pays tiers et organisations internationales, sur la base d'accords bilatéraux10(*), mais elle distingue le statut des États membres de celui des pays tiers associés (article 9).
Enfin, la proposition de règlement met l'accent sur le concept de « préparation » aux catastrophes et aux crises, mission stratégique de réflexion permettant l'anticipation de ces dernières et, lorsqu'elles surviennent, de résistance et de continuité des secteurs critiques, afin d'assurer la continuité d'un État. La décision actuelle (1313/2023/UE) confirme d'ailleurs qu'il s'agit d'une mission régalienne (article 9). La proposition de règlement souhaite que l'Union européenne prenne aussi en charge cette mission (article 4, c), e) et f) ; article 5).
C. Un texte d'application du futur CFP prévoyant le soutien financier européen à la prévention et à la lutte contre les catastrophes pour la période 2028-2034
Ce texte est aussi l'une des traductions du projet de futur cadre financier pluriannuel (CFP), prévoyant une enveloppe de 10,6 milliards d'euros pour la gestion des crises sur 2028-2034.
Cette enveloppe, qui peut sembler importante au regard du budget actuel (3,3 milliards d'euros sur 2021-2027), devrait néanmoins couvrir les montants actuels consacrés à la protection civile et aux urgences sanitaires par l'Union européenne (chapitre 2, dont article 6).
II. La proposition de règlement COM(2025) 548 final ne semble pas conforme au principe de subsidiarité
A. Un soutien renouvelé à la coopération européenne en matière de protection civile dans le respect des traités
La présente proposition de résolution européenne portant avis motivé rappelle d'abord la répartition des compétences prévue par les traités européens dans le domaine de la protection civile :
· la « sécurité civile » ou « protection civile », à savoir, la protection de la population contre les catastrophes naturelles et d'origine humaine, fait partie intégrante de la sécurité nationale, qui, aux termes de l'article 4, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne (TUE), reste de la seule compétence des États membres ;
· l'Union européenne peut encourager, soutenir, favoriser, les actions des États membres dans ce domaine par sa compétence d'appui précitée, prévue à l'article 196 du TFUE.
La proposition d'avis motivé souligne aussi que le Sénat a toujours soutenu la coopération européenne en matière de protection des populations contre les catastrophes et que cette dernière est plus que jamais nécessaire dans un contexte marqué à la fois par la répétition des catastrophes naturelles et par le renforcement des menaces liées aux incertitudes géopolitiques depuis le début de l'agression militaire russe contre l'Ukraine en février 2022.
Ainsi, la présente proposition d'avis motivé salue les avancées contenues dans la proposition de règlement COM(2025) 548 final, en l'espèce :
· la volonté d'évaluation systématique des enjeux de préparation et de réaction aux crises et, plus généralement, l'accent mis sur la préparation ;
· l'amélioration des remboursements des interventions effectuées par les services des États membres au nom du mécanisme européen de protection civile (jusqu'à 100 %).
En outre, conformément à sa résolution européenne n° 147 du 26 juillet 2024 précitée, le Sénat demande le renforcement du mécanisme européen de protection civile dans son rôle d'interface entre États membres et dans ses tâches de coordination logistique et de transport des secours, qu'il mène efficacement. Il souhaite aussi une meilleure prise en compte des régions ultrapériphériques (RUP)11(*) dans les opérations du mécanisme européen.
La présente proposition d'avis motivé rappelle cependant que, si le mécanisme européen de protection civile incarne aujourd'hui avec succès cette solidarité de fait entre les États membres face aux catastrophes, c'est parce qu'il est basé sur la confiance mutuelle et la coopération loyale entre eux, ainsi que sur le respect de la répartition des compétences précité.
Or, sur plusieurs points essentiels, la proposition de règlement présentée par la Commission européenne s'écarte de la lettre et de l'esprit des traités, et ne paraît ainsi pas respecter le principe de subsidiarité. Il s'agit en particulier des dispositions du texte :
· attribuant à la Commission européenne et aux organes qui lui sont rattachés (ERCC et nouvelle plateforme de coordination), une compétence de coordination générale et autonome de la réponse européenne aux crises, y compris dans le champ opérationnel et dans celui de la coopération civilo-militaire (articles 19 (paragraphe 8), 20 (paragraphe 1), 21 (paragraphe 2), 25 (paragraphe 3), 26, 32 (paragraphe 1 h)) ;
· confiant à la Commission européenne une mission d'élaboration des mesures et de coordination en matière de coopération civilo-militaire (articles 4e et 5) et lui permettant de recenser et d'évaluer les capacités militaires des États membres (articles 15b, 19 (paragraphe 4) et 20 (paragraphe 6) ;
· prévoyant une mise à disposition d'informations - parfois classifiées - par les États membres à la Commission européenne (articles 15b, 19 (paragraphe 4), 25 (paragraphe 4) et 26) ;
· associant des « pays tiers » au fonctionnement du mécanisme européen de protection civile de manière « complète », ce qui semble signifier sur un pied d'égalité (article 9).
En outre, l'extension du champ de compétences du mécanisme européen de protection civile à la prévention et à la lutte contre les menaces transfrontières pour la santé publique suscite des interrogations institutionnelles, opérationnelles et budgétaires qui ne relèvent pas du contrôle de subsidiarité mais qu'il convient de mentionner dès à présent, car elles pourraient avoir un effet sur les actions de coopération européenne en matière de santé publique.
B. L'attribution d'un rôle premier dans la coordination de la réponse aux crises à la Commission européenne et à une nouvelle plateforme qui lui serait rattachée, est contraire au principe de subsidiarité et à l'efficacité opérationnelle des secours (articles 19, 20, 21, 25, 26 et 32)
Le principal motif d'inquiétude exprimé par la présente proposition d'avis motivé concerne l'attribution, par la proposition de règlement, d'un rôle premier à la Commission européenne dans la coordination de la réponse aux crises, y compris au niveau opérationnel.
Sont particulièrement visées, les dispositions de la proposition de règlement permettant à la Commission européenne :
· d'avoir la possibilité de coordonner, dans le cadre des actions de préparation, « les priorités stratégiques » et, si nécessaire, de « les activités opérationnelles avec les autorités nationales d'un pays tiers » (article 19, paragraphe 8) ;
· de fixer les exigences opérationnelles relatives au fonctionnement et à l'interopérabilité des capacités de réaction de la réserve européenne de protection civile, par un simple acte d'exécution (article 20, paragraphe 1) ;
· de définir, au moyen d'actes d'exécution, les capacités de réaction de la réserve européenne RescEU, sans coordination obligatoire avec les États membres. Simultanément, le principe selon lequel RescEU n'intervient que si les moyens des États membres et ceux de la réserve européenne s'avèrent insuffisants, serait supprimé (article 21, paragraphe 2) ;
· en cas d'activation du mécanisme, d'organiser le prépositionnement temporaire et la coordination des capacités de réaction en cas de risque accru (article 32, paragraphe 1, h).
En outre, le centre de coordination de la réaction d'urgence (ERCC), qui lui est rattaché, serait désormais chargé de « coordonner, de surveiller et de soutenir en temps réel la réaction au niveau de l'Union (européenne) », sans limitation, ce qui implique donc les champs opérationnels et civilo-militaires (article 25, paragraphe 3).
Quant à la nouvelle plateforme de coordination de crise, qui relèverait de l'ERCC, elle « assurerait la coordination » avec les autorités nationales compétentes et coopérerait « étroitement » avec le centre de réaction aux crises du SEAE, pour la réponse aux crises en dehors de l'Union européenne (article 26). Les États membres devraient désigner des officiers de liaison en son sein pour servir de points de contact. La plateforme pourrait être activée en cas de « crises transsectorielles », en réponse à une demande du Conseil via son dispositif intégré de l'Union européenne pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise (l'IPCR), mais aussi en cas « d'urgence de santé publique » ou lorsque d'autres instruments de gestion des risques de l'Union européenne sont mis en oeuvre, ce qui impliquerait des actions autonomes, sans lien avec la demande d'un État membre (prévue à l'article 28).
La présente proposition d'avis motivé affirme que ces dispositions apparaissent totalement contraires au principe de subsidiarité, allant bien au-delà de la compétence d'appui de l'Union européenne déjà évoquée.
En faisant des États membres de simples « sous traitants » de la protection de leur population, ces articles sont également contraires à l'efficacité opérationnelle de la protection civile.
En effet, alors que la proposition invoque la « sérieuse aggravation du paysage des risques et des menaces » à laquelle l'Union européenne doit faire face pour justifier cette préemption de la coordination de la réponse aux crises par la Commission européenne, il faut souligner que :
· le mécanisme européen fonctionne très bien aujourd'hui et que la Commission européenne ne démontre jamais la valeur ajoutée de sa réforme ;
· les conclusions du Conseil européen du 26 juin 2025 ont rappelé « la responsabilité principale des États membres en ce qui concerne la gestion de ces crises » (considérant n° 45) ;
· dans le domaine de la protection des populations face à catastrophes, la subsidiarité n'est pas une option mais une nécessité opérationnelle : en effet, la proximité avec le terrain des opérations, qui varie évidemment en fonction de la gravité de la menace encourue, est une condition de l'efficacité des secours et de leur bonne coordination de leurs opérations ;
· les retours d'expérience des acteurs des secours démontrent qu'une structure administrative de réponse globale à l'ensemble des crises est moins efficace qu'un dispositif de coordination politique unique accompagnée d'une diversité d'organes spécialisés dans la réponse à tel risque ou telle menace. Ainsi, aux États-Unis, pays modèle d'une organisation fédérale, les organismes en charge des risques de santé publique12(*) n'ont jamais été fusionnés avec ceux en charge de la protection de la population face aux catastrophes13(*).
En outre, la coordination européenne existe déjà pour répondre aux crises. Elle est d'abord assurée par le Conseil, représentant des États membres, et par son organe dédié à la gestion des crises, à savoir le dispositif intégré de l'Union européenne pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise (ou IPCR)14(*).
Ce dernier peut être activé en réponse aux « situations de crise, que celles-ci trouvent leur origine dans l'Union ou en dehors de celle-ci, qui ont une incidence ou une importance politique considérable. Son champ matériel couvre toutes les crises (guerre en Ukraine ; pandémie de Covid-19 ; terrorisme ; séismes...).
Une situation de crise majeure peut, de plus, entraîner la mise en oeuvre de la clause de solidarité existant, définie à l'article 222 du TFUE. Celle-ci implique qu'un État membre touché par une catastrophe naturelle ou d'origine humaine, ou victime d'une attaque terroriste, peut demander de l'aide aux autres États membres et à l'Union européenne, qui mobilise alors tous les instruments à sa disposition.
L'article 222 est très clair : la direction politique, stratégique et décisionnelle de sa mise en oeuvre relève du Conseil, assisté par le comité politique et de sécurité (le COPS) et le comité permanent de coopération opérationnelle en matière de sécurité intérieure (COSI).
Le MPCU peut alors être mobilisé dans ce cadre.
En complément, le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) est compétent pour l'élaboration d'opérations de gestion de crise destinées en soutien aux États membres lors de crises dans des pays tiers frappant des citoyens de l'Union européenne.
Le rapporteur déplore donc le silence de la proposition de règlement présenté par la Commission européenne sur ce rôle premier du Conseil, qui n'est pas conforme à la réalité juridique et institutionnelle de la réponse aux crises dans l'Union européenne.
Ainsi, loin de faciliter la gestion des crises, l'attribution de prérogatives de coordination de toutes les crises à la Commission européenne et à ses organes (ECRR et nouvelle plateforme de coordination des crises) serait redondante avec celles exercées par le Conseil. Elle serait source de complexité et de confusion dans la réponse aux crises, ainsi que de charges administratives supplémentaires abusives pour les États membres. La création de la plateforme grèverait en outre une partie du budget prévu pour le fonctionnement du mécanisme au détriment des missions opérationnelles (1,4 milliard d'euros envisagé sur les 10,6 milliards d'euros de l'enveloppe budgétaire totale, selon les estimations).
Afin de s'assurer de la conformité du texte au principe de subsidiarité, la présente proposition d'avis motivé préconise simultanément le maintien des principes structurant le fonctionnement actuel du mécanisme qui garantissent aujourd'hui son efficacité et qui sont inscrits dans la décision n° 1313/2013/UE précitée :
· le mécanisme européen de protection civile doit être activé à la demande d'un État membre ;
· les États membres doivent pouvoir y contribuer sur une base volontaire et, en cas de nécessité, pouvoir retirer les moyens mis à sa disposition ;
· ils doivent aussi garder la direction opérationnelle de leurs équipes lors des phases de réponse aux catastrophes ;
· enfin, il convient de rétablir, à l'article 21, le principe selon lequel la réserve RescEU ne doit être activée qu'en dernier ressort, c'est-à-dire, lorsque les moyens des États membres et ceux de la réserve européenne de protection civile s'avèrent insuffisants.
C. La tentative d'immixtion de la Commission européenne dans la coopération civilo-militaire (articles 4, 5, 19 et 20)
Les articles 4e et 5, 19 (paragraphe 4) et 20 ne semblent pas non plus conformes aux traités européens, en ce qu'ils prévoient d'octroyer des compétences de coordination à la Commission européenne dans le domaine de la coopération civilo-militaire et de recensement des capacités militaires.
Ainsi, la Commission européenne :
· en lien avec le haut-représentant de l'Union européenne , et moyennant une simple « consultation » des États membres, contribuerait « à l'élaboration des mesures visant à améliorer la préparation civilo-militaire et la coordination de la réaction au sein de l'Union européenne », et élaborerait des dispositions pour « définir des priorités pour la préparation et la réaction aux catastrophes et aux crises au sein de l'Union... » (article 5) ;
· serait destinataire des informations transmises par les États membres, relatives aux capacités de réaction militaires qui pourraient être déployées dans le cadre du mécanisme européen de protection civile (article 19, paragraphe 4) ;
· fixerait, comme déjà indiqué, les « exigences opérationnelles » des capacités de la réserve européenne de protection civile et serait destinataire des actions - volontaires- de recensement, d'engagement et d'enregistrement de capacités militaires par les États membres (article 20, paragraphes 1 et 6).
1) La politique de défense est une compétence nationale
Comme le Sénat l'a déjà affirmé, « il ressort de la lecture combinée des articles 4, 5, 42 et 45 du traité sur l'Union européenne que la politique de défense reste une compétence nationale »15(*) .
Ainsi, en France, la conduite de la politique de défense nationale est menée par le ministère des armées et le chef d'état-major des armées, ainsi que par le ministère des affaires étrangères, sous la conduite du Président de la République16(*).
Quant à l'intervention d'unités militaires dans des missions de sécurité civile, elle est strictement encadrée, avec des règles d'engagement bien définies17(*).
Dès lors, la coopération militaire, qui comprend toujours un volet civilo-militaire dans l'élaboration des scénarii de menaces et dans les schémas de réponse, est mise en oeuvre selon trois niveaux.
2) Les trois niveaux actuels de coopération civilo-militaire
a) Les accords bilatéraux
La coopération civilo-militaire est d'abord le fait d'accords bilatéraux entre États membres ou avec des pays tiers ayant des relations privilégiées avec ces derniers.
En pratique, la coopération civilo-militaire se traduit par des échanges d'élèves-officiers, des formations et des exercices communs, mais aussi par l'organisation d'opérations conjointes, la passation de marchés publics communs, voire la création de structures militaires ou communes.
À titre d'exemple, la France et l'Allemagne ont mis en place un conseil franco-allemand de défense et de sécurité, qui se réunit en principe tous les six mois. Les deux pays proposent des formations conjointes à leurs officiers. La France et l'Allemagne ont aussi développé une coopération importante dans le domaine de l'armement (missile MILAN ; hélicoptère TIGRE...) qui a souvent pris ensuite une dimension européenne (Airbus A 400M). Malgré des discussions difficiles, d'autres projets sont en cours de négociation : char de combat du futur (Main Ground Combat System) ; système de combat aérien du futur (SCAF)).
Citons aussi la Brigade franco-allemande, qui a été créée en 1989, comprenant 5 000 soldats des deux pays et amenée à intervenir dans des missions de rétablissement ou de maintien de la paix.
On peut également citer, hors Union européenne, la coopération développée entre la France et le Royaume-Uni, actuellement mise en oeuvre par les traités de Lancaster House (2010) et de Lancaster House 2.0 (2025), qui a conduit les deux pays à multiplier les exercices communs, à constituer un corps expéditionnaire conjoint (Combined Joint Expeditionnary Force ou CJEF) et, en matière de dissuasion nucléaire, à déclarer publiquement que leurs intérêts vitaux étaient liés.
b) La dimension européenne
Le deuxième niveau de cette coopération civilo-militaire est européen et ne confère aucun rôle opérationnel à la Commission européenne en matière de coopération militaire.
Le choix politique de la Commission « von der Leyen II » de nommer en son sein, un poste de commissaire européen à la défense (exercé par M. Andrius Kubilius), n'a pas changé la donne.
La Commission européenne, qui souhaite néanmoins intervenir dans les enjeux de défense, a donc centré ses initiatives récentes18(*) sur le renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), en recourant à la base juridique de l'article 114 du TFUE, relatif au développement du marché intérieur. Dans un avis motivé n° 145 du 5 juin 202419(*) portant sur la proposition de règlement EDIP, le Sénat avait contesté la base juridique retenue ainsi que le respect par la Commission du principe de subsidiarité.
La coopération européenne civilo-militaire est encadrée par plusieurs dispositions des traités européens, qui confèrent des compétences de coordination au Conseil :
· en premier lieu, les dispositions de l'article 222 du TFUE, déjà évoquées, prévoient une clause de solidarité mutuelle entre États membres si l'un d'entre eux est « l'objet d'une attaque terroriste ou la victime d'une catastrophe naturelle ou d'origine humaine. ». Cet article souligne bien que les moyens militaires mis alors à disposition, le sont par les États membres ;
· en second lieu, cette coopération a pour cadre la politique de sécurité et de défense commune (ou PSDC), prévue aux articles 42 et 43 du TUE. Comme l'a déjà rappelé le Sénat, « la politique de sécurité et de défense commune s'exerce dans un cadre intergouvernemental. »20(*) L'article 43 précité confie au haut-représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l'Union européenne, sous l'autorité du Conseil, la mission de coordonner tous les aspects civils et militaires dans le cadre de la PSDC.
c) La coopération civilo-militaire dans le cadre de l'OTAN
Enfin, pour la majorité des États membres, dont la France, cette coopération civilo-militaire face à un risque d'agression de la part d'un pays tiers, a pour cadre l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), avec la perspective de création d'un « pilier européen » de l'organisation.
23 des 27 États membres de l'Union européenne sont en effet également membres de l'OTAN21(*).
L'Union européenne et l'OTAN coopèrent dans plusieurs domaines (développement des capacités de défense, à la mobilité militaire, à la lutte contre les menaces hybrides, à la résilience des infrastructures critiques, etc.) mais cette coopération reste limitée22(*). En outre, cette coopération a pour acteurs principaux les organes et structures de la PSDC précitée.
Quant à la planification de la réponse à une éventuelle agression militaire armée d'un État membre par un pays tiers et de ses conséquences civilo-militaires, elle relève du dialogue souverain entre États parties au sein de l'OTAN. L'OTAN dispose d'ailleurs d'un centre d'excellence dans ce domaine situé à La Haye (Pays-Bas).
3) Une proposition qui contrevient aux traités et qui est porteuse d'incertitudes et de risques
Ainsi, aucune des bases juridiques choisies pour fonder cette proposition de règlement, en l'espèce, l'article 168 du TFUE relatif aux urgences sanitaires, l'article 196 du même traité, relatif à la compétence d'appui de l'Union européenne en matière de protection civile, ni, enfin, l'article 322 du TFUE relatif aux règles budgétaires européennes, ne peuvent justifier l'octroi d'une compétence de coordination en matière de coopération civilo-militaire à la Commission européenne.
De fait, à l'heure où les États membres, l'Union européenne et l'OTAN doivent travailler ensemble pour augmenter l'effort de défense et se concentrer sur les moyens de parer à toute éventualité, les incertitudes créées par la présente proposition, qui semble « rebattre les cartes » au sujet des autorités européennes de gestion de crises et de coopération civilo-militaire, sèment une confusion dommageable, au risque d'affaiblir l'efficacité de la réponse opérationnelle.
La planification des réponses aux crises est un sujet éminemment interministériel relevant du sommet de l'État (Président de la République et Premier ministre). Il s'agit d'un enjeu de souveraineté nationale.
La Commission européenne ambitionne de se doter, sans base juridique ni mandat des États membres, d'une forme de SGDSN européen contre les menaces hybrides (câbles sous-marins), les agressions militaires, ou pour faire des stocks alimentaires. Dans un tel dispositif, comment coordonner des stratégies de planification nationales et européennes qui répondraient à des intérêts fondamentaux divergents ?
En pratique, la présente proposition d'avis motivé, à l'unisson des positions exprimées par les autorités françaises, souhaite donc la suppression de l'article 5 de la proposition. Il conviendrait, en outre, d'insérer une clause de sauvegarde de la sécurité nationale et de la défense nationale dans la proposition de règlement.
D. Les dispositions prévoyant un partage d'informations sur les capacités militaires par les États membres pourraient menacer la sécurité nationale des États membres (articles 15, 19, 20, 25)
Plusieurs dispositions du texte envisagent effectivement un partage accru d'informations, parfois confidentielles et classifiées, de la part des États membres, et la constitution d'une capacité d'analyse autonome de la Commission européenne. Ces dispositions prévoient :
· la mise à disposition de la Commission européenne, par les États membres, d'une synthèse de l'évaluation des capacités de gestion des risques de catastrophes et des capacités de réaction au niveau national ou infranational approprié (article 15 b) ;
· la possibilité de transmissions d'informations, par les États membres à la Commission, sur leurs « capacités de réaction militaires » sous réserve de « garanties de sécurité appropriées » (article 19, paragraphe 4) ;
· l'identification et le recensement, sur une base volontaire, par les États membres, des « capacités militaires » qu'ils pourraient mettre à la disposition de la réserve européenne de protection civile (article 20, paragraphe 6) ;
· l'accès du centre de coordination de la réaction d'urgence de la Commission européenne (ERCC) dont le rôle est, il faut le rappeler, d'assurer la coordination de la logistique et des transports des opérations du mécanisme européen de protection civile, à des « capacités opérationnelles et analytiques », et son équipement afin de lui permettre de « recevoir et traiter des informations classifiées de l'Union européenne » (article 25).
Ces mesures appellent plusieurs commentaires :
· le partage d'informations analytiques et opérationnelles entre acteurs de la protection civile des États membres est satisfaisant et ne nécessite pas de réforme spécifique ;
· le but des articles précités est tout autre, dans la lignée du rapport Niinistö précité : il s'agit, dans une logique de défense civile liée à une éventuelle agression militaire contre un ou plusieurs États membres de l'Union européenne, d'inciter ou de contraindre les services de renseignement des États membres de l'Union européenne à partager leurs informations avec la Commission européenne ;
· la Commission européenne, à travers la constitution d'une « capacité opérationnelle et analytique » autonome au sein de l'ERCC, ne souhaite-tu -elle pas constituer son propre service de renseignement ?
Cependant, outre cette volonté d'une institution de se doter de services « régaliens », le motif de l'insertion de tels processus de partage d'informations dans la proposition de règlement n'est jamais justifié en termes d'efficacité opérationnelle, qui doit pourtant être le but poursuivi. Les conséquences potentielles d'une telle diffusion d'informations ne sont jamais évoquées.
Simultanément, les « garanties de sécurité » mentionnées à l'article 19, qui devraient en principe encadrer les transmissions d'informations, ne sont pas définies.
Les dispositions visées semblent autant de nouveaux canaux de transmission dans lesquels les auteurs de propositions imaginent naïvement que les États membres vont livrer des informations hautement confidentielles sur des dispositifs militaires, non seulement avec l'ensemble des États parties au mécanisme - ce qui implique dix pays tiers - mais également avec les services de la Commission européenne.
Or, la Commission européenne n'a aucune compétence dans ce domaine et, du fait des différences de niveaux de cybersécurité et de règles anti-corruption constatées, un risque de « fuites » ou d'ingérence étrangère ne saurait être écarté.
La présente proposition de résolution européenne portant avis motivé réaffirme donc solennellement les principes fondamentaux suivants :
· la singularité des services de renseignement doit être préservée : leur action relève des États membres et non de la Commission européenne ;
· les échanges d'informations classifiées ne peuvent se faire que sur une base volontaire par les États membres et entre personnels limités, identifiés et habilités par leurs services compétents ;
· au sein de l'Union européenne, les transmissions d'informations des services doivent être effectuées exclusivement via la Capacité d'analyse unique de renseignement (SIAC), rattachée au SEAE.
Faute de respecter ces critères, les dispositions de la présente proposition de règlement concernées menacent la sécurité nationale de notre pays et devraient être supprimées.
E. L'extension assumée du mécanisme à des « pays tiers associés » mis sur un pied d'égalité avec les États membres (article 9)
L'article 9 suscite également des interrogations en ce qu'il permettrait la participation sans limite de « pays tiers associés » et d'« organisations internationales » au mécanisme et leur association à son fonctionnement sur un pied d'égalité avec les États membres.
En effet, si une participation de ces pays tiers et organisations n'a rien de contraire aux traités et existe déjà (le mécanisme actuel de protection civile actuel autorise cette participation et regroupe d'ailleurs les 27 États membres ainsi que 10 pays tiers associés23(*)), à l'heure actuelle, ces pays et organisations ont un statut spécifique au sein du mécanisme, sans compétence décisionnaire globale. En outre, le mécanisme actuel n'est compétent que dans la prévention et la lutte contre les catastrophes de protection civile et l'aide humanitaire.
Faute de précision dans le texte de l'article 9, son dispositif semble pouvoir permettre à des pays tiers, lorsqu'ils seraient associés de manière « complète », pour reprendre la terminologie de la proposition, de bénéficier de financements24(*)de l'Union européenne et d'informations sur les capacités de réponse aux crises sur un pied d'égalité avec les États membres de l'Union européenne. Il en irait de même pour les stocks de contre-mesures médicales destinés à la protection des citoyens des États membres, qui ne devraient pourtant pas impliquer des pays tiers ou des organisations internationales car ils constituent des outils d'autonomie stratégique et de résilience pour la population des États membres.
Une telle évolution transformerait ainsi le « mécanisme européen de protection civile » en un « mécanisme universel de protection civile » qui, dans cette hypothèse, devrait plutôt relever de l'Organisation des Nations-Unies. Les traités ne prévoient pas une telle possibilité.
En outre, dans un tel dispositif, les droits des États membres de l'Union européenne, en tant que tels, ne seraient plus respectés. À l'évidence, une telle évolution apparaît contraire aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.
F. La valeur ajoutée incertaine de la fusion de deux politiques européennes qui donnent satisfaction
Le mécanisme de protection civile serait désormais également compétent pour les urgences sanitaires (article 34).
Le rapprochement prévu par la proposition de règlement reposerait sur une base juridique fiable (l'article 168 du TFUE précité) et ne semble pas poser de difficultés au regard du principe de subsidiarité. En revanche, il suscite plusieurs interrogations de proportionnalité et de fond.
Tout d'abord, à la suite de la pandémie de Covid-19, des instruments opérationnels efficaces et bien identifiés des professionnels de santé ont été mis en place pour mieux répondre aux crises sanitaires :
· le règlement (UE) 2022/2371 relatif aux menaces transfrontières graves pour la santé a établi, en particulier, un mécanisme de gestion des crises sanitaires au niveau de l'Union européenne, introduit un examen triennal des capacités de préparation des États membres et renforcé le mandat du centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) ;
· le règlement (UE) 2022/2372, comme le souhaitait le Sénat, a permis la création de l'autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA), qui a pris en charge la préparation et la réaction aux menaces transfrontières de santé publique, a facilité l'identification des risques sanitaires, en déclenchant une recherche et développement (R/D) ciblée, l'achat et le stockage de contre-mesures médicales, et le soutien aux industries de santé, en associant les États membres aux décisions stratégiques.
La pertinence de ces instruments est aujourd'hui unanimement reconnue. Dans ce contexte, force est de constater que la Commission européenne ne démontre jamais en quoi la fusion de l'HERA avec le mécanisme européen de protection civile serait un gage d'efficacité en termes de réponse aux crises.
De plus, comment articuler efficacement le fonctionnement du mécanisme européen de protection civile et de l'HERA, au sein de ce dispositif, alors que les acteurs25(*), la temporalité26(*) et le périmètre27(*) de ces organes sont différents ?
Ainsi, il paraît absolument nécessaire de préserver le cadre de gestion des crises sanitaires actuel pour des raisons d'efficacité opérationnelle.
Enfin, les interrogations sont aussi d'ordre budgétaire. Au nom de la rationalisation du budget pluriannuel de l'Union européenne (le CFP), la Commission européenne s'abstient de préciser quelle part de l'enveloppe globale qui serait consacrée au mécanisme, reviendrait aux actions de l'HERA. Or, un tel « fléchage » budgétaire paraît nécessaire pour assurer la pérennité des actions efficaces de l'HERA contre les risques graves de santé publique, plus encore au moment où les États-Unis décident de baisser notablement leur financement en faveur de la recherche publique dans le domaine de la santé28(*).
*
La commission des affaires européennes du Sénat a, en conséquence, adopté la proposition de résolution européenne portant avis motivé suivante.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- Secrétariat général des affaires européennes (SGAE)
o M. Thomas BOLLE, chef du bureau « Sécurité intérieure de l'Union » ;
o Mme Claire DELAGE, adjointe au chef du bureau « Sécurité intérieure de l'Union » ;
o M. Vincent TOINEL, adjoint à la cheffe du bureau « Parlements », pôle Parlement national ;
- Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN)
o M. Xavier BRUNETIERE, Préfet, directeur de la protection et de la sécurité de l'État ;
o Mme Axelle FRICOTEAUX, chargée de mission au SGDSN ;
- Ministère des Armées et des Anciens combattants
o M. Thomas CHARPENTIER, sous-directeur adjoint de la sous-direction du droit international et européen ;
o M. Florent FAVIERE, expert juridique au bureau du droit européen ;
- Ministère de l'Intérieur
o M. Mathieu LEFEBVRE, directeur des affaires européennes et internationales ;
o Mme Claire ANSELIN, sous-directrice des affaires internationales des ressources et de la stratégie ;
- Ministère de la Santé, des Familles, de l'Autonomie et des Personnes handicapées
o M. Evan MALCZYK, adjoint à la cheffe de service du centre de crises sanitaires à la direction générale de la santé ;
o Mme Elsa DESAL, chargée de mission au centre de crises sanitaires à la direction générale de la santé.
* 1 « Safer Together - Strengthening Europe's Civilian and Military Preparedness and Readiness » (Plus sûrs ensemble - Renforcer la préparation et la capacité d'intervention civiles et militaires de l'Europe) ; rapport du 30 octobre 2024 de M. Sauli Niinistö, ancien Président de la République de Finlande, à la présidente de la Commission européenne.
* 2 23 avions bombardiers d'eau et de transport, dont 12 Canadair, 8 Dash et 3 Beechcraft ; 40 hélicoptères répartis sur 23 bases ; 1 base aérienne de la Sécurité civile, à Nîmes-Garons.
* 3 343 démineurs répartis en 26 antennes et bases.
* 4 4 régiments d'instruction et d'intervention de la Sécurité civile (RIISC) et près de 2 000 sapeurs-sauveteurs.
* 5 Créé par le Conseil, le 25 juin 2023, l'IPCR voit son fonctionnement régi par une décision d'exécution du Conseil (UE) 2018/1993 du 11 décembre 2018. Lorsqu'une catastrophe intervient, la coordination politique de la réponse de l'Union européenne relève de l'IPCR, qui réunit, autour de la présidence semestrielle du Conseil, les acteurs clefs des États membres et des institutions européennes concernés, après avoir été activé par la présidence ou en réponse à la demande d'un État membre au titre de la clause de solidarité. Il existe deux modes d'activation de cet organe : un mode « partage de l'information » dans lequel les membres vont bénéficier d'informations et évaluer ensemble une situation de crise, et un mode « activation totale », qui suppose l'élaboration de propositions d'actions de l'Union européenne qui doivent ensuite faire l'objet de décisions du Conseil de l'Union européenne ou du Conseil européen.
* 6 Le centre de réponse aux crises du SEAE est en veille permanente. Il est chargé de l'analyse des risques, de la transmission d'information et de la coordination de la réponse européenne en cas de crises diplomatiques, humanitaires...qui se déroulent en dehors de l'Union.
* 7 Résolution européenne n°147 (2023-2024) du 26 juillet 2024 visant à reconnaître la spécificité de l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à renforcer le dispositif européen de protection civile.
* 8 Stratégie de constitution de stocks à l'échelle de l'UE: renforcer la préparation matérielle de l'Union aux crises - COM(2025) 528 final.
* 9 Voir ainsi la résolution européenne du Sénat n°166 du 6 juillet 2025 portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre visant à renforcer la disponibilité et la sécurité de l'approvisionnement en médicaments critiques ainsi que la disponibilité et l'accessibilité des médicaments d'intérêt commun, et modifiant le règlement (UE) 2024/795 - COM(2025) 102 final (rapporteurs : Mme Pascale Gruny, M. Bernard Jomier et Mme Cathy Apourceau-Poly). Et la résolution européenne n°14 (2025-2026) portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) nº 1308/2013 en ce qui concerne le programme en faveur de la consommation de fruits, de légumes et de lait à l'école (« programme de l'UE à destination des écoles »), les interventions sectorielles, la création d'un secteur des protéagineux, les exigences applicables au chanvre, la possibilité d'instaurer des normes de commercialisation applicables au fromage, aux protéagineux et à la viande, l'application de droits à l'importation additionnels, les règles relatives à la disponibilité des approvisionnements en situation d'urgence et de crise grave, et les garanties - COM(2025) 553 final (rapporteur : Mme Pascale Gruny).
* 10 Article 28 de la décision n°1313/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relative au mécanisme de protection civile de l'Union (européenne).
* 11 Les RUP sont composées de six collectivités françaises d'outre-mer (Guyane française, Guadeloupe, Martinique, Mayotte, La Réunion et Saint-Martin), deux régions autonomes portugaises (les Açores et Madère) et une communauté autonome espagnole (les Îles Canaries).
* 12 Aux États-Unis, le « Center for Disease Control and Prevention (CDC) », qui relève de la principale agence de santé fédérale (« U.S. Department of Health and Human Services » (HHS)), a en charge la prévention et la lutte contre les menaces sanitaires.
* 13 La réponse aux catastrophes relève aux États-Unis d'une agence fédérale dédiée, créée en 1979 : le FEMA (Federal Emergency Management Agency).
* 14 Décision d'exécution (UE) 2018/1993 du Conseil du 11 décembre 2018 concernant le dispositif intégré de l'Union européenne pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise.
* 15 Résolution européenne du Sénat n°145 (2023-2024) du 5 juin 2024 portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense et d'un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utile des produits de défense (Rapporteurs : M. François Bonneau, Mme Gisèle Jourda et M. Dominique de Legge).
* 16 Pour rappel, aux termes de la Constitution de la Ve République, le Président de la République française est « le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. » (article 5) et « le chef des armées. » À ce titre, il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale (article 15).
* 17 Articles L. 721-2 et suivants du code de la sécurité intérieure et articles L. 1321-1 à L. 1324-1 du code de la défense.
* 18 Présentation, le 5 mars 2024, de la première stratégie pour l'industrie européenne de défense (EDIS) et de la proposition de règlement créant un programme européen pour l'industrie de défense (EDIP), qui vient de faire l'objet d'un accord en trilogue le 16 octobre 2025 ; présentation le 4 mars 2025 du plan « ReArm Europe / Préparation à horizon 2030 / Readiness 2030 » ; adoption le 27 mai 2025 du règlement 2025/1106 établissant l'instrument « Agir pour la sécurité de l'Europe par le renforcement de l'industrie européenne de la défense» (ou Security Action for Europe (SAFE)) dans le cadre du plan « Readiness 2030 » ; présentation le 16 octobre 2025 de la feuille de route pour l'état de la préparation de la défense à l'horizon 2030.
* 19 Résolution européenne n° 145 du 5 juin 2024 portant avis motivé précitée.
* 20 Résolution européenne du Sénat n°145 (2023-2024) du 5 juin 2024 portant avis motivé précitée.
* 21 Allemagne, Belgique, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Suède, République tchèque.
* 22 Cette coopération s'effectue sur la base de la déclaration OTAN/Union européenne sur la politique étrangère et de sécurité et de défense du 16 décembre 2002.
* 23 L'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, l'Islande, la Macédoine du Nord, la Moldavie, le Monténégro, la Norvège, la Serbie, la Turquie et l'Ukraine.
* 24 L'article 9 est en effet intégré à la partie « financière » de la proposition de règlement COM(2025) 548 final.
* 25 L'HERA rassemble en effet les compétences des ministères de la santé des États membres, les instances en charge de la veille épidémiologique, les hôpitaux, les médecins...Le mécanisme européen de la protection civile, repose, lui, sur les compétences d'unités civiles et militaires spécialisées dans la réponse aux catastrophes, sur les sapeurs-pompiers, et sur les associations de protection civile.
* 26 Le mécanisme européen de protection civile a vocation à répondre sans délai à des catastrophes (ex : inondations) sur des périodes courtes. L'Hera, elle, va travailler sur des temps plus longs, liés à ceux de la détection et de la lutte contre les menaces de santé publique (ex : pandémies).
* 27 Le mécanisme européen de protection civile, comme cela a été rappelé, compte 37 États parties (les 27 États membres et 10 pays tiers associés) alors que l'Hera en compte 31 (les 27 États membres + 4 pays tiers associés : Bosnie-Herzégovine ; Moldavie ; Monténégro ; Ukraine).
* 28 En février dernier, en effet, le National Institutes of Health (NIH) a annoncé plafonner désormais à 15 % le financement de « frais indirects » liés à la recherche, bien loin des « 60 % et plus facturés aujourd'hui par certains instituts ».