N° 442

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 28 juin 2001

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 septembre 2001

PROPOSITION DE LOI

visant à interdire l'indemnisation du « préjudice d'être né » ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Claude HURIET, Nicolas ABOUT, Denis BADRÉ, Bernard BARRAUX, Michel BECOT, Daniel BERNARDET, Roger BESSE, James BORDAS, Louis BOYER, Dominique BRAYE, Louis de BROISSIA, Jean-Claude CARLE, Jean CHÉRIOUX, Jean CLOUET, Jean DELANEAU, Jean-Paul DELEVOYE, Jean-Léonce DUPONT, Hubert DURAND-CHASTEL, Daniel ECKENSPIELLER, Jean-Paul EMIN, Yann GAILLARD, François GERBAUD, Francis GIRAUD, Paul GIROD, Francis GRIGNON, Georges GRUILLOT, Hubert HAENEL, Roger KAROUTCHI, Pierre LAFFITTE, Lucien LANIER, Gérard LARCHER, Robert LAUFOAULU, Jean-François LE GRAND, Dominique LECLERC, Marcel LESBROS, Jean-Louis LORRAIN, Philippe MARINI, René MARQUÈS, Serge MATHIEU, Louis MOINARD, Georges MOULY, Paul NATALI, Jacques PELLETIER, Jacques PEYRAT, Henri de RAINCOURT, Victor REUX, Charles REVET, Philippe RICHERT, Martial TAUGOURDEAU et René TRÉGOUËT,

Sénateurs

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Code civil .

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 17 novembre 2000, la Cour de cassation, pour la première fois en France, se déclarait favorable à l'indemnisation d'un enfant pour le fait d'être né handicapé. L'arrêt « Perruche » a suscité une émotion profonde dans l'opinion publique et particulièrement chez les parents d'enfants handicapés. Cette décision revient en effet à considérer que la vie humaine est susceptible de constituer en elle-même un préjudice et que l'on peut indemniser un enfant pour le préjudice d'être né.

La logique de cet arrêt amenait donc à considérer que certaines vies ne valent la peine d'être vécues et que la mort peut être préférable à une vie handicapée. Sur le plan de la doctrine juridique, de nombreux auteurs se sont exprimés, faisant état pour la plupart d'entre eux de sérieuses réserves sur la solution retenue critiquant une indemnisation sans causalité, sans préjudice réparable mais non sans risques pour la personne humaine, sa dignité et ses droits. On peut notamment citer l'analyse tout à fait pertinente du Professeur Catherine Labrusse-Riou : selon celle-ci, « le fondement de l'arrêt, à savoir l'impossibilité pour la mère d'interrompre la grossesse en raison de l'erreur médicale, implique que le droit de l'enfant naît du fait de sa naissance, et que l'obligation de réparation ne serait pas apparue si l'enfant n'était pas né. Juridiquement cela révèle une véritable impasse logique et éthique, dans la mesure où la réparation en droit tend à remettre les choses en l'état, comme si le dommage ne s'était pas produit : or, en l'espèce la non-survenance du dommage ne réside pas dans l'interruption de la grossesse, ce qui signifie que l'enfant est soit admis à se plaindre de sa naissance, soit justifié à être euthanasié ».

Trois autres affaires concernant l'absence de dépistage d'anomalies foetales ont depuis lors été jugées par la Cour de cassation et les arrêts, rendus le 13 juillet dernier, tout en rejetant les demandes des familles concernées, ont confirmé, sur le plan des principes, la position adoptée par la Cour en novembre dernier, à savoir que « l'enfant né handicapé peut demander la réparation du préjudice résultant de son handicap si ce dernier est en relation de causalité directe avec les fautes commises par le médecin dans l'exécution du contrat formé avec sa mère et qui ont empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse . »

L'avocat général avait, quant à lui, souligné dans ses conclusions qu'il appartenait à la Cour « afin d'éviter l'intrusion (!) du pouvoir législatif justifiée par les considérations évoquées se rapportant à l'éthique, au respect de l'être humain et à l'évolution de la santé publique, de ne pas confirmer une décision dont on a pu dire qu'elle soulevait davantage de problèmes qu'elle n'en résolvait ».

La Cour ne l'ayant pas suivi, il appartient désormais au législateur de mettre un terme à la dérive eugéniste que de telles décisions ne manqueront pas de susciter, de réaffirmer la primauté de la vie et la valeur de toute vie.

Le Sénat, conscient des dangers induits par la jurisprudence de la Cour de cassation, avait pour sa part adopté le 28 mars dernier, lors de la discussion du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse, un amendement déposé par l'auteur de la présente proposition de loi, visant à inscrire dans le code civil que nul n'est fondé à demander une indemnité du seul fait de sa naissance. Lors de la discussion du texte à l'Assemblée nationale, ce texte avait été rejeté, à la demande du Gouvernement, qui estimait prématuré de légiférer sur cette grave question. Les arrêts rendus en juillet montrent au contraire à quel point une réponse rapide du législateur eût été opportune.

Il convient donc de prévoir qu'un enfant né handicapé ne peut obtenir la réparation du préjudice en résultant que si un acte médical, diagnostique ou thérapeutique, est la cause directe des infirmités qu'il présente. Tel est l'objet de la présente proposition, qui permettra de mettre un terme à la dérive instaurée par la récente jurisprudence de la Cour de la cassation.

Sans exclure la jurisprudence de la responsabilité sans faute, elle réaffirme en effet qu'un lien de causalité directe doit exister entre l'acte médical et le handicap pour déclencher un processus d'indemnisation de l'enfant.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L'article 16 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Sans préjudice des droits à indemnisation des parents, l'enfant né handicapé ne peut obtenir la réparation du préjudice en résultant que si un acte médical, diagnostique ou thérapeutique, est la cause directe des infirmités qu'il présente. »

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