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N° 648

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 juin 2014

PROPOSITION DE LOI

tendant à rendre obligatoire le dépôt d'une offre publique d' achat en cas d' acquisition de l' essentiel de l' activité d'une entreprise ,

PRÉSENTÉE

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur

(Envoyée à la commission des finances, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La récente cession de SFR, filiale de Vivendi, à Altice-Numéricable et les négociations en cours sur la cession de la branche Énergie d'Alstom conduisent à s'interroger sur le droit applicable lorsqu'une société cotée cède un de ses actifs essentiels. Dans une tribune publiée le 16 avril 2014 dans le journal Les Échos, Gérard RAMEIX, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) constatait d'ailleurs, à propos de la cession de SFR, que « le droit boursier est paradoxalement peu prescriptif » 1 ( * ) .

En effet, en l'état actuel, une telle cession peut être négociée et entérinée par les seuls organes dirigeants (conseil d'administration, conseil de surveillance, directeurs), sans que les actionnaires soient consultés.

Or, les deux opérations précitées portent sur des enjeux économiques et financiers considérables. Le prix d'acquisition de SFR serait supérieur à 13 milliards d'euros tandis que General Electric a proposé plus de 12 milliards d'euros pour la branche Énergie d'Alstom. Près de 8 000 salariés seraient concernés dans le premier cas et plus de 65 000 dans le second.

Est-il alors acceptable que les actionnaires, y compris les actionnaires salariés, n'aient pas leur mot à dire lors de la conclusion d'opérations de cette ampleur ?

Certes, le code de gouvernement AFEP-MEDEF prévoit que, « même s'il ne s'agit pas d'une modification de l'objet social, le conseil doit saisir l'assemblée générale si l'opération concerne une part prépondérante des actifs ou des activités du groupe ». Mais il ne s'agit là que de « droit mou », qui ne fait l'objet d'aucune sanction, laissant ouverte la possibilité de mettre les actionnaires devant le fait accompli.

Or, la cession d'un actif essentiel est sous-tendue par un choix stratégique majeur qui conduit à transformer la substance de l'entreprise. Par exemple, Vivendi va désormais se concentrer sur son métier Médias et divertissement et Alstom sur son activité ferroviaire.

Bien que l' affectio societatis - la volonté de s'associer - des actionnaires puisse être affecté par l'opération, le droit commercial ou le droit boursier ne prévoient aucune disposition particulière.

La situation apparaît même paradoxale. L'acquisition de plus de 30 % du capital ou des droits de vote d'une société cotée oblige à lancer une offre publique d'achat sur l'ensemble du capital afin de désintéresser les actionnaires minoritaires. En revanche, l'acquisition d'actifs représentant plus de 50 % de la valeur de la même société n'emporte aucune obligation vis-à-vis des actionnaires.

L'article 236-6 du règlement général de l'AMF permet de contraindre un actionnaire contrôlant une société à déposer une offre publique si la cession du « principal » des actifs est décidée par lui. Cette hypothèse demeure rare en pratique. Il n'est pas sûr qu'elle soit retenue dans les deux cas précités. S'agissant d'Alstom, il est en effet douteux que le groupe Bouygues puisse être considéré comme un « actionnaire de contrôle » par l'AMF.

Le droit britannique apparaît moins permissif que le nôtre puisqu'il oblige toute société cotée qui prévoit de céder plus de 25 % 2 ( * ) de ses actifs à obtenir une approbation préalable de son assemblée générale.

La présente proposition de loi retient un axe différent puisqu'elle contraint l'acquéreur du « principal des actifs » d'une société cotée à déposer une offre publique sur le capital de cette société. Elle reprend une vision traditionnelle du droit boursier consistant à offrir une « porte de sortie » aux actionnaires minoritaires lorsqu'une opération conduit à bouleverser l'équilibre économique ou actionnarial d'une entreprise.

L'article unique de la présente proposition de loi renvoie au règlement général de l'AMF le soin de préciser ce qu'il faut entendre par le « principal » des actifs, étant entendu que le principal ne saurait être inférieur à 50 % des actifs de la société. Tout comme au Royaume-Uni, des critères, éventuellement cumulatifs, pourront être utilisés : part du chiffre d'affaires au sein de la société ; part de l'EBITDA ; valeur comptable ; etc. Au total, il appartiendra à l'AMF de se forger une doctrine en la matière au regard des cas qui lui seront soumis.

En tout état de cause, conformément au droit déjà applicable pour le dépôt d'une offre publique obligatoire, l'AMF doit conserver la faculté d'accorder une dérogation à l'obligation de déposer une offre publique (articles 234-8 et 234-9 du règlement général de l'AMF). En particulier, cette dérogation peut être accordée lorsque la société qui cède des actifs « est en situation avérée de difficulté financière ».

La sanction de l'absence de dépôt d'offre publique d'achat est l'impossibilité d'acquérir des actifs de la société.

Un dispositif « anti-abus » est également prévu afin d'éviter tout contournement du dispositif par une acquisition « saucissonnée » des actifs.

***

La présente proposition de loi vise à ouvrir un débat politique sur les modalités d'évolution et de réorganisation du tissu industriel français. En effet, il n'apparaît pas sain que des opérations aussi structurantes puissent être décidées par un comité restreint.

Le dépôt d'une offre publique d'achat est le gage de la plus grande transparence et de la consultation la plus large possible des parties prenantes. Il faut d'ailleurs noter que, suite à la récente adoption de la loi dite « Florange », le comité d'entreprise - et à travers lui les salariés - est désormais consulté préalablement à toute offre publique d'achat.

Ce texte a vocation à être enrichi grâce aux travaux de place qui seront conduits, dans les mois qui viennent, sous l'égide de l'AMF.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L'article L. 433-3 du code monétaire et financier est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« IV. - Le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe les conditions dans lesquelles toute personne physique ou morale, agissant seule ou de concert au sens de l'article L. 233-10 du code de commerce, venant à acquérir le principal des actifs d'une société dont le siège social est établi en France, et dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, est tenue d'en informer immédiatement l'Autorité des marchés financiers et de déposer un projet d'offre publique en vue d'acquérir une quantité déterminée des titres de la société.

« À défaut d'avoir procédé à ce dépôt, elle ne peut acquérir des actifs de la société.

« Le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe également les conditions dans lesquelles toute personne physique ou morale, agissant seule ou de concert au sens de l'article L. 233-10 du code de commerce, qui aurait acquis, au cours des douze mois précédents, une part significative des actifs d'une société dont le siège social est établi en France, et dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, et venant à nouveau à acquérir des actifs de la société est tenue d'en informer immédiatement l'Autorité des marchés financiers et de déposer un projet d'offre publique en vue d'acquérir une quantité déterminée des titres de la société.

« À défaut d'avoir procédé à ce dépôt, elle ne peut acquérir des actifs de la société ».


* 1 Gérard RAMEIX, « Les leçons de l'affaire Vivendi-Numéricable-SFR », Les Échos, 16 avril 2014.

* 2 Ce ratio est calculé sur la base de plusieurs critères visant à déterminer la part des activités cédées au sein de l'ensemble de la société cotée. Ces critères comprennent, par exemple, la valeur des actifs bruts, les bénéfices ou encore le capital brut.

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