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N° 705

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 septembre 2018

PROPOSITION DE LOI

tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse ,

PRÉSENTÉE

Par MM. David ASSOULINE, Patrick KANNER, Marc DAUNIS et les membres du groupe socialiste et républicain,

Sénateurs

(Envoyée à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle, les droits voisins coexistent avec le droit d'auteur mais, en vertu de l'article L. 211-1 du code de la propriété intellectuelle, sans qu'ils puissent porter atteinte et donc restreindre ce droit.

Désormais les moteurs de recherche et agrégateurs exploitent sans cesse davantage les contenus des agences de presse et des éditeurs de presse, généralement sans requérir d'autorisation, ni verser de rémunération aux titulaires des contenus.

Les moteurs de recherche reproduisent et diffusent ainsi, comme libres de droits, sur leurs propres pages, des millions de textes, de photographies, de vidéographies sans licence, ce qui cause, de fait, un préjudice patrimonial considérable aux agences de presse et à leurs auteurs. Ces moteurs de recherche sont devenus de véritables banques d'information et de données, en exploitant un contenu qu'ils n'ont ni créé, ni financé et pour lequel ils ne versent aucune rémunération.

Il est donc primordial que les contenus des agences de presse et des éditeurs de presse soient protégés par un droit voisin, proche de celui existant pour les entreprises de communication audiovisuelle ou les producteurs.

Ce droit doit couvrir toutes les activités d'intermédiation dans la communication au public des contenus de ces agences et éditeurs, y compris les activités des agrégateurs et moteurs de recherche dans la mesure où ceux-ci retirent des bénéfices de ces activités de façon directe (commercialisation des liens par les agrégateurs) ou indirecte (captation de l'audience, conservation de l'internaute dans l'écosystème du moteur de recherche, rémunération du moteur par la publicité réalisée sur les services connexes pour les moteurs) sans assumer la charge des investissements nécessaires à la production journalistique qu'ils exploitent.

La proposition de loi a donc pour objet d'instaurer un droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse qui leur permettra d'assurer, d'une part, une meilleure protection de leurs contenus, à l'instar de ce qui existe déjà pour d'autres acteurs des industries culturelles (éditeurs de phonogrammes et de vidéogrammes ; entreprises de communication audiovisuelle) et, d'autre part, le développement de leurs structures et de leurs produits, en protégeant leurs investissements tant humains, que financiers.

L'extension du modèle des droits voisins, dans les limites prévues par l'article L. 211-1 du code de la propriété intellectuelle, au secteur des agences et des éditeurs de presse s'effectuerait donc sans impact sur le droit des auteurs.

Ce droit voisin entrainerait une meilleure protection pour les auteurs car ces derniers sont rémunérés par les agences et éditeurs auxquels ils ont cédé leurs droits. En outre, il permettrait de répondre aux défis auxquels sont confrontés ces agences et éditeurs qui doivent financer une presse indépendante et exigeante face au pillage généralisé de leurs contenus digitaux - ou non - et au détournement de revenus potentiels.

Le droit d'auteur s'appliquant oeuvre par oeuvre, l'auteur ou son ayant-droit doit apporter la preuve de l'originalité de l'oeuvre pour chaque acte de contrefaçon. Avec la « viralité » du net et la multitude des éléments d'information ainsi diffusés, il est matériellement impossible de poursuivre chaque utilisation et exploitation illicite. Le droit voisin permettra donc de suppléer cette incapacité matérielle, en attribuant un droit sur l'intégralité de la production des agences et des éditeurs de presse, sans que ceux-ci aient besoin de démontrer la contrefaçon pour chaque utilisation indue.

Le dispositif se propose donc, dans l' article 3 , de créer deux nouveaux chapitres dans le code de la propriété intellectuelle afin d'instituer un droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse, en définissant le champ d'application de ce nouveau droit voisin (articles L. 218-1 et L. 219-1), la notion de service automatisé de référencement d'images (articles L. 218-2 et L219-2), en organisant la gestion du nouveau droit créé au profit des agences de presse pour exploitation en ligne de leurs productions (articles L. 218-3 et L. 219-3), en fixant les conditions d'agrémentation de ces sociétés (articles L. 218-4 et L. 219-4) et en fixant les modalités de calcul de la rémunération due au titre de l'exploitation par des services automatisés de référencement d'images, des productions des agences et des éditeurs de presse et en soumettant à conventionnement - ou, à défaut, à la décision d'une commission ad hoc -, les modalités de versement de cette rémunération (articles L. 218-5 et L. 219-5).

L' article 4 fixe le délai d'entrée en vigueur du dispositif de la présente proposition de loi.

Les articles 1 et 2 procèdent, au sein du code de la propriété intellectuelle, à des coordinations rendues nécessaires par la mise en place des nouveaux droits voisins.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

Proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit
des agences de presse et des éditeurs de presse

Article 1 er

Le dernier alinéa de l'article L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle est ainsi rédigé :

« Les exceptions énumérées au présent article ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'interprétation, du phonogramme, du vidéogramme, du programme ou de la production ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'artiste-interprète, du producteur, de l'entreprise de communication audiovisuelle, de l'agence de presse ou de l'éditeur de presse. »

Article 2

L'article L. 211-4 du code de la propriété intellectuelle est complété par des V et VI ainsi rédigés :

« V. - La durée des droits patrimoniaux des agences de presse est de cinquante ans à compter du 1 er janvier de l'année civile suivant celle de la première communication au public des productions mentionnées à l'article L. 218-1.

« VI.- La durée des droits patrimoniaux des éditeurs de presse est de cinquante ans à compter du 1 er janvier de l'année civile suivant celle de la publication de presse. »

Article 3

Le titre unique du livre II de la première partie du code de la propriété intellectuelle est complété par des chapitres VIII et IX ainsi rédigés :

« CHAPITRE VIII

« Droits des agences de presse

« Art. L. 218-1. - Sont soumises à l'autorisation de l'agence de presse la reproduction et la communication au public de ses productions, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image de la production lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l'image.

« Sont dénommées agences de presse, les entreprises inscrites auprès de la Commission paritaire des publications et agences de presse et dont la liste est publiée au Journal officiel .

« Sont dénommées productions, les éléments d'informations collectés, traités, mis en forme et fournis par les agences de presse après en avoir fait, sous leur propre responsabilité, un traitement journalistique.

« Art. L. 218-2. - Un service automatisé de référencement d'images, au sens du présent chapitre, se définit comme étant tout service de communication au public en ligne dans le cadre duquel sont reproduites et mises à la disposition du public, à des fins d'indexation et de référencement des productions des agences de presse, collectées de manière automatisée à partir de services de communication au public en ligne.

« Art. L. 218-3. - Les droits des agences de presse mentionnés à l'article L. 218-1 peuvent être cédés ou faire l'objet d'une licence.

« Les titulaires de droits reconnus au même article L. 218-1 peuvent, dans les conditions du titre II du livre III de la présente partie, confier la gestion de ceux-ci, à leur profit collectif, à un ou plusieurs organismes de gestion collective régis par le même titre II et agréés à cet effet par le ministre chargé de la culture.

« Art. L. 218-4. - L'agrément prévu au I de l'article L. 218-3 est délivré en considération :

« 1° De la diversité des associés ;

« 2° De la qualification professionnelle des dirigeants ;

« 3° Des moyens humains et matériels qu'ils proposent de mettre en oeuvre pour assurer la gestion des droits de reproduction et de représentation des productions des agences de presse, par des services automatisés de référencement d'images.

« Un décret en Conseil d'État fixe les modalités de la délivrance et du retrait de cet agrément.

« Art. L. 218-5. - I. -La rémunération due au titre de la reproduction et de la représentation des productions des agences de presse, par des services automatisés de référencement d'images, est assise sur les recettes de l'exploitation ou, à défaut, évaluée forfaitairement, notamment dans les cas prévus à l'article L. 131-4.

« Le barème et les modalités de versement de cette rémunération sont fixés par voie de convention entre les sociétés agréées pour la gestion des droits des productions des agences de presse et les organisations représentant les exploitants des services automatisés de référencement d'images.

« La durée de ces conventions est limitée à cinq ans.

« II. - À défaut d'accord conclu dans les six mois suivant la publication du décret en Conseil d'État prévu à l'article L. 218-4, ou si aucun accord n'est intervenu à la date d'expiration d'un précédent accord, le barème de la rémunération et ses modalités de versement sont arrêtés par une commission présidée par le représentant de l'État et composée, en nombre égal, d'une part, de représentants des sociétés agréées conformément au même article L. 218-4 et, d'autre part, de représentants des exploitants de services automatisés de référencement d'images.

« Les organisations amenées à désigner les représentants membres de la commission ainsi que le nombre de personnes que chacune est appelée à désigner sont déterminés par arrêté du ministre chargé de la culture.

« La commission se détermine à la majorité des membres présents. En cas de partage des voix, le président a voix prépondérante.

« Les décisions de la commission sont publiées au Journal officiel .

« CHAPITRE IX

« Droits des éditeurs de presse

« Art. L. 219-1. - Sont soumises à l'autorisation de l'éditeur de presse, au sens des articles 1 et 2 de la loi n° 86-897 du 1 er aout 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, la reproduction et la communication au public de ses productions et d'extraits de ses productions.

« Art. L. 219-2. - Un service automatisé de référencement d'images, au sens du présent chapitre, se définit comme étant tout service de communication au public en ligne dans le cadre duquel sont reproduites et mises à la disposition du public, à des fins d'indexation et de référencement des productions des éditeurs de presse, collectées de manière automatisée à partir de services de communication au public en ligne.

« Art. L. 219-3. - Les droits des éditeurs de presse mentionnés à l'article L. 219-1 peuvent être cédés ou faire l'objet d'une licence.

« Les titulaires de droits reconnus au même article L. 219-1 peuvent, dans les conditions du titre II du livre III de la présente partie, confier la gestion de ceux-ci, à leur profit collectif, à un ou plusieurs organismes de gestion collective régis par le même titre II du livre III de la présente partie et agréés à cet effet par le ministre chargé de la culture.

« Art. L. 219-4. - L'agrément prévu au deuxième alinéa de l'article L. 219-3 est délivré en considération :

« 1° De la diversité des associés ;

« 2° De la qualification professionnelle des dirigeants ;

« 3° Des moyens humains et matériels qu'ils proposent de mettre en oeuvre pour assurer la gestion des droits de reproduction et de représentation des productions des éditeurs de presse, par des services automatisés de référencement d'images.

« Un décret en Conseil d'État fixe les modalités de la délivrance et du retrait de cet agrément.

« Art. L. 219-5. - I. - La rémunération due au titre de la reproduction et de la représentation des productions des éditeurs de presse, par des services automatisés de référencement d'images, est assise sur les recettes de l'exploitation ou, à défaut, évaluée forfaitairement, notamment dans les cas prévus à l'article L. 131-4.

« Le barème et les modalités de versement de cette rémunération sont fixés par voie de convention entre les sociétés agréées pour la gestion des droits des productions des éditeurs de presse et les organisations représentant les exploitants des services automatisés de référencement d'images.

« La durée de ces conventions est limitée à cinq ans.

« II. - À défaut d'accord conclu dans les six mois suivant la publication du décret en Conseil d'État prévu à l'article L. 218-4, ou si aucun accord n'est intervenu à la date d'expiration d'un précédent accord, le barème de la rémunération et ses modalités de versement sont arrêtés par une commission présidée par le représentant de l'État et composée, en nombre égal, d'une part, de représentants des sociétés agréées conformément à article L. 219-4 et, d'autre part, de représentants des exploitants de services automatisés de référencement d'images.

« Les organisations amenées à désigner les représentants membres de la commission, ainsi que le nombre de personnes que chacune est appelée à désigner, sont déterminés par arrêté du ministre chargé de la culture.

« La commission se détermine à la majorité des membres présents. En cas de partage des voix, le président a voix prépondérante.

« Les décisions de la commission sont publiées au Journal officiel . »

Article 4

La présente loi s'applique à compter de la publication du décret en Conseil d'État mentionné au dernier alinéa de l'article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle et, au plus tard, six mois après la promulgation de la présente loi.

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