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N° 450

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 juin 1996.

PROPOSITION DE LOI

assurant la parité des femmes et des hommes dans la vie publique,

PRÉSENTÉE

Par Mmes Hélène LUC, Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mme Danielle BIDARD-REYDET, M. Claude BILLARD, Mmes Nicole BORVO, Michelle DEMESSINE, M. Guy FISCHER, Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, MM. Félix LEYZOUR, Louis MINETTI, Robert PAGÈS, Jack RALITE et Ivan RENAR,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Vie publique.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

La sous-représentation des femmes dans la vie politique de notre pays constitue un manque à gagner préjudiciable à la société dans son ensemble et un véritable déficit démocratique.

En effet, comme l'a souligné la charte d'Athènes :

- les femmes représentent la moitié des talents et qualifications potentielles de l'humanité ;

- la participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision est susceptible d'engendrer des idées, des valeurs et des comportements différents allant dans le sens d'un monde plus juste et équilibré, tant pour les femmes que pour les hommes ;

- la sous-représentation des femmes aux postes de décision ne permet pas de prendre pleinement en considération les intérêts et les besoins de l'ensemble de la population.

La conférence de Pékin de 1995 a encore renforcé l'exigence de remédier à cette situation.

Alors qu'en France les femmes représentent 53 % du corps électoral, elles ne sont que 5,7 % des députés (36 sur 577, au même niveau qu'en 1945), 4,3 % des sénateurs (14 femmes sur 319), 5,3 % des maires, 4,8 % des conseillers généraux, 12,3 % des conseillers régionaux, 25 % des députés français au Parlement européen.

S'il y a lieu de faire à peu près les mêmes constatations dans de nombreux pays, tant en Europe que dans le monde, il est à remarquer que la France figure parmi les pays les moins avancés.

Pourtant, en ce qui concerne notre pays, cela ne peut s'expliquer par l'absence des femmes dans les grands moments et mouvements qui ont marqué notre histoire. Au contraire, elles y tiennent une place importante et ont su faire preuve de détermination et de courage.

Elles ont, par leur action, fait évoluer leurs droits et, au-delà, la société toute entière. Leur participation active à la vie économique, sociale, associative, aux différentes consultations électorales, montre leur intérêt aux affaires publiques. Le décalage en est d'autant plus inadmissible.

Leur accession tardive au droit de vote, puisque les Françaises furent parmi les dernières à l'obtenir il y a cinquante ans sur une initiative des communistes, a sans doute eu une influence sur cette situation, mais d'autres éléments contribuent à la perpétuer.

Parmi ceux-ci, il y a la vie des femmes elle-même. Les inégalités dans le travail, face au chômage, à la précarité qu'aggrave la loi quinquennale, la dégradation des conditions de vie, la double journée pour celles qui ont une activité professionnelle, les problèmes d'accueil du petit enfant, l'angoisse pour l'avenir sont autant d'obstacles. Patronat et gouvernement leur refusent les moyens de concilier vie professionnelle et vie familiale. La crise de la société les frappe durement. Elles ressentent particulièrement la culpabilisation face aux problèmes de l'échec scolaire à la délinquance, la femme est souvent désignée comme responsable.

La volonté de maintenir les femmes dans un rôle second nourrit des mentalités rétrogrades qui perdurent. Aujourd'hui, le Gouvernement veut s'engager dans la mise en oeuvre de mesures incitatrices au retour au foyer.

Le système électoral, quant à lui, avec le scrutin majoritaire à deux tours qui privilégie les personnalités déjà connues et ayant un mandat, ne favorise pas l'émergence de candidatures nouvelles, donc de candidatures féminines.

Les partis politiques sont essentiels à la démocratie. Ce n'est pas leur existence qui freine la participation des femmes mais les choix et objectifs politiques qui peuvent être faits à l'intérieur de chacun d'eux.

Pour ce qui concerne le Parti communiste, dès 1925, il présentait des candidates alors que les femmes n'étaient ni électrices ni éligibles. Le pourcentage de ses élus est supérieur à la moyenne nationale et il est reconnu comme présentant le plus de candidatures féminines. Le fait que le groupe des sénateurs communistes, républicains et citoyen compte en son sein six femmes sur ses quinze membres est en ce sens significatif. Il considère qu'il a encore beaucoup d'efforts à faire et veut, par celle proposition de loi, participer aux avancées indispensables.

Il y a nécessité aujourd'hui de revaloriser la politique, les femmes en ont souvent une image qui ne les engage pas à s'y investir. Elle leur apparaît comme affaire de spécialistes, éloignée de la vie quotidienne, des problèmes concrets qu'elles rencontrent chaque jour.

L'accession des femmes à une réelle citoyenneté politique s'inscrit tout naturellement dans le combat des femmes des générations actuelles comme de leurs aînées. C'est par l'action que les femmes ont obtenu le droit à l'éducation, au travail, à la maternité choisie, le droit de vote, et qu'elles font évoluer leurs droits. C'est en s'en mêlant qu'elles feront progresser leur participation à la vie politique, partie intégrante de leur accession à une réelle égalité et à une plus grande démocratie.

Il est évident qu'une loi ne peut suffire à lever tous les obstacles à l'objectif de parité. En présentant cette proposition, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen veulent mettre l'accent sur les moyens à prendre tout de suite pour progresser.

Leur mise en oeuvre concerne notamment le Gouvernement et les partis politiques qui doivent s'engager à faire ce qui est de leur responsabilité pour parvenir à une répartition équilibrée des femmes et des hommes dans les instances publiques et politiques.

Cela implique de créer les conditions pour que les partis politiques puissent présenter plus de candidates et que le Gouvernement prenne des mesures concrètes qui sont de son ressort.

C'est pourquoi, en particulier, les candidates et les élues doivent avoir droit à des autorisations d'absence spécifique prenant en compte leur situation de famille.

La volonté de tous et toutes de faire évoluer celle situation doit être clairement affirmée. C'est pourquoi nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir adopter cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article premier.

L'égal accès aux responsabilités et à la représentation des femmes et des hommes dans la vie publique est une contribution majeure à l'approfondissement de la démocratie et des progrès de la société dans son ensemble.

Art. 2.

L'instauration de la représentation proportionnelle à toutes les élections est une condition de la parité des femmes et des hommes dans la vie publique.

Art. 3.

Les employeurs sont tenus de laisser à leurs salariés candidats à toute élection le temps nécessaire pour participer à la campagne électorale dans la limite de trente jours ouvrables. Ces absences sont rémunérées.

Art. 4.

Les membres d'un conseil municipal, d'un conseil général, d'un conseil régional ou d'un conseil d'arrondissement ont droit, sans que l'employeur puisse s'y opposer, au nombre d'heures nécessaire au plein exercice de leur fonction.

Ils ont droit à un congé de formation deux jours par an.

Les candidates et les élues bénéficient d'une autorisation d'absence spécifique d'un jour ouvrable par semaine si elles ont un ou plusieurs enfants mineurs.

Aucun licenciement, aucune sanction ne peut avoir lieu à l'égard des salariés en raison des absences prévues par le présent article.

Le temps passé hors de l'entreprise ou de l'administration pendant les heures de travail est assimilé à une durée effective du travail pour le salaire et la détermination des droits de toute nature.

Art.5.

Le contrat de travail d'un salarié membre d'une assemblée ou d'un conseil élu est, sur sa demande, maintenu jusqu'à l'expiration de son mandat.

Le salarié doit manifester son intention de reprendre son emploi en adressant à son employeur une lettre recommandée avec accusé de réception, au plus tard dans les deux mois qui suivent l'expiration de son mandat.

Il retrouve son précédent emploi ou un emploi analogue assorti d'une rémunération équivalente. Il bénéficie de tous les avantages acquis par les salariés de sa catégorie durant l'exercice de son mandat. Il bénéficie, en outre, en tant que de besoin, d'une réadaptation professionnelle en cas de changement de techniques ou de méthodes de travail.

Ces dispositions sont applicables aux agents non titulaires de l'État et aux personnels des collectivités locales, des établissements et entreprises publics, pour autant qu'ils ne bénéficient pas déjà de dispositions plus favorables.

Art. 6.

L'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes présente chaque année au Parlement un rapport permettant d'évaluer les efforts et progrès effectués pour aller vers la parité des femmes et des hommes dans les institutions, assemblées et lieux de décision publics et privés.

Ce rapport fait l'objet d'une campagne d'information.

Art. 7.

Pour les nominations au choix relevant de sa compétence, le Gouvernement veille à une répartition équilibrée entre les hommes et les femmes.

Art. 8.

De manière à encourager les efforts des partis en faveur de la parité des candidatures entre les femmes et les hommes, le nombre de candidatures féminines est rendu public dans le cadre de la campagne officielle pour chaque élection.

Art. 9.

Les dépenses résultant de l'application des articles précédents pour l'État sont compensées par la majoration, à due concurrence, du taux de l'impôt sur le bénéfice des sociétés.

Les dépenses résultant de l'application des articles précédents pour les collectivités territoriales sont compensées par la majoration, à due concurrence, de la dotation globale de fonctionnement. La perte de recettes en résultant pour l'État est compensée par la majoration, à due concurrence, du taux de l'impôt sur le bénéfice des sociétés.

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