N°52

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 octobre 1997.

PROPOSITION DE LOI

tendant à créer les conditions permettant d'établir un taux de pension de retraite équivalent à 75 % du salaire minimum de croissance aux agriculteurs affiliés au régime agricole,

PRÉSENTÉE

Par M. Louis MINETTI, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Jean DERIAN, Michel DUFFOUR, Guy FISCHER, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Robert PAGES, Jack RALITE, Yvan RENAR, Mme Odette TERRADE et M. Paul VERGÉS,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.

Exploitants agricoles. - Code rural - Pensions de retraite.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

La nation ne peut rester sourde au cri que lui lance l'immense majorité des anciens travailleurs de la terre qui, après avoir joué un rôle de premier plan dans le redressement de la France de l'après-guerre, ne disposent que de très faibles pensions de retraites.

Ils ont notamment répondu à l'appel des autorités de l'époque en permettant à notre pays, au prix d'un travail acharné, de conquérir son autosuffisance alimentaire. Puis, sans relâcher cet effort, ils ont contribué à faire de la France l'une des plus grandes puissances agricoles et agro-alimentaires mondiales.

Ils ont consenti beaucoup de sacrifices, avec des conditions de vie et de travail très dures pour fournir à la population française des denrées alimentaires de qualité à un prix raisonnable. La nation doit également à leur travail un important excédent du commerce agro-alimentaire.

Plusieurs études officielles attestent d'ailleurs de l'énorme transfert de gains de productivité du travail agricole vers les secteurs d'amont et d'aval de la production.

Pourtant, les anciens exploitants agricoles qui ont travaillé dans des conditions difficiles, le plus souvent dès l'âge de 14 ou 15 ans, et dans bien des cas au-delà de 60 ans, voire même de 65 ans, bénéficient de pensions de retraite d'un montant inférieur à celles dont bénéficient généralement les autres catégories de retraités. Les chefs d'exploitation retraités qui ont accompli une carrière complète ne disposent, en moyenne, que d'une retraite inférieure à 3 300 F par mois alors que leur nombre d'annuités est dans bien des cas supérieur à ceux d'autres catégories.

Il est insupportable en cette fin de siècle que de nombreux retraités agricoles ou leurs conjoints disposent de pensions souvent en deçà du RMI. Par exemple, la retraite minimale d'un chef d'exploitation pour 150 trimestres de cotisations n'atteint pas 2 500 F par mois.

La situation des femmes qui ont joué et continuent de jouer un rôle essentiel dans le progrès de l'agriculture familiale et de la vie rurale de notre pays est d'une intolérable injustice.

C'est notamment le cas de toutes celles qui sont assurées à la Mutualité sociale agricole en tant que conjointes et dont le niveau actuel de retraite n'atteint même pas 1 500 F par mois.

Les retraités agricoles supportent d'autant moins cette situation qu'ils savent que les profits des grandes entreprises agro-alimentaires et du Crédit agricole sont importants.

Pour justifier la situation actuelle, on évoque souvent l'évolution particulièrement défavorable du rapport actifs-inactifs. Il est vrai que ce rapport n'a cessé de se dégrader. Il est, en 1997, d'un actif pour 235 retraités. Mais les retraités agricoles ne sont en rien responsables de cette évolution. Elle est le résultat de choix qui ont conduit à la dispa-rition de centaines de milliers d'exploitations familiales. A l'inverse, une politique audacieuse d'installation des jeunes et l'amélioration des revenus agricoles contribueraient à réduire le déficit du régime des retraites agricoles.

En outre, une revalorisation conséquente des retraites agricoles faciliterait la transmission des exploitations aux jeunes car les agriculteurs partant à la retraite seraient alors beaucoup moins tentés par la vente pure et simple de leur actif pour se constituer un capital de survie.

Il y a donc urgence à réparer cette injustice en répondant aux attentes exprimées avec force par les retraités agricoles et leurs organisations.

L'objet de la présente proposition de loi tendant à créer les conditions permettant d'établir un taux de pension de retraite équivalent à 75 % du salaire minimum de croissance aux anciens agriculteurs vise à y répondre. Elle propose en son article 2 qu'une décision immédiate marquant une volonté nette de progresser vers cet objectif soit décidée. Pour cela, il est proposé à la représentation nationale et au gouvernement de décider d'une augmentation de 1000 F par mois des retraites inférieures à 75 % du SMIC brut, sauf pour les retraites inférieures de moins de 1000 F à 75 % du SMIC brut qui ne seraient augmentées que de la somme permettant d'atteindre ce niveau.

L'article 3 prévoit qu'immédiatement après l'application de cette augmentation, des négociations s'engagent entre les pouvoirs publics, les organisations syndicales et les associations de retraités pour déterminer les moyens et les modalités permettant d'atteindre pour tous les retraités agricoles un niveau de retraites équivalent à 75 % du SMIC brut.

Il s'agit d'une question de justice sociale.

C'est aussi un levier de l'efficacité économique. Le relèvement du pouvoir d'achat des retraités agricoles contribuerait à la relance de la consommation, donc de la production et de l'emploi. Il serait également facteur de revitalisation rurale.

Les financements nouveaux qu'induit une telle mesure doivent être recherchés par la mise en place d'une « contribution-solidarité retraite agricole » appliquée sur les bénéfices des grandes entreprises d'amont fournissant à l'agriculture intrants, machines, etc., des grandes entreprises agroalimentaires, des centrales d'achat et de commercialisation des produits agricoles, du Crédit agricole, des compagnies d'assurances et des autres institutions financières qui ont largement bénéficié du travail des exploitants familiaux agricoles.

L'objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons d'adopter est de réparer une injustice criante dont souffrent plus de deux millions d'anciens exploitants agricoles Français.

Répondre à l'attente des retraités agricoles est une urgence qui, en contribuant à la relance économique, est d'intérêt général.

Sous le bénéfice de ces dispositions, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de loi suivante.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Le total des pensions de retraite forfaitaire et proportionnelle et du complément de retraite prévu dans la présente loi versé à un assuré agricole non salarié totalisant cent cinquante trimestres de cotisations ne pourra être inférieur à 75 % du salaire minimum de croissance brut.

Pour les assurés ne totalisant pas cent cinquante trimestres de cotisations, ce minimum sera réduit à due proportion.

Ces dispositions s'appliquent aux anciens exploitants ainsi qu'à leurs conjoints et à leurs aides familiaux.

Article 2

Afin de progresser rapidement vers l'objectif fixé à l'article premier, il est décidé qu'à compter de la promulgation de la présente loi, la pension de retraite des retraités agricoles non salariés est augmentée de 1000 F par mois sous forme d'un complément de retraite s'ajoutant à la retraite forfaitaire et à la retraite proportionnelle, étant entendu que cette augmentation ne peut faire que la pension de retraite revalorisée dépasse 75 % du salaire minimum de croissance brut.

Pour les pensions de retraite inférieures de moins de 1000 F à 75 % du salaire minimum de croissance brut, l'augmentation équivaut donc à la somme permettant d'atteindre l'objectif fixé à l'article premier.

Article 3

Dès que les dispositions prévues à l'article 2 sont appliquées, la revalorisation des pensions de retraite agricole est poursuivie afin d'atteindre l'objectif fixé à l'article premier dans le cadre d'une négociation entre le gouvernement et les organisations syndicales et les associations de retraités qui déterminent ensemble les modalités de son application, dans le budget annexe des prestations sociales qui doit être abondé en conséquence.

Article 4

Les allocations complémentaires dont l'attribution dépend du plafond de ressources fixé chaque année continuent à être attribuées aux retraités agricoles non salariés dans les conditions précédentes, exception faite de la récupération sur succession qui ne peut intervenir que lorsque l'actif net successoral dépasse 500 000 F, cette première somme n'étant pas concernée.

Article 5

Les conjoints qui étaient veufs ou veuves avant le 1 er février 1995 bénéficient du cumul entre leurs droits propres et 54 % de la pension versée à leur époux ou épouse.

Article 6

Les retraités qui ont élevé au moins trois enfants et qui totalisent cent trimestres ou plus bénéficient d'une bonification forfaitaire équivalant à 10 % de la retraite minimale versée aux assurés ayant cent cinquante trimestres. Les retraités ayant moins de cent cinquante trimestres bénéficient de cette bonification à due proportion. '

Article 7

Les retraités agricoles non salariés sont exonérés des cotisations sociales dans les mêmes conditions que les retraités du régime général.

Article 8

Les périodes d'activité agricole non salariée précédant l'entrée en vigueur des cotisations obligatoires à la Mutualité sociale agricole en 1952 sont prises en compte dans le calcul de celle pour la retraite forfaitaire, tant en ce qui concerne les chefs d'exploitation que les conjoints et les aides familiaux.

Pour ces catégories, ce rattrapage s'ajoute à l'augmentation de 1000 F prévus à l'article 2.

Pour les autres périodes, en ce qui concerne la retraite forfaitaire, et pour les périodes d'avant ou d'après l'instauration des cotisations sociales obligatoires pour ce qui est de la retraite proportionnelle, les retraités agricoles non salariés peuvent racheter à 50 % de leur valeur tout ou partie des points qui leur manquent pour bénéficier d'une retraite complète.

Article9

Les dispositions des articles précédents s'appliquent aux retraites agricoles liquidées avant la publication de la présente loi.

Article 10

Les articles précédents sont insérés aux endroits adéquats du code rural.

Article 11

Les dépenses supplémentaires résultant des articles précédents seront compensées à due concurrence et au profit du budget annexe des prestations sociales agricoles par :

- une contribution au titre de la solidarité professionnelle des exploitations agricoles dont le revenu imposable dépasse le plafond de la sécurité sociale pour un emploi à plein temps et dont tout ou partie des cotisations vieillesse sera transféré sur des cotisations déplafonnées ;

- une contribution-solidarité retraite agricole des grandes entreprises d'amont fournissant à l'agriculture intrants, machines, etc.

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