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N° 389

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 février 2014

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

au nom de la commission des affaires européennes (1) , en application de l'article 73 quater du Règlement, sur le Mécanisme de résolution unique : nouvelle étape de l' Union bancaire ,

PRÉSENTÉE

Par M. Richard YUNG,

Sénateur

(Envoyée à la commission des finances.)

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise Boog, Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La crise bancaire et financière a fait prendre conscience aux autorités européennes de la nécessité de disposer d'une supervision et d'un dispositif de gestion des crises bancaires harmonisés. L'Union bancaire est la réponse spécifique à cette nécessité au sein de la zone euro à travers deux dispositifs clés et indissociables : la supervision unique et le mécanisme de résolution unique. L'Europe a déjà fait de grands progrès sur l'Union bancaire et les prochains mois seront décisifs. Avant la fin de l'année, la supervision des banques de la zone euro sera assurée par la Banque centrale européenne qui conduit, au préalable, une évaluation approfondie des principales banques dont les conséquences doivent être sérieusement envisagées. Le volet résolution des crises bancaires, quant à lui, a fait l'objet d'un accord au Conseil de décembre 2013. Cette nouvelle étape mérite d'être saluée. L'approche générale adoptée par le Conseil à ce sujet scinde la proposition initiale de la Commission en deux instruments juridiques : un règlement créant un mécanisme de résolution unique et un accord intergouvernemental portant sur la mutualisation du financement des crises. La complexité des solutions retenues s'explique par l'importance des enjeux et la contrainte de parvenir à une solution globale avant l'échéance des élections européennes. En amont de l'accord intergouvernemental qui devrait être examiné dans les prochains mois par le Sénat, il est donc nécessaire d'analyser les principaux éléments du mécanisme de résolution en discussion afin de guider notre appréciation sur cette nouvelle étape clé.

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En préambule à l'examen du mécanisme proposé, un point essentiel mérite d'être souligné.

La mise en oeuvre effective de la supervision unique passe par l'étape, en cours, de revue des bilans bancaires dont on peut déjà tirer deux enseignements :

- l'harmonisation des règles doit être pilotée afin de tenir compte des spécificités de chaque marché,

- des besoins de recapitalisation risquent de se faire jour avant que les outils de résolution bancaire soient en place ; le Mécanisme européen de stabilité doit pouvoir y répondre le cas échéant.

Le premier volet de l'Union bancaire, le mécanisme de supervision unique, étape préalable indispensable à la mise en place du cadre de résolution, ne sera opérationnel qu'au terme d'une évaluation complète des établissements de crédit. La BCE est dorénavant entrée dans cette phase préparatoire qui comprend un examen de la qualité des actifs et des bilans des 128 principales banques de la zone euro (dont 13 banques françaises) et des tests de résistance menés par l'Autorité bancaire européenne (ABE). Afin de mener à bien cet exercice, la BCE, en collaboration avec l'ABE et les superviseurs nationaux, élabore une méthodologie commune de supervision et d'évaluation des risques qui a vocation à se substituer aux méthodologies nationales. Cet exercice, qui va donc conduire à une harmonisation des règles de supervision pour l'ensemble des banques de l'Union bancaire ne doit néanmoins pas conduire à une normalisation excessive et trop rapide qui méconnaitrait les particularités des marchés nationaux.

Les résultats de la revue des actifs et des tests de résistance par pays et par banque devraient être communiqués en une seule fois en octobre 2014. Il est à ce stade difficile d'exclure l'hypothèse que cet exercice révèle des besoins en fonds propres même s'il convient de souligner que les banques européennes ont poursuivi leurs efforts de renforcement du bilan. Afin d'éviter que ces résultats et leur anticipation ne créent des perturbations sur les marchés financiers, il est indispensable de clarifier les méthodes et moyens qui seraient mobilisés en cas de besoin de recapitalisation. Le Conseil européen du 28 juin 2013 a d'ailleurs appelé les États participant à l'Union bancaire à prendre « toutes les dispositions utiles, y compris la mise en place de dispositifs nationaux de soutien, avant l'achèvement de cet exercice ».

Dans la mesure où le cadre de résolution ne sera pas encore opérationnel, le Conseil du 15 novembre 2013 a précisé les différents moyens de recapitalisation envisageables. Si le recours à des ressources privées sur le marché financier se révèle insuffisant, il sera fait appel aux ressources nationales - soit les fonds de résolution respectifs s'ils existent soit le soutien direct de l'État. L'intervention des États sera soumise aux règles de concurrence européennes relatives au secteur bancaire.

Dans ce processus, un recours au Mécanisme européen de stabilité (MES) doit être envisagé. Or, le MES ne peut pas actuellement intervenir directement pour recapitaliser un établissement bancaire. Le 20 juin 2013, l'Eurogroupe est parvenu à un accord sur la mise en place de l'instrument de recapitalisation direct des banques par le MES à hauteur de 60 milliards d'euros qui, rappelons-le, ne requiert pas de modification de traité mais un accord à l'unanimité des membres signataires. Les conditions préalables - l'adoption des directives relatives à la résolution des défaillances bancaires et aux systèmes de garantie des dépôts ainsi que la mise en place effective du mécanisme de résolution unique - sont en partie levées ou en passe de l'être 1 ( * ) . Dans ces conditions, ainsi que le Conseil européen du 28 juin 2013 l'a rappelé, il est nécessaire de finaliser à très brève échéance l'accord sur l'instrument de recapitalisation du MES. Ceci serait d'ailleurs indispensable dans le cas d'un échec des négociations sur le cadre de gestion des crises bancaires dans la zone euro.

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Le Mécanisme de résolution dote la zone euro d'une autorité de résolution unique ainsi que d'un fonds de résolution fondés sur l'harmonisation européenne des règles de redressement et de résolution.

L'harmonisation des règles de redressement et de résolution européennes

L'Union bancaire doit répondre aux contraintes propres de la zone euro tout en fonctionnant en cohérence avec les règles harmonisées du marché financier européen. Les règles qui s'appliquent aux 28 États membres constituent ainsi le fondement de la construction de l'Union bancaire 2 ( * ) . Présentée en juin 2012 par la Commission, la directive sur le cadre pour le redressement et la résolution des défaillances des établissements de crédit se propose d'uniformiser les pratiques et outils de gestion des crises bancaires. À la suite de l'accord politique entre le Parlement européen et le Conseil, cette directive devrait être adoptée définitivement en plénière en avril 2014. Les règles de la directive, qui visent à éviter une propagation des défaillances bancaires et à préserver les finances publiques, vont déterminer la structure et le fonctionnement du Mécanisme de résolution unique.

Chaque État doit se doter de sa propre autorité de résolution disposant de pouvoirs étendus permettant de gérer une crise bancaire sans recourir à la voie judiciaire. Ces pouvoirs se répartissent en trois catégories.

Le volet préventif fait obligation aux établissements de crédit d'élaborer des plans de redressement et de résolution. L'autorité de résolution les valide et peut, si elle le juge nécessaire, contraindre les établissements à modifier leur structure juridique ou opérationnelle.

Le pouvoir d'intervention précoce permet à l'autorité de résolution d'intervenir dans le cas où la solidité financière d'un établissement bancaire est, ou risque d'être, compromise. Elle est alors habilitée notamment à nommer un administrateur provisoire et à imposer la tenue d'une assemblée générale afin d'adopter des mesures d'urgence selon le plan de redressement.

Le pouvoir de résolution prévoit, en dernier recours, les outils nécessaires pour conduire la faillite ordonnée d'un établissement qui ne satisfait irrémédiablement plus aux critères de fonds propres : cessions d'activités, séparation des actifs, transfert des actifs sains vers un établissement relais, renflouement interne... Il s'agit, dans ce cadre, d'éviter l'insolvabilité de l'établissement ou d'en limiter les conséquences sans compromettre la stabilité financière et sans interrompre des services essentiels aux contreparties.

Les autorités de résolution nationales disposeront de mécanismes financiers hiérarchisés permettant d'éviter au maximum le recours à des fonds publics.

À partir de janvier 2016, elles utiliseront le renflouement interne dit « bail-in » qui permet d'organiser la recapitalisation d'un établissement défaillant en imposant à ses créanciers la réduction partielle ou totale du montant de leurs créances. Les créanciers seront ainsi sollicités selon un ordre prédéterminé : d'abord les actionnaires puis les créanciers juniors et enfin seniors. Les dépôts jusqu'à 100 000 euros seront exclus du renflouement 3 ( * ) .

La directive imposera aux établissements de crédit de disposer d'un niveau minimum de dettes ainsi éligibles au renflouement interne ( Minimum Requirements for Eligible Liabilities - MREL ) qui devrait être de l'ordre de 10 % du passif mais que l'autorité de résolution nationale fixera au cas par cas.

Dans le cadre d'un renflouement interne, les dettes éligibles seront mobilisées jusqu'à un montant représentant au moins 8 % du passif de l'établissement. Au-delà l'autorité nationale de résolution pourra faire appel à un fonds de résolution national si besoin.

La directive impose en conséquence à chaque État membre d'établir un fonds national de résolution , distinct du fonds de garantie des dépôts. À l'issue d'une période de transition n'excédant pas 10 ans, le fonds devra atteindre le niveau cible de 1 % des dépôts garantis des établissements agréés dans l'État membre.

La directive d'harmonisation prévoit une contribution individuelle ex ante des banques au fonds de résolution national proportionnelle au rapport « passifs totaux hors fonds propres et dépôts couverts » de l'établissement concerné sur « passifs totaux hors fonds propres et dépôts couverts » de tous les établissements agréés sur le territoire de l'État membre.

Le fonds national de résolution pourra être utilisé jusqu'à un plafond égal à 5 % du passif de l'établissement en résolution. Au-delà, et si nécessaire, il pourra être fait appel à d'autres ressources : fonds privés, aides d'État...

L'application de ces règles à l'Union bancaire

Alors que la directive vise à créer un cadre harmonisé de gestion des crises bancaires dans chaque État, le règlement instituant le Mécanisme de résolution, tel qu'il a été présenté par la Commission en juillet 2013, propose de créer un régime unique pour les États de la zone euro au sein de l'Union bancaire . Ce règlement prévoit ainsi, conformément aux principes de la directive, la création d'un Mécanisme de résolution unique comprenant une autorité ainsi qu'un fonds de résolution. La proposition initiale de la Commission a été profondément modifiée par le Conseil de décembre 2013 en raison notamment de l'opposition de certains États membres dont l'Allemagne. Le règlement instituant le Mécanisme de résolution unique a ainsi fait l'objet d'une scission en deux instruments juridiques : certaines modalités de fonctionnement du fonds ont été isolées du cadre des négociations du règlement et feront l'objet d'un accord intergouvernemental (AIG) portant sur le fonds de résolution 4 ( * ) . Cette approche générale est complétée par une déclaration consacrant l'engagement du Conseil à développer un filet de sécurité financier qui devra être opérationnel au plus tard en 2025. Cette approche générale a suscité une forte opposition du Parlement européen et les négociations, qui se poursuivent sous la contrainte de l'approche des élections européennes, se révèlent difficiles.

Néanmoins, bien que les modalités précises du Mécanisme de résolution unique ne soient donc pas encore définitives, les grandes lignes sont d'ores et déjà identifiables.

L'autorité de résolution de l'Union bancaire sera un Conseil de résolution composé des autorités nationales des États de la zone euro, d'un directeur exécutif, de quatre personnalités qualifiées nommées par le Conseil et de représentants de la Commission et de la BCE ayant un statut d'observateurs. Le Conseil de résolution sera en charge du redressement et de la résolution des banques sous supervision directe de la BCE, des banques transnationales ainsi que de toute banque nécessitant d'être restructurée par le Fonds de résolution unique. Le Conseil de résolution pourra se réunir en formation restreinte et plénière. Le Conseil exécutif, qui sera la formation restreinte, se prononcera sur les procédures de résolution. Dans certains cas 5 ( * ) , une utilisation du fonds de résolution nécessitera néanmoins un vote en plénière à la majorité des 2/3 des États membres représentant au moins 50 % des sommes versées au Fonds.

La décision de placer une banque en résolution reviendra à la BCE, en tant que superviseur, ou au Conseil de résolution sur sa propre initiative. Le Conseil de résolution mettra en oeuvre le plan de résolution et précisera les outils financiers employés. Les décisions du Conseil deviendront effectives dans les 24 heures à moins que, sur proposition de la Commission, le Conseil ECOFIN s'y oppose à la majorité simple.

Le compromis du Conseil prévoit la constitution et le fonctionnement du fonds de résolution selon les principes suivants. Le fonds de résolution unique devra atteindre, au terme d'une période transitoire de 10 ans, un niveau cible de 1 % des dépôts soit environ 55 milliards d'euros. Il remplacera les dispositifs nationaux existants. Les contributions seront levées ex ante au niveau national auprès des banques et allouées à des compartiments nationaux qui fusionneront progressivement de 10 % par an. Les modalités de transfert au fonds de résolution et de la mutualisation progressive seront détaillées dans l'accord intergouvernemental en cours de négociation.

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En dépit de sa complexité, le dispositif envisagé mérite d'être largement soutenu au vu de l'expérience de la crise. Mais des points importants restent en discussion sur lesquels le Sénat doit prendre position. Il vous est proposé à cet égard de retenir les observations suivantes.

L'Union bancaire, réponse politique et institutionnelle à la crise financière spécifique de la zone euro, vise à renforcer la stabilité du système financier et permet de rompre le cercle vicieux entre dettes bancaires et dettes souveraines. Toutefois, au-delà du projet en l'état, l'ambition de stabiliser le système financier tout entier rendrait nécessaire d'étendre le périmètre de la supervision et de la résolution aux infrastructures de marché comme par exemple les chambres de compensation.

La crise financière de 2008 a frappé l'Union européenne en état d'impréparation institutionnelle : aucun cadre intégré de supervision et de réglementation n'avait été mis en place malgré le développement du marché financier intégré, de groupes bancaires transfrontaliers et la création de l'Union monétaire. La réforme du secteur financier en tant qu'un des principaux instruments de réponse à la crise s'est dès lors imposée comme une priorité politique. À ce titre, la prochaine adoption des directives sur la résolution et le système de garantie des dépôts constitue indéniablement un progrès vers la stabilisation du système financier européen.

Les spécificités de l'Union monétaire ont rendu nécessaire le développement de mesures spécifiques à la zone euro : l'Union bancaire est la réponse politique et institutionnelle à cette nécessité. Les principes retenus dans le cadre du Mécanisme de résolution unique visent à renforcer la capacité du système financier à absorber ses pertes. Le Mécanisme unique de supervision accroît valablement la crédibilité, l'indépendance et les performances de la supervision en limitant la pression des banques sur les superviseurs nationaux. L'Union bancaire permet ainsi de renforcer la stabilité propre du système bancaire.

Au plus fort de la crise en octobre 2008, la déclaration de Paris « sur un plan d'action concertée des pays de la zone euro » avait consacré publiquement l'engagement des États à soutenir financièrement les établissements en difficultés. D'octobre 2008 à octobre 2011, 1 600 milliards d'euros ont été utilisés pour l'aide aux institutions financières. L'Union bancaire doit permettre de mettre un terme au soutien implicite et parfois explicite des États dont bénéficient les établissements bancaires. Elle réduit ainsi l'impact des faillites bancaires pour les États et contribue de ce fait à rompre les interactions entre les dettes souveraines et les banques. Elle constitue une solution concrète au consensus politique qui s'est établi depuis pour limiter le renflouement des banques par les fonds publics.

Toutefois, au-delà du projet en l'état, l'ambition de stabilité du système financier tout entier impose d'étendre le périmètre de la supervision et de la résolution aux infrastructures de marché. En effet, l'ambition de stabilité financière ne peut pas être atteinte si les institutions financières non bancaires telles que les infrastructures de marché et les plateformes de négociation qui jouent un rôle central dans le fonctionnement du système financier sont exclues du dispositif. La réflexion sur la mise en place d'un cadre européen de supervision et de résolution des infrastructures de marché susceptibles de concentrer le risque de façon accrue doit être engagée au plus vite.

L'adoption en Europe du principe de renflouement interne appelle à une certaine vigilance sur ses conséquences potentielles.

Le renflouement interne, qui sous-tend le nouveau cadre de résolution européen, est un outil essentiel et novateur. Le seuil de renflouement interne à hauteur de 8 % du passif aurait été très largement suffisant pour faire face aux pertes cumulées du secteur bancaire depuis le début de la crise financière. En Grèce et à Chypre, ce sont des montants représentant respectivement 2,3 % et 2,6 % du passif qui ont été nécessaires ; en ce qui concerne la France, 0,6 % 6 ( * ) . L'adoption des règles de renflouement interne réduira ainsi significativement la probabilité de recours aux fonds de résolution ou à des financements publics.

Toutefois, ce mécanisme, qui constitue une règle juridiquement dérogatoire et complexe, n'est pas sans incidences. L'entrée en vigueur des règles de renflouement entraînera un transfert des risques supportés jusqu'alors par les États et les contribuables vers les créanciers privés. Il s'agit ainsi, avec comme objectif de sécuriser le système bancaire, d'un retour vers une discipline de marché où les investisseurs, conscients de la forte réduction du soutien implicite de l'État, exigeront une rentabilité supérieure en fonction du profil de risque de la banque émettrice. Cette réévaluation du risque bancaire peut donc peser sur le coût de refinancement des banques et sur leur capacité à financer l'économie.

L'entrée en vigueur du « bail-in » pourrait aussi avoir des incidences non souhaitables sur la structure des passifs bancaires et sur la stabilité financière. L'obligation de détention d'un pourcentage minimum de dettes éligibles au renflouement peut devenir pénalisante pour certaines banques qui se verraient contraintes d'émettre des obligations éligibles à des fins réglementaires sans cohérence avec leur intérêt économique. Cette contrainte réduira probablement le stock de dettes sécurisées non éligibles, qui représentent pourtant un facteur de stabilité du secteur bancaire. Enfin le renflouement interne pourrait, contrairement aux objectifs affichés, susciter un risque de contagion aux autres établissements financiers non bancaires - fonds de pension, société d'assurance - qui investiront dans les dettes éligibles des banques. En conséquence, il est indispensable qu'un suivi de ces incidences, dont il est difficile en l'état de mesurer l'impact réel, soit réalisé et communiqué aux Parlements nationaux.

Au terme de la mutualisation complète des moyens financiers, la gouvernance de l'Autorité de résolution unique devra être plus simple pour être efficace.

Le processus de résolution implique la BCE, la Commission, le Conseil de résolution et le Conseil ECOFIN. Il attribue des pouvoirs importants à la formation plénière du Conseil de résolution au détriment de la formation exécutive. Ce dispositif paraît peu adapté à la nécessité de prises de décisions rapides sur des informations sensibles. Un rééquilibrage des décisions au profit de la formation restreinte du Conseil de résolution et l'élaboration d'une procédure d'urgence sont deux éléments qui devraient permettre d'améliorer le fonctionnement de l'autorité de résolution.

Le rôle du Conseil ECOFIN en dernier ressort est toutefois de nature à assurer un équilibre entre des décisions d'ordre technique prises par le Conseil de résolution, la BCE, la Commission et des décisions politiques revenant aux États. Cet équilibre prend en compte l'éventualité d'un recours à des ressources nationales dans l'attente de la mutualisation complète du fonds de résolution et de la mise en place d'un filet de sécurité commun.

Les moyens financiers du Mécanisme de résolution unique doivent être crédibles et opérationnels.

Les moyens financiers dont dispose le Fonds de résolution participe de sa crédibilité et de sa pérennité. Trois éléments méritent plus particulièrement attention.

Le règlement précise que la gestion des sommes attribuées au Fonds revient au Conseil de résolution unique, les modalités d'investissement devant être précisées par un acte délégué de la Commission. Il s'agit pourtant là d'un aspect essentiel du dispositif qui n'est pas de nature à relever d'un acte délégué et qui devrait faire l'objet d'un rapport annuel détaillé transmis au Conseil, au Parlement européen ainsi qu'aux Parlements nationaux.

Ensuite, la déclaration du Conseil consacrant son engagement à développer un filet de sécurité unique mobilisable dans le cas où le Fonds serait épuisé au plus tard au terme de la période de mutualisation du fonds de résolution paraît insuffisante. En l'absence de modification du traité, le Mécanisme européen de stabilité ne peut jouer le rôle de filet de sécurité commun. Il importe pourtant qu'une solution soit proposée tant durant la période transitoire de montée en puissance du Fonds que de façon définitive à terme. L'hypothèse d'une capacité d'emprunt propre du fonds de résolution, évoquée dans les conclusions du Conseil, doit être rapidement clarifiée en privilégiant des modalités qui respectent le principe d'une véritable mise en commun des moyens financiers et ne mobilisent pas les budgets nationaux.

Enfin, dans le cadre d'une résolution, la fourniture de liquidité en urgence est très souvent nécessaire et revêt une importance cruciale. La directive sur le cadre de résolution (article 5 paragraphe 3) précise d'ailleurs que les plans de redressement doivent comporter des éléments d'information sur les éventuels recours aux facilités de liquidité d'urgence de la banque centrale. Or, le règlement du Mécanisme de résolution unique est silencieux sur ce point. La procédure de fourniture de liquidité d'urgence par l'Eurosystème, récemment rendu publique, consacre l'autonomie de décision du conseil des gouverneurs et renvoie la responsabilité de la fourniture de liquidités à la banque centrale nationale concernée. Il paraît dès lors nécessaire, sans remettre en cause l'indépendance des décisions de l'Eurosystème, de poursuivre le dialogue avec la Banque centrale européenne afin que la fourniture de liquidité en urgence soit partie intégrante du processus de résolution.

Les modalités de contribution des établissements de crédit au Fonds constituent un élément majeur du dispositif et doivent assurer un équilibre incontestable entre les différents contributeurs. Pour cela, la prise en compte des profils de risque de chaque établissement s'avère nécessaire.

Le préfinancement du fonds de résolution, dans la mesure où il met en commun des moyens jusqu'alors nationaux, représente un enjeu central. L'intensité des négociations sur les modalités de contribution au sein de l'Union bancaire confirme d'ailleurs la nécessité de parvenir à une base de contribution équitable. Selon la directive, la base de calcul de la contribution correspond globalement au montant des dettes éligibles au renflouement interne qui constituent pourtant le premier filet financier permettant de recapitaliser un établissement. Concrètement, plus un établissement disposera de moyens assurant une recapitalisation en cas de difficultés, plus il devra contribuer au fonds de résolution. Le lien logique entre assiette de contribution et probabilité d'une entrée en résolution n'est donc pas assuré. Cette base de calcul doit ensuite être pondérée en fonction du profil de risque de l'établissement selon des mécanismes à définir par un acte délégué de la Commission. Ces mécanismes constituent donc un élément essentiel du dispositif et ne devraient pas, eux non plus, être définis par un acte délégué.

Les modalités de calcul des contributions au sein de l'Union bancaire reprennent les principes de la directive d'harmonisation 7 ( * ) . Ce mode de calcul, appliqué à l'ensemble de la zone euro, crée mécaniquement des transferts de charge entre les banques européennes. Il est pourtant indispensable que la mutualisation des moyens financiers se fonde sur des clés de répartition acceptables qui ne créent pas de distorsion entre les systèmes bancaires nationaux. Il est donc essentiel de s'assurer que la prise en compte des facteurs de risque restaure un équilibre acceptable entre les systèmes bancaires. Lors de la revue des établissements de crédit, la Banque centrale européenne va examiner les pondérations des risques à l'actif des bilans bancaires. Cette évaluation autonome et impartiale devrait être le fondement de la prise en compte du risque dans le calcul des contributions individuelles.

L'accord intergouvernemental doit être strictement limité quant à son champ d'application. Dans ce cadre, une accélération du rythme de mutualisation pourrait être proposée sans toutefois imposer au système bancaire européen des efforts financiers trop rapides.

L'accord intergouvernemental soustrait une part du Mécanisme de résolution unique à la procédure législative de l'article 114 (co-décision et majorité au Conseil) et au droit communautaire. Toute extension de son objet reviendrait ainsi à contourner les règles d'adoption du cadre du Mécanisme de résolution unique. Il importe donc que le traité intergouvernemental conserve le champ le plus restreint possible, en conformité avec les conclusions du Conseil du 18 décembre 2013, et ne traite en conséquence que du transfert des contributions et du processus de mutualisation.

Par ailleurs, le rythme de mutualisation des compartiments nationaux du Fonds est en partie conditionné à l'identification des difficultés liées aux actifs hérités de la période où la supervision était nationale. Dès lors que ces éléments auront été identifiés au terme de l'examen des banques par la BCE, une période de mutualisation réduite à 5 ans devrait être envisagée. Les contributions annuelles, sur la base d'une période de montée en puissance de 10 ans, représentent un effort pour le système bancaire de la zone euro de 5,5 milliards d'euros par an. Toute accélération du rythme de contribution au Fonds aurait un impact considérable sur la rentabilité des banques et leur capacité de financement et de renforcement des fonds propres. Elle ne paraît dès lors pas opportune.

Pour ces raisons, votre commission des Affaires européennes a conclu à l'unanimité au dépôt de la proposition de résolution qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances des établissements de crédit et d'entreprises d'investissement COM (2012) 280,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux systèmes de garantie des dépôts COM (2010) 368,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d'investissement dans le cadre d'un mécanisme de résolution unique et d'un fonds de résolution bancaire unique COM (2013) 520,

Vu le règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit,

Vu le règlement (UE) n° 1022/2013 du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne) en ce qui concerne son interaction avec le règlement du Conseil confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit,

Vu la communication du 30 juillet 2013 de la Commission concernant l'application, à partir du 1 er août 2013, des règles en matière d'aides d'État aux aides accordées aux banques dans le contexte de la crise financière (2013/C 216/01),

Vu les procédures relatives à la fourniture de liquidité d'urgence publiées par la Banque centrale européenne le 17 octobre 2013,

Vu les conclusions des Conseils européens des 13 et 14 décembre 2012, des 27 et 28 juin 2013 et des 24 et 25 octobre 2013 ainsi que les conclusions du Conseil ECOFIN du 15 novembre et du 18 décembre 2013,

Réaffirme son soutien au processus de mise en place d'une union bancaire, conformément à sa résolution n° 32 en date du 20 novembre 2012 ;

Sur la revue de la qualité des actifs bancaires

Attire l'attention sur les enjeux de la revue de la qualité des actifs bancaires menée par la Banque centrale européenne et des tests de résistance conduits par l'Autorité bancaire européenne ;

Souligne que cet exercice doit être mené avec la même rigueur et de façon homogène sur l'ensemble des établissements de l'Union bancaire tout en tenant compte des spécificités des différentes structures et activités ;

Sur le Mécanisme européen de stabilité

Rappelle que l'instrument de recapitalisation directe des banques par le Mécanisme européen de stabilité doit être opérationnel dès la mise en oeuvre effective du Mécanisme de surveillance unique, soit au terme de la publication par la Banque centrale européenne de l'évaluation de la qualité des actifs ;

Appelle en conséquence à la finalisation de l'accord sur la recapitalisation directe des établissements de crédit par le Mécanisme européen de stabilité conformément aux conclusions du Conseil européen ;

Soutient les grandes lignes de l'accord du Conseil de l'Union européenne du 18 décembre 2013 et souhaite que soit mis en place, avant la fin de la législature du Parlement européen, un mécanisme de résolution unique crédible et opérationnel dans le cadre de l'Union bancaire ;

Sur la stabilité et l'intégration des marchés financiers européens

Se félicite de la prochaine adoption des directives relatives, d'une part, au cadre de redressement et de résolution des défaillances des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, et d'autre part, aux systèmes de garantie des dépôts, éléments indispensables à la stabilisation de l'ensemble du système bancaire européen ;

Rappelle que les infrastructures de marché sont des rouages essentiels du fonctionnement des marchés financiers et souhaite, qu'à ce titre, une réflexion soit engagée sur un cadre harmonisé et un mécanisme européen de supervision, de redressement et de résolution de ces infrastructures ;

Sur le renflouement interne

Note que le principe de renflouement interne est un élément majeur du cadre de redressement et de résolution proposé et qu'il doit permettre de limiter au maximum les éventuels recours à des fonds publics ;

Appelle, afin de préserver le bon fonctionnement du marché unique des services financiers, à la plus grande vigilance sur les éventuelles divergences d'application du principe de renflouement interne entre les États participants à l'Union bancaire et les États non participants ;

Relève que le principe de renflouement interne pourrait avoir des incidences sur la stabilité du système financier et sa capacité à financer l'économie ;

Souhaite que le bilan qui doit être établi par la Commission sur l'application du Mécanisme de résolution unique intègre une analyse détaillée des conséquences de l'adoption du principe de renflouement interne dans le droit communautaire ;

Demande que ce bilan détaillé soit présenté pour la première fois un an après l'entrée en vigueur du renflouement interne puis tous les deux ans et soit transmis aux Parlements nationaux ;

Sur le mécanisme de résolution unique

Considère que la crédibilité du Mécanisme de résolution unique repose notamment sur des processus de décision rapides et efficaces, un filet de sécurité financier et l'accès à une liquidité d'urgence ;

Estime que la gouvernance ne doit pas être source de complexité et devra, à terme, être simplifiée ; considère toutefois qu'elle est de nature à assurer un équilibre entre décisions techniques et politiques, du ressort national ou européen, jusqu'à la mutualisation complète du financement de la résolution ;

Souhaite néanmoins, afin de permettre des décisions rapides et opérationnelles, que soient proposés un renforcement des pouvoirs de décision du comité exécutif du Conseil de résolution ainsi qu'une procédure d'urgence ;

Juge qu'un filet de sécurité financier doit être mis en place dans les meilleurs délais et, qu'à défaut de révision du traité du Mécanisme européen de stabilité, une capacité d'emprunt propre du Fonds de résolution unique doit être la solution privilégiée ;

Souligne que l'accès à une liquidité d'urgence fait partie intégrante d'un dispositif de résolution ; encourage en conséquence les États participants et l'Eurosystème à renforcer la transparence du processus de fourniture de liquidité par les banques centrales et sa conformité aux objectifs de l'Union bancaire ;

Sur le Fonds de résolution unique

Considère que les règles de contribution au Fonds de résolution unique ne doivent pas créer de distorsion entre les systèmes bancaires nationaux tant au sein de l'Union bancaire que vis-à-vis des États ne participant pas à l'Union bancaire ;

Souhaite que le calcul des contributions intègre une estimation des risques des établissements de crédit qui pourrait être fondée sur les actifs bancaires pondérés par les risques tels qu'ils auront été revus par la Banque centrale européenne ;

Est d'avis que les modalités de calcul des contributions ainsi que les principes d'administration et d'investissement du Fonds de résolution constituent des aspects essentiels du mécanisme de résolution unique et ne doivent pas relever d'actes délégués ;

Souhaite qu'un rapport annuel du Conseil de résolution unique comprenant les comptes définitifs, un rapport sur les activités de résolution ainsi qu'un rapport de gestion du Fonds de résolution soit transmis au Conseil, au Parlement européen et aux Parlements nationaux ;

Constate que le recours à un accord intergouvernemental soustrait une partie du Mécanisme de résolution unique à la procédure législative ordinaire de l'article 114 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne ;

Insiste en conséquence sur la nécessité d'en limiter strictement le champ aux conditions des transferts et de la mutualisation des contributions au fonds de résolution unique ;

Considère que, dès lors que la revue des établissements de crédit menée par la Banque centrale européenne aura établi une évaluation impartiale des situations bancaires et en particulier de l'héritage des situations antérieures, la période de mutualisation des compartiments nationaux du Fonds de résolution unique pourrait être réduite à 5 ans ;

Juge en revanche que, au regard des contraintes prudentielles pesant sur les établissements de crédit, la durée de 10 ans de constitution du Fonds de résolution ne doit pas être réduite ;

Demande au Gouvernement de défendre et de faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.

ANNEXE 1

ANNEXE 2 - LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

À Bruxelles :

Conseil européen

- M. Jean-Pierre VIDAL, membre du cabinet de M. Hermann VAN ROMPUY, président du Conseil européen.

Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

- M. le Ministre conseiller Benoît de la CHAPELLE, responsable de l'agence financière.

À Paris :

Ministère de l'économie et des finances

- Mme Muriel LACOUE-LABARTHE, conseillère Europe au cabinet de M. Pierre MOSCOVICI, ministre de l'économie et des finances.

Banque centrale européenne

- M. Benoît COEURÉ, membre du directoire.

BNP Paribas

- M. Jean CLAMON, délégué Général ;

- M. Jean-Jacques SANTINI, responsable de la Direction des Affaires Institutionnelles ;

- M. Mark VENUS, responsable du Département Redressement et Résolution.

Crédit Agricole France

- M. Jérôme BRUNEL, directeur des affaires publiques.

Fédération bancaire française

- Mme Marie-Anne BARBAT-LAYANI ;

- M. Bernard PIERRE, chargé de mission Prudentiel au Département Supervision Bancaire et Comptable ;

- Mme Séverine de COMPREIGNAC, directrice des Affaires publiques.

Fitch Ratings

- M. James LONGSDON ;

- M. Alain BRANCHEY.

Expert

- M. Paul JORION.


* 1 Un accord politique est intervenu entre le Conseil et le Parlement européen sur les deux directives dont l'adoption formelle doit intervenir au Parlement européen en avril 2014.

* 2 Une synthèse de la règlementation bancaire, en vigueur et en cours de négociation, est présentée en annexe 1.

* 3 Le traitement de la part des dépôts des personnes physiques et des PME dépassant 100 000 euros sera laissé à l'appréciation de chaque autorité de résolution qui pourra soit leur appliquer un traitement préférentiel soit les exclure en totalité du renflouement interne.

* 4 L'adoption du règlement sur le Mécanisme de résolution unique requiert une majorité qualifiée au Conseil (article 114 du TFUE sur le renforcement du marché unique). Le règlement ne pourra entrer en vigueur avant l'entrée en vigueur de l'AIG qui interviendra une fois qu'il aura été ratifié par des États membres représentant au moins 80 % du capital de la Banque centrale européenne.

* 5 Pour des montants au-delà de 20 % du capital payé au fonds ou de plus de 10 % du fonds ou lorsque 5 milliards d'euros auront déjà été utilisés au cours de l'année.

* 6 Source BNP Paribas

* 7 L'assiette de contribution individuelle est le rapport entre les « passifs totaux hors fonds propres et dépôts couverts » de l'établissement contributeur et les « passifs totaux hors fonds propres et dépôts couverts » de l'ensemble des établissements de la zone euro.

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