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N° 215

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 décembre 2015

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 34-1 DE LA CONSTITUTION,

tendant à simplifier les normes réglementaires applicables aux entreprises ,

PRÉSENTÉE

Par Mme Élisabeth LAMURE, M. Philippe ADNOT, Mme Annick BILLON, MM. Gilbert BOUCHET, Olivier CADIC, Michel CANEVET, René DANESI, Serge DASSAULT, Francis DELATTRE, Mme Jacky DEROMEDI, MM. Philippe DOMINATI, Michel FORISSIER, Alain FOUCHÉ, Jean-Marc GABOUTY, Alain JOYANDET, Guy-Dominique KENNEL, Mmes Valérie LÉTARD, Patricia MORHET-RICHAUD, M. Claude NOUGEIN, Mme Sophie PRIMAS, MM. André REICHARDT, Michel VASPART, Jean-Pierre VIAL et Jean-Claude LENOIR,

Sénateurs

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 28 mars 2013, le président de la République François HOLLANDE annonçait aux Français un « choc de simplification » qui devait notamment « accélérer le développement des entreprises ».

Plus de deux ans plus tard, le bilan reste encore trop maigre. Si des mesures ont déjà été prises, notamment à l'initiative du Conseil de la simplification pour les entreprises, de nombreuses annonces n'ont pas encore été suivies d'effet.

Plus globalement, la démarche suivie peut laisser sceptique : des trains de mesures de simplification sont successivement annoncés sans que l'on puisse connaître avec précision l'état d'avancement de chacune d'entre elles, ce qui risque d'essouffler et de démotiver les différents acteurs, perdus dans un foisonnement d'initiatives non hiérarchisées, pas toujours bien calibrées et peu suivies. Le sentiment peut apparaître désormais d'une complexification de la simplification.

En témoigne la récente circulaire, en date du 12 octobre dernier, signée du Premier ministre, sur l'évaluation préalable des normes et la qualité du droit. Comment ne pas s'étonner que cette circulaire systématise l'évaluation des normes pour les collectivités territoriales, mais pas pour les entreprises ? S'agissant des entreprises, cette évaluation n'est en effet prévue que si l'impact prévisible des normes est jugé « significatif ». Caractère significatif qu'il reviendra à chaque ministère d'apprécier, même si la circulaire propose comme seuil un impact de 500 000 € pour l'ensemble des entreprises de France et 10 000 € pour une seule entreprise. L'établissement de seuils, du reste, n'est pas un gage de simplification. Le Gouvernement recule ainsi par rapport au principe d'évaluation de l'impact des normes pesant sur les entreprises, principe établi par une autre circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2013.

C'est la même circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en oeuvre du « gel » de la réglementation qui posait le principe de la compensation de l'ajout d'une norme réglementaire par la suppression ou l'allègement d'une autre de charge équivalente. En réponse à une question orale avec débat, discutée le 10 juin dernier au Sénat à la demande de la Délégation aux entreprises, le secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification a tiré un bilan positif de cette circulaire, sans dissimuler toutefois que ce texte n'était qu'un « premier pas ». Il est évident que donner à l'objectif de simplification la priorité qu'il mérite - au vu notamment de la situation des entreprises - suppose un changement de culture administrative. Une circulaire, si utile soit-elle, ne peut y suffire dans la durée ; il est temps, dans le respect de l'autonomie du pouvoir réglementaire, que soit consacrée par décret en Conseil d'État la règle « une norme réglementaire nouvelle pour une norme supprimée de coût équivalent ».

Le Sénat ne peut se résoudre à ce que la simplification ne soit plus une véritable priorité, au-delà des effets d'annonce. Il ne peut davantage laisser le champ libre, via des seuils et des critères imprécis, à l'adoption de nouveaux textes réglementaires et à cette tyrannie des normes qui trahit au fond la persistance d'un sentiment diffus, peut-être inconscient, de défiance à l'égard de nos entreprises.

Car au-delà des postures idéologiques, la simplification est un enjeu pour la compétitivité de nos entreprises, donc pour l'emploi, donc pour chacun de nos concitoyens. C'est un enjeu aussi en raison du dynamisme de certains pays en la matière qui recrée un avantage concurrentiel en leur faveur, à l'instar du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de la Belgique, des Pays-Bas, ou du Danemark. Le Gouvernement semblait en être convaincu, comme l'a fait valoir au Sénat M. Thierry MANDON, alors secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification, lors du débat du 10 juin dernier.

Il y a effectivement urgence pour relancer la simplification et il n'est pas possible de se résoudre à un essoufflement en la matière: chaque jour, ce sont des millions d'heures qui sont perdues, donc des millions d'heures de moins pour la productivité et la compétitivité, chaque jour, ce sont plus de 150 entreprises qui disparaissent dans notre pays (un plus haut depuis...1990 !), dont certaines exsangues à force de tracasseries et de charges administratives...

« Laissez-nous travailler ! » : c'est ce cri du coeur que, depuis sa création il y a moins d'un an, la Délégation sénatoriale aux entreprises a entendu sur le terrain à chacun de ses déplacements. Aucun des deux cents entrepreneurs qu'elle a rencontrés n'a ressenti le « choc de simplification » annoncé, tous ont dénoncé le flux permanent de règles nouvelles, au point que certains ont confié ne plus lire les lois qui sont publiées, au risque d'être hors-la-loi. Toutes ces entreprises ont indiqué à la Délégation que la complexité et l'instabilité des normes étaient un frein majeur à leur croissance. La simplification administrative est pour elles une nécessité vitale. Il faut en finir avec le paradoxe français qui combine frénésie réglementaire et lenteur administrative.

La présente proposition de résolution se fait l'écho de ces remontées de terrain 1 ( * ) , qui ont permis d'identifier des orientations générales propices à une simplification de l'environnement administratif des entreprises mais aussi des points précis de complexité. Elle vise à marquer la détermination du Sénat sur ce sujet majeur pour notre économie et pour notre démocratie, tant il peut contribuer à rétablir la confiance des entrepreneurs envers ceux qui font la loi et en assurent l'exécution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 34-1 de la Constitution,

Considérant le désavantage compétitif que subissent les entreprises produisant en France du fait de la lourdeur du cadre administratif auquel elles sont assujetties et qui résulte à la fois du cumul des normes existantes et du flux permanent de normes nouvelles,

Considérant la nécessité de relancer et d'accentuer l'effort de simplification des normes auxquelles les entreprises sont soumises dans un climat économique marqué par une concurrence internationale croissante,

Considérant l'urgence de mettre en oeuvre des mesures concrètes et le retard pris par le Gouvernement en la matière,

Considérant l'impact que de telles mesures pourraient avoir pour l'emploi alors même que le taux de chômage ne se réduit pas,

Invite le Gouvernement à :

- adopter prioritairement les textes d'application des mesures législatives visant à simplifier la vie des entreprises comme, par exemple, le décret en application de l'article 53 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives, toujours en attente de publication, qui permettrait d'alléger le processus de mise à jour du document unique à l'usage des très petites entreprises (TPE) ;

- revoir la complexité et adapter à la taille des entreprises les exigences de certains formulaires, comme la Déclaration obligatoire d'emploi des travailleurs handicapés ;

- harmoniser les définitions retenues par diverses administrations pour certaines notions emportant plusieurs obligations légales, comme la notion d'effectif d'une entreprise dont la mesure obéit à des règles différentes selon les obligations applicables;

- introduire un seuil dans le décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable, en-deçà duquel ces investissements étrangers ne nécessiteraient pas l'autorisation préalable du ministre chargé de l'économie;

- systématiser la mise en oeuvre du programme « Dites-le nous une fois », par exemple en supprimant le tableau exigé des entreprises soumises à l'IS retraçant l'affectation du résultat et divers renseignements et en simplifiant les déclarations annuelles réglementaires en matière d'activités polluantes;

- mutualiser le travail de collecte des données entre statistiques publiques et professions pour éviter les doublons et gagner en productivité, tout en répondant aux attentes à la fois des entreprises et des administrations, et ne pas imposer de nouvelle obligation statistique aux entreprises sans en supprimer une de même poids ;

- amplifier l'effort de simplification de l'enregistrement des actes de sociétés en ne le limitant pas à la suppression de l'obligation d'enregistrement des seuls actes constitutifs d'une société, mais en l'étendant aux actes liés à la prorogation, à la transformation, à la dissolution, à l'augmentation ou la réduction du capital ou à la cession de parts sociales d'une société ;

- alléger et harmoniser les contrôles supportés par les entreprises et, en particulier, accélérer l'amélioration de la coordination des contrôles au niveau départemental proposée par le Conseil de la simplification pour les entreprises ;

- simplifier et accélérer les processus de création de normes et d'agréments techniques afin de ne pas freiner l'innovation et de faciliter l'accès des nouveaux entrants et des entreprises innovantes aux procédures d'évaluation technique et de certification ; en particulier, rendre plus transparente la procédure dite « du titre V » assurant la prise en compte des nouvelles solutions technologiques au sein de la réglementation thermique, et prévoir un mécanisme de médiation externe et indépendante pour permettre aux entreprises de disposer d'un recours rapide en cas de litige concernant l'éligibilité de leurs produits aux certificats d'économie d'énergie et aux aides fiscales comme le Crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) ;

- assouplir et simplifier la règlementation en matière de santé au travail, notamment s'agissant de la visite médicale d'embauche, pour permettre son respect par les entreprises malgré la pénurie médicale ;

- écarter toute interprétation maximaliste du principe de précaution, notamment en matière de construction et en matière sanitaire, et, à ce titre, revoir la réglementation relative à l'autorisation de nouveaux auxiliaires technologiques pour la fabrication de denrées alimentaires en commençant par supprimer la double consultation préalable de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail;

- adopter un principe de confiance a priori en matière fiscale et supprimer en conséquence certaines obligations déclaratives comme le dépôt du formulaire DAS 2 sur la déclaration des honoraires ;

- étendre et accélérer la délivrance de « rescrits » ou avis opposables de l'administration en matière fiscale comme en matière sociale, sources de sécurité juridique dans un contexte de complexité et d'instabilité normatives ;

- faire évoluer la culture et les pratiques professionnelles de l'URSSAF de sorte qu'un climat de confiance avec les entreprises puisse progressivement être instauré, par exemple en donnant une base légale à la visite-conseil ;

- veiller à retenir, pour l'application des actes de l'Union européenne, les modalités les plus simples pour les entreprises françaises et les moins susceptibles de les disqualifier au regard de la concurrence étrangère ; par exemple, revoir les modalités de délivrance des licences d'exportation pour que ces licences soient délivrées aussi vite que dans les pays voisins, ou encore permettre aux caves coopératives de procéder à une seule déclaration de récolte au nom de tous les viticulteurs associés ou adhérents de cette cave, comme l'autorisent les articles 8 et 9 du règlement (CE) n°436/2009 de la Commission du 26 mai 2009 ;

- consacrer par un décret en Conseil d'État la règle posée par la circulaire du 17 juillet 2013 selon laquelle toute introduction d'une norme réglementaire constituant une charge pour les entreprises s'accompagne de la suppression ou de l'allègement d'une charge équivalente, règle qui n'est pas applicable aux textes assurant la stricte transposition d'un acte de l'Union européenne ou la stricte application d'une loi ;

- soumettre à des représentants d'entreprises et du monde économique les projets de normes applicables aux entreprises afin d'évaluer la qualité des études d'impact réalisées par chaque ministère sur ces projets;

- adopter une attitude plus ambitieuse et volontariste en matière de simplifications à destination des entreprises en systématisant l'évaluation des normes les concernant et en revenant à cet effet sur la rédaction de la circulaire du Premier ministre, en date du 12 octobre 2015.


* 1 Qui ont fait l'objet d'un rapport d'information, Les échos du terrain: six mois de rencontres avec les entrepreneurs , n° 641 (2014-2015) de Mmes Élisabeth LAMURE, Annick BILLON, M. Gilbert BOUCHET, Mme Nicole BRICQ et M. Henri CABANEL, fait au nom de la Délégation aux entreprises et déposé le 16 juillet 2015.

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