Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technoloqiques

28 mars 2007 - organisée par MM. Pierre Laffitte et Claude Saunier dans le cadre de l'étude sur "Les apports de la science et de la technologie au développement durable"

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INTRODUCTION GÉNÉRALE :
DU CHOC CLIMATIQUE AU CHOC BIOLOGIQUE

Pierre LAFFITTE

Mesdames et Messieurs, je vous remercie d'assister à cette première audition publique sur la seconde partie de notre étude. Celle-ci a été intitulée « La biodiversité, l'autre choc », en référence à un premier choc, le choc énergétique, dont l'étude des conséquences a été présentée au mois de juin 2006.

La démarche générale de cette étude consiste à analyser les apports de la science et de la technologie au développement durable. La première partie, intitulée « Changement climatique, transition énergétique : dépasser la crise » , visait à dénoncer notre modèle énergétique mondial. En effet, à l'occasion des missions que nous avons réalisées dans plusieurs pays étrangers, notamment en Chine, aux Etats-Unis et au Japon, mais également au contact d'un grand nombre de scientifiques, qui nous ont fait part de leur immense inquiétude à ce sujet, nous avons constaté que le changement climatique a déjà produit un certain nombre d'effets.

Notre rapport a été élaboré en suivant la méthode traditionnelle de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, c'est-à-dire en tirant des conclusions à partir d'une série d'auditions d'acteurs scientifiques et en formulant les propositions législatives ou réglementaires nécessaires pour que ce type d'étude ne reste pas dans les tiroirs mais se traduise par des décisions au niveau politique.

Nous avons tout d'abord proposé d'intégrer la prise en compte du changement climatique dans les mécanismes de la mondialisation. Il convient en effet que, lorsqu'ils élaborent des règles internationales, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et les autres organismes internationaux tiennent compte de ces problèmes, qui sont par nature mondiaux et qui concernent l'avenir de la planète.

S'agissant de la France, nous avons indiqué que nous souhaiterions créer une fiscalité spécifique pour financer la transition énergétique. Bien que cette proposition soit loin de faire l'unanimité, elle nous semble constituer une solution concrète nécessaire. Ainsi, avons-nous suggéré :

que la taxe d'importation sur les produits pétroliers (TIPP) soit augmentée de 1 % chaque année pendant dix ans ;

qu'une vignette « carbone » soit établie ;

qu'une taxe spécifique pour la circulation des poids lourds sur autoroute soit introduite.

Il conviendrait également d'élaborer des structures qui intègrent la notion de transition énergétique, au plus haut niveau de l'Etat, avec des responsables de projet pour le développement de chacune des filières énergétiques.

Il s'agit d'opérations lourdes nécessitant une décision à long terme et concernant l'ensemble du pays. C'est pourquoi ce rapport a été élaboré par des représentants des partis politiques de droite comme de gauche. Le développement durable ne doit pas en effet être envisagé comme un problème de « politique politicienne » mais comme une question politique au sens noble du terme, c'est-à-dire un problème d'avenir.

Claude SAUNIER

Je remercie non seulement les intervenants d'avoir répondu à notre invitation mais également les participants qui ont choisi d'assister à cette journée d'audition publique. Celle-ci prend place dans un dispositif institutionnel classique, au cours duquel nous invitons des personnalités scientifiques à nous transmettre un certain nombre d'informations que nous pourrons par la suite intégrer dans notre rapport.

En prolongement des propos de Pierre Laffitte, je vous présenterai le contexte dans lequel s'inscrit ce rapport ainsi que le déroulement de la journée.

Ce rapport, consacré à la biodiversité, constitue la suite logique du travail que nous avons réalisé il y a quelques mois sur la crise climatique. Nous nous sommes inspirés de la même méthode et de la même philosophie, consistant à intégrer la question du développement durable au sein de la réflexion politique. Pour ce faire, nous avons tenu à utiliser une approche positive et constructive et à ne pas nous contenter de lancer des alertes visant à effrayer nos concitoyens.

Néanmoins, nous avons constaté qu'à la différence du sujet précédent, auquel le public commence à être sensibilisé, nous avons un certain retard à rattraper en matière de biodiversité.

Le Sénat est néanmoins très en avance dans cette démarche puisqu'il y a quelques mois, à l'initiative de Marie-Christine Blandin, dont je salue la présence parmi nous, de Jean-François Legrand et d'Hubert Reeves, des Assises intitulées « Ensemble pour la biodiversité » y ont été organisées. A l'issue de cette journée, l'idée de la création d'un groupe interparlementaire devant mener une réflexion approfondie sur le développement durable a été lancée.

Ces approches, dont il convient de souligner la convergence, nous semblent d'autant plus nécessaires que la problématique des menaces pesant sur la biodiversité n'est pas encore ancrée dans les esprits de nos concitoyens.

Les premiers contacts que nous avons eus avec différents acteurs scientifiques nous ont amenés à formuler un certain nombre de constats très généraux.

Tout d'abord, en nous entretenant avec certains d'entre vous, nous avons acquis la conviction que nous connaissions, depuis plusieurs décennies, une crise majeure du monde vivant se traduisant par un risque fort d'effondrement de la biodiversité. C'est pourquoi nous avons délibérément choisi de sous-titrer notre rapport « l'autre choc », en guise de réplique au « premier choc », c'est-à-dire le choc énergétique, celui dont tout le monde a conscience.

Par ailleurs, ce choc illustre le télescopage des deux évènements majeurs qui structureront l'avenir de la planète et de l'humanité dans les prochaines décennies.

Il s'agit, d'une part, de l'établissement d'un nouveau rapport de force entre la planète et l'humanité. En effet, nous ne pouvons pas envisager de passer impunément d'une planète peuplée par un milliard d'hommes en 1800 à six milliards d'individus en 2000 et près de neuf milliards en 2050, d'autant plus que, parallèlement, ces individus ont vu leurs pouvoirs scientifiques et technologiques s'accroître considérablement.

D'autre part, qu'il s'agisse de la biodiversité ou de la crise énergétique, il convient de prendre en compte l'accélération du temps. En effet, si au cours de l'histoire notre planète a fait preuve d'une extraordinaire capacité d'adaptation, celle-ci n'a été possible que parce qu'elle s'est effectuée dans des durées longues.

A partir de ces conclusions, nous avons dégagé trois grandes questions qui structurent à la fois notre rapport et l'organisation de nos présents débats.

Nous pouvons tout d'abord nous demander quelle est la réalité de la situation. En d'autres termes, comment évolue la biodiversité et quels sont les risques qui la menacent ?

Et, puisqu'il nous semble acquis que la biodiversité régresse, nous pouvons nous interroger sur les mesures qui doivent être prises, immédiatement et dans le terme, pour éviter le pire.

Enfin, dans le souci de dépasser la crise, la question se pose de savoir comment, à travers une meilleure connaissance de la biodiversité, l'humanité peut se donner de nouvelles perspectives de développement.

En conclusion, aujourd'hui, notre principal objectif consiste à vous écouter. En effet, malgré quelques intuitions, que nous sommes d'ailleurs tout à fait prêts à remettre en cause, nous n'avons aucune certitude. La démarche du politique se distingue sur ce point de celle du scientifique. En effet, alors qu'il est souvent attendu des politiques qu'ils affichent des certitudes, nous allons épouser la démarche scientifique qui consiste à mettre en avant le doute et l'interrogation.

I. PREMIÈRE TABLE RONDE : CONNAÎTRE LA BIODIVERSITÉ

Participaient à la table ronde :

? René BALLY , Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Directeur de l'UMR « Écologie microbienne »

? Robert BARBAULT , Université Pierre et Marie Curie, Directeur du laboratoire « Écologie, biodiversité, évolution et environnement »

? Jean BOUCHER , Directeur de recherche à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER)

? Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS , Directeur de recherche à l'Institut national de recherche agronomique (INRA)

? Bernard MALLET , Directeur adjoint du département « Environnement et sociétés » du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)

? Christine SOURD , Directrice adjointe chargée de la biodiversité, World Wildlife Fund (WWF)

? Simon TILLIER , Professeur au Muséum national d'histoire naturelle.

Pierre LAFFITTE

Il m'appartient d'introduire très brièvement cette table ronde sur la biodiversité.

Je préciserai tout d'abord que celle-ci constitue une réalité mal connue. Il suffit en effet de rencontrer certains élus locaux de province pour constater les réactions négatives qu'engendre la protection de la diversité, qui semble aller à l'encontre d'un certain nombre d'intérêts économiques. Ces réactions prouvent que, si la population est consciente du dérèglement climatique, elle n'est pas convaincue de la nécessité d'examiner, d'étudier et de comprendre les menaces pesant sur la biodiversité. De même, les apports de la biodiversité demeurent largement méconnus.

Les dernières découvertes scientifiques, notamment en matière de biologie moléculaire, qui permet d'appréhender le capital génétique des espèces, ont démontré que, contrairement à ce que nous croyions il y a 25 ans, l'étendue et la variété des espèces visibles et des bactéries sont encore loin d'être totalement appréhendées.

Cette méconnaissance de la réalité qui nous entoure constitue un premier problème.

Grâce aux méthodes d'exploration océanique à grande profondeur, nous avons pu apercevoir de nouvelles formes de vie, évoluant dans un environnement très différent. Ces observations sont un exemple de la nécessité d'approfondir nos connaissances en termes de nouvelles espèces et d'étude des écosystèmes.

Ce dernier point est important, car jusqu'à présent les espèces ont fait l'objet d'études beaucoup plus importantes que les écosystèmes. Des efforts prononcés doivent donc être réalisés dans ce domaine.

Claude SAUNIER

Nous avons déjà recueilli un certain nombre d'informations sur l'état de la biodiversité et son évolution. Je me permettrai, en toute modestie, de vous faire part de nos premières observations.

L'essentiel de notre constat se résume en quelques formules.

Le bilan de la biodiversité apparaît catastrophique. Le rythme de disparition des espèces s'accélère. Ainsi, au cours des 200 dernières années, toutes espèces confondues, ce rythme aurait été de 10 à 100 fois supérieur au rythme naturel observé au cours des derniers 500 millions d'années. D'ici 2050, selon les espèces, ce rythme de disparition pourrait passer, selon les espèces considérées, à un rythme de 100 à 1000 fois supérieur au rythme normal.

Au-delà des chiffres, il convient de garder à l'esprit l'orientation générale de cette alerte.

Certains biotopes sont particulièrement menacés.

Les milieux humides et les eaux continentales ont vu une réduction de la biodiversité de 37 % au cours des trente dernières années.

Dans l'Atlantique Nord, la chaîne pélagique, telle qu'elle a été mesurée par l'IFREMER, a connu une perte de biodiversité de l'ordre de 7 %.

Nous avons également assisté à une disparition de 20 % des coraux en trente ans. Je rappelle à ce titre, qu'au travers de sa présence en Guyane, à La Réunion et dans le Pacifique, la France a une responsabilité majeure en termes de préservation de la biodiversité, notamment au niveau maritime.

Par ailleurs, il ne reste que 7 % de la forêt tropicale sèche de Madagascar tandis que la forêt tropicale humide perd chaque année 13 millions d'hectares.

La biodiversité européenne elle-même est atteinte au travers de la pollution des eaux continentales, notamment par les pesticides. En dehors des zones protégées, la faune avicole y aurait diminué de 50 % à 70 % au cours des dernières décennies.

En ce qui concerne les océans, la principale cause de cet effondrement réside dans la surpêche, illustrée par la surexploitation des bancs de Terre-Neuve. Telle qu'elle est pratiquée, qu'elle soit artisanale ou industrielle, la pêche dévaste les ressources halieutiques, d'autant plus que les moyens techniques modernes permettent le chalutage en grande profondeur, altérant ainsi des réserves qui ne se renouvellent pas au rythme de la prédation. A titre d'exemple, il semble que dans certains secteurs de la Mer du Nord, les fonds marins soient dragués deux fois par an, ce qui est très préoccupant au regard des dégâts provoqués par le chalutage.

L'exploitation forestière non contrôlée constitue une seconde cause de cet effondrement. La forêt est très menacée en Asie du Sud-Est. Au Brésil, le déboisement s'effectue à marche forcée, la forêt amazonienne étant elle-même atteinte. Si l'essentiel (80 %) de la déforestation au Brésil est imputable à la consommation intérieure et, curieusement, à la fabrication de charbon de bois à des fins sidérurgiques, nous avons, en tant que consommateurs, une responsabilité partagée en ce qui concerne la recherche de bois précieux.

La perte de biodiversité s'explique également par l'anthropisation directe. A ce titre, j'évoquais précédemment le rapport entre l'espace, la nature et l'humanité. Ainsi, l'Allemagne perd-elle chaque jour 100 hectares d'espaces naturels, du fait de l'urbanisation, des équipements, de la minéralisation des sols.

Au Brésil, le tracé d'une nouvelle route dans un espace naturel suppose des impacts graves sur la biodiversité à 50 km de part et d'autre de cette route.

La quatrième raison de l'altération de la biodiversité réside dans la mondialisation des échanges. Ainsi, dans les grands lacs américains, nous avons découvert les effets indirects du développement des transports maritimes au travers de la pollution biologique liée aux eaux de ballastage, avec l'apparition de nouvelles espèces, comme la moule tigrée ou la lamproie de mer, qui déstructurent complètement les équilibres de la biodiversité de cette région du monde. Étant moi-même originaire de Bretagne, j'évoquerai la rupture de l'équilibre de la biodiversité liée à l'invasion des crépidules sur toutes les côtes de la Manche.

En guise d'illustration de ces dégâts, je vous présente quelques photos prises en Guyane, où j'ai été accueilli par le CNRS pendant quelques jours. Sur ces photos, vous pouvez constater la différence qui existe entre la forêt guyanaise telle que nous en rêvons et les parties ravagées par l'orpaillage.

Lors d'un survol en hélicoptère d'une demi-heure, pour rejoindre la base du CNRS, nous avons pu observer quinze à vingt chantiers d'orpaillage. Une partie significative de ces chantiers est illégale, ce qui pose une véritable question politique. En effet, le département de la Guyane fait-il partie de la République française ou s'agit-il d'une zone de non-droit ?

Robert BARBAULT

Suite à cette magistrale présentation de l'ensemble des problèmes qui affectent la biodiversité, je m'exprimerai d'une manière qui paraîtra sans doute simpliste aux yeux des spécialistes présents dans la salle.

Le fait que le terme « biodiversité » se réfère principalement à l'étude de petits papillons, d'oiseaux, de microbes, etc. explique le désarroi des citoyens face à cette thématique.

Il conviendrait donc de la présenter autrement, en insistant sur le fait qu'il s'agit du « tissu vivant de la planète », donnant ainsi une autre dimension au problème de la biodiversité. En effet, notre présence sur cette planète n'a été possible que parce que la vie s'y est installée et développée, permettant ainsi la constitution de l'atmosphère.

Par conséquent, au-delà des milliards d'espèces, de microbes de plantes, d'animaux, d'êtres humains etc. qui la composent, la biodiversité se caractérise par une multitude d'interactions qui forment le tissu vivant, système dont toutes les mailles sont liées et qui vont plus loin qu'un simple catalogue d'espèces.

Marqué par une immense diversité génétique, à l'origine de toutes les diversités du vivant, ce tissu fait système, dans un écosystème et une biosphère au sein desquels les sociétés d'hommes se sont développées.

Celui-ci connaît actuellement un certain nombre de problèmes, dus au succès de l'espèce humaine et notamment à la multiplication de ses besoins liée à la croissance d'une population de plus en plus consommatrice.

Ce n'est que récemment que nous avons pris conscience du fait que l'accroissement de ces activités nous conduisait à détériorer le système qui sert à notre propre développement, la civilisation moderne s'étant fondée sur une séparation totale entre les hommes et la nature. Alors que nous étions en train de scier la branche sur laquelle nous étions assis, nous avons pendant longtemps relativisé cette réalité, soit par incompréhension, soit parce qu'elle aurait dérangé un certain nombre d'intérêts.

Ces interactions, qui doivent être prises en compte à l'échelle de la planète, sont néanmoins particulièrement difficiles à analyser en raison de la complexité du vivant, qui s'est élaboré sur des milliards d'années. Nous ne mesurons pas en effet le caractère précieux de cette biodiversité, fruit d'un temps extrêmement long, d'évolutions, d'inventions et d'interactions subtiles, y compris de coévolutions dont nous avons bénéficié.

Ainsi, la diversité sauvage n'est-elle pas la seule à être menacée. Il convient également de prendre en compte la diversité domestique que nous avons contribué à créer et à entretenir pour nos propres besoins. Le type de développement économique que nous avons adopté se traduit en effet par des risques d'appauvrissement des variétés domestiques, animales et végétales.

En définissant le sujet de cette façon, il est évident que, si les disciplines naturalistes classiques (la systématique, l'écologie, etc.) sont les premières concernées, les disciplines biologique et génétique ainsi que l'ensemble des compétences en sciences sociales méritent d'être mobilisées, pour mieux appréhender les relations entre systèmes naturels et systèmes sociaux.

L'ampleur des connaissances à utiliser explique qu'il soit aussi difficile de communiquer sur ce sujet. Néanmoins, c'est également ce qui peut nous encourager à chercher de nouvelles solutions en termes de relance de l'économie des sociétés humaines.

Bien que nous n'en manquions pas, ces connaissances sont fragmentaires. Ainsi, en termes d'inventaire du vivant, nous constatons que 90 % des espèces n'ont pas été identifiées. S'agissant du fonctionnement de ces écosystèmes, en revanche, il existe tout de même une science écologique qui a donné lieu à des développements en termes de modélisation, d'analyse mathématique de la bio-complexité, de savoirs génétiques, etc.

Néanmoins, des défis scientifiques considérables demeurent, ce qui me semble plutôt stimulant.

Ainsi, si nous sommes confrontés à une crise sérieuse, il me semble que nous avons les moyens d'y répondre, à condition de poser les problèmes clairement. En termes de lacunes, outre le fait que nous ne connaissons pas suffisamment le nombre d'espèces, nous avons besoin de développer des instruments de suivi et de quantification des changements. En effet, dans la mesure où nous nous situons dans un monde marqué par les conflits d'intérêt, nous devons pouvoir nous appuyer sur des données fiables, allant au-delà du sentiment que tout se dégrade, ce qui requiert la mise en place d'observatoires de suivi de la biodiversité et d'indicateurs.

René BALLY

J'aimerais vous faire part de l'extraordinaire diversité des micro-organismes. Ces derniers ne sont en effet pas très souvent évoqués, contrairement aux espèces végétales et animales. Il s'agit pourtant des organismes vivants les plus nombreux sur terre.

Cette diversité est inégalement répartie sur la planète. Ainsi, existe-t-il des « hot spots » de biodiversité, qui sont malheureusement, comme l'île de Madagascar, ceux qui posent le plus de problèmes en termes d'urbanisation, de pollution et de déforestation.

Or lorsqu'une une forêt de baobabs, comme celle de Menabe à Madagascar, disparaît, nous perdons l'opportunité de connaître toute une microflore associée à ces plantes.

Nous ne connaissons en effet que très peu des près de 10 29 à 10 30 cellules procaryotes, c'est-à-dire un nombre considérable d'espèces, qui existent sur terre. A titre d'exemple, un gramme de sol représente un milliard de micro-organismes, soit environ 10 000 espèces. Or nous n'en connaissons que 2 %, dans la mesure où nous sommes actuellement incapables d'isoler et de cultiver ces micro-organismes. Par conséquent, il est fondamental de mettre au point de nouveaux outils. Avec la méta-génomique et la génétique, nous commençons à disposer de méthodes de plus en plus fiables.

L'érosion de cette diversité, notamment dans les points chauds présentant des espèces endémiques végétales et animales particulières, qui n'ont pas encore été étudiées, représente une très grande perte en termes de micro-organismes. Je précise que, contrairement à une idée répandue, la plupart ne sont pas pathogènes.

Dans la majorité des cas en effet, ils sont nécessaires à la vie des plantes, des animaux, des humains, etc. En d'autres termes et pour paraphraser Robert Barbault, ils font partie du « tissu vivant ». Ces micro-organismes sont également utilisés par l'homme, qui a su les apprivoiser.

Il est donc urgent de mettre au point des outils pour pouvoir les isoler et les étudier.

Nous disposons déjà d'un certain nombre d'outils, comme la méta-génomique, c'est-à-dire la non-culture de ces organismes. Par ailleurs, un grand nombre d'études de taxonomie basées sur l'ADN 16S permettent de découvrir, à partir d'une phylogénie de l'ensemble de ces micro-organismes d'un prélèvement quelconque, de nouvelles espèces, dont certaines peuvent être très intéressantes non seulement pour les plantes et les animaux mais également pour l'homme.

Claude SAUNIER

Nous avons visité le laboratoire Craig Venter près de Baltimore, qui constitue semble-t-il une référence en matière de méta-génomique. Nous avons été très impressionnés par le dispositif dont il dispose.

Par ailleurs, s'agissant de la connaissance de la biodiversité, un risque majeur nous a été signalé. Il s'agit de la disparition « d'une espèce rare », les spécialistes en taxonomie. Comment entendez-vous résoudre ce problème ?

Les nouvelles technologies peuvent-elles, à elles seules, apporter une réponse en la matière ou n'avons-nous pas intérêt à réorienter un certain nombre de nos étudiants vers des études, a priori plus conventionnelles ?

René BALLY

Cette question fait l'objet d'un grand nombre de discussions au sein des organismes. Il est clair qu'actuellement nous manquons de taxonomistes classiques, c'est-à-dire de personnes capables d'identifier une espèce par l'étude de la morphologie et de la physiologie d'un être vivant. Néanmoins, les taxonomistes généticiens sont également nécessaires dans la mesure où les outils de la génétique nous permettent de déterminer un certain nombre d'espèces nouvelles.

En revanche, nous n'avons pas les moyens de réaliser des études similaires à celles des Américains, qui effectuent des prélèvements partout dans le monde.

Il est cependant essentiel, à l'heure actuelle, d'intégrer ces travaux dans le cadre d'études sur les écosystèmes et de l'impact de l'homme sur la biodiversité.

Pierre LAFFITTE

Des propos similaires nous ont été tenus à Kew Gardens ainsi qu'au Muséum national britannique.

Jean BOUCHER

Je traiterai plus spécifiquement du domaine marin, c'est-à-dire de la mer, des océans et de leur contenu en biodiversité, qui constitue un milieu particulièrement mal connu. En effet, d'une part, nous n'en voyons généralement que la surface et, d'autre part, il est plus difficile à explorer que le milieu terrestre.

Pour autant, le constat du choc de l'érosion de la biodiversité dans le domaine marin est établi et largement certifié.

Monsieur le Sénateur, vous avez évoqué précédemment la surconsommation des ressources de l'océan non seulement par la pêche mais également par l'ensemble des autres activités. A l'heure actuelle, 70 % des stocks halieutiques sont effectivement surexploités, ce qui est d'autant plus alarmant que la manière dont ils ont été exploités a transformé leur capacité à produire. Ainsi, nos habitudes de production pour le cabillaud de Terre-Neuve doivent-elles changer, les stocks ne produisant plus avec le même potentiel qu'auparavant.

Les nouvelles espèces en développement, quant à elles, ne sont pas exploitées dans la mesure où d'une part, nous ne les connaissons pas suffisamment et d'autre part, le consommateur n'a pas l'habitude de ce type de produit.

Par ailleurs, j'insisterai sur la nécessité d'obtenir cette connaissance et de la mettre à jour. A ce titre, je citerai un certain nombre de réseaux d'observation qui existent déjà. Ainsi, l'IFREMER développe-t-il de tels réseaux, qui ne sont pas spécifiquement dédiés à la biodiversité mais qui y concourent largement par l'observation des caractéristiques et de la qualité de l'environnement des espèces exploitées (l'abondance des stocks de poisson, l'activité de pêche, etc.).

Cette démarche a été reprise au niveau européen ainsi que dans chaque pays où des instituts équivalant à l'IFREMER ont organisé ce type d'observations, coordonnées par un certain nombre de réseaux.

De même, des programmes de recherches, ont été lancés, comme ceux de l'IFB ou de l'ANR. Je mentionnerai également le réseau MARBEF (Marine Biodiversity and Ecosystem Functioning), réseau d'excellence européen d'analyse de la biodiversité marine, qui constitue la partie opérationnelle actuelle du réseau BIOMAR (Biologie marine), qui a défini l'association de l'ensemble des instituts d'observation d'océanographie biologique pour la diversité de la faune ainsi que des systèmes de coordination.

Néanmoins, il me semblerait important d'augmenter notre capacité à mener ces observations et à les interpréter, en développant les systèmes de coordination existants ainsi que les programmes de recherche, afin de centrer ces actions sur la préoccupation et le concept de biodiversité. Enfin, il convient d'y consacrer des moyens afin de développer de nouvelles techniques d'acquisition de données.

Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS

Mon intervention portera sur les eaux douces. Je commencerai par affirmer qu'un grand nombre de groupes n'ont pas quitté les eaux. En effet, si nous connaissons bien les groupes terrestres comme les oiseaux, les mammifères et les végétaux supérieurs, toute une série de groupes, comme les algues, les poissons, les crustacés et les éponges vivent pour l'essentiel dans ces milieux aquatiques.

Par ailleurs, les milieux aquatiques d'eau douce sont souvent perçus essentiellement comme des milieux physiques. En d'autres termes, si nous nous intéressons à la fourniture d'eau en termes de ressources quantitatives, éventuellement au niveau de sa qualité physico-chimique, la présence d'un tissu vivant en son sein est souvent considérée comme accessoire. Ce phénomène trouve plusieurs explications.

Tout d'abord, les pêches vivrières d'eau douce sont notoirement sous-estimées dans leur importance alimentaire au niveau mondial dans la mesure où, directement consommées, elles font relativement peu l'objet de mise sur le marché.

Il s'agit actuellement de l'un des enjeux du développement durable. En Afrique, dans les deltas centraux des grands fleuves, on estime que moins d'une tonne de poisson par an suffirait à faire vivre une famille alors qu'en pêche industrielle maritime il faut pêcher 50 à 100 tonnes de poissons pour créer un emploi.

Par ailleurs, la capacité de ce tissu vivant à nous dispenser d'un certain nombre d'activités industrielles, comme l'épuration des eaux, n'est pas suffisamment mise en avant.

Par exemple, seule la moitié des nitrates parvient à l'embouchure de la Seine grâce à la dénitrification par la biodiversité qui a lieu tout au long du fleuve, notamment dans les zones de végétation du bord, permettant ainsi d'économiser près de 50 % du coût d'épuration des eaux.

Enfin, depuis près d'une cinquantaine d'années s'est créée une image artificialisée des masses d'eau. Selon cette image, un « beau plan d'eau » doit être canalisé, correctement entretenu, etc., ce qui va à l'encontre d'une gestion satisfaisante de la biodiversité.

Ainsi, le fait de laisser un fleuve divaguer permet-il d'entretenir et de renouveler les espèces. Les fleuves domestiqués, quant à eux, correspondent surtout à des critères d'efficacité économique et esthétique.

Dans le domaine de la biodiversité, la mondialisation a déjà commencé. Ainsi, les flux de polluants, les effets de réchauffement climatique ainsi que les invasions biologiques sont-ils désormais des phénomènes courants.

Or nous connaissons très mal les capacités d'adaptation de ces espèces. L'essentiel de nos connaissances biologiques est en effet fondé sur un petit nombre d'espèces et nous constatons un véritable déficit en la matière dès qu'il s'agit de nous prononcer sur les capacités d'adaptation d'une espèce face à l'accélération de la vitesse des changements.

Néanmoins, ce déficit de connaissances ne doit pas constituer une raison pour ne pas agir. Ainsi, nous devons dès maintenant nous mettre en situation de prendre des mesures, notamment de protection des habitats, tout en continuant à acquérir des connaissances sur ces milieux.

Bernard MALLET

Je profiterai du fait que vous avez diffusé quelques photos de la Guyane pour aborder le problème de ses forêts. Celui-ci constitue non seulement un bon exemple de la complexité des connaissances en matière de biodiversité mais il pose également un certain nombre de questions sur la finalité de cette connaissance.

La Guyane compte six à sept millions d'hectares de forêt. Chaque hectare comprend une centaine d'espèces d'arbres, un millier d'espèces végétales et sans doute quelques dizaines de milliers d'espèces de bactéries et d'insectes différents.

Par ailleurs, cette région connaît une très forte démographie ainsi qu'un taux de chômage très important. Par conséquent, les gestionnaires de la Guyane se sont demandé comment cette biodiversité de la forêt guyanaise pouvait concourir à générer du développement au niveau de la région et, partant, ce qu'il fallait en faire.

A ce titre, nous pouvons saluer l'officialisation récente du parc de la Guyane, qui avait été annoncée lors du Sommet de Rio en 1992.

Par ailleurs, s'est posée la question de savoir si une partie de cette forêt pouvait être gérée durablement, dans le but de fournir de l'emploi et des activités. Or cette entreprise s'est avérée plus difficile qu'il n'y paraissait dans la mesure où il ne suffisait pas de prélever les intérêts du capital que constitue la forêt pour que ce système fonctionne.

Les études menées en Guyane, à la fois sur le dispositif des Noura, que vous citiez tout à l'heure, mais également sur celui des Paracou, mis en place il y a une trentaine d'années et qui visait à examiner l'impact de l'exploitation forestière sur la dynamique de la forêt, ont montré que l'analyse de la diversité biologique devait s'effectuer aux trois niveaux dégagés par la Convention sur la biodiversité :

- au niveau de l'étude de l'écosystème, de sa dynamique, de la manière dont il se reconstitue, de l'évolution de son peuplement, des interactions entre ce peuplement et le sol, etc. autant de questions, qui supposent un certain nombre d'outils et de méthodes complexes ;

- au niveau des espèces, afin de connaître leur tempérament, leur évolution, leur dynamique, sachant que sur la centaine d'espèces forestières seules trois ou quatre intéressent réellement le marché du bois ;

- au niveau génétique, en s'interrogeant par exemple sur l'impact de l'exploitation des arbres dominants du Wacapou sur la dynamique génétique de ces espèces.

Une gestion durable de la forêt suppose donc des connaissances extrêmement complexes en matière d'écosystèmes. Au niveau de la Guyane, a été mise en place une unité mixte de recherche « écosystème forestier guyanais » au sein de laquelle la plupart des centres de recherche français travaillent (le CNRS, le CIRAD, l'INRA, l'IRD, etc.). Dans ce cadre, au fur et à mesure que nos recherches avancent, de nouvelles questions, que nous ne nous posions pas nécessairement au départ, apparaissent. Ainsi, il y a trente ans, lorsque les travaux ont commencé, le carbone n'était pas, contrairement à aujourd'hui, un enjeu majeur.

Par conséquent, il n'est pas simple d'acquérir des connaissances en matière de diversité biologique. Il s'agit avant tout d'une recherche pour l'action dans la mesure où elle doit nous conduire à formuler des propositions aux gestionnaires forestiers.

De plus, il ne suffit pas de connaître le mode de fonctionnement de cette biodiversité pour pouvoir présenter des propositions opérationnelles dans la mesure où la gestion de la forêt guyanaise dépend de considérations liées au marché, aux actions mises en oeuvre par les Brésiliens de l'autre côté de la frontière, etc.

Christine SOURD

Je donnerai un éclairage sur les indicateurs évoqués précédemment par Robert Barbault. En effet, tout le monde semble s'accorder sur la nécessité de mettre fin à l'érosion de la biodiversité, voire de tendre à son amélioration. Ainsi, lors de la sixième conférence des parties de la Convention pour la biodiversité, a-t-il été décidé par les pays signataires de réduire cette perte de façon significative d'ici à 2010, au niveau global, régional et national.

Afin de suivre l'accomplissement de ces objectifs, le WWF a lancé en 2000 un indicateur mondial de biodiversité, intitulé « indice planète vivante », qui a récemment été adopté par la Convention.

Cet indicateur est publié tous les deux ans, la dernière publication ayant eu lieu en septembre 2006. Il mesure l'évolution agrégée de 3 000 populations et de plus de 1 300 espèces choisies sciemment parmi les vertébrés (mammifères, oiseaux, reptiles, batraciens, poissons), qui représentent le groupe sur lequel nous disposons de données sur une période allant des années 1970 à aujourd'hui.

Ces espèces peuvent provenir de milieux terrestres, marins ou d'eau douce, qu'il s'agisse de climats tempérés ou tropicaux.

Lors de sa dernière publication en 2006, cet indicateur, qui était de valeur 1 en 1970, présentait un déficit de 29 % sur l'ensemble des espèces concernées. Au niveau terrestre, la décroissance s'élevait à 31 %, avec une certaine stabilisation pour les milieux tempérés contre une chute dramatique pour les milieux tropicaux, l'indicateur baissant dans ce cas à -55 %. Ces résultats sont essentiellement dus à la transformation des forêts dans ces régions, au profit de l'agriculture, de la sylviculture, de l'élevage et des autres activités détruisant ces milieux.

En ce qui concerne la partie marine de cet indicateur, nous constatons une baisse de 27 % de la biodiversité, avec là encore de très grandes différences entre les bassins océaniques.

Ainsi, si les bassins pacifiques, arctiques et atlantiques se situent à peu près autour de la valeur de démarrage de l'indicateur, qui varie néanmoins en fonction des populations concernées, dans les bassins océaniques du sud, australs, indonésiens, etc., nous constatons des chutes de plus de 60 %.

Pour les milieux d'eau douce, l'indicateur est de -28 %, avec un profil tout à fait similaire pour les milieux tempérés et tropicaux et de grandes disparités en fonction des espèces. Ainsi, alors que certaines populations d'oiseaux d'eau douce sont stabilisées, voire en accroissement, toutes les autres espèces de l'indicateur connaissent plus de 50 % de décroissance, due à la destruction des habitats, à la surpêche dans les eaux douces, aux espèces invasives, aux pollutions et aux perturbations des écosystèmes fluviaux et des zones humides.

Simon TILLIER

Puisqu'il m'a été demandé d'aborder la question des inventaires et compte tenu des allusions qui ont été effectuées au sujet de la responsabilité de la France en matière de biodiversité, je citerai un exemple, non pas celui de l'orpaillage dans la forêt guyanaise ou des récifs coralliens dont tout le monde parle, mais celui de la zone terrestre de Nouvelle-Calédonie, qui constitue le seul hot spot de biodiversité identifié mondialement sur le territoire français.

C'est pourquoi il me semble absolument extraordinaire que personne ne s'en préoccupe, d'autant plus qu'il s'agit d'un exemple parfait des conflits qui peuvent exister entre les intérêts locaux, le développement économique et le développement durable autour d'activités minières, qui ont lieu en ce moment même dans les plaines du sud de la Nouvelle-Calédonie.

Alors que depuis plus de cent ans, ces plaines du sud sont identifiées comme une zone de fort endémisme, l'absence d'inventaires complets et précis permet à la coalition de tous les intérêts, y compris à la paresse intellectuelle, de faire disparaître définitivement plusieurs milliers d'espèces de la surface de la planète, et ce depuis un territoire français.

S'il incombe avant tout au citoyen ou à la puissance publique de décider de procéder ou non à ces activités, il me semble scandaleux d'agir dans ce sens sans avoir préalablement approfondi nos connaissances en la matière, connaissances qui passent nécessairement par la réalisation d'inventaires de biodiversité.

? Les inventaires

Cette introduction ayant été effectuée, il convient de distinguer entre deux catégories d'inventaires, ce qui est d'autant plus difficile à faire que ceux-ci sont généralement réalisés par la même personne.

L'inventaire du vivant ou de la biodiversité constitue la première catégorie. Il consiste à acquérir des connaissances sur la biodiversité et, dans le domaine de la taxonomie, à décrire des espèces.

Les inventaires locaux ou régionaux de faune et de flore, qui sont les plus utilisés, constituent la seconde catégorie. Ils ne visent pas à obtenir des connaissances nouvelles ou à fixer le cadre conceptuel dans lequel nous analysons la biodiversité, mais à fournir des données qui doivent servir d'aide à la prise de décision ou à la prédiction de l'évolution de la biodiversité sur le plan local.

Ces inventaires sont importants pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, d'un point de vue purement scientifique, nous avons besoin de connaître les éléments qui constituent le réseau pour pouvoir analyser son fonctionnement, même si tous les scientifiques s'accordent à dire, à l'instar de Robert Barbault, que le système est plus important que chacune de ses parties.

Or, actuellement, nous ne connaissons que 10 % à 30 % de l'ensemble des espèces vivantes, ce qui pose un problème en termes d'analyse du fonctionnement des systèmes écologiques.

Par ailleurs, notre société perçoit son environnement vivant d'abord en termes d'espèces. Ainsi, si cette connaissance ne semble pas utile en termes de gestion, il n'en reste pas moins que pour interagir avec la société en matière d'environnement nous devons pouvoir informer les citoyens sur les espèces qui se trouvent dans leur jardin, leur commune, etc.

? Les progrès à effectuer en matière d'inventaires

En matière d'inventaire, deux grandes questions se posent. La première a trait à la création de nouvelles connaissances à l'aide de la taxonomie. En effet, nous savons désormais que nous n'avons décrit, sur le plan taxonomique, qu'une faible proportion des espèces vivantes. En outre, nous nous heurtons au problème de l'extrême lenteur de la démarche taxonomique classique. Avec le potentiel humain actuel, il faudrait au moins 1 000 ans pour décrire et nommer toutes les espèces vivantes. Nous ne pouvons donc pas nous permettre de procéder ainsi, d'autant plus que ces espèces auront disparu avant que nous ayons réussi à les identifier. En outre, les évolutions du cadre conceptuel et scientifique feront que les descriptions actuelles n'auront aucun sens dans 1 000 ans.

Par conséquent, il convient d'augmenter l'effort d'exploration qualitative de la biodiversité sur le plan taxonomique tout en mettant en oeuvre de nouvelles technologies, notamment les techniques moléculaires. A titre d'exemple, je citerai le « Barcode of Life », grand programme international, qui vise à identifier les espèces à l'aide d'une courte séquence génétique.

Nous devrions fournir des efforts dans ce sens pour pouvoir, à défaut de nommer et de décrire toutes les espèces, être capables de déterminer, dans n'importe quel environnement et dans un délai raisonnable, le nombre d'espèces par taxon, de façon à disposer d'une approche de la structure fonctionnelle de l'écosystème considéré. Nous n'avons pas besoin en effet de nommer toutes les espèces et nous pouvons nous contenter de connaissances plus rudimentaires sur la majorité des espèces vivantes.

La deuxième voie de recherche consiste non pas à augmenter le nombre de taxonomistes classiques même s'il n'y en aura jamais assez, mais à changer la façon dont ils travaillent pour produire des connaissances.

Les outils informatiques et Internet permettent en effet d'introduire de nouvelles méthodes de description et de diffusion des connaissances afin d'augmenter la production taxonomique à partir des mêmes ressources humaines.

En d'autres termes, plutôt que de multiplier indéfiniment le nombre de chercheurs en taxonomie, donnons-leur de nouveaux outils pour augmenter la production des connaissances nécessaires à la société pour le développement durable.

? L'accès aux connaissances existantes

La seconde grande question posée par les inventaires concerne l'accès aux connaissances existantes.

Nous connaissons environ 1,8 million d'espèces vivantes. Or ces connaissances et ces données sont totalement dispersées et inaccessibles. Elles sont concentrées dans un certain nombre de grandes institutions taxonomiques, au sein de collections et de bibliothèques. Néanmoins, elles sont si fragmentées qu'un utilisateur ordinaire n'y a pas accès.

En outre, la quantité de données et de connaissances augmente très rapidement puisque, en raison des besoins de monitoring de l'environnement et des directives européennes telles que la directive habitat, le nombre d'observations de nature taxonomique s'est considérablement accru.

Rien qu'en France, nous comptons chaque année plusieurs millions de nouvelles observations. Or celles-ci restent dans les bases de données de ceux qui les ont constituées. Au mieux, elles rentrent dans l'inventaire national du patrimoine naturel qui comprend actuellement près d'une dizaine de millions d'observations.

Il s'agit de rendre l'ensemble de ces données accessibles. Etant donné que les espèces ne respectent ni les frontières, ni les limites administratives, créer un outil local ou national n'aurait pas beaucoup de sens. En revanche, il convient de rendre interopérables toutes les bases de données contenant les observations et les connaissances taxonomiques sur la biodiversité, si possible en les localisant géographiquement pour pouvoir analyser la répartition des espèces de façon globale. Cet outil existe. Il s'agit du « Global Biodiversity Information Facility » (GBIF) qui, avec des montants financiers absolument dérisoires, a réussi à établir des standards. Ces derniers ont été progressivement adoptés par les détenteurs de bases de données qui, grâce à un interfaçage relativement simple, peuvent rendre leurs données accessibles de n'importe quel ordinateur connecté à Internet.

Cependant, cet outil n'est pas suffisant pour nous permettre de gérer correctement la biodiversité du point de vue taxonomique.

Il est également nécessaire d'augmenter la disponibilité des connaissances existantes, non seulement en Europe mais également dans les pays en voie de développement pour qu'ils participent à la gestion des avantages et des ressources tirées de la biodiversité.

Il convient aussi d'augmenter la quantité de données sur les espèces afin d'améliorer notre capacité de prédiction de l'évolution de la biodiversité. L'analyse de la diversité spécifique s'apparente en effet à la météorologie. Ainsi, de même que les observations locales à Paris ne permettront d'effectuer aucune prédiction sur le temps qu'il y fera dans les prochains jours, ce n'est qu'en regroupant toutes les observations locales sur la diversité spécifique, avec des données climatiques et écologiques, dans une même base de données, que nous réussirons à prédire l'évolution de la biodiversité locale.

Ce système a été mis en place dans des pays en développement, le premier étant le Mexique, grâce à son organisme national appelé « Conabio » (Comisión nacional para el conocimiento y uso de la biodiversidad).

L'accès aux connaissances sur les espèces a donc peu de sens au niveau local. Par conséquent, un certain nombre de grandes initiatives internationales ont été mises en oeuvre. Il en est ainsi :

? du « Census of Marine Life », qui vise à structurer la communauté des biologistes marins autour de projets d'étude des faunes et de la flore marines ;

? du « Barcode of Life », consortium d'institutions mondiales ayant pour objectif de développer l'identification des espèces à partir d'une séquence nucléotidique courte ;

? de l'« Encyclopedia of Life », qui sera lancée officiellement début mai et dont le projet est de consacrer au moins une page web à chaque espèce connue, avec une série de liens renvoyant à des observations, à une bibliographie, etc.

? du « Global Biodiversity Information Facility » (GBIF), qui constitue actuellement le seul organisme opérationnel, central et mondial, donnant accès aux connaissances sur la biodiversité ;

? de l'« European Distributed Institute of Taxonomy » (EDIT), réseau d'excellence européen coordonné par le Muséum d'histoire naturelle dont l'objectif est d'intégrer la recherche et les infrastructures de recherche en taxonomie au niveau européen, l'Europe possédant au moins la moitié du patrimoine mondial en collections, en expertises et en données sur la biodiversité mondiale ;

? de « Life Watch », grand projet d'infrastructure européenne, qui a été retenu par la Commission européenne pour être développé dans le cadre du 7 e PCRD et qui consiste à intégrer les réseaux et les bases de données d'observation et de collection en un seul système, et à implémenter les outils d'analyse qui permettront aux décideurs et aux utilisateurs de répondre immédiatement aux questions qu'ils se posent sans avoir besoin de recourir à plusieurs experts dispersés dans 13 pays d'Europe.

Ma conclusion ne sera pas très optimiste pour la France. En effet, les six grandes initiatives mondiales que j'ai citées sont toutes soutenues par des fondations privées ou des institutions publiques américaines. En dehors de ces grandes institutions, il n'existe aucun organisme capable de consacrer, pendant des années, plusieurs millions de dollars par an, pour structurer ces questions, d'importance mondiale, relatives à la biodiversité.

Par ailleurs, si la France est membre du GBIF, obtenir sa contribution continue de relever d'un combat de chaque instant. Enfin, EDIT et Life Watch sont des initiatives européennes au sein desquelles la France brille par son absence, du moins en tant que soutien à la structure globale. Je regrette que la France, qui est une grande puissance, y compris économique et scientifique, s'investisse aussi peu dans ces initiatives mondiales alors que seules celles-ci sont en mesure de répondre au problème posé.

Débat

Pierre LAFFITTE

Je vous remercie. Avant de commencer à débattre, je vous ferai part d'un certain nombre de propositions auxquelles nous avons réfléchi.

Etant donné l'accélération du rythme de disparition des espèces et des écosystèmes, il nous semble fondamental d'en augmenter la vitesse d'identification. Il me semble que cette nécessité a été reconnue par l'ensemble des participants à cette table ronde.

Par ailleurs, si la surveillance de la biodiversité doit être mondiale, l'amélioration des connaissances en matière de biodiversité passe par un accroissement notable, à l'échelle européenne, de la recherche coopérative, notamment à travers le 7 e PCRD dont les moyens ont été utilisés à bon escient par les Anglais pour financer le laboratoire de semences de Kew Gardens.

De même, la mise en place d'institutions internationales nous paraît fondamentale. Ont déjà été instaurés dans ce sens un certain nombre de réseaux et d'initiatives pour lesquels nous devrons préciser les besoins. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la France n'est pas davantage présente. La recherche scientifique constitue en effet l'une des fonctions les plus anciennes parmi les fonctions régaliennes de l'Etat, le Muséum étant l'une des premières institutions dans ce domaine. A ce titre, ses moyens devraient être accrus et son utilisation des nouvelles technologies, notamment génétiques, devrait être renforcée.

De plus, une organisation des Nations-Unies dédiée à ce sujet et dotée d'un financement propre permettrait de mettre en oeuvre une observation en continue des atteintes à la biodiversité.

L'identification de la biodiversité va devenir une priorité de recherche, notamment pour la France, compte tenu de ses responsabilités territoriales ultramarines. Nous considérons également que l'observation et l'identification de la biodiversité doivent s'inscrire dans la durée. A cet égard nous avons besoin :

? d'équipements spécifiques lourds, comme les écotrons ;

? de multiplier des placettes d'observation à long terme, comme le fait l'ONF en France et comme le prévoit le programme « Life Watch » de l'Union européenne ;

? de former de nouveaux spécialistes de l'identification ;

? d'accorder une importance à la surveillance de la biodiversité, très menacée non seulement, dans les pays développés mais dans le monde en général.

Enfin, la numérisation du vivant intéresse les scientifiques, y compris à partir des observations satellitaires, dont les données devraient pouvoir être disponibles gratuitement, ce qui n'est pas toujours le cas. Les chercheurs ont ainsi souvent recours aux données américaines, celles de l'Institut géographique national (IGN), par exemple, étant trop chères.

Claude SAUNIER

Ce premier tour de table ronde nous permet de constater une forte convergence de nos propos en termes de diagnostic.

La question reste posée de savoir si le niveau de nos connaissances est suffisant. A l'évidence, il ne l'est pas. Néanmoins, dans la mesure où nous ne connaîtrons jamais suffisamment la biodiversité, j'ai bien noté que vous souhaitiez que des actions soient d'ores et déjà engagées.

Ma préoccupation porte davantage sur la question de savoir comment, concrètement, nous allons pouvoir améliorer ce niveau de connaissance. Mme Sourd a évoqué la nécessité de repères synthétiques. Les inventaires doivent également être considérablement améliorés. C'est la raison pour laquelle de multiples initiatives, relevées par M. Tillier, ont été prises en vue de consolider la connaissance ainsi que le travail en réseau. A ce titre, je souhaiterais avoir vos réactions sur la proposition de la France de mettre en place un organisme international.

Par ailleurs, je vous ferai part d'un constat que nous avons effectué lors de notre visite au Brésil. Dans certains pays comme le Brésil en effet, aussi bien les autorités politiques que les scientifiques éprouvent quelques difficultés à entrer dans une problématique d'échange d'informations sur la biodiversité dans la mesure où, à tort ou à raison, ils estiment avoir été victimes de biopiratage.

Il ne s'agit pas là d'une question secondaire. En effet, alors qu'il possède l'un des éléments majeurs de la biodiversité mondiale, le Brésil hésite à participer à un organisme international ou à envoyer des informations à Berlin par exemple, où une initiative internationale de mise en commun des données a été instaurée. Il a en outre les plus grandes difficultés à accepter la mise en place, sur son territoire, d'équipes internationales de recherche sur la biodiversité. En d'autres termes, le Brésil est à la recherche de garanties lui assurant que ces initiatives de recherche ne seront pas autant de portes d'entrée permettant à des institutions mal intentionnées de procéder à du biopiratage.

Simon TILLIER

J'ai quant à moi une vision très empirique des solutions à mettre en place face à ces accusations de biopiratage dans les pays en développement, le Brésil ayant adopté des positions particulièrement fortes à ce sujet.

Comme vous le savez peut-être, le Muséum organise un certain nombre de grandes expéditions de collecte de la biodiversité, par exemple cet été au Vanuatu ou il y a deux ans aux Philippines. Dans ces pays, les scientifiques doivent avant tout se plier aux règles internationales en vigueur. Des instruments existent en effet pour ne pas être en situation de se faire accuser de biopiratage. Or la plupart des scientifiques les ignorent. Il convient donc de cesser d'envoyer des scientifiques sur le terrain dans les pays en développement sans leur procurer toute la préparation qui s'impose au niveau institutionnel, celle-ci n'étant pas à la portée des seuls individus. Ce type de préparation implique que la recherche soit organisée différemment.

Claude SAUNIER

Dans ce sens, des juristes devraient sans doute assister les équipes de scientifiques.

René BALLY

Pour répondre aux remarques effectuées par Simon Tillier, je signale qu'il existe un Institut français de la biodiversité (IFB) regroupant l'ensemble des organismes de recherche. Celui-ci devrait être mieux utilisé par l'ensemble des chercheurs, d'autant plus qu'une partie de son Conseil scientifique gère l'ANR biodiversité.

Par ailleurs, nous ne devons pas oublier que la biodiversité est inégalement répartie dans le monde et que les hot spots correspondent généralement à des territoires marqués par la pauvreté, les conflits, la pollution, etc. A leur égard, la France a un rôle important à jouer. A ce titre, je note que la France dispose d'autres hot spots que ceux de la Nouvelle-Calédonie, comme le pourtour méditerranéen, La Réunion, Mayotte, etc.

Au sein de mon organisme, nous essayons actuellement de lancer des groupements de réseaux, notamment entre des chercheurs de Madagascar et des îles de l'Océan Indien et des chercheurs français, issus de différentes institutions. Pour ce faire, des conventions ont été signées au niveau des instituts étatiques, dans le respect de la Convention sur la biodiversité, ce qui devrait rassurer un certain nombre de pays.

Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS

Dans votre introduction, vous avez mentionné l'existence de perceptions négatives de la protection de la biodiversité, considérée comme une entrave au progrès. D'aucuns estiment en effet que même si elle s'est autrefois fondée à partir du tissu vivant, la civilisation peut désormais s'en passer. Par conséquent, pour faire en sorte que les individus se réapproprient cette connaissance de la biodiversité, il conviendrait de s'appuyer sur le grand nombre d'amateurs qui contribuent à la décrire.

Le fait de reconnaître, d'encourager et de structurer cette connaissance diffuse, au travers de relations clarifiées entre les chercheurs professionnels et les amateurs, constitue un enjeu tout à fait intéressant. Contrairement à la météorologie qui, en raison de l'existence de capteurs physiques, devait nécessairement être professionnalisée, nous avons l'occasion de faire en sorte que l'ensemble des citoyens s'approprient la biodiversité, ce qui constitue un atout.

Claude SAUNIER

A ce titre, je mentionnerai une initiative relativement récente : l'appel à procéder à l'inventaire des papillons des jardins.

Vincent GRAFFIN, Direction générale du Muséum national d'histoire naturelle

En tant que responsable du développement durable au Muséum, je souhaiterais réagir aux dernières interventions, notamment concernant l'Observatoire des papillons de jardins.

Je commencerai par évoquer les inventaires de biodiversité qui existent au niveau métropolitain. A ce titre, nous disposons, d'une part, d'un site en ligne intitulé « inventaire national du patrimoine naturel », accessible via le site du Muséum, qui présente toute la répartition des espèces connues de plantes et d'animaux et, d'autre part, des zones naturelles d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF), des sites Natura 2000 et de tous les espaces protégés. La biodiversité métropolitaine fait donc, d'ores et déjà, l'objet de différentes actions de communication.

Ce travail a été réalisé grâce à une collaboration très ancienne avec de nombreux réseaux naturalistes amateurs sur l'ensemble du territoire national, donnant ainsi à ce site une dimension citoyenne importante. Celui-ci a vocation à évoluer dans le cadre d'un système national d'information sur la nature et les paysages, piloté et financé par le ministère de l'Écologie et du Développement durable. Ce système consistera à mettre en réseau l'ensemble des producteurs de données, qu'il s'agisse d'établissements publics, d'associations ou de collectivités territoriales, pour que les données sur la nature et les paysages soient organisées de manière cohérente.

Si ce projet présente des aspects particulièrement positifs, les moyens ne sont malheureusement pas à la hauteur des enjeux.

Concernant l'observation dynamique de la biodiversité, vous avez évoqué l'Observatoire des papillons de jardins. Il s'agit de la dimension citoyenne de ce projet scientifique qui consiste à associer tout amateur à l'observation de la biodiversité, ce qui est non seulement intéressant du point de vue de l'éducation à l'environnement et de la sensibilisation, mais également au niveau scientifique, puisque nous en tirons des informations sur les répartitions de papillons. Ainsi, nous avons pu constater que les espèces méditerranéennes étaient présentes en Provence mais pas en Languedoc.

Ce programme s'intègre dans un projet plus global intitulé « Vigi-Nature », qui observe les évolutions de répartition des oiseaux communs et qui s'étend aux plantes et aux insectes. Par ce biais, nous avons eu l'occasion de constater que la crise de la biodiversité touchait aussi bien les espèces rares que les espèces communes dont les effectifs diminuent dans le temps. Ce projet s'appuie également sur des réseaux d'amateurs et des associations comme la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Christophe AUBEL, Directeur de la Ligue ROC (préservation de la faune sauvage et défense des non-chasseurs)

Je formulerai quatre remarques.

- Premièrement, dans cet effort de recherche, je tenais à insister sur le rôle des spécialistes amateurs regroupés au sein des associations. Si ces derniers ne peuvent évidemment pas remplacer les scientifiques, leur participation est essentielle pour établir les indicateurs évoqués par M. Barbault.

- Deuxièmement, pour que la recherche soit efficace et qu'il y ait toujours des taxonomistes à l'avenir, il convient d'offrir des filières de formation à ce type de spécialité dès le secondaire.

- Troisièmement, si nous souhaitons que ces connaissances soient utilisées, une appropriation par l'ensemble des citoyens est nécessaire, ce qui signifie que nous avons également besoin de la recherche en sciences sociales.

- Quatrièmement, j'évoquerai l'Institut français de la biodiversité, au sein duquel je représente la fédération FNE.

Il me semble en effet que cet outil en développement offre des réponses à un grand nombre de questions que nous nous sommes posées dans la mesure où il peut non seulement aider à la coordination de la recherche mais également servir d'interface entre les sciences sociales et les sciences dures ainsi qu'entre le politique, la société civile et l'international.

C'est pourquoi nous sommes particulièrement préoccupés par la réforme en cours de cet organisme qui risque de lui faire perdre ce caractère d'interfaçage et nous priver ainsi d'un outil efficace pour répondre à cet « autre choc » qui fait l'objet du présent colloque. Cette réforme nous semble d'autant plus précipitée qu'elle intervient dans une période pré-électorale, qui n'offre pas les meilleures conditions à la réflexion. Par conséquent, il serait important que votre rapport signale ce problème de l'avenir de l'IFB.

Claude SAUNIER

Pourriez-vous préciser les modalités de cette réforme ?

Christophe AUBEL

Alors que l'IFB était un groupement d'intérêt scientifique (GIS), il est question d'en faire une fondation de recherche de droit privé. Si cette modification n'est pas inintéressante en soi, il nous semble qu'elle est mise en place dans la précipitation. Ainsi, les membres de l'IFB eux-mêmes n'ont-ils pas été associés à la réflexion. Or une réforme de l'IFB devrait tendre à l'amélioration, ce qui nécessite que nous nous donnions le temps de la réflexion, en associant à ce processus tous les acteurs ainsi que tous les ministères concernés, la société civile, etc. Dans la nouvelle formule prévue, il apparaît que ces acteurs auront une portion congrue dans les processus de décision, ce qui est contraire à l'efficacité.

Ghislain de MARSILY, Université Paris VI, Académie des sciences.

Je souhaiterais insister sur deux aspects soulevés par MM. Barbault et Mallet.

En matière d'aménagement du territoire, notamment dans le domaine de l'eau, nous disposons d'un certain nombre d'alternatives. Pour déterminer laquelle de ces alternatives est la moins dommageable pour la biodiversité, des études sur l'évolution et le fonctionnement du tissu vivant sont nécessaires.

A ce titre, avant même les inventaires et la connaissance du milieu, je mettrai en avant le besoin urgent de connaître les conséquences d'une action sur la biodiversité. Ainsi, comme l'a signalé Simon Tillier précédemment au sujet de la Nouvelle-Calédonie, nous ignorons quelles seront les conséquences de l'exploitation minière sur le hot spot de biodiversité que constituent les plaines du Sud. Il en est de même s'agissant de l'exemple de l'exploitation de la forêt guyanaise cité par M. Mallet. En matière d'hydrologie en effet, les besoins d'aménagement sont urgents. Par conséquent, même si la connaissance en termes d'inventaire de la totalité des éléments de la biodiversité n'est pas d'ores et déjà disponible, il est primordial d'étudier le fonctionnement des systèmes et d'être capables de prévoir leur évolution

Par ailleurs, je relève que la réaction traditionnelle à la perte de biodiversité réside dans la constitution de parcs. Néanmoins, nous pouvons nous demander si cette pratique est efficace pour maintenir la biodiversité. Par ailleurs, à partir de quelle taille critique ces parcs peuvent-ils prétendre à atteindre cet objectif ?

Robert BARBAULT

Toutes ces questions sont fort pertinentes.

Il me semble tout d'abord évident que la résolution des problèmes passe par une approche en termes de systèmes, ce qui ne signifie pas que nous ne devons pas continuer à enrichir les inventaires. Néanmoins, en nous centrant sur ce type d'actions, nous risquons de passer à côté des véritables problèmes.

La cohérence d'ensemble du champ nécessite en effet une analyse fondée sur le système écologique et élargie aux sociétés humaines, ce qui est relativement nouveau par rapport à l'écologie académique classique. À travers cette analyse d'interactions complexes, nous évitons l'éclatement que l'étude de la diversité du vivant entraîne forcément, au niveau génétique, géographique, etc.

Par ailleurs, si je reconnais que les espaces protégés ne sont pas des outils suffisants en matière de protection de la biodiversité, dans un monde où règnent les conflits d'intérêts, ils constituent un élément important de la stratégie de préservation de la diversité.

En ce qui concerne l'ampleur de ces parcs, s'il est préférable qu'ils soient le plus large possible, il est nécessaire de prendre en compte un certain nombre d'intérêts complémentaires pour les sociétés humaines. Des efforts ont été accomplis dans de nombreux pays, y compris dans le nôtre, pour progresser dans ce domaine. Si l'objectif de la plus grande superficie possible demeure, les espaces restreints ne sont pas inutiles, notamment pour étudier la diversité microscopique. Ils permettent d'une part de constituer un savoir, et d'autre part de préserver un certain nombre de territoires.

Il est néanmoins essentiel de raisonner en termes de réseaux d'espaces protégés, au niveau français, européen et international, qui permettent de dégager un certain nombre de compétences pour réaliser des inventaires, pour effectuer des suivis à long terme et pour disposer d'une documentation sur l'évolution de la biodiversité sur l'ensemble du globe. Au niveau français, le réseau des espaces protégés me semble insuffisamment utilisé par la communauté scientifique, comme instrument fondamental de recherche, de connaissance, de formation et de sauvegarde de la biodiversité.

Gille BENEST, Université Paris 7 et France Nature Environnement

J'ai le sentiment qu'aucune réponse n'a été apportée à la question du biopiratage, si ce n'est à travers la thématique de l'appropriation populaire. Or il s'agit selon moi de registres légèrement différents. Dans ce sens, je souhaiterais prolonger les remarques de Christophe Aubel sur la réforme de l'IFB.

Je participe actuellement à un groupe de travail mixte entre les ministères de l'Environnement et des Finances, intitulé « outils économiques et développement durable », auquel, entre autres sujets, il a été demandé de travailler sur la biodiversité. Or le président de ce groupe refuse obstinément de s'intéresser à ces questions, ce qui m'étonne profondément.

L'idée d'un « autre choc », insérée dans le titre de ce colloque, atteste d'un consensus, auquel je m'associe, selon lequel l'érosion de la biodiversité constitue un problème aussi important que le changement climatique.

Malheureusement, nous nous heurtons à la question de savoir si la biodiversité est un produit marchand ou non. C'est dans ce sens que les réseaux d'appropriation populaires posent problème dans la mesure où, bien qu'il s'agisse d'un travail bénévole sur des données gratuites et des informations appartenant à l'humanité, un certain nombre de personnes en tirent un profit financier. Il existe en effet, dans l'esprit de ces personnes, une confusion entre appropriation et propriété. Or il conviendrait de réfléchir sur ces deux notions qui constituent, selon moi, un élément extrêmement important de la manière dont nous organisons notre acquisition des connaissances en matière de biodiversité.

Claude SAUNIER

Je tenterai de répondre à cette question, à la lumière de mon expérience au Brésil.

La mise en place d'une organisation mondiale des Nations unies pour l'environnement n'aura pas de sens si nous ne sommes pas capables d'y intégrer le Brésil. Les autorités brésiliennes sont en effet sur une position de réserve. S'il convient de lever cette réserve, encore devons-nous réfléchir à la manière de nous y prendre.

Il y a quelques mois, avec les meilleures intentions, le directeur de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy, a rendu une visite au Brésil au cours de laquelle il a déclaré qu'il appartenait à l'humanité de veiller à la préservation de l'Amazonie, ce qui a été vécu comme un affront par l'opinion publique brésilienne qui considère l'Amazonie avant tout comme un territoire brésilien.

A la lumière de cet exemple, il me semble que nous ne pourrons progresser dans ce domaine qu'en intégrant des juristes dans les équipes de scientifiques, afin de donner des garanties juridiques aux différents Etats.

Dans la mesure où vous avez évoqué la marchandisation du vivant, j'approfondirai cette idée.

J'ai rencontré la ministre de la Recherche de l'Etat d'Amazonas, une Amérindienne, docteur en sociologie, qui essaie, au niveau de son Etat, de définir une politique de recherche. Pour ce faire, elle réfléchit actuellement à la conjugaison des intérêts économiques des grands groupes avec la préservation des intérêts économiques fondamentaux de développement des populations de l'Amazonie. Elle dénonce le fait que la mécanique de brevetabilité s'appliquant aux molécules utilisées dans la pharmacopée élaborée à partir des données de la science occidentale ne s'applique pas à la connaissance accumulée au cours de centaines ou de milliers d'années par les tribus d'Amazonie.

Un travail sociologique et juridique doit donc accompagner le travail scientifique de connaissance de la biodiversité.

Pierre LAFFITTE

J'ajouterai que la connaissance de l'intérêt de telle ou telle plante provient le plus souvent des tribus amazoniennes qui ont inventé l'usage des molécules. Par conséquent, il devrait y avoir une possibilité scientifique et juridique de faire participer ces tribus à ce processus d'acquisition des connaissances.

D'une manière générale, la question de la marchandisation du vivant équivaut à celle de la marchandisation de l'information, comme en atteste le développement d'encyclopédies de type Wikipédia.

Nous assistons en effet à une évolution mondiale de prise en compte par l'économie des phénomènes rares. De même nature, le problème du climat et du gaz carbonique atmosphérique transcende le principe de non-intervention dans les Etats tiers.

Ainsi, notre rapport sur le climat invite-t-il non seulement la France à faire des efforts, mais également l'OMC à tenir compte du changement climatique dans ses règles de commerce international. Nous avons le sentiment que des recommandations similaires pourraient être formulées en matière de biodiversité, notamment en envisageant une forme de labellisation des actions concourant à la protection de la diversité.

Philippe THIEVENT, Directeur de la mission biodiversité de la Caisse des dépôts et consignations

Ma remarque s'inscrit dans la logique des propos tenus par M. de Marsily. Robert Barbault a insisté sur l'importance d'étudier les écosystèmes et non pas seulement les espèces. Néanmoins, encore faudrait-il en tenir compte. En effet, dans leur majorité, les individus ne semblent accorder de l'importance aux milieux naturels qu'à partir du moment où il est question d'espèces et d'espaces protégés, comme Natura 2000. Or, la compréhension des mécanismes des écosystèmes nécessite de s'intéresser également à cette « nature ordinaire », au sein de laquelle le nombre de taxons inconnus à ce jour est considérable.

Ayant travaillé pendant quelques années dans un laboratoire de recherche et étudiant depuis 20 ans les problématiques d'aménagement du territoire, je constate que, sur le terrain, nous n'avons aucun moyen pour tenir compte d'un certain nombre de problèmes concrets comme celui des corridors écologiques. La question se pose alors de savoir comment nous pouvons traiter au quotidien ce sujet récurrent.

Xavier POUX, AsCA (aménagement et gestion des territoires)

En réaction aux propos de Robert Barbault, selon lesquels l'homme serait inclus dans le tissu écologique, j'ajouterai que l'intégration des sciences sociales au sein de ce processus d'acquisition des connaissances en matière de biodiversité me semble constituer un enjeu extrêmement pertinent de la recherche actuelle. En effet, les chercheurs en sciences sociales, qu'il s'agisse d'anthropologues, d'économistes, etc., se saisissent régulièrement des débats, tout à fait fondamentaux, sur la connaissance des espèces.

Il en est ainsi notamment parce que la connaissance de la biodiversité passe également par la connaissance des mécanismes de gestion de cette biodiversité par les sociétés humaines. En effet, à défaut d'appréhender finement ces mécanismes, nous risquons de nous heurter, d'ici à quelques années, au même constat de baisse de la biodiversité. Cette articulation constitue donc un véritable enjeu en termes d'organisation de la recherche, qui devrait conduire à un changement de paradigme des sciences sociales elles-mêmes.

Travaillant dans un bureau d'étude complètement atypique dans le paysage scientifique français, je suis en mesure d'affirmer qu'il est extrêmement difficile de faire évoluer les réflexes et les habitudes des chercheurs des sciences sociales et des sciences dures. Par conséquent, il me semblerait souhaitable que des représentants des sciences sociales participent au prochain débat que vous organiserez sur la biodiversité.

François BURGAUD, Groupement national interprofessionnel des semences et plants

Je commencerai par intervenir sur la question de la réforme de l'IFB.

Tout d'abord, je soulignerai que cette réforme, qui inclut le bureau des ressources génétiques, me semble également précipitée et inquiétante.

Sans doute les représentants du Muséum d'histoire naturelle pourraient nous informer davantage à ce sujet.

Par ailleurs, il existe, selon moi, une explication très simple aux problèmes que la France rencontre dans le domaine de la protection de la biodiversité. Si nous sommes très fermes dans nos principes, nous ne consacrons aucun moyen à l'action.

Ainsi, depuis quatre ans, le bureau des ressources génétiques ne dispose toujours d'aucune personne chargée de coordonner et d'animer les différents réseaux mis en place pour créer les collections de ressources végétales.

D'une manière générale, le fait qu'un grand nombre d'associations et d'entreprises soient investies dans la conservation et la gestion des ressources génétiques en France a toujours constitué un palliatif permettant à l'Etat de ne pas y consacrer les moyens nécessaires.

S'agissant de l'appropriation, là encore il me semble qu'une réflexion sur les notions de propriété intellectuelle et sur la manière d'organiser la gestion des produits issus de la biodiversité est nécessaire.

Dans ce domaine, bien que la France ait signé un certain nombre de traités internationaux, comme la Convention sur la biodiversité ou le traité international de la Food and Agriculture Organisation (FAO), elle n'a toujours pas désigné l'autorité nationale responsable des ressources génétiques et de la biodiversité française.

Enfin si, à travers ces traités, un droit international se met actuellement en place, la France n'a pas encore élaboré les instruments prévus par ces textes, par exemple l'autorisation de transfert de matériel destinée à régir les échanges de ressources génétiques.

Catherine AUBERTIN, Centre IRD

Il me semble que le débat tourne autour de la nature de la biodiversité. Alors qu'auparavant les naturalistes travaillaient avec la diversité biologique, il est désormais devenu nécessaire de la gérer et de la protéger et non plus seulement de la connaître. Selon moi, c'est cette évolution qui est à l'origine de la plupart des problèmes que nous rencontrons actuellement. En effet, à partir du moment où il est question d'usage et d'appropriation, nous sommes nécessairement confrontés à des problèmes sociaux et économiques.

Signée en 1992, la Convention sur la diversité biologique avait trois objectifs : la conservation de la biodiversité, son usage durable et le « partage juste et équitable des avantages tirés de l'exploitation des ressources génétiques », ce qui signifie que déjà à cette époque la question du partage des ressources se posait avec beaucoup d'acuité. En effet, au fur et à mesure qu'elle a été permise par la biologie moléculaire, l'acquisition de nouvelles connaissances sur la biodiversité a fait l'objet de brevets.

Ainsi, s'il est actuellement question « d'économie de la connaissance », c'est justement pour signifier que l'essentiel ne réside pas tant dans les biens en tant que tels mais dans les droits de propriété intellectuelle qui leur sont apposés. C'est pourquoi la Convention de 1992 prévoyait une répartition de ces droits dans l'intérêt des pays du Sud.

Le Brésil ayant été évoqué, je remarquerai qu'il s'agit du pays qui instrumentalise le plus cette convention pour servir ses propres intérêts, au détriment parfois d'une cohérence entre les différents ministères, comme le ministère de l'environnement et le ministère des populations autochtones. Ce dernier en effet défend davantage la Convention sur la diversité biologique et demande la création de droits de propriété sur les savoirs locaux, la biodiversité étant liée à une diversité culturelle.

Ces dénonciations de biopiratage constituent des champs politiques de négociation permettant aux populations du Sud d'exprimer leurs frustrations devant un système de développement qu'elles ne reconnaissent pas. La biodiversité constitue donc un objet politique que nous ne pouvons plus traiter uniquement au travers de la taxonomie.

Yves MISEREY, Le Figaro

Dans le prolongement des propos de Mme Aubertin, je souhaiterais revenir sur la problématique des abeilles. En effet, à l'époque où il en a été question, j'ai été frappé de constater qu'aucun des chercheurs travaillant sur la biodiversité n'ait fait part des données qu'il avait acquises sur ce sujet. Cela signifie-t-il que ces chercheurs n'avaient pas la parole ou qu'ils n'avaient rien à dire ?

Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS

La pire situation pour les abeilles étant d'être solitaires, celles qui ont trouvé leur voie sont les abeilles domestiques, grâce à la profession des apiculteurs, qui se sont fait entendre sur ce sujet. Néanmoins, il ne s'agit que d'une espèce parmi bien d'autres. Ainsi, il existe tout un cortège de pollinisateurs sauvages qui tendent à disparaître en raison des mesures prises pour favoriser les espèces domestiques, ce qui pose un véritable problème. Par conséquent, il convient de prendre garde, dans le domaine de la biodiversité, à ne pas centrer notre attention sur des aménagements ponctuels augmentant la valeur des indicateurs portant sur un certain nombre d'espèces tout en laissant se dégrader un certain nombre d'entre elles.

Jean-Claude LEFEUVRE

Je rappelle que 20 000 espèces au minimum sont responsables de 80 % de la pollinisation des végétaux de par le monde.

J'imagine que vous souhaitez que je m'exprime au sujet des bourdons, au regard des observations que nous avons menées il y a une vingtaine d'années dans le Val d'Authion. Nous avons en effet été appelés à travailler dans ce secteur, qui fournissait les graines de légumineuses pour une grande partie de la France, dans la mesure où une diminution progressive de la production de graines y avait été constatée.

L'essentiel de la pollinisation des trèfles de cette zone était effectuée par des bourdons, caractérisés par une variabilité importante de la longueur de leur trompe.

Tous dépendaient étroitement de structures hors champs, les fondatrices qui conduisent les colonies au printemps passant l'hiver soit dans les troncs d'arbres creux, soit dans les talus de l'ancien bocage. Dans la mesure où, au printemps, elle bénéficie uniquement des fleurs de ces talus, la colonie ne peut se développer qu'en fonction du nectar recueilli sur des structures n'ayant rien à voir avec l'espace cultivé. Par ailleurs, pour que la pollinisation soit satisfaisante, un certain nombre de bourdons représentatifs d'espèces différentes sont nécessaires. Alors que cette pollinisation produisait en principe 1 200 kilos de graines par hectare, la production est passée à 80 kilos.

Entre temps, afin d'augmenter la biomasse du trèfle, on l'a fait passer de l'état de diploïde à l'état de triploïde, ce qui explique qu'une partie des bourdons à trompe courte ne pouvaient plus procéder à la pollinisation. Enfin, ces bourdons à trompe courte se sont mis à perforer la base des fleurs, passant ainsi du statut d'auxiliaires à celui de ravageurs de l'agriculture.

Il s'agit donc de rapprocher les points de vue issus des différentes disciplines afin de comprendre les véritables interactions qui permettent au vivant de perdurer.

Nadia LOURY, Association OREE (Organisation pour le respect de l'environnement dans l'entreprise)

Cette fable des bourdons illustrera mon propos. Notre association réunit, dans un univers très ouvert, des entreprises et des collectivités qui sont toutes partenaires pour la prise en compte de l'environnement. Il y a un an, en collaboration avec l'IFB, nous avons mis en place un groupe de travail pour réfléchir à la façon d'intégrer la biodiversité dans les stratégies des entreprises, qui sont des partenaires économiques importants, tout à fait conscients des enjeux de la biodiversité.

Ces dernières ont besoin de connaissances pour prendre des décisions concrètes, dans un laps de temps relativement court. Ce facteur temps est en effet très important, sachant que ces partenaires sont prêts à collaborer avec les scientifiques pour aller plus loin dans la recherche.

Par ailleurs, il convient de prendre en compte la question des changements de comportement. Or le titre de ce colloque, « l'autre choc », que je trouve tout à fait judicieux, montre bien que nous avons des décisions à prendre d'ici à dix ans, ce qui explique que nous n'allons pas attendre les 1 000 années nécessaires pour connaître toutes les espèces avant d'agir. Par conséquent, nous demandons aux scientifiques de nous fournir des outils, l'expertise étant le préalable à toute prise de décision efficace. Ainsi, au sein d'OREE avons-nous développé un groupe de travail spécifique sur l'expertise.

Claude SAUNIER

Pourriez-vous nous donner des exemples de cas concrets où des entreprises auraient besoin de cette expertise ?

Nadia LOURY

Certaines entreprises ont un impact sur l'environnement. Il en est ainsi de GSM Unibéton, l'un de nos adhérents, qui a besoin, pour la reconstitution d'anciennes carrières, d'expertises environnementales. Pour ce faire, cette entreprise s'appuie déjà grandement sur les réseaux locaux de bénévoles.

Des connaissances sont également requises pour des entreprises comme LVMH, en termes de biens et services rendus par la biodiversité. Je précise que la réflexion entamée par ces partenaires au sujet de la biodiversité n'a rien à voir avec le biopiratage.

Un participant de la salle

Je poserai la question de la finalité de la recherche.

Au préalable, je précise qu'aujourd'hui, nous nous accordons à considérer la filière « nature » de la recherche comme une filière sinistrée. En effet, les moyens alloués à la recherche dans le domaine de la nature ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux auxquels nous sommes confrontés.

Par ailleurs, la question de la finalité de la recherche dans ce domaine se pose avec acuité. Quel type de recherche souhaitons-nous mettre en place et pour quelles raisons ? S'agit-il de connaître ou de protéger la nature ?

Or les disciplines concernées par ce questionnement dépassent les disciplines naturalistes classiques et s'étendent aux sciences humaines.

Claude SAUNIER

Je souscris à ces propos. Sans entrer dans des débats politiques, j'ajouterai que la France a pris une orientation générale qui consiste à affecter l'essentiel de ses moyens à la recherche appliquée. Ainsi, la biologie est-elle souvent perçue à tort comme une discipline de connaissance alors que mieux connaître la biodiversité revient à nous donner des instruments pour la définition d'une nouvelle stratégie de développement.

Pierre LAFFITTE

Ces questions seront traitées par les tables rondes de cet après-midi.

Christophe AUBEL, Ligue ROC

Lorsque nous évoquons la relation entre les entreprises et la biodiversité, il me semble que nous ne devrions pas nous focaliser uniquement sur celles dont l'objet est de travailler avec la biodiversité, comme les carriers ou ceux qui produisent des semences.

A ce titre, je citerai le cas exemplaire d'une petite entreprise de jouets dans les Vosges, implantée en zone Natura 2000 qui a décidé d'intégrer la prise en compte de cette dimension dans sa démarche au quotidien, sans que cette décision ne soit motivée par l'impact que la biodiversité pourrait avoir sur son activité.

Nadia LOURY

Dans le même sens, j'indiquerai que, dans le cadre d'une convention CIF, nous avons investi dans le recrutement d'un chercheur, qui a effectué un travail de recherche sur la façon de modifier le comportement des entreprises sur la biodiversité. Il s'agit selon moi d'une forme de recherche appliquée.

Guillaume BOURDINAUD, Université Paris I Panthéon Sorbonne

Je souhaiterais cibler la question de la biodiversité sur le territoire urbain. En effet, 50 % de la population mondiale vit en ville et l'étalement urbain constitue l'avenir de l'aménagement.

Alors que nous aurions pu penser que la pression urbaine et la pollution ralentissaient la biodiversité, 1 200 espèces végétales ont été recensées à Zurich, soit deux fois plus que sur une zone de la même surface du plateau suisse. De même, sur les 1 200 espèces végétales d'Ile-de-France, environ 600 sont situées sur Paris. Par conséquent, ne devrions-nous pas orienter la recherche en matière de biodiversité sur les espaces urbains ?

Claude SAUNIER

Le développement des villes peut en effet constituer un outil de création d'un nouveau type de biodiversité.

Simon TILLIER

Dans toutes les interventions qui ont été effectuées, j'ai été frappé par le fait que les structures n'aient été que très peu évoquées. Les infrastructures quant à elles n'ont même pas été mentionnées.

Il a en effet été question de moyens financiers, sans préciser ce que nous devions en faire, alors que, dans le domaine de la physique, par exemple, nous savons que nous avons besoin d'un télescope. Il s'agit selon moi d'une erreur stratégique profonde, y compris pour les observateurs.

Comme nous avons évoqué la nécessité d'intégrer les observations satellitaires parmi les outils d'acquisition de connaissances en matière de biodiversité, je citerai le projet Life Watch. Celui-ci consiste à créer une infrastructure de données et de connaissances, y compris d'intégration des données satellitaires, qui intéresse notamment l'Agence spatiale européenne.

Il me semble qu'il appartient à la communauté des chercheurs, des scientifiques et des utilisateurs de biodiversité de réclamer ces infrastructures. Les bibliothèques, les journaux et les bases de données existantes sont en effet insuffisants.

Concernant les structures, je suis étonné que plusieurs questions aient été posées sur l'IFB et que même son président n'y ait pas répondu. Bien que faisant partir du Muséum, je n'ai heureusement aucune position officielle à soutenir, ce qui me permet de m'exprimer très librement sur ce sujet qui m'est d'autant plus familier que j'ai représenté le Muséum pendant plusieurs années au Conseil de groupement de l'IFB.

L'IFB est un groupement d'intérêt scientifique, c'est-à-dire une structure ne disposant ni d'une personnalité légale ni d'une autonomie administrative et financière.

S'il convient de saluer l'immense progrès que représente cet instrument, créé dans les années 90, après la Convention sur la biodiversité, pour unifier le langage politique et scientifique sur la biodiversité au niveau des organismes de recherche et des ministères, y compris des Affaires étrangères, en termes d'action, cette structure juridique demeure largement insuffisante.

En effet, pour mettre en place une politique cohérente, un organisme autonome disposant d'un véritable pouvoir de décision est nécessaire. Concernant l'argument de la précipitation, je suis frappé par le fait que, dans notre pays, nous sommes incapables de prendre une décision rapidement, contrairement aux pays nordiques ou à l'Allemagne par exemple qui est aujourd'hui beaucoup plus en avance que nous sur cette question.

Je précise que cette position est strictement personnelle.

Jean-Claude LEFEUVRE

Les inquiétudes dont nous ont fait part un certain nombre d'orateurs au sujet de la réforme de l'IFB sont partagées. En effet, nous ne pouvons pas continuer à parler de gouvernance tout en prenant des mesures autoritaires, sans inclure un certain nombre de partenaires dans le processus de décision.

Pour créer une nouvelle structure comme celle dont il est question, il est évident qu'il convient de prendre le temps de la décision. J'ai déjà remarqué que, en France, lorsqu'un organisme fonctionne correctement, il est d'usage d'y mettre fin très rapidement.

René BALLY

Pour répondre à Simon Tillier, je précise qu'il existe, au niveau des organismes et notamment du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), un certain nombre d'orientations visant à créer les infrastructures qu'il appelle de ses voeux, c'est-à-dire les écotrons, évoqués par le Sénateur Laffitte, les observatoires de l'environnement et les zones ateliers. De même, l'INSUP est-elle en train de créer, avec les TGU, des infrastructures assez importantes pour l'étude des écosystèmes. Par conséquent, si nous avons certainement pris un certain retard par rapport à nos collègues européens, nous ne pouvons pas dire que nous ne faisons rien en matière d'infrastructures.

De même, la création d'un département environnement et développement durable au CNRS atteste d'une prise de conscience de l'importance de l'étude de la biodiversité et des écosystèmes.

En ce qui concerne l'IFB, il me semble qu'il existe actuellement trop de structures de ce type et qu'il serait temps de les rassembler au sein d'un même organisme, afin de nous exprimer d'une même voix, rôle qui incombe selon moi à l'IFB.

Yves MISEREY, Le Figaro

En tant que journaliste, je suis particulièrement frappé par vos différentes interventions dans la mesure où il me semble que ce n'est pas avec ce type de discours que nous réussirons à sensibiliser la population française à la biodiversité.

Je citerai pour ma part l'exemple de l'échinococcose, maladie transmise par le renard, qui a tendance actuellement à se répandre. À ce sujet en effet, j'ai eu affaire à un interlocuteur qui m'a expliqué que la propagation de cette maladie était probablement due au fait que nous avions bouché un grand nombre de marres et que, partant, tous les renards venaient s'abreuver au même endroit, ce qui augmentait les possibilités de contagion.

Claude SAUNIER

Malgré l'intérêt de ce type d'exemple, je souhaiterais quant à moi connaître la position des scientifiques sur les grands équipements. En effet, nous avons pour objectif non seulement de dresser un constat de la biodiversité mais également de formuler un certain nombre de propositions.

Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS

Je vous répondrai en m'appuyant sur le problème de la réforme de l'IFB. En termes de recommandations à inscrire dans votre rapport, vous pourriez insister sur le fait que, si nous créons un organisme doté d'une personnalité juridique sur le long terme, celui-ci devra avoir les moyens de gérer durablement des grands équipements au service de l'ensemble de la communauté nationale. Il conviendrait par ailleurs que ces grands équipements se traduisent par des collections, des bases de données et des sites expérimentaux.

Simon TILLIER

Je souscris tout à fait à ces propos. J'ajoute que parmi les équipements, il convient de distinguer entre les sites expérimentaux et les infrastructures d'acquisition, de gestion et de mise à disposition de l'information, ces deux aspects étant néanmoins indispensables.

Bernard MALLET

Il convient également de prendre en compte l'ensemble des dispositifs de terrain, comme ceux qui existent en Guyane par exemple.

Par ailleurs, alors que nous nous référons principalement à la biodiversité naturelle, n'oublions pas que l'agriculture constitue également une valorisation de la biodiversité.

Philippe GROS

Concernant les grands équipements, je rappelle qu'il y a deux jours s'est tenu un colloque sur la flotte océanographique française, qui rassemblait l'INSUP, l'IFREMER, l'Institut Paul-Émile Victor (IPEV), l'Institut pour la recherche et le développement (IRD), etc.

Claude SAUNIER

Il s'agirait également de donner à cette flotte les moyens de fonctionner puisque, une grande partie du temps, les grands navires océanographiques ne sont pas totalement utilisés.

En réponse à M. Miserey, sans volonté de polémiquer, je précise que si le débat s'est orienté vers une discussion sur la structuration, c'est parce que le diagnostic de perte de biodiversité fait actuellement l'objet d'un véritable consensus scientifique. Néanmoins, n'hésitez pas à transmettre, à l'aide de votre plume, ce message d'alerte aux citoyens français.