LA TRANSMISSION DE LA NOUVELLE VARIANTE DE LA MALADIE DE CREUTZFELDT-JAKOB

Exposé introductif sur l'état des connaissances et des recherches sur les prions.

Pr DORMONT ( Chef du service de neurovirologie de la Direction des Sciences du vivant du CEA, Président du Comité interministériel sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les prions ) - Je vais commencer par faire un rappel sur les zones d'ombre qui restent dans la connaissance des maladies dites " à prion " ou encéphalopathie spongiforme transmissible.

A l'heure actuelle, la nature exacte de l'agent transmissible et la façon dont il se multiplie ne sont pas connues avec précision, même si un nombre considérable d'éléments indique que le composant principal de ces agents est une protéine de l'hôte qui possède des propriétés physico-chimiques anormales. A l'heure actuelle, on ne sait pas avec précision si cette protéine est le seul élément de l'agent infectieux ou si " autre chose " - et dans cette " autre chose " tout est ouvert - est associé à cette protéine dans la définition, dans l'entité infectieuse.

La théorie qui aujourd'hui prévaut est celle du prion et celle-ci est la suivante : l'infectiosité est supportée par une structure tridimensionnelle anormale d'une protéine de l'individu. Lorsque quelqu'un est infecté, la protéine dite Prp modifie sa structure tridimensionnelle. Celle-ci est stable et induit un certain nombre de désordres qui vont conduire à la mort des neurones, et donc, tôt ou tard, à la dégénérescence et à la mort de l'individu.

Il faut admettre dans cette théorie qu'il y ait possibilité de transfert de structure tridimensionnelle anormale entre 2 protéines : la protéine qui participe à l'infection, protéine anormale, et celle normale qui existe chez le receveur. Ceci implique donc un contact entre la protéine du donneur et celle du receveur, et un transfert de ces caractéristiques tridimensionnelles anormales qui feront ensuite que cette protéine ne pourra pas être métabolisée normalement par la cellule, va s'y accumuler et provoquer les désordres auxquels je faisais allusion tout à l'heure.

Cette théorie du prion est aujourd'hui supportée par un certain nombre de faits expérimentaux qui sont :

1) La composition quasi exclusivement protéique des fractions infectieuses.

2) Le fait que cette protéine, sous sa forme anormale qui lui permet de résister aux enzymes qui habituellement la dégradent, est le composant majeur des fractions infectieuses.

3) Le spectre d'inactivation de ces agents qui est particulier puisqu'il est extrêmement difficile de se débarrasser d'un prion avec des procédés physiques ou chimiques. Il faut des traitements très forts pour commencer à voir l'infectiosité diminuer. Or, ces traitements très forts semblent, dans l'état actuel des connaissances, assez difficilement compatibles avec un agent conventionnel, un virus conventionnel en particulier.

Néanmoins, je pense qu'il faut se garder absolument d'avoir une idée préconçue sur la nature de ces agents, et tant qu'on n'aura pas identifié par exemple la structure tridimensionnelle de la protéine anormale, il faut garder l'esprit ouvert à toute autre possibilité et ne pas considérer que la théorie du prion est démontrée et que tout est figé dans les connaissances.

Parmi les autres points qui restent aujourd'hui assez peu connus, il y en a 2 qui concernent la pathogenèse, 2 qui concerne les mécanismes de la maladie.

Le premier concerne l'aptitude, la connaissance des mécanismes qui font que ces agents vont persister dans le système immunitaire d'une façon générale, dans les formations lymphoïdes associées au tube digestif, d'abord quand il s'agit d'une contamination orale, pendant un certain nombre de mois ou d'années selon l'espèce et son espérance de vie. Les cellules cibles de ces agents ne sont pas encore identifiées avec précision, et les mécanismes qui font que la persistance de ces agents dans le système immunitaire ne s'accompagnent pas de modification identifiable des fonctions immunitaires ne sont pas connus.

Autre point inconnu, ce sont les mécanismes précis qui permettent à l'agent d'entrer dans le système nerveux. Comment l'agent passe du système immunitaire au système nerveux ?

Plusieurs hypothèses sont proposées. La plus probable aujourd'hui serait l'utilisation des terminaisons nerveuses qui innervent à la fois le tube digestif et les formations lymphoïdes du système immunitaire qui sont associées au système digestif. Cependant, certains auteurs évoquent aussi la possibilité d'une perméabilité de la barrière hémato-encéphalique. Même si cette hypothèse semble moins probable, il ne faut pas la rejeter.

Autre mécanisme non connu encore avec précision, c'est le mécanisme par lequel l'accumulation de la protéine anormale entraîne la mort des neurones. On a un certain nombre d'indicateurs qui font penser que des mécanismes de mort cellulaire programmée interviennent, mais ce sont des résultats expérimentaux de travaux effectués in-vitro dont on ne connaît pas encore la pertinence in-vivo.

Sur un plan des estimations scientifiques des risques de santé publique, en particulier, puisque c'est le thème de cette session, pour ce qui est de l'homme, il manque un certain nombre de connaissances. La première des connaissances qui nous manque est la dose minimale infectieuse pour l'homme. Nous ne savons pas aujourd'hui quelle est cette dose minimale infectieuse.

Deuxième point critique : quels sont les effets de dose sub-infectieuse, c'est-à-dire en dessous de la dose infectieuse, mais administrée de façon répétée dans le temps.

Troisième inconnue : la durée de la période d'incubation chez l'homme en fonction de la dose à laquelle il est exposé.

Dernier point : la force de la barrière d'espèce entre le bovin et l'homme.

Ces 4 points qui sont critiques pour essayer par exemple d'estimer le nombre de cas à venir de nouvelle variante de maladie de Creutzfeldt Jakob ne sont pas encore connus. Ils sont extrêmement difficiles à aborder sur le plan expérimental, même dans des systèmes impliquant des animaux génétiquement modifiés comme les souris trans-géniques, et ce sont probablement les études menées à la fois en Europe et aux Etats-Unis chez le primate qui permettront d'apporter une partie des réponses.

Toujours dans cette introduction, sur les points manquants aujourd'hui de la connaissance dans les maladies dites " à prion ", je voudrais aborder le problème de la thérapeutique. Nous ne savons pas aujourd'hui traiter les patients atteints de la maladie Creutzfeldt Jakob, quelle qu'en soit la forme, qu'il s'agisse d'une maladie sporadique, familiale, iatrogène ou encore de cette nouvelle forme de maladie de Creutzfeldt Jakob.

Nous sommes totalement démunis face aux patients. On ne peut pas espérer prolonger aujourd'hui leur survie avec la pharmacopée, avec les drogues qui ont une autorisation de mise sur le marché ou les drogues qui sont arrivées avec un état de développement permettant un essai clinique par exemple.

En revanche, sur le plan expérimental, nous disposons d'une petite dizaine de molécules qui sont actuellement en étude dans plusieurs laboratoires dans le monde et qui, dans des conditions expérimentales particulières, permettent d'augmenter la survie des animaux qui sont expérimentalement infectés. Le plus souvent, ces molécules nécessitent d'être administrées très tôt après l'infection, voire juste avant l'infection, ce qui rend impossible leur utilisation en clinique humaine puisque, aujourd'hui, nous ne savons pas repérer les individus qui sont infectés et pas encore symptomatiques, et parfois même nous avons des difficultés à faire le diagnostic chez les sujets malades.

Le dernier point que je souhaite aborder est l'absence aujourd'hui d'un test de dépistage chez l'homme qui pourrait être applicable chez le sujet en période d'incubation. Nous avons aujourd'hui des indicateurs, ce que l'on appelle les marqueurs de la maladie, comme la protéine 14.3.3 dans le liquide céphalo-rachidien, qui permettent d'aider au diagnostic de la forme classique de la maladie Creutzfeldt Jakob. Nous avons la mise en évidence dans certains tissus lymphoïdes, et dans le système nerveux central lorsqu'il y a eu une biopsie, de la protéine pathologique du prion résistant aux protéases. Cependant, tout cela ne peut être effectué que lorsque le sujet a déclaré sa maladie.

Or, ce qui est important en termes de santé publique, c'est l'estimation de la prévalence de l'infection dans la population générale. Pour cela, il nous faudrait donc un test simple, praticable probablement sur le sang, qui puisse permettre de diagnostiquer l'infection par un prion quelconque de l'homme, et je dois dire que cette mise en place d'un test de dépistage chez l'homme pendant la période asymptomatique permettrait de lever beaucoup des points d'interrogation que j'ai évoqués auparavant.

M. LE DEAUT - Merci Monsieur le professeur DORMONT. Je vais demander à mes collègues présents s'ils ont des questions à poser, puisque le professeur DORMONT doit partir.

Je vais poser la première question. Ce matin, Monsieur le Ministre de la Recherche a indiqué comme vous qu'il fallait développer la recherche parce que la connaissance de la maladie passait par le développement de la recherche. Aussi bien le CEA qui était pionnier que le CNRS, l'INRA ou l'INSERM et quelques autres instituts travaillent sur les maladies à prion. Que serait-il indispensable de faire aujourd'hui au niveau de la recherche pour réussir à accroître notre potentiel de connaissance sur les maladies à prion ?

Pr DORMONT - Je commencerai par une boutade. Dès lors que vous demandez à un chercheur s'il veut accroître ses moyens, il vous répondra toujours oui et c'est bien normal.

Ceci posé, les moyens qui sont mis à disposition de la Recherche constituent le résultat d'une évaluation menée par les Autorités, par les Pouvoirs Publics et par la Société. Ces moyens étant attribués, ce qui aujourd'hui fait le plus défaut, c'est la possibilité de pérenniser des actions de recherche en termes de personnels. S'il y avait une amélioration à suggérer, en dehors même de l'enveloppe budgétaire qui reste de la responsabilité des Pouvoirs Publics, c'est la possibilité juridique de pouvoir prendre des chercheurs, des personnels techniciens, animaliers, pendant des temps qui sont compatibles avec ce type d'expériences.

A titre d'exemple, lorsque vous voulez évaluer l'efficacité d'un médicament dans les maladies à prion, vous utilisez très communément un modèle chez la souris, et l'évaluation de l'effet d'une dizaine de doses d'un médicament chez la souris demande environ 18 mois à 2 ans en moyenne. Ce sont des choses qui sont longues et qui nécessitent un effort soutenu dans le temps.

M. CHEVALLIER - Monsieur le Professeur, est-ce que toutes les maladies à prion se traduisent in fine par une manifestation type Creutzfeldt Jakob ?

Deuxièmement, par rapport aux différents événements que nous avons vécus dans le dossier de la vache folle, entre les avis donnés par le Comité DORMONT, le Comité à l'échelon européen, parfois il y a des avis divergents. Or, nous sommes en face d'experts qui, semble-t-il, possèdent une connaissance scientifique de haut niveau mais avec des appréciations différentes. Nous avons été un peu choqués que des experts puissent avoir sur cette maladie et son mode d'expression des avis divergents.

Troisièmement, quelle coordination existe-t-il actuellement au niveau de la recherche au plan européen ?

Pr DORMONT - Je répondrai d'abord sur le second point. Plus un sujet scientifique comporte d'incertitude, plus il y a place aux avis divergents par nature puisque, à ce moment, vous êtes obligé de faire de plus en plus d'hypothèses en fonction du delta d'incertitude que vous avez.

Pour ce qui est des avis divergents ou qui ont pu être perçus comme divergents entre les experts français et les experts européens, pour ma part sur le plan de la pure analyse scientifique, des faits scientifiques, je n'ai pas vu de divergences majeures entre les écrits du Comité Scientifique Directeur de l'Union Européenne et les écrits du Comité Interministériel Français. La différence qui apparaît est postérieure à cela. En d'autres termes, le Comité Français d'une part a décidé de prendre en compte l'ensemble des incertitudes, et d'autre part souhaite voir les effets de mesures administratives avant de tirer quelque conclusion que ce soit.

En d'autres termes, vous faites allusion je suppose à la levée de l'embargo. Les mesures proposées par le gouvernement britannique à l'Union Européenne ont été jugées satisfaisantes par les 2 comités et comme améliorant considérablement la sécurité des produits d'origine bovine. Le Comité Scientifique Directeur a dit d'accord, le Comité Interministériel Français a dit : c'est très bien, l'incubation de la maladie est de 5 ans, attendons 2001 pour voir si ces mesures sont correctement appliquées.

Votre première question était de savoir si tous les gens infectés par un prion vont développer une maladie à prion.

On sait de la pathologie expérimentale, en particulier dans le franchissement de barrière d'espèce, lorsqu'un prion passe d'une espèce à une autre, il existe un certain nombre d'animaux qui, inoculés lors de ce premier passage inter-spécifique, meurent de leur belle mort sans signe clinique, et si vous prélevez le cerveau de ces animaux vous pouvez voir des lésions évocatrices de maladie à prion, parfois même il est possible de ne pas en voir, mais en ré-inoculant ce cerveau à d'autres animaux, en faisant ce que nous appelons un second passage, vous pouvez voir émerger l'infectiosité.

Le fait de ne pas voir de maladie clinique dans un passage inter-spécifique n'est pas suffisant pour estimer l'absence de multiplication du prion. Ces faits sont connus depuis à peu près 30 ans. Ce ne sont pas des nouveautés. Cela a été très bien rappelé et bien démontré récemment par un article d'un de nos collègues britanniques.

Votre troisième point portait sur l'organisation de la recherche au plan européen ; je vous donnerai mon sentiment personnel. J'ai trouvé que les programmes européens qui ont été faits jusqu'à l'année dernière, soutenus par l'Union Européenne jusqu'à l'année dernière, ont donné un souffle important à la recherche européenne sur le sujet et en particulier à la coopération entre les laboratoires puisque, comme vous le savez, la Commission ne soutient que les projets de laboratoires en réseau.

Vous êtes obligé, lorsque vous présentez un projet auprès de l'Union Européenne, d'être associé avec d'autres laboratoires d'autres pays. Cette obligation finalement a été très positive parce que cela oblige à collaborer, à se rencontrer fréquemment, à échanger du matériel, cela oblige à standardiser les méthodes, et le Professeur WILL pourra vous dire combien cela a été fructueux dans sa partie qui est l'épidémiologie et la standardisation des méthodes de diagnostics.

M. LE DEAUT - En complément, vous avez indiqué 4 points où les connaissances n'étaient pas suffisantes.

Pr DORMONT - Entre autres.

M. LE DEAUT - Vous n'avez pas parlé de susceptibilité génétique. Pensez-vous que cela pourrait être le cinquième point ?

Pr DORMONT - Il existe des formes de maladie de Creutzfeldt Jakob " familiales " qui sont associées à la présence d'une mutation dans le gène de la protéine Prp (dans le gène de la protéine du prion normal), et on a pour habitude aujourd'hui de considérer que ces mutations sont à l'origine de la maladie. Cela représente entre 5 et 10 % des cas de Creutzfeldt Jakob habituels. Là, il y a une importance de la génétique.

Dans les 90 % restants, dans les formes sporadiques de la maladie de Creutzfeldt Jakob, dans les formes qui sont liées à la contamination accidentelle, soit par des instruments de neurochirurgie mal décontaminés ou insuffisamment décontaminés, soit par l'hormone de croissance, et dans la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob, on a pu mettre en évidence une structure particulière du gène de la Prp associé à une plus grande susceptibilité à la maladie de Creutzfeldt Jakob.

C'est ce que l'on appelle le polymorphisme au niveau du codon 129. Dans sa 129 ème position du gène de la Prp, vous pouvez avoir, soit un acide aminé qui s'appelle la méthionine, soit un acide aminé qui s'appelle la valine. Si vous héritez de votre père de la méthionine et de votre mère de la méthionine vous serez homozygote méthionine/méthionine. Si vous héritez de votre père et de votre mère de la valine, vous serez homozygote valine/valine, et si vous héritez de votre père de la méthionine et de votre mère la valine, vous serez hétérozygote méthionine/valine.

Or, il se trouve que 90 % des Creutzfeldt Jakob liés à l'hormone de croissance extractive sont homozygotes au codon 129 dans les 3 séries qui ont été investiguées aux Etats-Unis en Grande-Bretagne et en France.

Cette sur-représentation au codon 129 existe aussi dans la forme classique sporadique de la maladie de Creutzfeldt Jakob, et tous les malades présentant les nouvelles variantes de la maladie de Creutzfeldt Jakob, chez qui cet examen a été pratiqué, sont homozygotes méthionine/méthionine au codon 129. Ce que l'on peut dire aujourd'hui, c'est qu'à ce jour, et sous réserve que le Professeur WILL ne nous apporte pas un cas identifié hier, l'ensemble des patients chez qui a été fait une analyse du gène de la Prp et qui présentent une nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob ont une structure génétique particulière au codon 129. Ils sont tous méthionine/méthionine.

Le problème est de savoir si cette homozygotie est un facteur " de protection " ou si c'est un facteur qui gouverne la durée de la période d'incubation comme on a pu le constater dans d'autres catégories de maladies à prion et chez des sujets exposés à l'hormone de croissance et dans le Kuru.

La logique aujourd'hui voudrait qu'on considère cette structure génétique comme plutôt un facteur non pas de susceptibilité à 100 % mais une structure génétique qui gouverne probablement la durée de la période d'incubation, mais la question reste ouverte.

M. JEAN-JACQUES DENIS - Je souhaiterais poser une question d'étape pour essayer de comprendre. Apparemment, il y a beaucoup de théories, des hypothèses, je voudrais vous poser deux questions simples. D'abord, est-ce que l'encéphalopathie spongiforme transmissible est vraiment une maladie humaine ? Ensuite, qu'est-ce qui vous permet, vous scientifiques, d'établir un lien direct entre la forme bovine et la forme humaine ?

Pr DORMONT - Une maladie qui se déclare chez l'homme est une maladie forcément humaine.

Vous posez la question suivante : quelle est la force des arguments scientifiques que nous avons aujourd'hui pour considérer que la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob correspond à l'exposition de l'homme à l'agent de la maladie bovine ?

Etant donné les incertitudes que nous avons sur la nature même des prions, il m'est impossible de vous dire que le prion est exactement le même dans les deux cas puisque nous ne savons pas exactement disséquer la composition d'un prion. Ceci est de la science très dure et carrée.

Ceci étant posé, en 1996, vous savez que les Britanniques ont décrit 10 cas de maladie de Creutzfeldt Jakob chez des jeune gens en Grande-Bretagne. Il existait déjà des cas de maladie de Creutzfeldt Jakob chez des gens jeunes mais ces cas étaient rares, en dehors même de toute contamination médicale ou chirurgicale. La présence de 10 cas ensemble sur une période de 14 mois à 18 mois constitue en soi un phénomène d'alerte, sachant que cela ne veut pas dire que l'ESB est impliqué.

Quels sont les arguments qui permettent de dire que l'ESB est impliqué ? D'abord, le fait qu'il n'y a pas d'autres explications satisfaisantes quant à l'origine de ces 10 premiers cas de la maladie de Creutzfeldt Jakob sous sa nouvelle variante en Grande-Bretagne. Nos collègues britanniques ont investigué le passé des patients et n'ont pas trouvé de possibilité de contamination chirurgicale ou médicale qui soit commune à l'ensemble de ces patients. Ils n'ont pas trouvé non plus de mutation dans le gène de la Prp, ce qui en aurait fait des maladies génétiques.

Deuxième point, depuis 1996, les médecins les chercheurs ont travaillé et, sur le plan épidémiologique, vous avez 85 cas de nouvelle variante de la maladie Creutzfeldt Jakob sur le territoire des îles britanniques et 4 cas en dehors du Royaume-Uni.

L'encéphalopathie bovine spongiforme, c'est un peu moins de 180 000 cas dans les îles britanniques, aux alentours de 1 000 cas en dehors des îles britanniques. Vous avez une similitude épidémiologique de la répartition de la maladie humaine et de la maladie animale. La maladie humaine arrive 10 ans après la maladie animale, ce qui est compatible avec une transmission entre l'animal et l'homme.

Si l'on part de 1996 jusqu'à aujourd'hui, en 1996 le réexamen par Mademoiselle LASMEZAS que vous avez entendu ce matin du cerveau de singe inoculé par l'agent de l'encéphalopathie bovine spongiforme a permis de retrouver les lésions qui étaient reconnues comme spécifiques de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob. Un primate que vous inoculez par l'agent de l'encéphalopathie bovine reproduit les lésions spécifiques de la nouvelle forme humaine. Il y a donc similitude neuropathologique des deux maladies.

Est arrivé ensuite un argument biochimique. Il se trouve qu'on arrive à mettre en évidence des caractéristiques propres à la protéine pathologique du prion qui s'accumulent dans les nouvelles variantes de la maladie de Creutzfeldt Jakob, et ces caractéristiques physico-chimiques que l'on voit à l'électrophorèse et l'immunodétection ne sont vus que sous cette forme là chez l'homme. Ces caractéristiques physico-chimiques sont retrouvées chez le singe infecté par l'agent bovin.

Il y a donc similitude biochimique entre l'agent de la nouvelle variante et l'agent de l'encéphalopathie bovine spongiforme.

Puis, est arrivé ce qu'à titre personnel je considère comme l'argument ultime, à savoir le travail d'une scientifique d'Edimbourg qui, par une technique lourde et sophistiquée, dissèque les propriétés biologiques des souches de prion. Elle a démontré que la souche correspondant à la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob était très différente des autres souches connues de maladie de Creutzfeldt Jakob mais en revanche était strictement identique à la souche d'encéphalopathie bovine spongiforme.

Ce sont, à mon avis, les trois arguments les plus forts qui incitent à considérer que, en termes de santé publique, on doit admettre que la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob est liée à l'exposition de l'homme à l'agent bovin.

Enfin, en décembre 1999, est sorti un travail de l'équipe de Stanley PRUSINER, prix Nobel 1997, qui montrait que dans des souris génétiquement manipulées la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob et l'encéphalopathie bovine spongiforme avaient des caractéristiques étonnamment proches. Je n'ai vu aucun papier publié au cours de ces 4 dernières années qui amènent un argument allant contre l'identité de l'agent du nouveau variant et de l'encéphalopathie bovine spongiforme.

M. LE DEAUT - Merci de cette présentation.

Pr MC CONNELL - Je voudrais faire deux observations concernant le débat. D'abord, il ne faut pas se préoccuper des désaccords scientifiques chez les experts. C'est bien le processus de la science, c'est le bien de la science, il vaut mieux avoir des idées soumises à l'épreuve plutôt que d'avancer en pensant que tout est merveilleux.

Ensuite, concernant la coopération au sein de l'Union Européenne, celle-ci est indispensable car les expertises scientifiques sont investies dans un petit nombre de laboratoires. Une des premières critiques adressées à la crise de l'ESB a été communiquée au public par trop peu de bouches ; il y avait trop peu de personnes qui planchaient sur le problème. C'est en partie une question de financement, essentiellement dû au fait que dans le système universitaire au Royaume-Uni, nous finançons la science sur une base de 3 ans. Vous ne pouvez pas étudier des maladies qui ont une période d'incubation de 5 ans avec des crédits sur 3 ans. Vous ne pouvez pas étudier des maladies de virus lents avec de l'argent rapide.

Mon propos est que la coopération européenne entre les groupes est tout à fait indispensable, et je me félicite de son existence. Je préside un groupe d'examens sur la recherche britannique ; nous avons été chargés de trouver des experts en dehors du Ministère de l'Agriculture, et je peux vous dire que nous avons reçu beaucoup d'aide de la part de nos collègues français et européens. La coopération européenne est donc essentielle. Outre le financement à long terme, il y a la question critique concernant la dépense de ce chantier de recherche qui est très coûteux.

Il y a de nombreuses personnes dans de nombreux laboratoires qui sont fascinées et qui souhaitent ardemment travailler sur cela. Cependant, en raison de contraintes très rigoureuses, tous les laboratoires ne sont pas équipés pour travailler là-dessus.

Pour donner un exemple, dans mon propre laboratoire, si moi-même ou l'un ou l'autre de mes collègues souhaite travailler dans ce domaine de recherche, il nous faut un équipement dédié et cet équipement dédié ne peut pas être reproduit dans chaque service universitaire qui souhaite travailler dans cet axe de recherche. Cela s'applique notamment au centre animalier, et là où nous évoluerons c'est précisément en favorisant la coopération entre ceux qui ont les idées, qui peuvent réagir et relever les défis scientifiques et ceux qui ont les moyens, les équipements, les animaleries.

Tout ce qui peut être fait au niveau des Pouvoirs Publics pour favoriser cette coopération entre les laboratoires d'état et universitaires me paraît très important car au bout du compte, ce qui compte, c'est cette masse critique, à savoir le nombre de chercheurs, de scientifiques qui travaillent sur ce problème.

M. LE DEAUT - Il y a une dernière question au Professeur DORMONT avant de passer à la table ronde. La question qui a été abordée ce matin assez largement sur la transmission du prion après ingestion et sur le passage vers le système nerveux impose obligatoirement un passage par le sang. Cette question est liée à l'incertitude quant à l'effet de seuil dans l'agent infectieux. En effet, s'il y a passage par le sang, cela veut dire que des particules infectieuses sont en contact avec des matériaux à risque et avec d'autres formes que les matériaux à risque spécifiés.

En tant que scientifique, pouvez-vous fournir une explication ?

Pr DORMONT - C'est un sujet qui est l'objet de débat. Les expérimentations menées en particulier chez la souris, qui montrent une dissémination de la protéine pathologique et donc de l'infectiosité aux formations lymphoïdes associées au tube digestif et en dehors du tube digestif - compte tenu de ce que l'on connaît de la circulation des cellules du système lymphoïde et les relations qui existent entre système lymphoïde associé au tube digestif et système lymphoïde en dehors du tube digestif - suggèrent qu'il y a passage à un certain moment au moins par les voies sanguines.

Je dois dire que cela ne fait pas l'unanimité de la communauté scientifique, et en particulier quelques chercheurs américains pensent que l'infection se fait directement par les plexus de Meisner qui sont les formations nerveuses associées au tube digestif.

S'il y avait une estimation à faire entre l'efficacité de ces deux voies, elles sont toutes deux possibles mais la voie qui a été évoquée ce matin, qui est une voie de dissémination via les organes lymphoïdes, d'installation de la réplication dans les organes lymphoïdes secondaires et ensuite d'entrée dans le système nerveux périphérique, me semble au moins aussi probable que l'infection directe du système nerveux périphérique à partir des formations nerveuses associées au tube digestif.

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