Colloque élection du Président de la République
au suffrage universel
27 novembre 2015



Mes chers collègues,
Messieurs les Conseillers d’état
Messieurs les Préfets,
Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de vous accueillir au Sénat pour ce colloque organisé par l’Institut Alain Poher et consacré à l’élection du Président de la République au suffrage universel, alors que nous célébrons le cinquantième anniversaire de la première mise en œuvre de cette novation institutionnelle majeure.

J’ai évidemment une pensée émue pour Alain Poher, que j’ai eu la chance de côtoyer alors jeune sénateur et secrétaire du Bureau du Sénat. Il m’a alors fait confiance, y compris pour réfléchir à une réforme de notre assemblée !

Comment cette novation, qui marquera encore longtemps de son empreinte la vie politique française, a-t-elle germé dans l’esprit du Général de Gaulle ?

Personne ne dispose aujourd’hui avec certitude de la réponse. Alors il nous revient de faire avec humilité et prudence des suppositions, celles-ci nous amènent aussi loin qu’il est possible, c’est-à-dire en 1917 dans ces carnets et notes de guerre où il déplore « l’absence d’un souverain pour gouverner la France ».

Mais c’est plus sûrement lors du discours de Bayeux de 1946 qu’apparait clairement dans la pensée politique du Général l’idée d’un chef de l’État transcendé par sa nouvelle puissance se plaçant au-dessus des contingences politiques et des partis, instruments de division. Le Général déclare alors : « C'est du chef de l'État, placé au-dessus des partis que doit procéder le pouvoir exécutif. »

Cette réflexion ne cesse de mûrir parmi les siens. Michel Debré dans son livre « Les princes qui nous gouvernent », écrit en 1957 : « Ces princes pourraient transformer le principe du pouvoir en créant pour le bien de la Nation un exécutif puissant. Cette réforme suppose que le Président de la République devienne un vrai chef d’État. Il serait désigné soit au suffrage universel soit par un collège élargi et bien composé. »

Le 11 avril 1961, le Général pense à sa succession, il déclare : « Je considère comme légitime que les hommes qui ont le souci du bien public et de la continuité nationale se préoccupent de ce qui pourrait être prévu pour le jour où j’aurai disparu. On peut penser qu’il faudrait que le futur Président soit choisi par la Nation au suffrage universel. »

Le 22 août 1962, l’OAS tente d’assassiner le Général au Petit Clamart, désormais sa disparition n’appartient plus au domaine du virtuel. C’est à ce moment précis que Charles de Gaulle semble avoir définitivement tranché.

En 1996, au Sénat, lors d’un hommage à André Malraux, Alain Peyrefitte rappela les propos du ministre de la culture lors du conseil des ministres qui suivit cet attentat. André Malraux s’adressa au Général en ces termes : « Votre successeur doit-il être élu par le suffrage universel ? La réponse est Oui. Comment pourrait-il en être autrement ? Cette réforme sera-t-elle votée par référendum ? La réponse est Oui. Comment pourrait-elle l'être autrement ? Il faut que votre successeur puisse sauver la République ».

Favorable dans un premier temps à un tour unique, le Général se ralliera finalement au principe d’un deuxième tour limité aux deux candidats arrivés en tête pour assurer le sérieux de l’élection, éviter les marchandages et empêcher les partis politiques de contrôler l’élection.

Une réflexion : ce dernier item fonctionne-t-il encore vraiment aujourd’hui ?

Le 20 septembre 1962, dans une allocution radiotélévisée, le Général de Gaulle annonce « je crois devoir faire au pays la proposition que voici : quand sera achevé mon propre septennat, ou si la mort ou la maladie l’interrompait avant le terme, le Président de la République sera dorénavant élu au suffrage universel. »

Cette annonce suscite un tollé dans les partis traditionnels. À l’exception du parti gaulliste, l’UNR, et d’une minorité des Indépendants emmenée par Valéry Giscard d’Estaing, c’est un refus. Outre l’hostilité même à la réforme, la classe politique reproche au Général de Gaulle l’utilisation de l’article 11 de la Constitution pour le processus référendaire et non l’article 89 destiné spécifiquement à la révision de la Constitution, mais qui suppose un vote du Parlement.

François Mitterrand s’indigne en faisant observer que modifier les conditions d’élection du Président de la République, et ne modifier que cela, serait aboutir à la suppression du régime représentatif, régime qu’ont voulu les républicains, fidèles à la grande tradition française. Mais l’auteur du Coup d’État permanent comprendra très vite quelques années plus tard les fruits qu’il pourra tirer de ce bouleversement.

Gaston Monnerville déclare, au Sénat, le 9 octobre 1962 : « l'élection du Président de la République au suffrage universel, sans que soit organisé au préalable le mécanisme de cet équilibre indispensable, ne fera que créer la confusion des pouvoirs, et au profit d'un seul. Elle donnera naissance à un pouvoir personnel, omnipotent, incontrôlable, et en même temps irresponsable : car, aux termes de la présente Constitution qui resterait inchangée sur ce point, le chef de l'État n'est pas responsable devant le Parlement. »

Le référendum a lieu, le 28 octobre 1962, le oui l’emporte avec 62 % des voix. Dès lors, l’élection présidentielle au suffrage universel demeurera l’élément structurant de notre vie politique.

Le 4 novembre 1965, le Général annonce qu'il sera candidat et proclame : « En élisant le Président de la République, il vous sera donné de fixer en conscience, par-dessus toutes les sollicitations des tendances partisanes, des influences étrangères et des intérêts particuliers, la route que va suivre la France. Ainsi, devant tous les peuples, le scrutin historique du 5 décembre 1965 marquera le succès ou le renoncement de la France vis-à-vis d'elle-même. »

Lors de la campagne présidentielle, au Palais des Sports, Malraux déclare : « Puisque la résurrection de la France exigeait une autorité véritable, il fallait que cette autorité fût fondée sur le peuple, et que le Président de la République fût élu au suffrage universel. »

Ce 5 décembre 1965 marquera, malgré une mise en ballotage par François Mitterrand, le succès de la France vis-à-vis d’elle-même. Je n’entrerai pas dans les détails de cette campagne, les intervenants vont le faire dans quelques instants, mais je me contenterai de ne citer qu’un chiffre, celui de la participation de cette première élection : 84,7 % des inscrits au premier tour, 84,3 % au second, c’est la marque absolue que, dès le début, les Français se sont appropriés cette élection et ils en ont fait, depuis cinquante ans, la pierre angulaire de nos institutions. Quand les autres élections voyaient leur taux de participation baisser, l’élection municipale mise à part, l’engouement pour l’élection présidentielle n’a jamais varié au fil du temps et j’ai le sentiment que les Français ne sont pas prêts à renoncer à ce droit que leur donne la Constitution.

Ce 5 décembre 1965, la prééminence du chef de l’État fut définitivement établie sur le Premier ministre et sur le Parlement.

Mais l’élection du chef de l’État au suffrage universel n’est pas la seule raison de la primauté présidentielle… À l’onction du peuple s’ajoute le pouvoir d’État et les larges prérogatives constitutionnelles en matière de diplomatie et de défense qui font par exemple du Président de la République le seul détenteur de la force nucléaire française, le seul capable de décider rapidement une intervention militaire. L’élection présidentielle au suffrage universel pourrait s’apparenter alors à un sacre jupitérien qui donne au Président de la République cette force qui permet à la France d’être en état de réagir et de faire face à toute agression telle que celles que nous avons connues en janvier et le 13 novembre dernier ou au Mali en janvier 2013.

En fait, dès 1962, lorsque la réforme fut décidée, la présidentialisation avait déjà été amorcée : la Constitution elle-même dans son article 5 donnait au Président de la République une stature de gardien de la Constitution, se situant au-dessus des partis et enfin de garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités.

C’est ce qui fait que l’élection présidentielle se distingue de toute autre. François Mitterrand, qui avait été l’une des figures de proue des contestations à l’endroit de la réforme de 1962, déclara à la veille de la première cohabitation en 1986 : « Le Président de la République n’est pas en question quand on vote pour des maires, des conseillers municipaux, des députés, des sénateurs et que sais-je encore »…

Depuis cette date, nos institutions ont su conjuguer alternance démocratique et stabilité de l’exécutif dans notre pays.

Les conséquences politiques du passage au quinquennat, fruit de la volonté de Lionel Jospin, ont été, sur le moment, clairement sous-estimées. Aujourd'hui encore, l'édifice institutionnel n'a toujours pas trouvé son exacte assise. Mais tous les projets que l'on nous propose, encore récemment, notamment ceux qui concernent le retour à la proportionnelle et l’abaissement de la fonction présidentielle, aboutiraient irrémédiablement au retour à l'hégémonie des partis sur la vie politique, partis qui sont aujourd’hui encore plus discrédités que l'institution présidentielle. Le Président de la République deviendrait alors non plus un acteur mais un simple arbitre dont le rôle se bornerait rapidement à celui d’un Président de la IVème République.

C’est Pascal Perrineau qui rappelait, le 11 novembre dernier, une date symbolique dans le Quotidien Le Figaro, que les seules institutions représentatives qui bénéficient encore de la confiance des électeurs étaient les institutions locales, les maires, les conseillers municipaux. Les politiques doivent faire preuve de discernement, ne coupons pas le fil avec les Français.

Comment imaginer qu’en dépouillant le Président de la République de la plupart de ses pouvoirs, on redonne de l'efficacité à l'action politique que ce soit sur le plan intérieur ou sur la scène internationale ?

Vous savez le très grand respect que je porte à mes deux prédécesseurs : Gaston Monnerville et Alain Poher qui ont été à la fois des résistants aux côtés du Général de Gaulle et des responsables politiques ayant exprimé leur désaccord profond avec la modification constitutionnelle.

Je me suis penché sur le rôle qu’a joué Gaston Monnerville au cours de l’année 1961, alors que l’état d’urgence était décrété et l’article 16 appliqué et, le gaulliste que je suis peut dire à quel point les rapports qu’il a entretenus avec le Général de Gaulle et Michel Debré – et ses propos d’alors méritent dans le contexte d’aujourd’hui d’éclairer notre attitude au Sénat pour les temps qui viennent – ont contribué à maintenir un équilibre entre l’exécutif et le législatif.

Au moment où notre pays est confronté à des défis de grande ampleur, une guerre à l’intérieur comme à l’extérieur de notre territoire contre l’islamisme radical, un chômage de masse, des flux migratoires non maîtrisés et un endettement très important, toute réforme irréfléchie de nos institutions pourrait aboutir à leur déstabilisation.

Mesdames et Messieurs,

Les institutions d'un pays sont d'abord ce que décident d'en faire les hommes qui les incarnent.

Il est vrai qu'aujourd'hui la majesté présidentielle n'est plus tout à fait celle qu’a incarnée le Général de Gaulle. Mais rien ne remplacera, en fait, la vertu des hommes. Même désigné d’abord par un parti au travers d’une primaire, le Président de la République doit avoir pour ligne qu’il est d’abord et avant tout, comme le réclame le pays, « l’homme de la Nation », celui du sursaut et de l’unité. Et je dois dire que, depuis le 14 novembre au matin, le retour des maires que je reçois, qui me contactent en tant que Président du Sénat, montre à quel point ces derniers sont les ferments et le ciment de cette unité nationale.

A la veille de ce cinquantième anniversaire, je porte l’idée que l’élection du Président de la République au suffrage universel demeure pour la France, un atout essentiel pour mieux affronter le XXIème siècle.

C’est devenu une part de l’identité de la France, de son autorité dans le monde !

Même si on y a trop touché, oui, je crois à la Vème République !

Excellent colloque à toutes et à tous.