Intervention de M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Vœux de Territoires Unis
Lundi 13 janvier 2020



Monsieur le Président de l’Association des maires de France et présidents d’intercommunalité, cher François Baroin,
Monsieur le Président de l’Assemblée des départements de France, cher Dominique Bussereau,
Monsieur le Président de Régions de France, cher Renaud Muselier,
Mes chers collègues élus, maires, présidents de conseils départementaux et présidents de région,
Chers collègues Présidents de Groupe au Sénat,
Cher Vincent Éblé, Président de la Commission des finances,
Cher Albéric de Montgolfier, Rapporteur général de la Commission des finances,
Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir, ici au Sénat, pour ces seconds vœux de Territoires Unis, régions, départements et communes, engagés ensemble depuis quinze mois, dans une démarche constructive et déterminée.

Que ces trois niveaux de collectivités territoriales et le Sénat soient mutuellement hôtes, ce n’est en fait que l’application de notre Constitution.

En ce début d’année, marqué par la persistance de désordres d’une durée encore jamais connue, nous ne pouvons que réitérer les constats que nous formulions il y a un an : « la crise des ronds-points » de l’automne 2018 était la manifestation d’une crise durable et profonde ; les tensions sociales que nous vivons en ce moment vont, en effet, au-delà des oppositions assez classiques à une réforme des retraites, elles sont aussi une nouvelle traduction, dans la rue, d’une partie des nombreuses fractures qui morcellent et fragilisent le pays.

Si ces fractures sont tellement ressenties, c’est aussi parce que les structures publiques de proximité, l’État au plan local mais surtout les communes, leurs groupements et l’ensemble des  collectivités territoriales ont été durablement affaiblis. Depuis des années, l’État impose un encadrement réglementaire et financier et, plus encore, a une attitude telle que la marge d’initiative des collectivités a été amoindrie.  Le constat c’est un mouvement de recentralisation sans précédent.

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Les vœux que je formulerai aujourd’hui découlent de ce double constat : je souhaite d’abord que nous puissions refaire Nation et je suis convaincu que nos collectivités territoriales sont les mieux à même d’y contribuer.

Les spécificités de nos territoires, c’est ce qui fait l’identité de la France comme l’écrivait Fernand Braudel.

La décentralisation a contribué à dessiner le nouveau visage d'une Nation française plus ouverte, plus moderne, mieux adaptée à l'évolution d'un contexte économique et social en pleine mutation, mieux préparée à s'insérer dans une Union européenne en devenir et en même temps plus proche des citoyens.

Donner davantage de liberté à nos collectivités territoriales, c’est restaurer l’identité de la France, c’est faire en sorte que la Nation française continue à être « un héritage en partage » qu’il nous appartient de faire vivre et de transmettre.

Le renforcement des libertés locales est une impérieuse nécessité. Car c’est au sein des « petites patries » que constituent les collectivités, au premier rang les communes, que la démocratie s’exerce le plus naturellement.

La démocratie est née en même temps que les libertés locales, qui s’attachèrent à chaque cité durant le Siècle de Périclès ; elle s’est développée dans toute l’Europe avec l’essor des villes à la Renaissance. La Troisième République s’est enracinée en même temps qu’elle instituait le fonctionnement moderne des communes, de leurs syndicats, des départements. Les conseils qui furent élus dans les communes et les conseils généraux, ont contribué, en à peine plus d’une génération, à faire partager et aimer l’idéal républicain sur tout le territoire.

Je suis convaincu que notre République, qui doit se refonder, doit le faire sur les bases de la démocratie locale. Ce qui fait communauté, c’est une histoire partagée et un projet de vie au quotidien.

Lorsqu’il s’adresse à son maire, au président de son intercommunalité, de son département ou de sa région, le citoyen a le sentiment que son destin « local» lui appartient, il sait qu’il peut s’exprimer, contribuer, participer. C’est ce qui fait défaut aujourd’hui à la communauté nationale, où le nécessaire dialogue entre l’État et les corps constitués s’est distendu.

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Le Président de la République avait annoncé sa volonté de lancer un acte 3 de la décentralisation, le projet de loi 3D, Décentralisation, différenciation et déconcentration. Le Premier ministre l’a évoqué lors du Congrès des Régions à Bordeaux. La Ministre de la Cohésion des territoires entame une concertation déclinée dans chaque région, et dans chaque département par les Préfets, pour l’élaboration de ce projet de loi.

Ma conviction, je l’ai déjà dit, c’est qu’il faut plus qu’un nouvel acte. C’est  à une nouvelle génération de la décentralisation que nous devons travailler, collectivement, avec les représentants des territoires au premier chef. Écoutons les attentes qu’expriment vos associations : plus de compétences en matière d’emploi de la part des régions ; la reconnaissance du rôle de pivot des solidarités territoriales des départements ; la faculté de libre organisation de leurs compétences pour les communes et leurs intercommunalités…Il est aussi bien d’autres pistes de travail à explorer.

Il nous faut, sans attendre, proposer ce que nous croyons nécessaire pour le pays. Parce que le Sénat a une capacité particulière à écouter les fractures territoriales et sociales.

Parce que le Sénat a pour mission de contribuer à la réparation territoriale et à recoudre le pays, à contribuer à ce que la France puisse refaire société.

Le renforcement des libertés locales passe par la réaffirmation et la pleine application de trois grands principes :

- C’est d’abord le principe d’autonomie. Il est temps de redonner aux collectivités la maitrise de l’exercice de leurs compétences, de desserrer les contraintes et de refonder leur autonomie financière :

L’État ne peut plus continuer à s’immiscer dans la gestion d’une compétence transférée, à empêcher la collectivité d’en exercer et d’en assumer pleinement la responsabilité.

Et la libre administration devient un « mot » quand l’Etat impose une contractualisation financière. Et l’autonomie fiscale devient théorique quand l’État substitue à l’impôt territorial une part de ressources nationales. 

- C’est ensuite le principe de subsidiarité, qu’il convient d’appliquer pleinement, d’une subsidiarité mise en œuvre de manière « ascendante », qui consiste à adapter l’action publique aux spécificités locales mais en partant des besoins des territoires, non en décrétant une organisation appelée à une traduction uniforme.

- Enfin, le principe de différenciation n’est gage d’efficacité que s’il va de pair avec une simplification de l’architecture institutionnelle locale. La différenciation, dès lors qu’elle est définie et organisée, ne remet pas en cause le principe d’égalité.

- Au contraire, elle peut même constituer un moyen de garantir l’égalité, notamment l’égalité des chances, qui aujourd’hui n’est pas pleinement assurée. Simplifier l’architecture locale, ça n’est pas supprimer un niveau de collectivité, mais favoriser la libre organisation des territoires.  

Sur cette base, et autour de ces principes, nous mettrons en place dans les prochains jours un groupe de travail rassemblant l’ensemble des Présidents de groupes du Sénat, le Président de la Commission des lois et le Président de la Délégation aux collectivités et des collègues, en vue d’élaborer des propositions, dans l’objectif de « renouer avec le véritable esprit de la décentralisation » (ce sont vos mots, cher Philippe Bas). J’entends, pour cela, que s’expriment toutes les sensibilités et les expériences qui siègent au Sénat ; la recherche de convergences y est une de nos marques de fabrique.

Je sais que c’est ainsi que procèdent vos associations, qui concilient la pluralité des opinions en faisant primer le pragmatisme et l’intérêt général.

Je suis convaincu que les propositions que le Sénat élaborera trouveront écho auprès de vous, tout comme vos propositions viendront enrichir les travaux de notre groupe de travail et de notre Assemblée.

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Dans cette démarche, que les territoires soient unis me paraît essentiel.

C’est votre force, c’est notre bien commun. Parler de voix convergentes permettra d’être plus forts, plus convaincants, et d’amener par l’échange, par le débat, ceux qui doutent de la décentralisation (j’en connais), ceux qui ne sont pas encore sortis de leur défiance envers les élus locaux, à oser avec nous le pari d’une nouvelle génération de la décentralisation.

Le renforcement des libertés locales n’a d’autre fin que de bénéficier à nos concitoyens. Plus de liberté de créer, d’expérimenter et d’entreprendre pour les élus locaux, c’est plus d’efficacité des politiques menées dans nos territoires, et des réponses meilleures à la vie quotidienne de leurs habitants. C’est pourquoi je souhaite également que nous associons les citoyens à notre réflexion.

Dans un pays fracturé, divisé, faisons le pari de la liberté et de la confiance. La démocratie territoriale et les libertés locales, c’est sans doute ce qui doit permettre de faire la République, une et indivisible.

Ce pari, qui est défi, le Sénat va le relever avec vous.

Bonne année à Territoires unis.

Bonne année à toutes et à tous.

Seul le prononcé fait foi