COMMUNIQUE DE PRESSE DU 31 MARS 1999

 Service des Commissions

M. ALAIN RICHARD EXPOSE AUX SÉNATEURS

l’évolution de la situation au Kosovo

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le mardi 30 mars 1999, M. Alain Richard, ministre de la défense.

Le ministre de la défense a d’abord rappelé que la participation de la France aux opérations militaires de l’Otan en République fédérale de Yougoslavie était l’aboutissement d’un long processus de négociations, incluant l’hypothèse d’un recours à la force, engagé depuis mars 1998 dans le cadre du groupe de contact, de l’Union européenne et des institutions internationales compétentes, afin d’obtenir un règlement politique et diplomatique du conflit. La dernière étape de ce processus, qui s’est déroulée à Rambouillet, a montré –a rappelé M. Alain Richard– que, malgré notre souci d’aboutir à une solution pacifique, les moyens diplomatiques étaient épuisés. C’est dans ce contexte que le Président de la République, en accord avec le Gouvernement, a décidé la participation de la France aux opérations militaires qui ont commencé dans la nuit du 24 au 25 mars dernier.

Le ministre de la défense a ensuite précisé l’évolution de la situation sur le terrain. L’armée yougoslave était en train d’adapter son dispositif militaire ; elle procédait au camouflage d’installations et s’efforçait de rendre mobiles certains de ses équipements ; l’armée yougoslave n’avait par ailleurs pas mis en œuvre toutes ses capacités de défense sol-air afin de ne pas entraîner leur destruction par les forces aériennes de l’Otan ; enfin, les forces serbes procédaient à leur renforcement le long de la frontière macédonienne. Des forces paramilitaires serbes étaient par ailleurs en train d’agir ouvertement au Kosovo. L’armée yougoslave continuait d’attaquer les éléments de l’UCK en s’en prenant également à la population civile albanophone ; ces diverses actions étaient le résultat d’une préparation de longue date par le régime serbe d’une opération massive. Les préparatifs avaient contribué à provoquer la décision de mise en œuvre des frappes par les pays membres de l’Alliance. 

Les frappes aériennes de l’Otan –a précisé M. Alain Richard– avaient permis de faire décroître la menace sol-air de l’armée yougoslave qui tentait de se réorganiser le long de la frontière avec la Macédoine.

Le ministre de la défense a souligné que la situation humanitaire donnait lieu à des informations préoccupantes. Des familles entières quittaient leur village alors que, parallèlement, des milices et des forces paramilitaires terrorisaient les populations sous la protection de l’armée yougoslave afin de les inciter à quitter le territoire. L’Albanie avait dû accueillir jusqu’à présent de 50 000 à 70 000 réfugiés, le Montenegro quelque 20 000 et la Macédoine également. La France, avec ses partenaires, étudiait activement la possibilité de mettre en place rapidement un soutien humanitaire pour ces populations.

Dans le cadre du dispositif militaire de l’Otan fondé sur une action aérienne ciblée sur les seules installations militaires yougoslaves et destinée à réduire leurs capacités de destruction, la France –a souligné M. Alain Richard– avait mis à la disposition du commandement opérationnel de l’Alliance une gamme étendue de capacités. Des Mirage 2000 D avaient participé à des attaques au sol aux côtés de nos alliés. Des moyens de contrôle des opérations aériennes ainsi que le C 160 Gabriel de renseignement électromagnétique et des hélicoptères spécialisés dans la recherche et le sauvetage des pilotes avaient également été mis à la disposition de l’Alliance. Enfin, des Mirage 2000 C avaient pour mission de contrer toute menace aérienne. Des avions Jaguar ainsi que des super Etendard embarqués étaient en alerte pour un éventuel appui au sol. Au total, plus de 40 appareils étaient engagés par la France dans cette opération.

Le ministre de la défense a alors rappelé que la première phase de l’opération militaire engagée le 24 mars a eu pour objet d’assurer la suprématie aérienne sur la totalité du territoire yougoslave : plus de 50 % des objectifs ont été atteints, mais les vols à basse altitude demeurent dangereux pour nos pilotes en raison du risque d’attaque par des missiles sol-air. La deuxième phase des opérations militaires , qui débute actuellement, devra –a précisé M. Alain Richard– réduire la capacité agressive de la Serbie à l’égard de la population kosovare ; de nombreuses cibles militaires seront visées sur le territoire même du Kosovo.

Le dispositif terrestre en attente en Macédoine ne visait qu’à accompagner la mise en œuvre d’un règlement négocié. La mise en place d’une force destinée à entrer et combattre au Kosovo nécessiterait un délai d’au moins un mois et demi à supposer qu’une décision politique soit prise dans ce sens, ce qui n’était pas le cas. Indépendamment de toute autre considération, et notamment de la décision des Etats-Unis d’écarter l’hypothèse d’un déploiement terrestre, le ministre a estimé que les actions aériennes étaient plus rapides à déployer qu’une force terrestre pour paralyser les capacités yougoslaves de manoeuvre sur le territoire du Kosovo.

M. Alain Richard a conclu en soulignant que l’action militaire avait été mûrement réfléchie   et que ses inconvénients devaient être comparés avec ceux qu’aurait entraîné l’inaction. Ces opérations militaires ne constituaient pas, pour le ministre, une fin en soi. Elles n’étaient que le moyen d’atteindre un objectif politique. La disponibilité des dirigeants yougoslaves à un accord politique équilibré entraînerait immédiatement l’arrêt de l’action militaire entreprise.

A la suite de l’exposé du ministre, un débat s’est engagé avec les membres de la commission.

M. Paul d’Ornano, citant le précédent du Vietnam, a émis des doutes sur l’efficacité des frappes aériennes pour faire fléchir le Président Milosevic. Il s’est interrogé sur les perspectives ouvertes par les démarches diplomatiques de la Russie.

M. Jean-Luc Bécart, après avoir souligné les efforts diplomatiques du gouvernement français et reconnu que le Président Milosevic portait la responsabilité principale de la situation actuelle, a contesté la décision des pays de l’Alliance de recourir à la force. Il a observé que les frappes aériennes n’avaient pas empêché l’offensive serbe sur le Kosovo. Il s’est déclaré persuadé que le règlement de cette question exigeait qu’elle soit désormais traitée au sein de l’Organisation des Nations unies et passait par une restauration de l’autorité du Conseil de sécurité.

M. Aymeri de Montesquiou, après avoir rendu hommage aux efforts de la diplomatie française, a estimé que les pays de l’Alliance s’étaient trouvés devant un choix difficile compte tenu des conséquences qu’aurait entraînées une absence d’intervention militaire. Il s’est toutefois demandé si les opérations militaires entreprises n’avaient pas provoqué une escalade, les bombardements conduisant les forces serbes à accentuer leurs exactions. Il a demandé au ministre s’il pouvait confirmer qu’en cas d’intervention terrestre, les forces nécessaires devraient rassembler entre 100 000 et 200 000 hommes et si l’on pouvait chiffrer les pertes envisageables dans une telle hypothèse.

M. Christian de La Malène a demandé si les frappes aériennes pourraient continuer à se limiter aux objectifs militaires dans le cas où les forces serbes seraient dispersées dans les villes et les villages au sein de la population civile.

M. André Dulait a souhaité savoir si le gouvernement craignait des risques d’attentats sur le sol français liés à notre engagement dans les opérations en République fédérale de Yougoslavie.

M. André Rouvière a interrogé le ministre sur les circonstances de la destruction de l’avion furtif F 117 américain. Il lui a demandé s’il avait été envisagé de fournir une assistance à l’UCK pour lui permettre de se défendre et si l’évolution de la situation sur le terrain pouvait déboucher sur un partage du Kosovo.

M. Robert del Picchia a demandé des précisions sur les moyens que la France pourrait mettre à disposition des forces alliées dans l’hypothèse d’une intervention terrestre.

M. Pierre Mauroy a manifesté son accord avec les positions du gouvernement et avec la participation française à l’intervention de l’Alliance. Rappelant les nombreuses accusations de faiblesse et d’impuissance portées à l’encontre des Occidentaux avant que ceux-ci décident d’intervenir en Bosnie, il s’est étonné des critiques en sens inverse actuellement émises à l’encontre des alliés qui avaient choisi la fermeté face aux dérives inacceptables du régime nationaliste de Belgrade. Il a considéré que les pays occidentaux ne pouvaient rester inertes face aux massacres entrepris au Kosovo par les forces de répression serbes.

Mme Danielle Bidard-Reydet a constaté que les Kosovars étaient, au bout du compte, les principales victimes de la situation créée par les bombardements. Elle s’est inquiétée des risques d’extension du conflit dans la zone des Balkans. Citant la déclaration du Président des Etats-Unis écartant tout engagement au sol de soldats américains, elle s’est demandée si les Européens devraient supporter seuls une éventuelle intervention terrestre. Elle a souhaité savoir si, en dehors de la visite de ce jour de M. Primakov à Belgrade, d’autres initiatives avaient été prises ou étaient envisagées en vue de la recherche d’une solution politique.

M. Michel Caldaguès, s’étonnant des conditions dans lesquelles le secrétaire général de l’OTAN avait annoncé le déclenchement des frappes aériennes, a souhaité que soit clarifié le processus de décision d’engagement des forces si une intervention terrestre venait à être décidée.

M. Philippe de Gaulle s’est également interrogé sur les conditions d’engagement des forces françaises au regard des dispositions constitutionnelles et compte tenu notamment de l’absence de consultation du Parlement, et s’est interrogé sur leur compatibilité avec notre statut au sein de l’Alliance atlantique.

M. Jean Faure a mis en doute l’efficacité d’une intervention terrestre dans l’hypothèse où les objectifs recherchés par l’Alliance ne seraient pas atteints à l’issue de la phase 2 des opérations entreprises.

M. Xavier de Villepin, président, a replacé l’intervention actuelle dans le contexte des réflexions sur l’évolution de l’OTAN, constatant que l’Alliance atlantique n’était plus seulement une organisation de défense collective. Il s’est interrogé sur la révision du concept stratégique en cours de négociation et s’est demandé si le sommet de Washington devant commémorer le 50e anniversaire de l’OTAN pourrait avoir lieu si la crise actuelle n’était pas résolue.

A la suite de ces différentes interventions, M. Alain Richard, ministre de la défense, a tout d’abord précisé les conditions qui avaient présidé à la décision d’engager les forces françaises.

Il a rappelé que, le 23 septembre 1998, dans sa résolution 1199, le Conseil de sécurité des Nations unies avait exigé des autorités de Belgrade qu’il soit mis fin aux hostilités et aux actions frappant les populations civiles au Kosovo. Le 13 octobre 1998, a-t-il poursuivi, le Conseil de l’Alliance atlantique, unanime, avait adopté le principe de la mise en œuvre des actions actuellement en cours, leur déclenchement étant délégué au secrétaire général de l’Alliance. Mise en sommeil pendant le déroulement des pourparlers qui ont conduit aux discussions de Rambouillet, cette délégation avait été réactivée dès lors que toutes les voies de négociation avaient été épuisées du fait du blocage provoqué par la partie serbe.

Le ministre de la défense a ensuite rappelé que c’est le Président de la République, en tant que chef des armées, qui avait pris la décision d’engager les forces françaises. Il a souligné que les décisions d’emploi de la force restaient à tout moment sous le contrôle des autorités gouvernementales des différents pays de l’Alliance et que c’était dans ce cadre que la France avait choisi de contribuer volontairement à une action dont elle partageait les objectifs. Il a rappelé que les mêmes conditions régissaient, depuis quatre ans, la participation française en Bosnie. S’agissant des considérations fréquemment émises sur la suprématie américaine au sein de l’Alliance atlantique, il a rappelé le principe fondamental de fonctionnement de l’Alliance : les représentants de chaque Etat y exercent sur un pied d’égalité l’autorité suprême. Mais le ministre a estimé que l’impression de suprématie américaine serait confortée si les Européens faisaient preuve de division et d’indécision.

Répondant aux interrogations sur l’efficacité des frappes aériennes entreprises par l’OTAN, M. Alain Richard a souligné qu’à l’issue de l’échec des discussions de Rambouillet, aucune option politique crédible n’apparaissait plus en mesure d’éviter les exactions et les massacres au Kosovo, aux abords duquel les autorités de Belgrade avaient concentré des moyens militaires et rassemblé leurs forces spéciales. Il a estimé à cet égard indispensable de s’interroger sur les conséquences qu’aurait entraînées une décision de non intervention. Il a souhaité que se manifeste dans notre pays, au sein des forces politiques et de la représentation nationale, un esprit de cohésion autour d’une décision qui, pour être difficile, n’en était pas moins nécessaire.

Le ministre de la défense a ensuite fourni des précisions sur les résultats obtenus par les frappes aériennes. S’agissant des forces aériennes yougoslaves les plus performantes, la moitié d’entre elles étaient hors de combat, alors que près de la moitié des missiles antiaériens du pays avaient été neutralisés. Il a estimé, que d’ici peu, les forces de l’Alliance seraient en mesure de maîtriser l’espace aérien serbe à l’exception des basses altitudes où les appareils seront à portée des capacités tactiques sol-air serbes. Il a considéré que les capacités de commandement et de coordination de l’armée serbe étaient d’ores et déjà très altérées. Il a ajouté que la phase 2 de l’opération viserait principalement les forces terrestres serbes au Kosovo, cette phase devant nécessairement prendre du temps afin d’éviter de porter atteinte aux populations civiles. Il a, à ce propos, relevé que les autorités serbes elles-mêmes n’avaient jusqu’à présent fait état d’aucune conséquence des frappes sur les populations civiles.

M. Alain Richard a considéré qu’à l’issue de la phase 2 des opérations entreprises, l’appareil militaire et répressif serbe serait désorganisé et dans l’incapacité de faire mouvement. Il a toutefois souligné que cette phase exigerait du temps et qu’il convenait donc de faire preuve de toute la détermination nécessaire pour atteindre l’objectif visé.

En ce qui concerne le risque d’action terroriste en France, le ministre de la défense a estimé que celui-ci était réduit compte tenu de la bonne intégration de la communauté serbe en France, mais que le gouvernement restait vigilant et que toutes les précautions nécessaires étaient prises.

Il a écarté l’éventualité d’une assistance matérielle à l’UCK dans la mesure où cela serait contraire à l’objectif poursuivi par le groupe de contact qui était de favoriser la coexistence de communautés différentes sur un même territoire.

Il a enfin déclaré que la France encourageait les initiatives diplomatiques entreprises par la Russie. Il a rappelé que les Russes étaient solidaires du cadre politique élaboré par le groupe de contact, à savoir l’autonomie substantielle du Kosovo assortie d’une présence militaire internationale. Il a estimé que Moscou ne pouvait maintenir une solidarité trop étroite avec le régime du Président Milosevic sans compromettre son souci de retrouver un rôle sur la scène internationale.