Service des Commissions

TRENTE-CINQ HEURES : LA CONFUSION EXTRÊME

Mercredi 27 octobre 1999, la commission des Affaires sociales, sur le rapport de M. Louis Souvet, a examiné le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale relatif à la réduction négociée du temps de travail.

*

Le Sénat a été saisi, le 19 octobre, d’un projet de loi au titre erroné dont le dispositif est déjà périmé.

Un titre erroné : peut-on en effet parler de réduction " négociée " du temps de travail quand le Gouvernement abaisse autoritairement la durée légale ?

Un dispositif périmé : le volet financement du projet de loi (article 11, paragraphe XVI), adopté conforme par l’Assemblée nationale sous la forme d’une taxation des organismes de protection sociale, a été totalement remis en question par le Gouvernement.

Face à un projet de loi qui pousse la confusion à l’extrême quant aux objectifs poursuivis, la méthode retenue et les financements nécessaires, la commission des Affaires sociales, dans sa majorité, a tenu à donner une priorité absolue au dialogue social et à la négociation collective.

I - LE PROJET DU GOUVERNEMENT : UNE TRIPLE CONFUSION

Jamais probablement un projet de loi n’aura été présenté et examiné dans une telle confusion, de surcroît selon la procédure d’urgence déclarée par le Gouvernement.

 Confusion quant à ses objectifs

La réduction du temps de travail devrait " créer des emplois, beaucoup d’emplois ". Il est prématuré de tirer un bilan de la première loi Aubry car, si le compteur des aides tourne déjà, les créations ou préservations d’emplois restent des " promesses ".

Toutefois, à la lecture du second projet de loi, la réduction du temps de travail apparaît désormais comme un objectif en soi.

Les aides que le projet de loi institue ne sont pas liées à des créations d’emplois, même si le texte adopté par l’Assemblée nationale se veut ambigu et peut laisser en définitive un pouvoir exorbitant d’appréciation à l’Administration.

Par ailleurs, le Gouvernement fait son " chemin de Damas " et découvre tardivement le mérite de l’allégement des charges sur les bas salaires. Mais il fusionne la ristourne " Juppé ", son extension et les aides aux trente-cinq heures dans un barème unique.

C’est ce barème, qui vise à la fois à alléger les charges sur les bas salaires et à compenser le coût des trente-cinq heures, qui ne sera appliqué qu’aux entreprises dotées d’un " accord fixant la durée collective du travail à trente-cinq heures ".

En seront ainsi exclues sans raison les entreprises qui, indépendamment de leur volonté, n’auront pu conclure un accord, quand bien même elles seraient à trente-cinq heures, de même que celles qui, sans être à trente-cinq heures, supporteront toutefois le coût de l’abaissement de la durée légale.

 Confusion quant à la méthode

La loi du 13 juin 1998 qui restait volontairement floue quant aux conséquences qui s’attachent à la baisse de la durée légale du travail, appelait les partenaires sociaux à " négocier les modalités de réduction effective de la durée du travail adaptées aux situations des branches et des entreprises ".

Face, d’une part, à l’échéance non négociable, fixée par la même loi, d’une baisse de la durée légale du temps de travail, compte tenu, d’autre part, des aides substantielles qui étaient accordées pour inciter à une anticipation de cette échéance, prenant acte, enfin, de la promesse que la seconde loi reprendrait à son compte la teneur des accords conclus, les partenaires sociaux ont négocié.

Le Gouvernement ne se fait pas faute de se féliciter du nombre et de la qualité des accords conclus.

Cependant, le Gouvernement, en " s’inspirant " du contenu des accords, opère des choix entre les clauses et n’en retient que certaines, ce qui revient à nier toute négociation qui est faite de concessions réciproques permettant d’atteindre un équilibre.

En outre, " le nouvel espace de négociation " que prétend ouvrir le projet de loi est corseté par les précisions, limites et détails que son dispositif comporte, de sorte que l’espace de la négociation s’apparente à une peau de chagrin.

 Confusion quant aux financements

Depuis deux ans, le Gouvernement s’obstine à vouloir faire financer les trente-cinq heures par les organismes gérant la protection sociale des Français, malgré l’opposition formelle, résolue et unanime de l’ensemble des partenaires sociaux.

En décembre 1997, dès le dépôt du premier projet de loi sur la réduction du temps de travail, le Gouvernement affirmait, dans son exposé des motifs, son intention de ne compenser que partiellement à la sécurité sociale les exonérations de charges liées aux trente-cinq heures.

En juin 1999, le ministre de l’économie et des finances, dans son rapport pour le débat d’orientation budgétaire, développait à nouveau et longuement la théorie du " recyclage ".

Le 28 juillet 1999, date de son dépôt, le projet de loi sur la réduction négociée du temps de travail prévoyait une " contribution " des organismes de protection sociale dont le Conseil d’Etat s’est inquiété que ni le taux, ni l’assiette ne soient fixés par la loi, dès lors qu’il s’agissait d’une " imposition ".

Le 21 septembre 1999, dès la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale, le Gouvernement faisait " inscrire au budget de la sécurité sociale ", selon l’expression significative de la ministre de l’emploi et de la solidarité, une provision de 5,6 milliards de francs.

Parallèlement, le Gouvernement annonçait que la " part de l’UNEDIC était provisionnée à hauteur de 5 à 6 milliards de francs ". Cette dernière somme a crû d’autant plus vite que son principe était plus vivement contesté par les gestionnaires de l’UNEDIC : 5 à 6 milliards de francs le 30 septembre, 5 à 7 milliards de francs le 7 octobre, 7 milliards de francs le 12 octobre, 7 à 7,5 milliards de francs le 21 octobre.

Le 19 octobre 1999, l’Assemblée nationale adoptait, en première lecture, le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail et votait sans modification " l’imposition " des organismes sociaux dont le Sénat est donc saisi.

Le 25 octobre 1999, le ministère de l’emploi et de la solidarité annonçait le retrait du dispositif.

A l’évidence, le financement des trente-cinq heures, pas plus que la réduction du temps de travail, n’a été négocié.

Les " mesures de rechange " annoncées reposent en outre sur une double contradiction :

- en privant le fonds de solidarité vieillesse d’une partie du droit sur les alcools, les trente-cinq heures assèchent l’un des modes d’alimentation du fonds de réserve pour les retraites, ce fonds étant pourtant la seule mesure que le Gouvernement a annoncée au titre de la réforme des retraites ;

- en faisant reposer désormais le financement des trente-cinq heures sur la taxation des heures supplémentaires, c’est un système absurde qui est mis en place : plus nombreuses seront les entreprises qui passent à trente-cinq heures, plus les aides seront élevées mais plus faible sera le produit de la taxation des heures supplémentaires car ne sont taxées que les heures supplémentaires des salariés appartenant à des entreprises qui sont à plus de trente-cinq heures. Ainsi plus la dépense croît, plus la recette se dérobe.

En réalité, le projet de loi n’est pas financé sauf à alourdir encore les impôts nouveaux que crée la loi de financement (TGAP et contribution sociale sur les bénéfices) ou à taxer, indirectement cette fois, la sécurité sociale et l’UNEDIC qui, initialement, devaient apporter plus de la moitié du surcoût du projet de loi dès 2000 et plus des trois quarts " à terme ".

II - LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES : FAVORISER AVANT TOUT LE DIALOGUE SOCIAL

Lors de l’examen de la loi du 13 juin 1998 d’orientation et d’incitation à la réduction du temps de travail, le Sénat avait récusé la baisse générale et autoritaire de la durée légale du travail.

Il s’était en revanche montré favorable à une réduction de la durée effective du travail sur la base d’une démarche volontaire et adaptée à la situation de chaque secteur d’activité, de chaque entreprise.

Il avait enfin tenu à réaffirmer explicitement le principe de la compensation intégrale aux régimes de sécurité sociale des exonérations de charges décidées par l’Etat.

Ce faisant, il avait affirmé solennellement son attachement au dialogue social, à la négociation entre les partenaires sociaux et au paritarisme qui caractérise l’organisation de notre système de protection sociale depuis plus de cinquante ans.

Face au second projet de loi, la commission des Affaires sociales, dans sa majorité, a voulu à nouveau donner la priorité au dialogue social :

 elle supprime, bien entendu, la taxation des organismes sociaux qui, pour être périmée au vu des déclarations récentes du Gouvernement, n’en figure pas moins " noir sur blanc " à l’article 11 du projet de loi soumis au Sénat ;

 elle récuse, comme elle l’avait fait lors de la première loi Aubry, l’abaissement général et autoritaire de la durée légale du travail ;

 elle purge en conséquence le texte des dispositions qui sont liées à cette baisse de la durée légale et qui ont pour conséquence de multiplier les situations d’inégalité non justifiée :

. inégalité entre les entreprises au regard des aides réservées à certaines alors que toutes supporteront le surcoût des trente-cinq heures,

. inégalité entre les salariés au regard de la rémunération des heures supplémentaires ; certains verront le tarif des heures supplémentaires qu’ils accomplissent amputé d’une taxation destinée à financer les aides instituées par le projet de loi,

. inégalité à nouveau entre les salariés au regard du régime du double SMIC : l’entrée en vigueur en deux étapes de la durée légale du travail joint au mécanisme institué par le projet de loi d’une garantie mensuelle de rémunération pour les salariés au SMIC conduira les salariés des entreprises de moins de 20 salariés à travailler 39 heures payées 39 et ceux des entreprises de plus de 20 salariés dont la durée de travail aura été ramenée à 35 heures, à travailler 35 heures également payées 39 heures,

. inégalité enfin pour les salariés des entreprises créées après l’entrée en vigueur de la loi qui seront également dans une situation différente ; en effet, le salarié au SMIC sera, pour le même temps de travail, payé soit 39 heures, soit 35 heures, selon que son entreprise aura conclu ou non un accord fixant une durée collective du travail égale à la durée légale,

 elle estime indispensable que les accords conclus par les partenaires sociaux en application de la loi du 13 juin 1998 soient respectés et puissent s’appliquer dès lors naturellement qu’ils ne sont pas contraires aux principes de l’" ordre public social absolu " ;

 elle estime également indispensable que l’accord interprofessionnel d’avril 1999 sur la négociation collective soit pris en compte dans la loi ;

 elle renvoie le plus largement possible à la négociation pour les autres dispositions du projet de loi (définition du régime des cadres, définition des durées d’équivalence...).

Mais surtout, elle constate qu’au-delà du débat anachronique sur les trente-cinq heures dans lequel s’enlise notre pays, la vraie question est celle des moyens de développer et d’enrichir la négociation collective, particulièrement dans les PME, et d’améliorer la représentation des salariés.

Ce débat, que le projet de loi esquisse de façon confuse dans un cadre étroit, la commission des Affaires sociales propose de le traiter vraiment par la tenue d’une conférence nationale sur le développement de la négociation collective.

Nouveau plan de financement du fonds de financement

de la réforme des cotisations patronales en 2000

(au 26 octobre 1999)

Recettes

Montant

Dépenses

Montant

FISCALITE AFFECTEE

BAISSE CHARGES SOCIALES

Droits sur les tabacs

39.500

Ristourne Juppé actuelle

39.500

Taxe générale sur les activités polluantes

3.250

Extension de la ristourne Juppé

7.500

Contribution sociale sur les bénéfices des sociétés

4.250

Droits sur les alcools

5.600

I- Total fiscalité affectée

52.600

I- Total baisse charges sociales

47.000

CONCOURS DES FINANCES PUBLIQUES

FINANCEMENT DIRECT DES 35 HEURES

Etat

4.300

Aides 35 heures loi 13 juin 1998 (incitatives)

11.500

Aides 35 heures 2ème loi RTT (aide structurelle)

6.000

II- Total concours finances publiques

4.300

II- Total financement direct des 35 heures

17.500

TOTAL RECETTES I+II

56.900

TOTAL DEPENSES I+II

64.500

Taxe heures supplémentaires (recette en trésorerie)

6.000/9.000

Sources : PLF 2000, rapport économique, social et financier du PLF 2000, PLFSS 2000 - dépêche de AFP du 25 octobre 1999.

Le nouveau plan de financement " à terme "

(au 26 octobre 1999)

Recettes

Montant

Dépenses

Montant

FISCALITE AFFECTEE

BAISSE CHARGES SOCIALES

Droits sur les tabacs

40.000

Ristourne Juppé actuelle

40.000

Taxe générale sur les activités polluantes

12.500

Extension de la ristourne Juppé

25.000

Contribution sociale sur les bénéfices des sociétés

12.500

Droit sur les alcools

12.500

Total fiscalité affectée (I)

77.500

Total baisse charges sociales (I)

65.000

CONCOURS DES FINANCES PUBLIQUES

FINANCEMENT DIRECT DES 35 HEURES

Etat

7.200

Aides 35 heures

40.000

Total concours finances publiques (II)

7.200

Total financement direct des 35 heures (II)

40.000

TOTAL RECETTES (I+II)

84.700

TOTAL DEPENSES (I+II)

105.000

Taxe heures supplémentaires (recette en trésorerie)

?

Source : déclarations de Mme Martine Aubry à l’Assemblée nationale + Livre blanc TGAP - dépêche de AFP du 25 octobre 1999