Service des Commissions 

COMMUNIQUE DE PRESSE DU 05 JUILLET 2000

Constituée le 10 février 2000, la commission d’enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France a centré ses investigations sur les maisons d’arrêt, en particulier au regard de la présomption d’innocence, ainsi que sur l’étendue et l’effectivité des contrôles relevant des autorités judiciaires et administratives.

Entre le 8 mars et le 31 mai 2000, elle a entendu une soixantaine de personnalités associées à un titre ou à un autre au fonctionnement du système pénitentiaire.

Elle a, par ailleurs, entre le 2 mars et le 8 juin 2000 effectué une série de déplacements qui lui ont permis de visiter 28 établissements, principalement des maisons d’arrêt, dont quatre aux Pays-Bas, qui apparaissent à bien des égards comme un modèle pénitentiaire, et au Royaume-Uni où les contrôles extérieurs sur les prisons sont particulièrement développés.

La commission tient d’abord à rappeler que le Sénat n’a pas attendu le court ouvrage du Dr Vasseur pour s’intéresser aux conditions de détention dans les prisons et que son enquête ne fait que prolonger une réflexion engagée depuis les débuts de la IIIème République.

Au terme de son voyage au sein du monde pénitentaire, la commission a retiré les observations générales suivantes :

- le surpeuplement carcéral ne concerne que les seules maisons d’arrêt qui sont utilisées comme variables d’ajustement du système pénitentiaire : conçues pour accueillir des prévenus et des courtes peines, elles accueillent aussi des condamnés à plus d’un an d’emprisonnement, ou en attente de transfert dans un établissement pour peines ;

- les maisons d’arrêt sont tenues d’accueillir trop de gens qui n’ont rien à y faire : la population carcérale est constituée de 35 % de présumés innocents dont 3 % seront innocentés après un non-lieu, une relaxe ou un acquittement. Elles accueillent trop d’étrangers en situation irrégulière, de toxicomanes seulement usagers, de malades mentaux dont la place n’est pas en prison et de jeunes majeurs ne séjournant que quelques mois en détention... dans une promiscuité qui fait le lit de la récidive ;

- les délinquants sexuels, les malades mentaux et les toxicomanes représentent désormais, comme à l’étranger, les trois composantes essentielles de la population pénale ;

- à la prison républicaine s’est substitué un système confus où apparaissent la prison-asile, la prison-hospice et la prison-hôpital : les mineurs, les détenus âgés, les malades - parfois en phase terminale, les handicapés physiques, les exclus constituent une part importante de la population carcérale détenue dans des établissements inadaptés ;

- les atteintes aux droits de l’homme sont les plus criantes dans les maisons d’arrêt du fait d’une conception exagérément sécuritaire ; à partir de la garde à vue, le prévenu est en fait présumé coupable et les formalités de l’écrou, des fouilles à corps, des conditions de visite, des extractions avec menottes et entraves le dépouillent à chaque fois un peu plus de sa dignité ;

- des maisons d’arrêt hors-la-loi : elles enfreignent le principe de l’encellulement individuel, y compris pour les mineurs et incarcèrent les présumés innocents dans des conditions paradoxalement plus rigoureuses que les condamnés, en mélangeant indistinctement ces deux catégories de détenus ;

- la prison est régie par autant de règlements intérieurs que d’établissements, lesquels sont appliqués avec un certain arbitraire par les personnels de direction et de surveillance ;

- l’administration pénitentiaire n’est souvent pas en mesure d’assurer la sécurité des personnes placées sous main de justice : la loi du plus fort règne en prison, notamment au détriment des " pointeurs " ;

- le monde pénitentiaire est dominé par l’inégalité : l’argent y est roi et nécessaire pour cantiner et disposer de la télévision ; l’indigence n’est pas suffisamment prise en compte par l’administration pénitentiaire ; les modalités du travail pénitentiaire doivent être revues ;

- les contrôles extérieurs s’exerçant en théorie sur le monde clos des prisons sont inefficaces et ne permettent pas de découvrir certains graves dysfonctionnements trop longtemps couverts par la loi du silence ;

- la lenteur de la justice et les pratiques des juges alimentent aussi les dysfonctionnements constatés dans les prisons françaises.

Afin d’améliorer la situation dans les maisons d’arrêt, la commission d’enquête propose 30 mesures d’urgence autour de six objectifs :

30 MESURES D’URGENCE

Délibérément, la commission d’enquête du Sénat a choisi de concentrer ses investigations sur les conditions de détention dans les prisons, plus particulièrement dans les maisons d’arrêt. Ce faisant, elle souhaitait parvenir à des propositions concrètes, susceptibles d’être mises en œuvre très vite.

Le plus urgent n’est pas l’élaboration d’une loi qui évoquerait de façon détaillée l’ensemble des droits et devoirs en détention. Une telle procédure ne peut être que longue et complexe ; les conditions de détention ne sont pas, pour l’essentiel, de nature législative. En revanche, un débat d’orientation sur la politique pénitentiaire serait très utile.

Le plus urgent n’est pas non plus de modifier de fond en comble le droit pénal ou la procédure pénale. Cette dernière vient de subir des évolutions importantes, notamment à l’initiative du Sénat, tant en ce qui concerne la détention provisoire que l’exécution des peines. Il faut maintenant mettre en œuvre ces réformes et le Parlement devra rester vigilant.

Le plus urgent est l’amélioration des conditions de détention et le renforcement des contrôles des établissements pénitentiaires. Cette urgence justifie les propositions de la commission d’enquête :

La lutte contre la surpopulation des maisons d’arrêt

 interdire strictement le maintien en maison d’arrêt des personnes condamnées définitivement à plus d’un an d’emprisonnement ;

 permettre le placement en établissements pour peine des prévenus dont l’instruction est achevée ou qui sont en attente d’appel ou de cassation ;

 déconcentrer la gestion des affectations des détenus en établissements pour peine et supprimer le centre national d’observation ;

accélérer la mise en œuvre de la loi relative au placement sous surveillance électronique ;

 permettre une suspension de peine pour les détenus souffrant d’une maladie grave mettant en jeu le pronostic vital ;

 renforcer les unités fermées des hôpitaux psychiatriques et doubler au minimum le nombre de lits en UMD (unités pour malades difficiles) ;

La nécessaire remotivation des personnels

 pourvoir l’ensemble des postes de personnels actuellement vacants ;

 développer la formation continue pour les personnels ;

 revaloriser les métiers de l’administration pénitentiaire, afin de les rendre plus attractifs ;

 aider les personnels à trouver des logements, en particulier en région parisienne et dans les grands centres urbains ;

Les bâtiments : détruire, rénover et construire

 lancer un plan de réhabilitation sur cinq ans du parc pénitentiaire sous la forme d’une loi de programme ;

 créer une agence pénitentiaire, structure publique chargée de gérer de manière autonome les investissements et la maintenance ;

 doubler les crédits consacrés à l’entretien des bâtiments ;

Les droits et les devoirs des détenus

 instituer un minimum carcéral pour les indigents ;

 harmoniser à la baisse les tarifs des cantines ;

 instituer la gratuité de la télévision dans les cellules ;

 supprimer le prélèvement sur le produit du travail des détenus destiné à les faire participer à leurs frais d’entretien ;

 favoriser le travail à l’extérieur de l’établissement et faire participer les détenus à des travaux bénéfiques pour la collectivité ;

 allonger la durée des activités proposées aux détenus au cours de la journée de détention pour concilier le travail pénitentiaire, la formation et les activités socio-éducatives ;

 harmoniser les règlements intérieurs des établissements pénitentiaires par catégorie d’établissement ;

 réformer la procédure disciplinaire en permettant au détenu d’être assisté par un avocat et en interdisant le placement au quartier disciplinaire pour les fautes les moins graves ;

 réduire à 20 jours la durée maximale de placement au quartier disciplinaire ;

 permettre l’accès des visiteurs de prison au quartier disciplinaire;

 faire respecter la discipline quotidienne ;

 améliorer l’accueil des familles, notamment celles qui viennent de loin, et favoriser les projets des associations visant à améliorer cet accueil ;

La modernisation des méthodes de gestion

 expérimenter la transformation, déjà possible, d’établissements pénitentiaires en établissements publics administratifs dotés d’un conseil d’administration ;

 mettre en place un dispositif d’évaluation du fonctionnement des établissements prenant en compte des critères liés non seulement à la sécurité, mais aussi aux conditions de détention ;

Le renforcement des contrôles

 créer un organe de contrôle externe et indépendant des établissements pénitentiaires, doté de larges pouvoirs d’investigation ;

 relancer l’exercice des contrôles des magistrats dans les établissements pénitentiaires ;

 renforcer la coopération entre l’autorité judiciaire et l’administration pénitentiaire.

Le rapport sur Internet : www.senat.fr/rap/l99-449/l99-449.html