Paris, le 18 octobre 2000

PIERRE MOSCOVICI, MINISTRE DÉLÉGUÉ CHARGÉ DES AFFAIRES EUROPÉENNES, PRÉSENTE DEVANT LES SÉNATEURS LES CONCLUSIONS DU CONSEIL EUROPÉEN DE BIARRITZ

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Xavier de Villepin, a entendu, le mercredi 18 octobre 2000, en commun avec la délégation pour l’Union européenne, présidée par M. Hubert Haenel, M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes sur les enseignements du conseil européen informel de Biarritz.

M. Pierre Moscovici a d’abord rappelé le contexte international dans lequel ce sommet s’est déroulé. Au Proche-Orient, l’escalade de la violence depuis le 28 septembre dernier, semblait prendre fin grâce à l’engagement pris par les parties à Charm-el-Cheikh. Dès le début de cette crise, la France et l’Union européenne avaient appelé à tout faire pour trouver les conditions d’un apaisement. A Charm-el-Cheikh même, l’Union européenne était représentée par son Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, M. Javier Solana, symbolisant une montée en puissance certes progressive mais réelle de l’action commune des pays européens. Cet accord devrait permettre, une fois le calme revenu, d’engager de nouvelles négociations qui renoueraient avec l’esprit des accords d’Oslo, permettant aussi bien à Israël d’assurer sa sécurité qu’aux Palestiniens de croire à un avenir meilleur.

En Serbie, a poursuivi le ministre, l’investiture de Vojislav Kostunica a ouvert la voie à la démocratisation du pays et à la réconciliation. L’Europe, a-t-il souligné, avait tiré immédiatement les conséquences de cet événement en levant, dès le 9 octobre, les sanctions qui pesaient sur la Serbie, notamment les embargos pétrolier et aérien. Le sommet de Biarritz a marqué la volonté des pays européens de nouer une relation féconde, dans le respect des valeurs communes et des exigences internationales, avec la République fédérale de Yougoslavie. A ce titre, M. Kostunica sera invité au sommet de Zagreb entre l’Union européenne et les pays des Balkans, ces derniers étant en effet appelés à terme à rejoindre l’Union européenne.

M. Pierre Moscovici a ensuite abordé les deux sujets qui avaient constitué l’essentiel de l’ordre du jour du Conseil européen de Biarritz : la Conférence intergouvernementale et la Charte des droits fondamentaux. Il s’est félicité de la qualité et de la profondeur des échanges auxquels ce Conseil avait donné lieu entre les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, permettant d’espérer un accord satisfaisant lors du Sommet de Nice. Il a indiqué que cet échange de vues avait permis à tous les représentants des Etats membres de prendre conscience de la nécessité d’aboutir, à Nice, à un traité ambitieux. Le ministre a indiqué qu’une tendance favorable s’était dégagée pour l’extension du vote à la majorité qualifiée. Ainsi, en matière fiscale, malgré les réserves de fond du Royaume-Uni, des avancées partielles étaient possibles, notamment en matière de coopération contre la fraude fiscale. En matière sociale, il en était de même, sous réserve que les règles de base des régimes de sécurité sociale des Etats membres restent en dehors du champ de la majorité qualifiée. En matière de politique commerciale, la France avait maintenu ses réserves quant à une éventuelle extension des compétences de la Commission afin de préserver le traitement particulier notamment accordé à la culture. Enfin, dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, une solution devrait être facile à trouver s’agissant de la coopération judiciaire civile. En revanche, les questions d’asile et d’immigration restaient plus délicates. Il n’était toutefois pas exclu qu’à ce propos, une déclaration du Conseil prévoie que la décision de passer à la majorité qualifiée soit prise en 2004.

En matière de coopérations renforcées, le ministre a souligné qu’une avancée réelle avait pu être constatée, et un large accord était apparu sur l’intérêt de telles procédures et la nécessité de pouvoir y avoir recours plus facilement. Ces coopérations renforcées devraient garder un caractère ouvert, s’inscrire dans le cadre des institutions de l’Union européenne, tout en ne touchant pas au cœur des politiques communes.

Enfin, en ce qui concerne la composition de la Commission et la repondération des voix au Conseil, le sommet de Biarritz avait été l’occasion d’un échange direct permettant de lever les malentendus et de décanter les positions de chacun. M. Pierre Moscovici a indiqué que les chefs d’Etat et de gouvernement s’étaient accordés sur le fait qu’il fallait améliorer le fonctionnement de la Commission et accorder plus de pouvoirs à son président. Toutefois, la question du plafonnement du nombre des commissaires associé à un système de rotation, solution qui avait la faveur de la France, ou celle de la réorganisation du collège au cas où chaque Etat garderait un commissaire n’ont pas été tranchées. De même, le sommet n’a pas permis de choisir entre une simple repondération des voix et un système de double majorité.

En dernier lieu, M. Pierre Moscovici s’est félicité de la qualité du texte de la Charte des droits fondamentaux présentée à Biarritz et qui pourra être proclamée solennellement à Nice. Si son intégration dans les traités n’est pas encore à l’ordre du jour, compte tenu des fortes réticences du Royaume-Uni, le ministre n’a pas exclu qu’il y soit fait référence, à l’article 6 du Traité sur l’Union européenne, au même titre que la Convention européenne des droits de l’homme. Enfin, un assez large accord s’est dégagé sur l’opportunité de compléter l’article 7 du Traité pour permettre au Conseil d’intervenir lorsqu’il existe un risque sérieux de violation des valeurs fondamentales.

A la suite de l’exposé du ministre, M. Hubert Haenel, évoquant la réunion de la Conférence des organismes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) qui s’était tenue à Paris les 16 et 17 octobre dernier, s’est félicité de l’intérêt des échanges qui avaient pu s’engager entre les représentants du gouvernement français et les parlementaires des quinze pays membres de l’Union européenne et des treize pays candidats. Il a souligné que les travaux de la COSAC s’étaient conclus par une contribution adressée aux institutions de l’Union européenne exprimant la volonté des parlements nationaux d’être davantage associés à la construction européenne. M. Hubert Haenel a ajouté qu’il serait très utile que la présidence française, après avoir transmis ce document aux autres membres du Conseil, fasse connaître ses réactions aux propositions contenues dans cette contribution..

M. Christian de La Malène, après avoir demandé des précisions sur le caractère informel du Conseil européen de Biarritz, a souhaité connaître les avancées concrètes auxquelles il avait abouti. Evoquant certaines ambiguïtés de traduction concernant la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il s’est demandé quelle version de ce document ferait référence.

M. Pierre Fauchon a observé qu’un texte de l’importance de la charte des droits fondamentaux, devait faire l’objet d’un examen par le Parlement européen. Relevant que ce texte était issu des travaux d’une convention associant les représentants des parlements nationaux, il s’est demandé si une telle méthode ne devait pas de nouveau être utilisée, notamment dans l’élaboration de règles juridiques communes.

Mme Monique Cerisier ben-Guiga est revenue sur les tensions entre grands et petits pays dans le cadre des discussions sur la réforme institutionnelle. Elle a observé que ces derniers plaidaient pour un renforcement

des principes communautaires et s’est demandée si la France partageait cette orientation. Elle a par ailleurs interrogé le ministre délégué sur les évolutions récentes de la fonction publique européenne.

M. Xavier de Villepin, président, a souhaité connaître l’état actuel des discussions sur les perspectives d’application des coopérations renforcées à la la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Il a relevé que l’action extérieure de l’Union européenne, et en particulier son financement, soulevait encore un certain nombre d’interrogations. Il a également interrogé le ministre délégué sur la position de l’Allemagne vis-à-vis de la repondération des voix. Enfin, il a demandé des précisions sur l’ordre dans lequel les pays candidats adhéreraient à l’Union européenne.

M. Paul Masson a souhaité savoir quelle avait été la position de l’Autriche lors du Conseil européen de Biarritz.

En réponse aux commissaires, M. Pierre Moscovici a apporté les précisions suivantes :

- la qualité des échanges au sein de la COSAC mérite d’être soulignée ; il convient par ailleurs de se féliciter de l’évolution très positive des relations entre la présidence française et le Parlement européen ;

- le caractère informel du Conseil européen de Biarritz explique qu’il n’y ait pas de relevé de conclusion officiel ; il a permis aux Chefs d’Etat et de gouvernement de faire un point très utile sur leurs positions respectives dans le domaine institutionnel ; plusieurs avancées ont par ailleurs été obtenues, en particulier, sur les décisions susceptibles d’être adoptées à la majorité qualifiée ainsi que sur les coopérations renforcées ;

- la mention, dans la charte des droits fondamentaux, du patrimoine spirituel de l’Europe, plutôt que d’héritage religieux, a été introduite à la suite, notamment, des observations présentées par la France ; en tout état de cause le texte français fait seul référence pour notre pays ;

- le recours à une convention pour élaborer le texte de la charte européenne a montré son efficacité tout en permettant de tenir compte des suggestions présentées, en particulier, par les acteurs de la société civile ; une telle méthode pourrait être utilisée dans d’autres circonstances sans toutefois être généralisée pour l’adoption de l’ensemble des normes européennes ;

- la charte des droits fondamentaux devra être adopté par le Parlement européen au début du mois de novembre ;

- il ne faut pas sous-estimer les contradictions d’objectifs entre petits et grands pays ; le Conseil européen de Biarritz a cependant permis, entre les uns et les autres, des échanges fructueux ; les propositions françaises, en particulier celles relatives à la Commission, apparaissent très équilibrées et visent avant tout l’intérêt communautaire ; le maintien du système actuel de composition de la Commission, dans la perspective de l’élargissement ne manquerait pas d’entraîner de graves dysfonctionnements ;

- les réformes en cours de l’administration de la Commission devraient permettre de donner toute sa place à la fonction publique européenne ;

- la mise en place d’un nouveau système de pondération des voix apparaît indispensable pour corriger les déséquilibres qui risquent de s’accentuer entre les pays membres de l’Union européenne à la suite de l’élargissement ; le principe d’une nouvelle pondération tel que le propose la France, pourrait recueillir aujourd’hui l’appui de huit des Etats membres, tandis que la règle d’une double majorité (voix et population) serait soutenue par les autres pays ; la France et l’Allemagne se sont accordées sur le principe d’une repondération simple et le gouvernement allemand n’est pas revenu sur cette position ;

- l’application des coopérations renforcées à la PESC ne soulève pas d’opposition de principe, même si les modalités d’assouplissement du mécanisme actuel sont encore l’objet de négociation ;

- l’Union européenne, lors du Conseil européen d’Helsinki en décembre 1999, s’est fixé pour objectif d’être en mesure d’accueillir de nouveaux membres, à compter du 1er janvier 2003 ;

- l’Autriche, lors du Conseil européen de Biarritz, a défendu ses positions traditionnelles.

Pierre Moscovici a par ailleurs précisé à l’attention de Mme Marie-Madeleine Dieulangard que l’agenda social ne figurait pas à l’ordre du jour du Sommet de Biarritz mais devrait être adopté lors du Conseil européen de Nice. Il a ajouté que les Chefs d’Etat et de gouvernement avaient évoqué à Biarritz la question de la sécurité maritime et s’étaient accordés notamment sur le principe d’une aggravation des sanctions et sur la nécessité d’éliminer, dans un délai rapproché, les navires à coque simple. Il a, enfin, indiqué à M. Paul Masson que la France ouvrirait prochainement une ambassade à Belgrade.