M. Hubert Védrine évoque devant les sénateurs la situation au Proche-Orient,

le déroulement du dernier sommet franco-africain

et fait le point sur les acquis du Traité de Nice

Réunie le jeudi 25 janvier 2001 sous la présidence de M. Xavier de Villepin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l’audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine a tout d’abord évoqué la situation au Proche-Orient. Tout en appelant de ses voeux une avancée dans les actuelles négociations israélo-palestiniennes, il a émis la crainte que celles-ci ne puissent malheureusement déboucher sur une issue positive d’ici les élections législatives du 6 février prochain en Israël. Il a rappelé que sur l’ensemble des points litigieux, notamment le statut de Jerusalem et le retour des réfugiés palestiniens, toutes les solutions semblaient avoir été explorées au cours des derniers mois sans que les deux parties parviennent à trouver un terrain d’entente. Dans ces conditions, seul un sursaut en Israël et chez les Palestiniens serait susceptible de permettre un accord.

Le ministre des affaires étrangères a estimé qu’il faudrait donc sans doute attendre le lendemain des élections législatives du 6 février pour connaître le contexte dans lequel se poursuivront les discussions sur le processus de paix. Evoquant l’hypothèse d’une alternance gouvernementale et de l’accession de M. Sharon au poste de premier ministre, il a considéré que l’on ne pourrait en tirer des conclusions définitives quant à l’avenir de ce processus de paix. En effet, l’arrivée d’un nouveau gouvernement ne modifiera pas fondamentalement les données de la négociation. Les Palestiniens se souviennent que des restitutions de territoires sont intervenues sous le gouvernement de M. Netanyahou, alors qu’il n’en a pas été de même sous celui de M. Barak, pourtant réputé plus ouvert. Le ministre a également souligné le sacrifice que représenterait pour les dirigeants palestiniens, quels qu’ils soient, la renonciation définitive à des revendications historiques, confortées par le droit international, en échange d’un accord de paix.

Après avoir évoqué la contribution que l’Union européenne, sous présidence française, a tenté d’apporter aux négociations, M. Hubert Védrine a estimé que la nouvelle administration américaine s’impliquerait vraisemblablement de manière différente sur le dossier du Proche-Orient, comme en témoignent les vives critiques qu’elle a exprimées sur la diplomatie personnelle du président Clinton et sur le recours privilégié aux envoyés spéciaux.

Le ministre des affaires étrangères a ensuite évoqué le récent sommet franco-africain de Yaoundé. Il a souligné le fort attachement des pays africains à ce type de rencontres qui traduisent l’importance qu’ils accordent aux relations franco-africaines. Le sommet Europe-Afrique a permis depuis peu de mieux sensibiliser l’ensemble de nos partenaires européens sur les problèmes de l’Afrique mais de telles rencontres ne sauraient en aucun cas se substituer aux sommets France-Afrique qui conservent toute leur pertinence. Ces derniers bénéficient d’ailleurs, en Afrique, d’un écho très favorable qui tranche avec l’image qui en est parfois donnée en France, où la situation du continent africain est trop souvent caricaturée.

Souhaitant conforter une relation saine entre la France et l’Afrique, M. Hubert Védrine a précisé que si les structures ou les méthodes pouvaient évoluer, l’engagement de la France vis-à-vis de l’Afrique, pour sa part, ne devait nullement être remis en cause. En effet, tout désengagement serait un appauvrissement pour chacun des partenaires.

S’agissant de l’assassinat du président Kabila, M. Hubert Védrine a estimé que l’on ne pouvait, pour l’heure, en mesurer les conséquences sur l’évolution de la République démocratique du Congo. Il s’agira, en effet, de savoir si cet événement est de nature à modifier le rapport de force entre les différentes parties au conflit congolais. Il conviendra également d’observer l’attitude du nouveau président à l’égard d’un dialogue inter-congolais qui ne s’est, pour le moment, jamais engagé.

A la suite de l’exposé du ministre, un débat s’est engagé avec les membres de la commission.

M. André Dulait a interrogé le ministre sur l’attitude du président syrien, Bachar al-Assad, à l’égard du processus de paix israélo-palestinien et sur l’évolution du poids politique de Yasser Arafat auprès des Palestiniens.

M. Aymeri de Montesquiou a demandé si les Israéliens étaient disposés à envisager un retrait général des colonies et de Jerusalem-Est. Il a également souhaité savoir comment ils pouvaient justifier la non-application du droit international.

M. Pierre Mauroy, soulignant qu’un accord de paix était dans l’intérêt de l’immense majorité des populations israéliennes et palestiniennes, a vivement déploré que l’occasion fournie par les négociations avec le gouvernement Barak n’ait pas été saisie comme elle aurait dû l’être. Il a remarqué qu’au moment où le processus de paix s’enlisait, Saddam Hussein s’employait de nouveau à défier les résolutions des Nations unies, ce qui constituait une nouvelle régression pour la stabilité de la région Enfin, il a déploré que tous les pays européens ne semblent pas absolument convaincus de la nécessité, pour l’Union européenne, de peser sur le règlement des questions politiques internationales et de ne pas laisser ce rôle aux seuls Etats-Unis.

Mme Danielle Bidard-Reydet, évoquant un récent déplacement dans la région, a confirmé les appréciations pessimistes sur l’issue des actuelles négociations, tout en relevant que, paradoxalement, tous les interlocuteurs convenaient qu’il n’y avait d’autre alternative possible que la paix. S’agissant du blocage sur la question des frontières, elle a demandé s’il était confirmé que les Israéliens étaient disposés à concéder les rives du Jourdain à l’Est de la Cisjordanie, tout en prétendant conserver le contrôle des zones aquifères.

M. Jean Bernard a estimé qu’un armistice en vue de la cessation de tout affrontement sur le terrain était indispensable à la poursuite, dans un climat plus favorable, des négociations.

M. Xavier de Villepin, président, s’est demandé dans quelle mesure les acquis de l’actuelle négociation pourraient être conservés après l’arrivée d’un nouveau gouvernement en Israël.

En réponse aux commissaires, M. Hubert Védrine a d’abord observé qu’il était encore difficile, pour l’heure, de prendre la mesure des évolutions de la politique syrienne depuis l’arrivée au pouvoir du Président Bachar al-Assad. Il a relevé, par ailleurs, que, dans le cadre des négociations relatives au processus de paix, les Israéliens avaient semblé prêts à restituer près de 96 % des territoires occupés, tout en demandant des garanties de sécurité. Il a ajouté que M. Ehud Barak avait accepté d’importantes avancées concernant le démantèlement des colonies -à l’exception de celles situées dans la périphérie de Jérusalem. Il a souligné à cet égard le lien qui existait entre le maintien des implantations israéliennes et le souci manifesté par l’Etat hébreu de conserver une partie des ressources aquifères.

Le ministre des affaires étrangères a indiqué que, même si les européens avaient adopté, principalement à l’initiative de la France, des positions plus cohérentes et plus audacieuses sur le processus de paix, il demeurait encore, au sein de l’Union européenne, de nombreux désaccords à surmonter sur ce sujet. Il a noté également qu’il était difficile d’obtenir un arrêt des violences sur le terrain, dans la mesure où les deux parties ne maîtrisaient pas toujours l’évolution de la situation. Il n’a pas exclu enfin l’hypothèse qu’aucun accord de paix ne puisse être conclu au terme des négociations actuelles, et a redouté la perspective, dans ce cas, des initiatives échappant à tout contrôle. M. Hubert Védrine a par ailleurs indiqué, à l’intention de M. Philippe de Gaulle, que Israéliens et Palestiniens étaient désireux de parvenir à un accord et que dans ce processus de discussion directe, les Etats-Unis, comme l’Europe, ne pouvaient que chercher à encourager le dialogue sans se substituer aux protagonistes eux-mêmes.

Les commissaires ont alors interrogé le ministre sur le résultat du Sommet France-Afrique de Yaoundé.

Mme Paulette Brisepierre a d’abord estimé que cette réunion avait été un grand succès. Elle a relevé que l’assassinat du Président Kabila avait favorisé une prise de conscience parmi les dirigeants africains sur les risques liés à la pérennisation de conflits dans la région. Elle a, en particulier, salué le discours d’ouverture du Président de la République, qui avait permis de mieux mettre en valeur la place de l’Afrique. Elle a, en outre, rappelé la qualité de l’accueil réservé par le Président Biya à la délégation française et la remarquable organisation mise en place à cette occasion. Enfin, elle a jugé très réconfortant l’attachement manifesté par les Africains à la présence de la France.

M. Emmanuel Hamel a souhaité obtenir des précisions sur l’état actuel de la dette des Etats africains à l’égard de la France à la suite des récentes opérations d’annulations.

M. Pierre Mauroy a souligné que le Sommet de Yaoundé pouvait être considéré comme un succès pour notre pays. Après avoir fait part de quelques réserves sur la situation intérieure du Cameroun, il a relevé des signes encourageants dans les évolutions les plus récentes de la Côte d’Ivoire. Il s’est, par ailleurs, félicité des mesures d’annulations de dettes décidées par la France. Enfin, il s’est interrogé sur les positions de M. Joseph Kabila concernant le processus de paix dans son pays, en rappelant que les Nations unies pouvaient jouer un rôle positif dans le règlement de ce conflit.

M. Xavier de Villepin, président, a interrogé, pour sa part, le ministre sur les perspectives, pour la Côte d’Ivoire, de renouer avec les bailleurs de fonds internationaux.

En réponse aux commissaires, M. Hubert Védrine a d’abord précisé que les décisions annoncées à l’occasion du Sommet de Yaoundé avaient porté sur l’annulation d’une partie de la dette commerciale des pays pauvres très endettés (PPTE). Il a rappelé que la dette de ces pays s’élevait encore à 330 milliards de dollars, soit 60 % de leur PIB. M. Guy Penne a relevé, à cet égard, que parmi les pays créanciers, la France avait consenti l’effort d’annulation le plus considérable.

Le ministre des affaires étrangères a ajouté qu’à la suite du Sommet de Yaoundé, le contexte paraissait désormais plus favorable à la reprise des relations entre ces pays et les institutions de Bretton Woods. Il a rappelé enfin, s’agissant de la République Démocratique du Congo, que les accords de paix de Lusaka avaient notamment prévu le retrait des forces étrangères de ce pays et la mise en place d’une force des Nations unies.

La commission a alors interrogé M. Hubert Védrine sur la situation de l’Union européenne après le Conseil européen de Nice.

M. Christian de La Malène, après avoir rappelé que les élargissements devaient, en principe, être subordonnés à une réforme profonde des institutions, a regretté la faiblesse des résultats obtenus lors du dernier Conseil européen. Il a demandé, par ailleurs, au ministre des précisions sur l’évolution des positions allemandes relatives à la construction européenne.

M. Hubert Durand-Chastel a observé que les progrès de la construction européenne avaient, pour une large part, reposé sur le couple franco-allemand et s’est interrogé sur l’évolution des relations entre les deux pays.

M. Philippe de Gaulle s’est demandé dans quelle mesure les résultats du Conseil de Nice avaient permis de satisfaire les intérêts de notre pays.

Le ministre des affaires étrangères a observé que les résultats du Conseil européen de Nice devaient être jugés au regard des différentes positions des Etats membres exprimées lors de la Conférence intergouvernementale. Il a rappelé, à cet égard, que la réforme institutionnelle avait été, au départ demandée par trois pays seulement : la France, la Belgique et l’Italie. Il a noté que, dans ce contexte, un échec ne pouvait être exclu et que, finalement, les résultats obtenus par le Conseil de Nice dans le domaine institutionnel étaient loin d’être négligeables.

M. Hubert Védrine a estimé que, parallèlement au processus de ratification du traité de Nice, les Quinze devaient poursuivre les autres grands chantiers en cours de la construction européenne : la mise en place de l’euro et l’harmonisation des politiques économiques, la coopération en matière de défense, les négociations d’élargissement, enfin, les futures évolutions institutionnelles. Sur ce dernier point, il a relevé que l’Allemagne avait demandé, lors du Conseil européen de Nice, et les Quinze avaient accepté, que la question de la répartition des compétences respectives des institutions européennes et des Etats fasse l’objet d’une nouvelle Conférence intergouvernementale en 2004, précédée d’un large débat démocratique. Il a relevé que certaines pressions se manifestaient aujourd’hui pour anticiper cette échéance.

Le ministre des affaires étrangères a jugé, pour sa part, indispensable le maintien d’une relation privilégiée entre la France et l’Allemagne, au service d’une vision ambitieuse pour l’Europe et fondée sur la reconnaissance mutuelle des intérêts respectifs des deux partenaires. Il a précisé, par ailleurs, à l’intention de M. Aymeri de Montesquiou, que le refus des Britanniques d’appliquer le mécanisme des coopérations renforcées à la défense, s’expliquait, pour une large part, par leur réticence vis-à-vis d’une intervention de la Commission et du Parlement européens dans ce domaine. Cette position, a-t-il ajouté, ne constituait pas un revers pour l’Europe, dans la mesure où des progrès peuvent être obtenus dans ce domaine indépendamment des traités. Il a partagé, en revanche, la préoccupation exprimée par MM. Xavier de Villepin, président, et Aymeri de Montesquiou, quant au récent accord industriel entre Londres et Washington, sur l’avion de combat futur JSF (Joint Strike Fighter). Par ailleurs, M. Hubert Védrine a indiqué à M. Robert Del Picchia que le processus de ratification du traité de Nice serait engagé une fois celui-ci signé.