Présentation du rapport de M. Serge Vinçon ( UMP - Cher ) relatif à la loi de programmation militaire.

En examinant ce projet de loi, la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat a conservé à l'esprit deux objectifs : tenir compte d'un environnement de sécurité plus incertain et plus instable, dans lequel émergent des menaces nouvelles et diversifiées, mais aussi ne pas oublier les facteurs permanents et les missions de base de notre politique de défense, ni la cohérence d'ensemble qui doit guider cette politique.

Ce projet de loi de programmation répond à ce double souci. Il dégage les moyens financiers permettant de poursuivre une adaptation nécessaire, engagée il y a six ans, et intègre ou accélère des programmes répondant plus spécialement à des préoccupations nouvelles.

                I - UNE COHERENCE RESTAUREE

Notre défense aborde la nouvelle programmation 2003-2008 avec le bénéfice de certains acquis dans son processus de réforme et de modernisation, mais aussi en souffrant de plusieurs facteurs de fragilité.

                  1° Préserver et adapter le modèle d'armée.

                  * La réalisation du modèle d'armée 2015 demeure nécessaire.

Ce modèle intégrait la dimension européenne et a été bâti à partir d'une analyse géostratégique prenant en compte des évolutions qui se sont confirmées : développement des crises régionales, risque lié à la prolifération, terrorisme. Cette analyse a directement inspiré le dimensionnement de notre modèle d'armée et ses capacités.

S'il faut aujourd'hui faire face à un plus large éventail de situations, les capacités nouvelles pour y répondre ont vocation à s'ajouter, et non à se substituer à celles du modèle d'armée.

Faut-il abandonner la dissuasion alors que depuis 1997, trois nouveaux pays - l'Inde, le Pakistan et la Corée du nord - ont révélé leur capacité nucléaire ? Il faut au contraire maintenir cette garantie ultime de nos intérêts vitaux et l'adapter aux nouveaux risques émanant de puissances régionales.

Rien n'est à retrancher, bien au contraire, dans les moyens dévolus à la fonction de prévention, c'est à dire au renseignement, et à celle de protection, qu'il s'agisse de protection du territoire, des communautés françaises à l'étranger ou des troupes déployées.

Quant aux capacités de projection et d'action, elles doivent toujours permettre nos engagements classiques - opérations nationales en Afrique, opérations en coalition aux frontières de l'Europe - mais aussi d'intervenir rapidement vers des théâtres éloignés d'où proviennent des menaces nouvelles.

À ceux qui jugent notre modèle d'armée périmé, on doit répondre qu'après un examen attentif, on ne voit guère quelle capacité serait devenu inutile ou sans objet, ni dans quel domaine il faudrait renoncer à renouveler nos équipements.

                  * Notre modèle d'armée doit être actualisé

Le projet de loi permet d'adapter notre modèle aux changements de l'environnement international et aux évolutions technologiques dans plusieurs domaines : lancement d'un programme de drones d'observation, renforcement des capacités de frappes de précision à longue distance, rétablissement, à l'horizon 2015, de la permanence du groupe aéronaval, moyens nouveaux dévolus aux forces spéciales, acquisition d'une première capacité de défense contre les missiles balistiques de théâtre, ainsi que de défense biologique, remise à niveau de la protection de nos approches aériennes et maritimes, enfin renforcement des moyens de la gendarmerie contribuant directement à la protection de nos populations.

                  * Une dimension européenne confortée

Le projet de loi s'inscrit pleinement dans les objectifs de la politique européenne de sécurité et de défense. Alors que l'invocation de l'Europe a trop souvent servi d'alibi au relâchement des efforts nationaux, la pleine réalisation et l'actualisation du modèle 2015 permettent à notre pays d'apporter une contribution concrète à la résorption du déficit capacitaire européen, conformément aux objectifs définis à Helsinki.

ll est certes toujours possible de regretter que les programmes d'équipement ne traduisent pas une dimension européenne plus prononcée. Mais il faut ici rappeler une évidence : la loi de programmation française n'engage que les autorités françaises et ne peut aller plus vite que l'avancement des accords avec nos partenaires. De 2003 à 2008, la part des programmes conduits en coopération européenne représentera tout de même 12% du titre V, contre 7% de 1997. Le redressement du budget d'équipement français contribuera à relancer la dynamique européenne.

                  2° Vers une consolidation de l'armée professionnelle.

                  * La professionnalisation : une réussite globale malgré certains points faibles

La professionnalisation a été conduite avec succès et les objectifs de recrutement de militaires du rang professionnels ont été atteints. L'enveloppe financière prévue n'a pas été dépassée, le titre III inscrit au budget 2002 étant conforme à 40 millions d'euros près à l'annuité de la programmation. S'il y a eu un surcoût au titre III, c'est surtout dans l'exécution budgétaire, du fait des opérations extérieures.

Cette satisfaction globale ne doit pas occulter deux points faibles :

                - un déficit encore important, bien qu'en diminution, sur les postes de personnels civils, un échec relatif de la formule du volontariat, surtout dans l'armée de terre, et une réalisation très insuffisante de la réserve opérationnelle, notamment en militaires du rang.

                - le sentiment de dégradation des conditions de vie et de travail s'est développé au fil des six dernières années ; la commission sénatoriale des affaires étrangères et de la défense l'avait souligné avec inquiétude avant que n'éclate, fin 2001, une crise grave.

                  * La consolidation de la professionnalisation est engagée.

Le projet de loi prévoit une augmentation d'un peu plus de 10 000 postes d'ici 2008, soit une progression de 2,4% des effectifs.

Au delà des 8 300 postes supplémentaires pour la gendarmerie, il faut particulièrement se féliciter de la transformation, dans l'armée de terre, de 3 000 postes vacants de volontaires en 2 500 postes d'engagés. C'est aussi une mesure que préconisait le Sénat depuis deux ans et qui répondra au besoin en effectifs des forces terrestres, notamment pour les unités d'infanterie. Le renforcement des effectifs du service de santé et des services de renseignement est également bienvenu, mais, pour ces derniers, il se limitera à une centaine de postes supplémentaires, ce qui sans doute trop modeste.

La création du fonds de consolidation de la professionnalisation, l'enveloppe supplémentaire affectée à la réserve opérationnelle, la stabilisation du budget de fonctionnement à 20% des crédits du titre III, le relèvement significatif des normes d'activité et d'entraînement, toujours inférieures cependant à celles des britanniques, et l'effort financier important prévu pour l'entretien programmé des matériels, sont autant d'élément très positifs de nature à restaurer un environnement moins contraint pour nos forces.

                  3° Les crédits d'équipement : un rattrapage nécessaire.

                 * Une érosion qui a fragilisé nos capacités

De 1997 à 2002, le PIB de la France a progressé de 20% en monnaie courante et le budget de l'Etat de 12%. Seul parmi les 10 principaux budgets à ne pas suivre cette pente ascendante, le budget de la défense a diminué de 1%. Le budget d'équipement militaire a régressé de 9%, et a constamment subi des annulations en cours d'exercice, l'équivalent d'une annuité complète ayant été perdue par rapport à la loi de programmation.

Cette érosion prolongée fragilise, à court comme à moyen terme, notre outil de défense. Elle a contribué à la chute de la disponibilité des matériels et au décalage de nombreux programmes, ce qui impose le maintien en service d'appareils vieillissants et réduit nos marges de manœuvre pour acquérir des capacités nouvelles. Les crédits d'études, gages de nos capacités futures, ont servi de variable d'ajustement.

Prolonger cette tendance conduirait inévitablement à l'affaiblissement de nos capacités et à une nouvelle révision à la baisse de notre modèle d'armée.

                * Un rattrapage financier qui ne permettra pas un rattrapage capacitaire

Le projet de loi opère un très net changement de cap en retenant une annuité moyenne de 14,64 milliards d'euros 2003.

En monnaie constante, il s'agit d'un redressement très important : + 18% par rapport au budget d'équipement 2002 et + 17% par rapport aux crédits d'équipement effectivement consommés de 1997 à 2002.

L'augmentation n'est cependant que de 7% comparée au niveau de la « revue de programmes » et elle se limite à 2% par rapport au niveau initialement retenu par la loi de programmation votée en 1996.

Ces éléments de comparaison soulignent l'ampleur de l'effort décidé, dans un contexte budgétaire difficile, par rapport aux trois dernières années. Ils le relativisent aussi, en montrant que nous ne faisons que revenir, à peu de chose près, aux montants fixés en 1996, qui traduisaient alors une diminution du format et des crédits.

C'est pourquoi la nouvelle loi de programmation s'analyse avant tout comme un rattrapage, étant bien précisé que ce rattrapage est d'ordre financier, et non d'ordre capacitaire, les retards pris dans l'équipement des forces ne pouvant être effacés.

Ce rattrapage était absolument indispensable pour faire face aux besoins de paiement qui s'annoncent si l'on veut respecter, sans nouveau retard, le calendrier de livraison de nos équipements. Il est également nécessaire pour relever les dépenses dites « de flux », très comprimées ces dernières années : le maintien en condition opérationnelle et surtout les études-amont, qui bénéficieront d'une hausse de 18% d'ici 2008.

                  * Dépenser plus efficacement les crédits : des efforts à accentuer

Au delà d'une clarification du périmètre budgétaire dans un sens favorable aux armées, le projet de loi de programmation met l'accent sur la nécessité de dépenser plus efficacement les crédits. Des pistes intéressantes sont mentionnées mais il faudra traduire très rapidement ces intentions louables en actions concrètes.

De nombreux domaines justifient une approche interarmées plus affirmée ; comme la formation ou le secteur complexe des systèmes d'information et de commandement. L'externalisation, pour la formation et la maintenance, doit être accentuée, en liaison avec les industriels. Enfin, le Sénat l'avait souligné lors d'un rapport d'information sur les hélicoptères, il faut aller réellement de l'avant sur les financements innovants, pour trouver les moyens d'avancer l'acquisition d'équipements ou de capacités. Une impulsion politique forte est nécessaire pour dépasser les habitudes et l'inertie administrative. Il faudra également poursuivre la réforme de la DGA. Des progrès ont été accomplis, mais il y a sans doute encore beaucoup à faire pour améliorer notre structure d'acquisition.

                II - L'équipement militaire de 2003 à 2008

                1° Les besoins les plus urgents seront satisfaits

Le retour à un niveau voisin de celui initialement prévu par la précédente loi de programmation permet de répondre à deux besoins urgents : restaurer la disponibilité des matériels et éviter tout nouveau retard dans des programmes lancés depuis longtemps : Rafale, Tigre, NH 90, VBCI. La cohérence indispensable à la poursuite des programmes nucléaires et à la simulation impose également un relèvement, par rapport à la période 1997-2002, de l'enveloppe consacrée à la dissuasion. Cette progression (6,6%) sera plus modérée que celle de l'ensemble du budget d'équipement.

                  2° Des priorités nouvelles sont prises en compte

                  * En matière de renseignement, le programme de drones MALE sera lancé, ces engins d'une endurance de 24 heures devant être dédiés à l'imagerie, à la désignation d'objectif et à la transmission de données entre les forces au sol et les satellites.

                  * Le domaine de la « frappe dans la profondeur », est sans doute celui dans lequel l'effort de redressement opéré par le projet de loi est le plus sensible.

L'hypothèque pesant sur la permanence du groupe aéronaval est levée, ce qui donnera tout son sens à l'investissement considérable prévu pour le groupe aérien embarqué et répondra directement à l'instabilité croissante de l'environnement international, en confortant notre capacité à agir sur des théâtres éloignés.

Nos capacités, aujourd'hui limitées, en matière de munitions guidées, qui ont représenté 85% des frappes aériennes en Afghanistan contre 35% au Kosovo et 10% lors de la guerre du Golfe, vont être notablement améliorées, avec le programme d'armement air-sol modulaire (AASM) et le missile de croisière Scalp. Le développement d'un missile de croisière naval, sera lancé mais sa livraison en 2011 paraît tardive, alors qu'il aurait été intéressant de disposer de cette capacité dès la livraison des premières frégates multimissions.

Le renforcement important des moyens des forces spéciales, en hommes, en hélicoptères spécialisés et en moyens de transmission hautement performants vise à leur permettre d'agir en coordination avec les opérations aériennes.

                  * La commande de la troisième frégate anti-aérienne Horizon, qui n'était pas prévue par le projet de loi du précédent gouvernement, mais aussi l'accent mis sur la protection des approches maritimes et aériennes, avec la réactivation et la modernisation des sémaphores et l'acquisition de nouveaux radars de détection d'aéronefs, ou encore l'acquisition d'une première capacité de défense contre les missiles balistiques de théâtre, sont des éléments nouveaux très positifs.  

                  3° Des lacunes persistantes pour notre capacité de projection

                  * En matière de transport aérien, le retard pris pour le lancement de l'A 400 M renvoie sa livraison au mieux fin 2008 et vraisemblablement en 2009. Notre capacité immédiate de projection aérienne va chuter à partir de 2005, pour n'être rétablie qu'en 2012, lorsque suffisamment d'A 400 M auront été livrés. Il faudra donc préserver au mieux le potentiel de nos Transall, recourir, lorsque cela est possible, à l'affrètement d'avions commerciaux et compter sur les capacités de nos partenaires européens, notamment britanniques et allemands. Il faudra aussi recourir à la location d'avions gros porteurs Antonov, voire C 17.

                  * Malgré le relèvement des crédits d'équipement, il n'a pas été possible d'avancer la livraison des NH 90 à l'armée de terre, qui les recevra en 2011, 7 ans après son homologue allemande. La remise à niveau des Cougar, et d'une partie du parc Puma, n'empêchera pas une érosion de la capacité aéromobile entre 2005 et 2011, comme l'avait souligné le rapport du Sénat l'an passé.

                  * Une autre lacune capacitaire se profile dans le domaine des blindés légers, car malgré l'arrivée du VBCI en 2006 et la rénovation de chars AMX 10 RC, l'ensemble de notre parc déjà vieillissant et très sollicité pour les opérations extérieures, ne se renouvellera que très lentement. Le nouvel engin blindé roues-canon n'est envisagé qu'à l'horizon 2020.

                  4° Préparer sans retard l'acquisition des prochaines générations d'équipement : un impératif urgent

Les engagements récents montrent le rôle crucial de la maîtrise de l'information en temps réel, de l'intégration des moyens de transmission de données pour les liaisons entre centre de commandement, vecteurs aériens et troupes au sol, des capacités de communication à haut débit, des munitions de précision tirées à longue distance.

Nos possibilités d'acquérir ces capacités sont obérées par le poids du retard pris dans l'équipement plus classique.

                  * Utiliser toutes les marges de manœuvre pour accélérer l'acquisition des technologies et capacités nouvelles

Toute marge de manœuvre dans l'exécution de la loi de programmation devra être mise à profit pour accélérer certains calendriers de livraison, notamment les drones MALE, aujourd'hui prévus pour 2009, et le missile de croisière Scalp naval, prévu en 2011. Un renforcement supplémentaire des moyens humains et techniques d'analyse du renseignement est également souhaitable.

                  * Renforcer la coopération européenne dans le domaine spatial

En dépit d'efforts méritoires, avec l'entrée en service de Syracuse III et Hélios II, le domaine des technologies spatiales reste insuffisamment développé et contraste avec leur usage croissant et massif par les Etats-Unis. Nous ne pourrons changer d'échelle que par une coopération européenne accrue. L'accord intervenu pour permettre notre accès aux satellites radars que développent l'Allemagne et l'Italie est une avancée positive. Il est regrettable que la coopération ait échoué sur les satellites de télécommunication, car un programme mené avec le Royaume-Uni et l'Allemagne aurait permis de construire un satellite plus performant que Syracuse III. Il faudra aussi aller plus loin pour élargir nos capacités dans le domaine de la détection des tirs de missiles balistiques ou de l'écoute électronique.

                                * Accentuer le redressement de l'effort de recherche.

L'effort de recherche et technologie a été mis à mal ces dernières années. Il est aujourd'hui inférieur d'environ 60% à celui des britanniques. Le redressement notable (+18%) opéré par le projet de loi et l'accent mis sur le développement de démonstrateurs technologiques doivent être salués.

Le retard pris appelle une accentuation de cet effort et la fédération des moyens européens autour de programmes de recherche communs, aujourd'hui extrêmement limités. Le lancement de tels programmes devrait être fortement soutenu par la France dans le prolongement du plan européen sur les capacités (processus ECAP).

  CONCLUSION

                  Le projet de loi de programmation replace notre effort de défense sur la bonne trajectoire, vers la nécessaire réalisation du modèle 2015, tout en permettant certaines inflexions liées aux évolutions stratégiques récentes. Dans le contexte budgétaire actuel, il représente sans aucun doute le meilleur arbitrage qui pouvait être raisonnablement escompté en faveur de l'équipement des armées.

                Ce retour à la cohérence de notre effort suppose, pour être crédible, une traduction fidèle dans les lois de finances successives et dans leur application. La bonne exécution de la loi de finances pour 2003, l'accomplissement d'un nouveau relèvement des crédits en 2004 et le renoncement au financement des opérations extérieures par des annulations équivalentes au titre V conditionnent la crédibilité d'un projet de loi qui, dans un environnement international dégradé, ouvre la perspective de moyens plus adaptés à la protection de notre population et au rôle que la France entend jouer pour préserver la paix, la sécurité et la stabilité, par son action propre ou dans le cadre de l'Union européenne.