Dans le cadre de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2019, qui débutera ce jeudi 22 novembre, le Sénat va examiner plusieurs amendements identiques déposés par différents groupes politiques visant à faire échec aux opérations d’"arbitrage de dividendes".

À la suite des révélations du Monde et de plusieurs médias internationaux dans le cadre de l’enquête sur les "Cum Ex Files", le groupe de suivi de la commission des finances du Sénat sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, composé de sénateurs de différentes sensibilités, a mené, en un temps très court, des travaux approfondis sur cette pratique. Il a notamment entendu, dès le 25 octobre 2018, les représentants de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), de la Direction de la législation fiscale (DLF), de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

L’arbitrage de dividendes permet aux actionnaires non-résidents de sociétés françaises d’échapper à la retenue à la source qui doit être appliquée sur les dividendes qu’ils perçoivent, en principe comprise entre 15 % et 30 %, en prêtant directement ou indirectement leurs actions, au moment du versement du dividende, à une banque française (schéma interne) ou à un résident d’un pays lié à la France par une convention fiscale prévoyant une retenue à la source de 0 % (schéma externe). Il s’agit de : l’Arabie Saoudite, Bahreïn, l’Égypte, les Émirats Arabes Unis, la Finlande, le Koweït, le Liban, Oman et le Qatar.

Les travaux du groupe de suivi ont permis d’aboutir à trois constats.

Premièrement, le caractère massif du phénomène : d’après les données recueillies auprès de l’AMF, les seules opérations de prêt-emprunt de titres sur les valeurs du CAC 40 sont multipliées par 8 autour de la date du versement du dividende, ce qui représenterait une perte d’environ un milliard d’euros par an pour le Trésor public français. Encore faut-il préciser que ce montant constitue un minimum, dès lors qu’il ne concerne qu’un seul type de montage. En effet, il est possible d’échapper à la retenue à la source en recourant à d’autres mécanismes (achat suivi d’une vente, instrument dérivé, etc.) pour lesquels l’AMF ne dispose à ce jour d’aucune donnée.

Deuxièmement, l’incapacité systématique de l’administration fiscale à effectuer les contrôles nécessaires pour faire échec à ces pratiques. Si le "schéma interne" relève d’une optimisation fiscale à la frontière de la légalité, le caractère frauduleux du "schéma externe" ne fait guère de doute au regard des clauses anti-abus des conventions fiscales. Toutefois, l’administration fiscale n’a pas en pratique les moyens de vérifier le bien-fondé des opérations.

Troisièmement, l’existence de solutions efficaces adoptées par des pays comparables : dès 2010, les États-Unis se sont dotés d’un dispositif ambitieux visant à faire échec à l’arbitrage de dividendes sous toutes ses formes, et qui s’applique aux produits dérivés depuis 2017. En 2016, l’Allemagne a fait de même et plusieurs établissements financiers font l’objet de poursuites judiciaires dans ce cadre.

Dans ce contexte, le groupe de suivi de la commission des finances du Sénat a élaboré un dispositif complet, couvrant les différentes formes d’arbitrage de dividendes, inspiré du dispositif américain et aligné sur les clauses anti-abus les plus récentes, en faveur desquelles la France s’est formellement engagée au niveau international, dans le cadre de l’OCDE.

Compte tenu de l’urgence comme de l’ampleur du phénomène, et pour souligner l’esprit consensuel et transpartisan des travaux qui ont été menés, l’amendement du groupe de suivi de la commission des finances a été déposé plusieurs fois à l’identique.

Au lendemain des révélations du Monde, le ministre de l’action et des comptes publics, M. Gérald DARMANIN, a promis de se montrer «intraitable » et de "lutter sans merci contre toute forme d’évasion fiscale" : le dispositif qui sera examiné prochainement en séance publique pourrait permettre au Gouvernement de passer des paroles aux actes.

Les amendements et les explications détaillées peuvent être consultés ici .

Le groupe de suivi de la commission des finances du Sénat sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est composé de : M. Éric BOCQUET (Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste - Nord), M. Emmanuel CAPUS (Les Indépendants - République et Territoires - Maine-et-Loire), M. Yvon COLLIN (Rassemblement Démocratique Social et Européen - Tarn-et-Garonne), M. Philippe DOMINATI (ratt. Les Républicains - Paris), Mme Nathalie GOULET (Union centriste - Orne), M. Albéric de MONTGOLFIER (Les Républicains - Eure-et-Loir), M. Georges PATIENT (La République en Marche - Guyane), Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN (app. Socialiste et républicain - Val-de-Marne) et M. Vincent ÉBLÉ (Socialiste et républicain - Seine-et-Marne).

La commission des finances est présidée par M. Vincent ÉBLÉ (Socialiste et républicain - Seine-et-Marne).

Son rapporteur général est M. Albéric de MONTGOLFIER (Les Républicains - Eure-et-Loir).

Mathilde DUBOURG
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