Question de M. BALARELLO José (Alpes-Maritimes - U.R.E.I.) publiée le 21/06/1990

M. José Balarello demande à M. le ministre de la culture, de la communication, des grands travaux et du Bicentenaire comment il lui paraît possible que des décisions de prêt et de mise en dépôt prises par le délégué aux arts plastiques qui prévoient la mise à disposition par l'Etat de plusieurs oeuvres au musée d'art moderne et d'art contemporain de Nice pour une durée de 2 ans ou de 6 mois - oeuvres acquises par l'Etat au titre des musées nationaux - et ce après consultation du comité de prêt puissent être remises en cause sous le prétexte évoqué lors de son interview parue dans le journal " Nice-Matin " du 11 juin 1990 du respect du " droit moral des artistes ". En effet, le ministre ne peut ignorer que si l'auteur jouit, en vertu de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique et de la convention de Berne ratifiée par la France le 11 septembre 1972, du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre et du droit de s'opposer à toute atteinte à cette même oeuvre qui soit préjudiciable à son honneur et à sa réputation, ces droits se trouvent pleinement sauvegardés par le dépôt et le prêt d'oeuvres appartenant au patrimoine public dans le nouveau musée d'art moderne de Nice, établissement contrôlé de 1re catégorie placé sous la tutelle du ministère pour sa construction et son fonctionnement. Le soussigné rappelle d'ailleurs que le comité de prêt a donné un avis favorable pour ces prêts et dépôts par deux décisions en date des 2 juin 1989 et 8 février 1990. Il est donc évident que l'attitude du directeur du centre Beaubourg, refusant par lettre du 9 mai 1990 le prêt décidé auparavant entre les deux musées en se fondant sur des considérations politiques au demeurant inexactes constitue en droit administratif un détournement de pouvoir, la notion de droit moral n'étant pas invoquable en l'espèce, l'honneur et la réputation des auteurs n'étant nullement en cause. Pour les mêmes raisons, doivent êtreconsidérées comme un détournement de pouvoir les décisions en date du 14 juin 1990 du délégué aux arts plastiques, qui suspendent la mise en dépôt d'oeuvres du fonds national d'art contemporain au nom du prétendu droit moral des artistes et sans que le comité de prêt n'ait émis un quelconque avis défavorable. De telles mesures prises par le ministre de la culture à la veille de l'inauguration du musée de Nice témoignent du peu de considération et de respect que le ministre accorde tant à la population du département des Alpes-Maritimes laquelle, par ses contributions fiscales, a participé à l'achat des oeuvres du patrimoine national, qu'aux nombreux visiteurs qui ne manqueront pas de faire honneur à ce fleuron de la promenade des arts de Nice que constitue le musée. Il lui demande, au vu de la jurisprudence et de la doctrine relatives au droit moral des artistes qui n'ont aucun rapport ni de près ni de loin avec les faits invoqués par lui dans cette affaire, comment l'Etat peut justifier du véritable détournement de pouvoir ainsi commis. Le parlementaire soussigné s'inquiète du fait qu'alors que le chef de l'Etat ne cesse d'invoquer l'état de droit, de plus en plus de décisions gouvernementales sont prises davantage en fonction des effets médiatiques que l'on en attend que du service de l'Etat et du bien public. De telles décisions partisanes mettent à terme en péril, par l'exacerbation des passions et les réactions qu'elles provoquent, le bon fonctionnement de notre démocratie et la sérénité de la vie publique française.

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Réponse du ministère : Culture publiée le 11/10/1990

Réponse. - La décision d'annulation prise par le délégué aux arts plastiques de ces mouvements d'oeuvres fait suite à la démarche entreprise par le sculpteur Arman, qui devait bénéficier d'une rétrospective de son oeuvre lors de l'inauguration de ce nouveau musée. Cet artiste a souhaité renoncer au bénéfice de cette exposition en appelant d'autres artistes au rejet des manifestations culturelles présentes et futures dans la ville de Nice. Parmi les artistes souscrivant à cet appel (Tinguely, Niki de Saint-Phalle, Spoerri, ...), un certain nombre ont souhaité que leurs oeuvres ne soient pas présentées lors de l'inauguration de ce nouvel espace et ne fassent pas l'objet d'un dépôt auprès du nouveau musée d'art moderne et d'art contemporain de la part de leur propriétaire. Si les prêts et les dépôts des oeuvres du Fonds national d'art contemporain font bien l'objet de décisions prises par le délégué aux arts plastiques, il n'en demeure pas moins qu'elles ne peuvent pas être faites contre la volonté des auteurs. En effet le droit moral précède les droits patrimoniaux dans la vie juridique car l'auteur exerce le premier des attributs qui le composent, le droit de divulgation, absolu et discrétionnaire, personne ne pouvant le contraindre à un geste contraire à sa conscience. Le législateur en 1957 a offert à l'artiste la faculté de repentir ou de retrait qui permet à celui-ci de soustraire l'oeuvre aux regards sous l'emprise de considérations d'ordre intellectuel et moral. L'article 6 de la loi précitée stipule que l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit qui est attaché à sa personne est perpétuel, inaliénable et imprescriptible, de plus il est incessible. C'est à ce titre que le Conseil d'Etat a reconnu que les artistes ou leurs ayants droits peuvent faire prévaloir l'indépendance du droit d'auteur sur le support matériel en s'opposant notamment à toute monstration de leurs oeuvres. (La Fontaine du Roussillon - C.E. 3 avril 1936.) Selon l'article 29 de la loi de 1957, l'aliénation de l'oeuvre n'investit son acquéreur d'aucune prérogative du droit moral sur l'oeuvre acquise. Ainsi la jurisprudence a reconnu la primauté du droit moral sur le droit de propriété (arrêt Dubuffet - C.C. du 8 janvier 1980) et condamne l'usage abusif de celui-ci d'aller au-delà du droit moral des artistes, afin de permettre l'accès à l'oeuvre par son créateur et autoriser celui-ci d'y exercer sans contrainte l'ensemble des dispositions attachées au droit d'auteur. Les dispositions de l'article 6 bis de la Convention de Berne qui prévoit que " l'auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l'oeuvre et de s'opposer à... toute autre atteinte à la même oeuvre préjudiciable à son honneur ou à sa réputation " autorisent les artistes participant à une exposition, dont la conception ne fait pas l'objet de l'affaire évoquée par le parlementaire, les artistes ont considéré que certaines déclarations du maire de Nice constituaient une telle atteinte, qui les a conduit à demander que leur création ne soit pas montrée au musée. Le rôle du ministère de la culture, de la communication, des grands travaux et du bicentenaire, est de promouvoir en particulier le respect des droits et de la déontologie des artistes et à ce titre, il a pris l'initiative de la décision de retrait des oeuvres qui ne constitue pas un détournement de pouvoir tel que l'entend le parlementaire. Si toutefois les artistes donnent leur accord à ce que leurs oeuvres soient prêtées, après l'inauguration de l'exposition, le ministère ne s'opposera plus à ces prêts. ; prêts.

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