Question de M. TRÉGOUËT René (Rhône - RPR) publiée le 06/05/1993

M. René Trégouët appelle l'attention de M. le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur le grave problème du libre accès à la carte du génome humain. Les remarquables résultats obtenus récemment par deux équipes de recherche françaises laissent entrevoir la perspective d'un premier " balisage " précis du génome humain en 1994 et d'une cartographie complète de ce génome, d'ici à une dizaine d'années. Cependant, il semble que certains pays, fortement impliqués dans le projet international de décodage et de cartographie du génome humain, ne soient pas disposés, contrairement à la France, à admettre le principe du libre accès à la carte du génome humain. Il nous faut donc envisager la possibilité que ces pays soient tentés d'utiliser les avancées de la recherche française à leurs seuls profits en revendiquant le brevetage et le droit de propriété des parties du génome humain qu'ils auront séquencées et cartographiées. Une telle évolution pourrait paradoxalement conduire la France à se retrouver dans une grave situation de faiblesse et de dépendance scientifique et industrielle dans un domaine de compétence, la génétique, qui sera l'un des plus stratégiques du XXIe siècle. Il lui demande donc quelles sont les garanties de réciprocité dont dispose la France en matière de libre accès à la future carte du génome humain. Il lui demande, par ailleurs, quelles sont les initiatives françaises et européennes mises en oeuvre pour conclure, entre l'ensemble des pays participant au projet de cartographie du génome humain, une convention internationale excluant définitivement toute appropriation privée ou étatique en matière de cartographie génétique humaine, et déclarant la carte du génome humain patrimoine commun de l'humanité.

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Réponse du ministère : Enseignement supérieur publiée le 26/08/1993

Réponse. - La question porte sur le libre accès à la carte du génome humain ; or les prises de position dans ce domaine sont en fait élargies à tout le problème du génome : génétique, bibliothèques d'AND. Les remarquables résultats obtenus récemment par les équipes de recherche françaises laissent effectivement entrevoir la possibilité de dispoer d'une carte complète du génome humain dans un avenir assez proche. A l'heure actuelle environ 2 000 gènes ont été identifiés et cartographiés et ce processus ne peut que s'accélérer puisque le nombre des gènes connus a triplé au cours des trois dernières années' L'accumulation des connaissances dans le domaine des génomes n'a pas qu'un intérêt cognitif, elle a des applications prévisibles très importantes pour la santé humaine. Le seul espoir de guérison pour des malades génétiques comme les myopathies ou la mucoviscidose réside dans l'identification du gène causal qui seul pourra ouvrir la voie d'une thérapeutique efficace. Ceci conduit tout naturellement à envisager des répercussions industrielles biotechniques principalement et, à travers elles, le problème des dépôts de brevets sur les génomes. C'est le dépôt en juin 1991 par le National Institute of Health (NIM) américain d'une demande de brevet portant sur trois cent quarante-sept puis de deux mille séquences partielles d'ADN complémentaires, qui ont marqué pour les chercheurs et les industriels français le point de départ d'une large réflexion sur le problème. Le débat s'articule de deux points principaux : la propriété des génomes, et le rôle du brevet dans l'avancement des sciences et des techniques. Sur le premier point, deux conceptions s'opposent. L'une, qu'on peut qualifier de philosophique, énonce que les génomes, et en particulier le génome humain, sont présents en l'état " dans la nature " et qu'ils sont partie intégrante du patrimoine commun de l'humanité ; le déchiffrement des génomes n'est pas en soi une activité inventive ; seule l'application d'un procédé de déchiffrement est en lui-même, inventif et susceptible d'être brevetable. Pour l'autre conception, plus marchande, les génomes sont des biens comme les autres, nécessaires au progrès technique et comme tels susceptibles de brevet dès lors que l'information qu'ils recèlent est partie intégrante d'un processus inventif. Sur le second point, on peut dire que le rôle du brevet dans l'avancement des sciences et techniques est indéniable et est lié à deux caractristiques essentielles : la rémunération nécessaire de l'activité de recherche et la description complète de l'invention qui, mise à la disposition de la communauté scientifique, permet à ceelle-ci de progresser. C'est cette nécessaire description qui est mise en péril par le dépôt, par le NIH, de trois cent quarante-sept séquences d'ADN qui n'étaient accopagnées que d'hypothèses d'activité sans être étayées par la réalisation d'aucun produit ou procédé. Au total la demande par le NIH, mais aussi par des sociétés américaines privées et par le Medical Research Council (MRC) britannique, des brevets de génétiques non caractérisées se heurte à d'importantes objections de principe et laisse entrevoir de nombreuses difficultés pratiques. Une base de discussion existe néanmoins à partir de la position suivante : peut être brevetée la séquence d'un gène dont la fonction a pu être déterminée, ce qui permet de l'intégrer à un procédé (test diagnostique, fabrication d'un produit...) ou d'en faire le matériel de départ d'un produit dont l'utilité peut être identifiée ; mais la protection ne peut alors s'appliquer qu'au nce d'ADN doit pouvoir rester parfaitement libre. Cette caractérisation de l'objet brevetable en matière d'étude des génomes devrait exclure les outils et étapes intermédiaires de la recherche dès lors qu'il ne s'agit pas d'un produit ayant une valeur et une utilité directe en soi ou d'un procédé utilisable à d'autres fins que la caractérisation et l'étude du gène considéré. Seraient exclues de la brevetabilité les séquences partielles d'ADN correspondant à des gènes non identifiés et dont l'utilité directe dans un procédé ou dans la préparation d'un produit ne peut être précisée, les cartes génétiques, les bibliothèques d'ADN, dans quelque vecteur que ce soit (phage, plasmide, cosmide, chromosome artificiel de levure (YAC), etc.). Une telle politique serait de nature à garder au brevet sa valeur incitative à l'investissement dans la recherche de nouveaux produits et procédés, tout en maintenant libre l'accès aux informations de base. La position du comité 113 de la CEE, qui dépend de la DG1 (relations internationales), va dans le même sens comme en témoigne l'avis émis en mai 1992 sur les conséquences économiques et commerciales d'une éventuelle reconnaissance de la brevetabilité des séquences partielles d'ADN d'origine humaine ; cette position a été confirmée en octobre 1992 à propos de la brevetabilité des séquences partielles d'ADN d'origine humaine de fonction inconnue. Distinguant clairement entre information génétique, non brevetable comme telle, et procédé ou produit issu d'une activité inventive, celle-ci brevetable, ce point de vue respecte le consensus réalisé en France sur l'appartenance au patrimoine commun de l'humanité de l'information contenue dans le génome humain. Il laisse ouvert à la réflexion le très vaste champ des applications issues des recherches sur le génome. Cette réflexion a lieu actuellement au niveau international, alors même que les demandes de brevets dont il a été question n'ont pas, à ce jour, été acceptées et que le débat n'est donc pas clos sur la question de la brevetabilité du vivant. C'est ainsi qu'un représentant du Groupement de recherches et d'études sur les génomes (GREG), qui a notamment reçu du Gouvernement la mission de fournir un cadre de concertation en vue de définir les principes généraux de la position française en matière de brevetabilité, participera prochainement à un échange de vues sur cette question avec les parlementaires américains. ; nce d'ADN doit pouvoir rester parfaitement libre. Cette caractérisation de l'objet brevetable en matière d'étude des génomes devrait exclure les outils et étapes intermédiaires de la recherche dès lors qu'il ne s'agit pas d'un produit ayant une valeur et une utilité directe en soi ou d'un procédé utilisable à d'autres fins que la caractérisation et l'étude du gène considéré. Seraient exclues de la brevetabilité les séquences partielles d'ADN correspondant à des gènes non identifiés et dont l'utilité directe dans un procédé ou dans la préparation d'un produit ne peut être précisée, les cartes génétiques, les bibliothèques d'ADN, dans quelque vecteur que ce soit (phage, plasmide, cosmide, chromosome artificiel de levure (YAC), etc.). Une telle politique serait de nature à garder au brevet sa valeur incitative à l'investissement dans la recherche de nouveaux produits et procédés, tout en maintenant libre l'accès aux informations de base. La position du comité 113 de la CEE, qui dépend de la DG1 (relations internationales), va dans le même sens comme en témoigne l'avis émis en mai 1992 sur les conséquences économiques et commerciales d'une éventuelle reconnaissance de la brevetabilité des séquences partielles d'ADN d'origine humaine ; cette position a été confirmée en octobre 1992 à propos de la brevetabilité des séquences partielles d'ADN d'origine humaine de fonction inconnue. Distinguant clairement entre information génétique, non brevetable comme telle, et procédé ou produit issu d'une activité inventive, celle-ci brevetable, ce point de vue respecte le consensus réalisé en France sur l'appartenance au patrimoine commun de l'humanité de l'information contenue dans le génome humain. Il laisse ouvert à la réflexion le très vaste champ des applications issues des recherches sur le génome. Cette réflexion a lieu actuellement au niveau international, alors même que les demandes de brevets dont il a été question n'ont pas, à ce jour, été acceptées et que le débat n'est donc pas clos sur la question de la brevetabilité du vivant. C'est ainsi qu'un représentant du Groupement de recherches et d'études sur les génomes (GREG), qui a notamment reçu du Gouvernement la mission de fournir un cadre de concertation en vue de définir les principes généraux de la position française en matière de brevetabilité, participera prochainement à un échange de vues sur cette question avec les parlementaires américains.

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