Question de M. DEJOIE Luc (Loire-Atlantique - RPR) publiée le 26/02/1998

M. Luc Dejoie attire l'attention de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la nécessité d'établir une règle claire et précise quant à la possibilité ou non pour les élus d'un conseil général de participer aux délibérations de l'assemblée départementale, relatives aux décisions d'attribution de subventions aux associations ou organismes dont ils sont présidents, membres du conseil d'administration ou adhérents. Il souhaiterait notamment avoir des précisions sur la portée de la législation actuelle et, plus spécialement, sur la distinction à faire entre l'article 432-12 du code pénal et l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales. D'une manière plus générale, il lui demande de bien vouloir lui indiquer comment cette législation peut être appliquée aux conseillers généraux présidents, trésoriers, membres du conseil d'administration ou simples adhérents à une association bénéficiant d'une aide départementale, compte tenu de la multiplication des organismes comportant des élus dans leurs instances dirigeantes ou délibératives. Il souhaiterait également savoir si des règles spécifiques sont applicables aux sociétés d'économie mixte (SEM) et dans quelle mesure des normes de référence incontestables pourraient être fixées à ce sujet dans le règlement intérieur du conseil général.

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Réponse du ministère : Justice publiée le 02/07/1998

Réponse. - Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire que, pour ce qui concerne le premier point de la question, le problème de la participation des élus d'un conseil général, comme toute autre collectivité territoriale, aux délibérations de leur assemblée relatives aux décisions d'attribution de subventions aux associations ou organismes dont ils sont présidents, membres du conseil d'administration ou adhérents peut être analysé sous le double éclairage de l'article 432-12 du code pénal qui institue le délit de prise illégale d'intérêts et de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales, relatif à la légalité des délibérations des communes. Ces deux articles, quoique de nature et de portée différentes, concourent à un même objectif, qui est d'assurer la probité et l'impartialité dans la gestion des affaires publiques. L'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales (ancien article L. 121-35 du code des communes) dispose que " sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l'affaire qui en fait l'objet soit en leur nom personnel, soit comme mandataires. " Les juridictions administratives sont donc amenées à se prononcer, sur ce fondement, sur le caractère légal ou non de certaines délibérations des communes. Elles statuent également sur les délibérations des conseils régionaux et généraux. Il résulte de la jurisprudence que deux conditions sont exigées pour constater l'illégalité des délibérations : - le conseiller concerné doit avoir eu un intérêt distinct de celui de la généralité des habitants de la commune ; - la participation à la discussion et au vote doit avoir eu une influence effective sur la manifestation de volonté de l'assemblée concernée. Dans un arrêt du 16 décembre 1994, le Conseil d'Etat a ainsi considéré qu'était entachée d'illégalité la délibération d'un conseil municipal autorisant la signature d'un bail portant sur un immeuble communal avec une association dont le maire de la commune était président (commune d'Oullins c/ Association Léo-Lagrange Jeunesse et Tourisme, 145370, Rec. 1994, p. 559). L'article 432-12 du code pénal interdit quant à lui des personnes exerçant des fonctions ou des missions publiques de se placer dans une situation où leur intérêt particulier serait en contradiction avec l'intérêt général. Cette interdiction répond au double objectif d'éviter, d'une part, qu'elles ne tirent profit de leurs fonctions dans leur intérêt personnel et négligent ainsi l'intérêt public qu'elles doivent servir, d'autre part, qu'elles ne puissent seulement en être suspectées. Le délit suppose pour être constitué la réunion de plusieurs éléments constitutifs, qui sont la qualité de la personne en cause, l'exercice d'un contrôle sur une affaire, la prise ou la conservation d'un intérêt dans cette affaire et l'élément moral. La participation d'un élu à des délibérations de l'assemblée à laquelle il appartient relatives aux décisions de subventions aux associations ou organismes dont il est président, trésorier, membre du conseil d'administration ou adhérent pourrait être considérée comme caractérisant la prise d'un intérêt dans une affaire sur laquelle il exerce l'une des formes de contrôle prévues par la loi pénale. Telle est du moins l'appréciation que les principes dégagés en la matière permettent de porter sur la situation évoquée par l'honorable parlementaire. Plusieurs décisions de jurisprudence, qui ne sont pas toutes définitives ou qui n'ont pas tranché au fond, ont statué sur des faits similaires (arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 11 juin 1997 ; arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation, a contrario : 6 août 1996, Dr. pénal 1996, nº 263 ; 8 juin 1995, arrêt nº 2817). Pour ce qui concerne le deuxième point de la question, l'expérience prouve que les relations entre les collectivités locales et les sociétés d'économie mixte peuvent constituer également des occasions de commission du délit de prise illégale d'intérêts. Les conditions du droit commun sont applicables, étant précisé toutefois que la Cour de cassation a pu considérer que l'existence de règles particulières, fixées par exemple dans le code général des collectivités territoriales, devait être prise en compte par le juge pénal et pouvait permettre de conclure à l'absence de délit (Crime. 6 août 1996, Dr. pénal 1996, nº 263). Le garde des sceaux ne peut qu'approuver la proposition faite par l'honorable parlementaire d'introduire dans le règlement intérieur des conseils généraux des dispositions spécifiques qui rappelleraient de manière précise aux élus leurs devoirs en ce domaine et les sanctions auxquelles ils s'exposeraient en y manquant.

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Erratum : JO du 30/07/1998 p.2499

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