Question de M. PLASAIT Bernard (Paris - RI) publiée le 17/09/1998

M. Bernard Plasait attire l'attention de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'interprétation respective des articles L. 122-8 du code de la consommation et 313-4 du code pénal. En effet, l'article L. 122-8 du code de la consommation punit d'un emprisonnement de cinq ans et/ou d'une amende de 60 000 francs quiconque aura abusé de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour lui faire souscrire des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit, lorsque les circonstances montrent que cette personne n'était pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire, ou fait apparaître qu'elle a été soumise à une contrainte. L'article 313-4 du code pénal dispose, quant à lui, que " l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, pour obliger ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables est puni de trois ans d'emprisonnement et de 2 500 000 francs d'amende ". Outre leur " rangement " dans deux codes différents, il est possible de considérer, comme le fait une doctrine isolée, que le délit de l'article 313-4 du code pénal a une portée plus large que l'incrimination de l'ancien article 406 et que celui de l'article 122-8 du code de la consommation, spécifique au démarchage, a un champ d'application plus réduit. Cependant, l'élément moral de l'infraction doit être, dans les deux cas, identique, car constitué par la volonté de perpétrer l'abus en pleine connaissance de cause. Dès lors, seule la gravité du préjudice serait un élément pertinent de distinction. De plus, si l'on se réfère à un exemple emprunté à la circulaire du 14 mai 1993, sont protégées par la nouvelle incrimination de l'article 314-3 du code pénal les personnes âgées victimes de pratiques commerciales douteuses qui n'auraient accepté de conclure un contrat sans commune mesure avec leurs besoins réels, qu'en raison du harcèlement dont elles auraient fait l'objet. Et c'est précisément ce type de situation que les tribunaux ont sanctionné sur le fondement de l'article L. 122-8 du code de la consommation, et en particulier la cour d'appel de Lyon dans un arrêt du 19 septembre 1990. La vulnérabilité de la victime devant être, dans les deux cas avérée, il est aisé de constater la similitude des situations à même de justifier l'application de ces deux articles. Il est en effet courant de justifier l'application de l'article L. 122-8 par le fait que l'infirmité du consentement de la victime, embrumé notamment par l'âge, la maladie, ou annihilé par une situation de détresse, est mise à profit de manière éhontée par le démarcheur pour arriver à ses fins. Concernant l'article 313-4 du code pénal, dans l'hypothèse où il s'agit d'un majeur, la vulnérabilité tient généralement à l'âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse. La jurisprudence étant pour le moins clairsemée et la doctrine peu prolixe sur la combinaison de ces deux infractions, il lui demande de bien vouloir lui préciser, d'une part, le champ d'application de chacun de ces délits et, d'autre part, s'il lui paraît, le cas échéant, envisageable de les refondre en une seule incrimination pénale.

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Réponse du ministère : Justice publiée le 11/03/1999

Réponse. - L'article 313-4 du code pénal sanctionne l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de détresse d'un mineur ou d'une personne particulièrement vulnérable pour obliger cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. Cette incrimination permet de réprimer des agissements proches de l'escroquerie commis au préjudice de victimes incapables de se défendre en raison de leur âge ou de leur état physique ou psychique. De même, les personnes âgées victimes de pratiques commerciales douteuses qui, n'auraient accepté de conclure un contrat, sans commune mesure avec leurs besoins réels qu'en raison du harcèlement dont elles auraient fait l'objet, doivent pouvoir bénéficier de cette disposition. L'abus de faiblesse prévu par les articles L. 122-8, 122-9 et 122-10 du code de la consommation sanctionne pour sa part des pratiques similaires dans diverses situations commerciales (visites à domicile et démarchage principalement). L'examen des statistiques disponibles démontre que l'application de ces dispositions est relativement fréquente. Ainsi, pour la seule année 1997, 304 condamnations ont été prononcées par les juridictions sur le fondement de l'article 313-4 du code pénal. Pour ce qui concerne l'abus de faiblesse incriminé par les articles L. 122-8, L. 122-9, L. 122-10 du code de la consommation, 160 décisions au total figurent au casier judiciaire pour la même année. La similitude de ces deux incriminations, qui visent à protéger toute personne en état de faiblesse ou d'ignorance, ne peut être niée. Toutefois, leurs champs d'application respectifs ne se recouvrent pas totalement. Le délit prévu par le code pénal est en effet plus large, dans la mesure où il s'applique en toutes circonstances, et non pas uniquement dans le cadre de certaines situations commerciales, et dans la mesure également où il vise aussi l'" abstention " de la victime. En revanche, l'incrimination prévue par le code de la consommation, certes plus limitée dans son champ d'application, n'exige pas pour sa part un préjudice grave. Elle prévoit par ailleurs une peine d'emprisonnement plus sévère. Cette situation de concours de qualifications entre un texte général et un texte spécial à une matière donnée, relativement courante dans notre droit, ne pose pas de difficulté juridique particulièrement dans la mesure où il appartient aux juridictions du fond d'apprécier au cas par cas la qualification pénale la plus adaptée aux faits de la cause. L'existence de qualifications spécifiques à une matière donnée permet au demeurant, en règle générale, une répression plus adaptée d'une délinquance spécialisée. En l'état, il n'apparaît donc pas opportun d'envisager une refonte de ces deux textes.

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