Question de M. DELEVOYE Jean-Paul (Pas-de-Calais - RPR) publiée le 02/10/1998

M. Jean-Paul Delevoye attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur les conséquences particulièrement graves pour le secteur du meuble dans la région Nord - Pas-de-Calais de l'arrêté royal du 30 mai 1997 qui a légalisé en Belgique l'ouverture des négociants en meubles, dont un grand nombre est installé en secteur frontalier, quarante dimanches par an, soit trois sur quatre. Ces conséquences ont été quantifiées et considérées comme importantes par une étude réalisée pour la préfecture de région par le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR), publiée en juin 1997. Ainsi, cinquante-cinq établissements évoluant dans le domaine " meubles, salons, cuisines " ont-ils disparu en dix ans dans le seul secteur Lille-Roubaix-Tourcoing. On constate en outre que le chiffre d'affaires des établissements belges est réalisé à 50 % le dimanche, et que la part découlant des commandes des ressortissants des pays riverains, non évaluée exactement, représente plusieurs milliards de francs belges. L'objet de la présente question n'est pas de rouvrir un débat général sur l'ouverture dominicale, mais d'alerter le Gouvernement sur une situation juridique aux antipodes de l'harmonisation sociale européenne et des principes de la libre concurrence, qui fait courir à l'ensemble d'un secteur économique un danger mortel à l'échelle régionale. Il lui demande donc de bien vouloir lui indiquer avec précision les initiatives qu'elle a prises ou compte prendre dans cette affaire pour parvenir, dans un délai compatible avec la survie de ce secteur, à une situation de juste et saine concurrence.

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Réponse du ministère : Formation professionnelle publiée le 21/10/1998

Réponse apportée en séance publique le 20/10/1998

M. le président. La parole est à M. Delevoye, auteur de la question n° 319, adressée à Mme le ministre de l'emploi et
de la solidarité.
M. Jean-Paul Delevoye. Madame le secrétaire d'Etat, ma question porte sur le commerce infraeuropéen.
Certes, nous sommes tous convaincus que le marché européen est aujourd'hui un facteur très important de la
croissance par la consommation interne. Mais il n'empêche que nous devons réfléchir à l'harmonisation des
réglementations afin d'éviter les distorsions de concurrence.
Permettez-moi de vous en soumettre un exemple. Il s'agit du secteur du meuble dans la région Nord - Pas-de-Calais
face à la concurrence belge.
Le 30 mai 1997, un arrêté royal a légalisé en Belgique l'ouverture des commerces de négociant en meubles quarante
dimanches par an, soit trois dimanches sur quatre.
Ses conséquences ont été analysées : on évalue le chiffre d'affaires réalisé à plus de 600 millions de francs, dont 60 %
au minimum correspondraient à des achats effectués par des étrangers.
On voit donc bien toute l'attractivité de ce dispositif et le déplacement de consommateurs qu'il a entraîné. L'analyse de
l'évolution du commerce dans la région Nord - Pas-de-Calais montre que, sur 190 commerces recensés en 1997, il n'en
reste plus que 135. Bien évidemment, ceci est la conséquence de cela.
Au-delà même du problème de l'ouverture dominicale, nous devons nous interroger sur celui de l'harmonisation et de
l'équilibre des règles du jeu entre pays européens. Nous assistons aujourd'hui, notamment pour un certain nombre
d'activités autres que le meuble, à des distorsions de concurrence. Je pense notamment à la construction, au bâtiment,
au transport routier.
L'absence de règles ou, quelquefois, la capacité qu'ont certaines entreprises localisées dans les pays européens de ne
pas tout à fait respecter celles qui existent, leur donne un avantage tout à fait important.
Il serait paradoxalement cruel que les couches sociales les plus défavorisées de notre pays, qui se veut un exemple en
matière de législation sociale très avancée, soient pénalisées par celles et ceux qui ne respecteraient pas ces
exigences sociales.
Madame le secrétaire d'Etat, il serait judicieux de prendre un certain nombre d'initiatives afin que les règlementations
soient respectées. Cela est d'autant plus important que, lorsque nos commerçants obtiennent des condamnations, les
peines pénales prononcées par les juridictions françaises ne peuvent pas être exécutées en Belgique, faute de
ratification par la France de la convention sur l'exécution des condamnations pénales étrangères, ouverte à la signature,
le 13 novembre 1991, à Bruxelles.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l'attention
de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité sur les problèmes que peut créer, pour des régions frontalières,
l'existence de réglementations différentes en matière de repos dominical dans des pays de la Communauté.
Comme vous l'avez indiqué, monsieur le sénateur, la législation en Belgique, par un arrêté royal, autorise l'ouverture,
quarante dimanches par an, des commerces de meubles dont un grand nombre est situé en zone frontalilère. Une telle
disposition ne serait pas sans effet sur la situation économique de ce secteur.
De son côté, la législation française pose en principe que le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche. Il s'agit
d'une disposition d'ordre public, applicable à tous les salariés. Les spécificités de certaines activités ont néanmoins
amené le législateur à prévoir un certain nombre de dérogations collectives ou individuelles à ce principe, soit de droit,
soit sur autorisation administrative.
L'équilibre entre ce principe général et les dérogations ouvertes, pour permettre son adaptibilité aux situations
particulières, ne saurait être remis en cause sans conséquences très sensibles sur les conditions de vie et de travail
des salariés. Ce n'est d'ailleurs pas le sens de la demande que vous formulez, monsieur le sénateur.
Dans le département du Nord, afin de permettre une concurrence loyale entre les différentes entreprises de la
profession et de parer à la concurrence des magasins situés en Belgique, les services de l'Etat, les représentants de la
profession et les syndicats de salariés ont défini ensemble un cadre pour la mise en oeuvre de ces dérogations. Ce
dispositif fonctionne, semble-t-il, de manière satisfaisante.
Sur le plan européen, il existe une directive européenne du 23 novembre 1993 qui assure le rapprochement de certaines
dispositions en matière de durée et d'aménagement du temps de travail. Elle comprend notamment le droit à un repos
hebdomadaire. Toutefois, comme vous le savez, il appartient à chaque Etat, conformément au principe de subsidiarité,
d'en apprécier les modalités de mise en oeuvre.
L'existence de divergences dans les réglementations des différents Etats membres peut, certes, être source de
difficultés économiques pour les secteurs qui, de par leur activité et leur localisation géographique, ont à faire face à
des concurrents qui ne se verraient pas appliquer les mêmes règles.
Pour cette raison, la France cherche à approfondir la législation communautaire dans le domaine social. J'insiste, par
ailleurs, sur le rôle désormais attribué aux partenaires sociaux, au niveau communautaire, afin de dégager des règles
communes, ainsi que sur l'importance croissante, en liaison avec les Etats membres, de la concertation entre les
partenaires sociaux pour régler des questions de nature transnationale ou transfrontalière.
Permettez-moi d'ajouter, monsieur le sénateur, que la concurrence transfrontalière ne saurait à elle seule expliquer les
difficultés rencontrées par le secteur du commerce de meubles dans la région Nord - Pas-de-Calais. Je n'insiste pas sur
ce point qui n'est pas l'objet de votre question.
Il reste que les difficultés évoquées dans votre question montrent la nécessité de rechercher une convergence plus
active des législations européennes en matière sociale. Elle doit se traduire par des règles communes, préservant les
principes sociaux fondamentaux auxquels les différents pays de l'Union européenne sont attachés. Toutes les
possibilités offertes par le nouveau traité d'Amsterdam seront, à cet égard, utilisées.
M. Jean-Paul Delevoye. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Je vous remercie, madame le secrétaire d'Etat, de votre réponse.
Il est tout à fait important que soit effectivement mis en place un observatoire économique pour bien mesurer les
distorsions qui pourraient résulter du non-respect, de la non-application ou de l'utilisation abusive d'un certain nombre
d'objectifs sociaux proposés par nos partenaires sociaux à l'échelon communautaire. Il serait particulièrement malvenu
qu'aujourd'hui le vice soit récompensé plus que la vertu et l'efficacité économique réduite au moins-disant social.
Cette question dépasse le secteur du meuble et l'aspect frontalier. Vous savez mieux que moi que nombre de
professions sont aujourd'hui soumises à ce type de pression concurrentielle. Il est essentiel que les pouvoirs politiques
européens réfléchissent effectivement à la bonne application des règles économiques et non pas à leur détournement.

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