Question de M. HAMEL Emmanuel (Rhône - RPR) publiée le 24/06/1999

M. Emmanuel Hamel attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur le rapport pour la Commission européenne intitulé " Au-delà de l'emploi, transformation du travail et devenir du droit du travail en Europe " analysé à la page 4 du numéro 133 (mai 1999) de la revue Partage, mensuel d'information sur le chômage et l'emploi, et dans lequel ses auteurs recommandent le maintien du pouvoir de requalification du contrat de travail par le juge. Il souhaiterait connaître la position du Gouvernement français en la matière et savoir si elle souhaite qu'une telle recommandation soit suivie d'effet.

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Réponse du ministère : Emploi publiée le 25/05/2000

Réponse. - L'honorable parlementaire souligne l'intérêt du rapport réalisé sous la direction de M. Alain Supiot à l'adresse de la commission européenne intitulé " Au delà de l'emploi, transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe ". Il souhaite connaître la position de Gouvernement suite aux préconisations du groupe d'experts relatives au maintien du pouvoir de requalification du contrat de travail par le juge. Avec l'émergence des nouvelles formes d'emploi et l'extension du travail indépendant à de nouveaux services, la question conserve toute son importance. Jusqu'aux années quatre-vingt, afin d'assurer la protection des travailleurs, la loi et la jurisprudence avaient adopté une conception extensive du contrat de travail. En 1994 a été introduite une présomption de non-salariat à l'égard des personnes qui se sont immatriculées à la sécurité sociale en tant que travailleur indépendant. Cette présomption n'était en fait q'une présomption simple pouvant être renversée dès lors qu'il était établi que l'activité des intéressés les plaçaient " dans un lien de subordination juridique permanent " à l'égard du donneur d'ordre. C'est la raison pour laquelle elle vient d'être abrogée dans le cadre de la loi nº 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail afin de lever toute ambiguïté. Toutefois l'abrogation de la loi de 1994 n'aura aucun impact limité, le juge conservant l'intégralité de ses compétences pour qualifier la relation de travail et doter ainsi le travailleur d'un véritable statut. En effet, la faculté d'affiliation à un régime de sécurité sociale de non-salariés peut conduire à exclure les travailleurs concernés du droit du travail sans pour autant leur offrir un vrai statut professionnel. Aussi, pour éviter ce risque, deux conditions doivent être réunies : il faut, en premier lieu, doter le vrai travail indépendant d'un véritable statut professionnel qui garantisse notamment une protection sociale suffisante, et, en second lieu, maintenir fermement le principe d'une requalification du faux travail indépendant en emploi salarié par le juge. Il faut tout d'abord souligner que la volonté des parties est impuissante à les soustraire au statut social qui découle des conditions d'exécution de la prestation car cela signifierait que l'application du droit du travail est facultative. La chambre sociale de la Cour de cassation l'a rappelé dans l'arrêt M. Naveau c/Mlle Dejardin du 27 octobre 1993. Ce principe doit être maintenu si on entend sanctionner les fraudes à la fausse indépendance et les pratiques de concurrence déloyale qui en découlent. A cet égard le rôle du juge est d'aller au-delà des effets que les parties ont entendu donner à la convention. Ce pouvoir se fonde sur l'article 12 du nouveau code de procédure civile qui dispose que le juge " doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ". Le juge, qui dispose ainsi d'un véritable pouvoir d'appréciation des conditions de fait, s'attache non pas aux apparences (c'est-à-dire à la dénomination donnée par les parties à la convention) mais aux conditions réelles d'exercice d'activité. Cependant, depuis quelques années, des textes ont pour objectif de contenir la jurisprudence qui se voulait très large quant au champ d'application du salariat et donc de l'assujettissement au régime général. Pendant de nombreuses années, la Cour de cassation a privilégié le critère du " service organisé " pour permettre au régime général des personnes dont le statut, du point de vue de la sécurité sociale, était précaire. Actuellement le travail au sein d'un service organisé n'est plus en lui-même un critère déterminant du salariat mais constitue seulement un indice du lien de subordination. Dans une série d'arrêts rendus en juillet 1997 (Cass. soc. 1er juillet 1997, Tête c/Hôpital Saint-Joseph et Roche c/ARDT et Cass. soc. 10 juillet 1997, SA Etablissements Jacky Laveix c/URSSAF des Deux-Sèvres et autres et SA Club Barclay c/CPAM de Paris et autres) la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail. Il apparaît donc que les pouvoirs du juge en matière de requalification du contrat de travail sont particulièrement utiles et larges pour assurer la protection sociale de l'ensemble des travailleurs.

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