Question de M. RENAR Ivan (Nord - CRC) publiée le 17/11/1999

M. Ivan Renar attire l'attention de Mme le ministre de la culture et de la communication sur les conséquences des phénomènes de concentration en cours dans la presse écrite et notamment dans la presse quotidienne régionale. Il lui demande quelle peut être l'intervention de l'Etat afin de garantir la liberté de la presse, le pluralisme de l'information et des rédactions.

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Réponse du ministère : Outre-mer publiée le 22/12/1999

Réponse apportée en séance publique le 21/12/1999

M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans son rapport sur le
projet de budget de la presse écrite, notre collègue Louis de Broissia parlait de « marasme » à propos de la situation
dans laquelle se trouvent aujourd'hui de nombreux titres.
Le terme n'est malheureusement pas trop fort et qualifie bien l'ampleur des difficultés auxquelles se heurte la presse
écrite.
Au point que, si nous avons pu nous féliciter des avancées budgétaires en matière d'aide, nous voyons bien les limites
qui existent et l'ampleur des mesures nécessaires pour garantir le pluralisme et l'avenir des titres existants.
Baisse du lectorat, diminution des recettes publicitaires, nouveaux modes de communication et d'accès à l'information
expliquent ces difficultés, mais en partie seulement. La presse écrite française est victime d'une vaste partie de
Monopoly engagée par les grands groupes de communication internationaux. Les concentrations et les restructurations
se multiplient, fragilisant et menaçant l'un des socles de la démocratie, c'est-à-dire l'existence d'une presse libre et
pluraliste.
Les menaces qui pèsent sur le quotidien du Nord - Pas-de-Calais Nord Eclair témoignent bien de ces combats
financiers. Nord Eclair est menacé de suppression, et près de 300 emplois par la même occasion, à cause d'une partie
de bras de fer engagée par ses propriétaires, le groupe Hersant-Socpresse, avec le groupe Roussel - dont le groupe
Hersant est en partie propriétaire - qui contrôle La Voix du Nord, le but étant de ne conserver qu'un seul titre, le plus
rentable.
Etrange paradoxe, et une réalité déjà insupportable, quand des pans entiers de nos industries sont sacrifiés, mais qui
l'est plus encore quand on touche, en fait, à ce qui a accompagné l'histoire de notre démocratie. Car la presse n'est pas
une marchandise comme les autres. Un titre qui disparaît, c'est un morceau de notre liberté qui disparaît du même
coup.
Depuis deux siècles, l'histoire de la presse écrite en France s'est confondue avec toutes les grandes étapes de la
République.
L'existence d'une presse diversifiée et pluraliste est la première de nos libertés. Le pluralisme garantit la liberté
d'exercice de la liberté d'opinion. C'est un contre-pouvoir essentiel pour la vitalité de toute démocratie. Mais « la liberté
dans le désert n'est pas la liberté », écrivait en son temps Albert Camus. Nous allons franchir les portes du xxie siècle.
Combien de titres nationaux et régionaux subsisteront ? Et encore, savons-nous assez que pluralité des titres ne
signifie pas pluralisme, loin s'en faut ?
Forte de quatre millions d'habitants, la région Nord - Pas-de-Calais comptait, il y a encore quelques années, quatre
grands quotidiens d'information. Il en reste deux aujourd'hui. Et demain, un seul ?
Le soutien de l'Etat est absolument fondamental face à la mainmise de l'argent : l'aide à la presse est une aide à la
démocratie. Je suis de ceux qui ne considèrent pas inéluctables les difficultés actuelles et je crois plus que jamais à la
fonction irremplaçable de l'écrit.
Plus notre univers médiatique s'accroît, confondant souvent communication et information, monde fait d'images fortes et
de rapidité, plus le besoin de réflexion, d'analyse et de compréhension se fait sentir. Seule la presse écrite peut
aujourd'hui, en s'adressant au citoyen, favoriser le recul sur l'événement et l'esprit critique. Sans doute doit-elle évoluer,
rajeunir, se moderniser, mais l'écrit reste, jusqu'à ce jour, un élément indispensable de la sédimentation des savoirs et
des connaissances.
A ce titre, la presse doit être aidée. Elle n'est pas une activité comme les autres et ne doit pas être laissée seule aux
prises avec les lois du marché qui, vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, est « sans conscience ni miséricorde »
! A l'heure où l'on disserte beaucoup sur la place et le rôle de l'Etat, je ne crains pas d'affirmer que celui-ci doit jouer son
rôle pour le développement du pluralisme de la presse.
Quelle attitude et quelles mesures compte prendre le Gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, pour garantir la
liberté de la presse et pour maintenir le pluralisme des titres, de l'information et des rédactions dans notre pays et dans
ses régions ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le sénateur, je veux tout d'abord vous demander
d'excuser l'absence de Mme Catherine Trautmann, qui défend, en ce moment même, à l'Assemblée nationale, au nom
du Gouvernement, le projet de loi portant réforme des ventes aux enchères publiques.
Je partage votre analyse concernant le rôle de la presse dans une société démocratique comme la nôtre et je vous
rejoins sur la nécessité d'en préserver autant que possible le pluralisme. Ce pluralisme doit traduire la diversité des
opinions dans le débat démocratique.
Je voudrais souligner que le Conseil constitutionnel a déclaré à ce sujet que « les lecteurs qui sont au nombre des
destinataires essentiels de la liberté d'expression doivent être à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts
privés ni les pouvoirs publics ne puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu'on puisse en faire l'objet d'un
marché ».
Dans ce domaine, il existe un dispositif anticoncentration. Celui-ci figure dans la loi du 1er août 1986 - j'avais été
moi-même, en tant que député, rapporteur de la loi de 1984 - et interdit notamment qu'une même personne physique ou
un même groupe n'en vienne à contrôler directement ou indirectement plus de 30 % de la presse quotidienne diffusée
sur le territoire national.
Le mouvement de concentration en cours touche des entreprises qui ne peuvent répondre aux nécessaires besoins
d'investissements et de modernisation. Il redessine le contour de la presse française à travers le regroupement de titres
aussi bien nationaux que régionaux ou départementaux.
Toutefois, Mme Trautmann indique que, à ce jour et sous réserve d'une expertise approfondie, rien ne permet de penser
que la loi de 1986 ne soit pas respectée.
Le Nord connaît une situation particulière, je dirai presque exemplaire, dans la mesure où il y a une pluralité des titres,
ce qui n'existe pas dans nombre de régions. Cela étant, en dépit de la fragilité de certains titres, le Gouvernement ne
peut intervenir, sauf à veiller, en matière de pluralisme, à ce que les aides à la presse viennent compenser, notamment
pour la presse quotidienne d'information politique et générale, les difficultés qu'elle peut rencontrer.
Les lois du marché poussent parfois à la concentration dans ce domaine. On doit veiller autant que possible, puisque,
comme vous l'avez dit, la presse n'est pas une marchandise comme les autres, à ce que ces restructurations en
matière de presse ne s'effectuent pas au détriment de la liberté d'information.
M. André Maman. Très bien !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Il est nécessaire que la modernisation et le développement de la presse
soient préservés par l'Etat. Sur ce plan, le régime des aides à la presse, qu'il s'agisse des aides directes pour la
diffusion de la presse ou des aides en matière d'investissement, est très important. Il représente un concours financier
très large mais, souvent, il ne permet pas de maintenir le pluralisme des titres, et on peut le regretter.
M. André Maman. C'est en effet bien dommage !
M. Ivan Renar. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse, qui est éclairée puisque, s'agissant de
cette question, vous avez été en première ligne voilà quelques années.
Je voudrais revenir sur le caractère indispensable de l'intervention de l'Etat. Ni générosité ni ingérence, l'apport de l'Etat
est une garantie de l'exercice de la démocratie. Il est grand temps de repenser les liens entre presse écrite et pouvoirs
publics, non seulement par un accroissemet encore plus significatif des aides à la presse, mais aussi par une refonte
de la répartition afin d'obtenir une plus grande équité. Vous le savez bien, le système actuel a surtout permis aux plus
riches de s'enrichir et d'absorber les plus pauvres.
Vous avez parlé des mesures anti-concentration. Ne faut-il pas - et toute l'Europe est concernée - les renforcer encore ?
L'exception démocratique doit permettre à la presse écrite de se développer. Dans ce domaine, cela peut être aussi
l'originalité de la France.

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