Question de M. BONNET Christian (Morbihan - RI) publiée le 10/11/2000

Question posée en séance publique le 09/11/2000

M. Christian Bonnet. Madame la ministre, madame le garde des sceaux, dans un grand
quotidien du soir daté du 17 octobre dernier, en pleine page, il était indiqué que l'entrée en
vigueur de la loi sur la présomption d'innocence pourrait être « contrariée par l'insuffisance des
moyens dégagés ».
Le monde judiciaire dans son ensemble - magistrats, fonctionnaires et auxiliaires de justice -
s'en inquiète, et le mot est faible.
Le Sénat n'en est pas autrement surpris dans la mesure où, voilà quatre ans déjà, M. Pierre
Fauchon avait, au nom de la commission des lois, tiré la sonnette d'alarme dans un rapport
intitulé : « Quels moyens pour quelle justice ? », que l'on va vous remettre dans un instant.
Or, avec 1,67 % du budget de la nation, et 1,20 % après défalcation des crédits consacrés à
l'administration pénitentiaire,...
M. Guy Allouche. Plus 20 % en quatre ans !
M. Alain Lambert. Cela vous suffit ?
Mme Danièle Pourtaud. C'est mieux qu'avant !
M. Christian Bonnet. ... elle en demeure le parent pauvre.
Sans doute ferez-vous état d'une progression, (Ah bon ! sur les travées socialistes),...
M. Roland Courteau. C'est ce qu'on disait !
M. Christian Bonnet. ... et elle n'est pas niable, madame le garde des sceaux, mais elle est
loin d'être à la mesure d'une judiciarisation exponentielle et d'une avalanche de textes
modifiant les procédures en profondeur.
Les magistrats et les greffiers se découragent, le bâtonnier de Paris le déplorait hier dans un
grand quotidien du matin, les justiciables s'irritent, les gardiens de prison se révoltent, la Cour
européenne des droits de l'homme condamne.
L'Etat, dans le même temps, apaise à coups de milliards les mouvements d'humeur de telle
ou telle corporation et consacre, sans barguigner, quelque 45 milliards de francs à l'application
de la législation sur les 35 heures dans le projet de budget pour l'année 2001. (C'est
scandaleux ! sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Paul Raoult. Et l'emploi ?
M. Christian Bonnet. Ma question, madame la ministre, est très simple : en votre âme et
conscience - et user de ces termes est hommage vous rendre, car je vous connais - vous
estimez-vous à même d'assurer - malgré la réserve que vous avez faite hier à l'Assemblée
nationale pour les six premiers mois de l'année 2001 - et cela dès le 1er janvier prochain, sans
déconvenue pour les uns ni pour les autres, et pour vous la première, l'application de la loi sur
la présomption d'innocence ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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Réponse du ministère : Justice publiée le 10/11/2000

Réponse apportée en séance publique le 09/11/2000

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Oui, monsieur le
sénateur, je pense, en mon âme et conscience, pouvoir assurer la bonne marche de la justice
à compter du 1er janvier, même si, je l'ai dit aux parlementaires de l'Assemblée nationale,
nous allons connaître, c'est vrai, quelques difficultés entre le 1er janvier et les vacances
judiciaires de l'été.
Vous savez en effet que la promotion qui nous approtera les 200 magistrats supplémentaires
que nous attendons ne « sortira » - si je puis me permettre cette expression - de l'Ecole
nationale de la magistrature qu'en septembre 2001. Mais - vous ne l'ignorez pas même si vous
n'y avez pas fait référence - Mme Elisabeth Guigou, qui a conduit ce ministère avant moi, avait
par anticipation créé les 110 postes de magistrats nécessaires à la mise en place du juge des
libertés et de la détention ainsi que 90 postes de greffiers.
Elle n'avait certes pas anticipé, effectivement, deux choses, qui résultent de deux
amendements parlementaires, que personne ne regrette ni ici, ni au ministère de la justice, à
savoir : l'appel des jugements de cour d'assise, que vous avez d'ailleurs salué, je crois - et,
s'agissant du juge de l'application des peines, la nécessité de tenir audience pour déterminer
si tel ou tel détenu doit bénéficier ou non d'une réduction de peine et sous quelles conditions.
Ces deux mesures vont effectivement créer des demandes supplémentaires en magistrats.
Qu'avons-nous fait depuis ?
Outre les 307 magistrats nouveaux qui vont être nommés cette année, nous venons de «
repyramider » - le mot est affreux, mais je n'en trouve pas d'autres - la carrière des magistrats,
à leur demande d'ailleurs - demande très ancienne - ce qui va nous permettre de nommer des
vice-présidents dans les petits tribunaux qui auront le plus de difficultés.
Cette mesure va prendre un peu de temps - j'espère que vous voterez les crédits nécessaires -
car il faudra d'abord évaluer les besoins, ce que l'inspection des services fera au cas par cas.
Nous allons « flécher » les nominations en fonction des problèmes. Pour ce faire, trois mois
seront nécessaires. Nous ne pourrons donc pas nommer les personnes avant le mois de
mars, je vous le dis très franchement.
Si vous regardez bien les procédures, vous savez très bien que, compte tenu de ce qu'est la
réalité de la justice - et tant mieux - la réalité de l'instruction, la réalité aussi de la constitution
d'un dossier en appel d'assises, les dossiers arriveront non pas les tout premiers jours de
janvier, mais un peu plus tard.
M. le président. Madame le garde des sceaux, je suis obligé de vous indiquer que votre
temps de parole est écoulé.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Monsieur Bonnet, nous avons les moyens
d'appliquer cette loi. Nous sommes très fiers que vous l'ayez aussi votée. Nous ne
sous-estimons nullement les difficultés que nous rencontrerons entre le 1er janvier et le mois
de juillet, mais nous ferons tout, avec le comité de suivi, qui est composé de magistrats et de
fonctionnaires, pour que les choses se passent le mieux possible, sans jamais négliger les
difficultés locales. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)

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