Question de M. de VILLEPIN Xavier (Français établis hors de France - UC) publiée le 23/08/2001

M. Xavier de Villepin attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur la situation de 24 travailleurs humanitaires étrangers et afghans accusés de " propagation du christianisme " par le pouvoir à Kaboul. Le ministre taliban pour la promotion de la vertu et la prévention du vice a souligné que ces 24 membres appartenaient à une organisation non gouvernementale (ONG) et comprenaient deux Américains, deux Australiens et quatre Allemands qui devaient être jugés conformément à la charia. L'affaire est qualifiée comme une grande victoire pour les musulmans du monde entier. Il souhaiterait connaître la position de la France à ce sujet : Connaissons-nous l'ONG accusée ? Y a-t-il un fondement dans les reproches qui lui sont adressés ? D'une façon plus générale, devant le durcissement du pouvoir en Afghanistan et ses atteintes répétées aux droits des femmes et de l'homme, il souhaiterait savoir la politique que nous pourrions mener par l'intermédiaire de l'Union européenne et de l'ONU.

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Réponse du ministère : Affaires étrangères publiée le 22/11/2001

Les taliban ont arrêté le 5 août vingt-quatre personnes, dont huit ressortissants étrangers, travaillant pour l'organisation non gouvernementale Shelter Now International (SNI), dont le siège est aux Etats-Unis, et fermé ses bureaux. Quatre Allemands, deux Américaines et deux Australiens ont été accusés de prosélytisme par les taliban. Le vice-ministre taliban de la police religieuse avait alors déclaré qu'ils avaient " avoué leur crime ", mais que l'étendue de leur prosélytisme, qui déterminerait leur châtiment, restait à déterminer. SNI a nié toute action évangélisatrice, mais cette ONG avait eu maille à partir avec les autorités pakistanaises au début des années 1990 pour s'être livrée à des activités de ce type. L'instruction a permis aux taliban d'accumuler des éléments qui ne laisseraient aucun doute sur une action d'évangélisation : une série d'ouvrages chrétiens et de vidéo-cassettes saisie dans les locaux de SNI a été exposée publiquement. Après avoir rencontré des difficultés pour obtenir un visa des taliban, des représentants des ambassades américaine, australienne et allemande ont été autorisés à se rendre à Kaboul à deux reprises en août et ont pu rencontrer leurs ressortissants détenus. Ils ont par la suite engagé un avocat pakistanais pour assurer leur représentation juridique. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a également reçu l'autorisation de leur rendre régulièrement visite pour procéder à des examens médicaux qui ont montré qu'ils étaient en bonne santé. Le procès a commencé le 4 septembre devant la Cour suprême de Kaboul, suivant la conception du droit islamique (sharia) mise en vigueur par le régime taliban. Les taliban n'ont pas permis, dans la première phase d'examen du dossier d'accusation, la présence des étrangers accusés, ni des diplomates ni de journalistes. Le président de la Cour suprême a par la suite déclaré que, dans une seconde phase, les accusés pourraient être appelés à comparaître et auraient la possibilité d'assurer leur défense eux-mêmes, ou de se faire représenter par un avocat de leur choix. L'incertitude demeure quant à la peine qui pourrait être appliquée. En effet, la sharia stipule que tout individu qui aurait encouragé la conversion d'Afghans à une autre religion, ou tout Afghan qui aurait renoncé à l'Islam, serait condamné à mort. Mais un décret sur les conditions de séjour des étrangers en Afghanistan prévoit une incarcération de trois à dix jours, puis une expulsion dans les quarante-huit heures suivantes. A l'issue de ce procès, la décision définitive devait revenir au chef des taliban, le mollah Omar, autorité religieuse suprême. Cette affaire a cristallisé la crise latente entre la communauté des humanitaires occidentaux et les taliban, qui disent considérer l'action de SNI comme partie d'un " complot d'une internationale chrétienne ". Deux autres ONG, AIM et SERVE, ont d'ailleurs été visées par la suite. Après les attentats terroristes survenus aux Etats-Unis le 11 septembre, les diplomates américain, australien et allemand ont pu retourner au Pakistan. A l'ouverture du procès, la France avait fait connaître publiquement sa réaction. Ce procès reflétait le climat de plus en plus difficile dans lequel les ONG étaient contraintes de travailler en Afghanistan. Alors que leur objectif était d'alléger les souffrances des populations victimes de la poursuite des combats, elles rencontraient une hostilité croissante de la part des autorités taliban. Cette entrave mise à leur action contribuait à aggraver une situation humanitaire déjà catastrophique. Led taliban étaient appelés à mettre un terme à ces entraves. La France avait également réaffirmé sa conviction que seul le retour de la paix permettrait une amélioration durable de la situation des droits de l'homme en Afghanistan. C'était dans ce sens qu'elle poursuivait son action dans le cadre des Nations unies et à travers ses contacts avec l'ensemble des Etats de la région. Avec le déclenchement des opérations militaires américaines en Afghanistan, le CICR a été contraint de replier son personnel expatrié sur les pays voisins. Il n'est plus en mesure d'effectuer des visites auprès des huit détenus étrangers, ses agents afghans n'étant pas autorisés à le faire. Les incertitudes sur un dénouement rapide de cette affaire se sont renforcées, les possibilités d'intervention de la communauté internationale auprès des taliban s'étant réduites dans le contexte de guerre actuel.

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