Question de M. COURTOIS Jean-Patrick (Saône-et-Loire - RPR) publiée le 30/01/2002

M. Jean-Patrick Courtois appelle l'attention de M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation sur les conséquences, pour les entreprises françaises, des délais d'exécution des jugements rendus par les tribunaux de commerce. En effet, une entreprise française risque le dépôt de bilan à cause du délai d'exécution de vingt-six mois d'un jugement du tribunal de commerce de Mâcon. En 1997, une scierie française fait l'acquisition d'une machine d'un montant de 110 44 EUR (722 500 F) auprès d'une société italienne. Dès sa réception, cette nouvelle installation n'a jamais fonctionné correctement. Après rapport d'expertise, la scierie française a assigné la société italienne devant le tribunal de commerce de Mâcon qui, en juillet 1999, condamne celle-ci à payer 77 139 EUR (506 000 F) à la scierie française pour préjudice commercial. La société italienne faisant appel, la cour d'appel de Dijon annule en mars 2001 le jugement du tribunal de commerce de Mâcon pour vice de procédure : le signataire de l'acte du jugement n'avait pas qualité pour le faire, n'ayant pas participé au délibéré. Après évocation de l'affaire devant la cour d'appel de Dijon en juin, celle-ci rend sa décision en septembre 2001 et condamne la société italienne à verser 206 415 EUR (1,354 millions de francs) à la scierie française. Mais entre temps, la société italienne a été mise en liquidation judiciaire par le tribunal de Parme. La scierie française ne sera donc jamais indemnisée et connaît aujourd'hui de très graves difficultés financières. En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui indiquer par quel moyen l'État peut compenser financièrement la faute commise par l'administration judiciaire lors du jugement du tribunal de commerce de Mâcon et quels sont les moyens de recours dans le cadre du droit européen.

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Transmise au ministère : Justice


Réponse du ministère : Justice publiée le 20/02/2002

Réponse apportée en séance publique le 19/02/2002

M. Jean-Patrick Courtois. Je vous remercie de votre présence, madame le garde des sceaux.
Ma question est relative aux conséquences, pour les entreprises françaises, des délais d'exécution des jugements rendus par les tribunaux de commerce.
C'est ainsi qu'une entreprise française risque le dépôt de bilan à cause du délai d'exécution de vingt-six mois d'un jugement du tribunal de commerce de Mâcon.
En 1997, une petite scierie française fait l'acquisition d'une machine d'un montant de 722 500 francs, soit 110 144 euros, auprès d'une société italienne. Or cette nouvelle installation n'a jamais fonctionné correctement. Après rapport d'expertise, la scierie française a assigné la société italienne devant le tribunal de commerce de Mâcon qui, en juillet 1999, condamne celle-ci à payer 506 000 francs, soit 77 139 euros, à la scierie française pour préjudice commercial.
La société italienne faisant appel, la cour d'appel de Dijon annule, en mars 2001, le jugement du tribunal de commerce de Mâcon pour vice de procédure : le signataire de l'acte du jugement n'avait pas qualité pour le faire, n'ayant pas participé au délibéré.
Après évocation de l'affaire devant la cour d'appel de Dijon en juin, celle-ci rend sa décision en septembre 2001 et condamne la société italienne à verser 1,354 million de francs, soit 206 415 euros, à la scierie française.
Mais, entre-temps, la société italienne a été mise en liquidation judiciaire par le tribunal de Parme. La scierie française ne sera donc jamais indemnisée et elle connaît aujourd'hui de très graves difficultés financières.
En conséquence, je vous demande, madame le garde des sceaux, de bien vouloir m'indiquer comment l'Etat peut compenser financièrement la faute commise par l'administration judiciaire lors du jugement du tribunal de commerce de Mâcon et quels sont les moyens de recours dans le cadre du droit européen.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l'attention du Gouvernement sur la situation d'une entreprise française dont l'activité serait compromise en raison de l'importance du délai d'exécution d'un jugement du tribunal de commerce de Mâcon.
Vous comprendrez que je ne peux, sur la seule base des éléments portés à ma connaissance, me prononcer sur le fond de l'affaire particulière que vous évoquez.
Il m'apparaît en revanche nécessaire de rappeler les principes qui régissent la responsabilité de l'Etat dans de telles circonstances.
La loi, par l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, pose le principe selon lequel l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Le même texte précise les conditions de la mise en oeuvre de ce principe, en indiquant que cette responsabilité n'est engagée qu'à la suite d'une faute lourde ou d'un déni de justice.
La Cour de cassation, dans un arrêt d'assemblée plénière du 23 février 2001, a d'ailleurs élargi la définition de la faute lourde, qui consiste désormais en « toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ».
Dans ce cadre juridique, il va de soi que le non-respect du « délai raisonnable » dans lequel toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal, au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, peut être de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
Naturellement, conformément aux principes généraux de la responsabilité, seul peut être indemnisé le préjudice dont il est justifié par le requérant et qui résulte directement de la faute commise.
A défaut d'accord amiable entre l'Etat et le requérant sur le montant de l'indemnisation, les tribunaux de l'ordre judiciaire sont compétents pour connaître de telles demandes, la Cour européenne des droits de l'homme n'ayant pour sa part compétence qu'après épuisement des voies de recours internes. Ainsi, la Cour européenne ne pourrait se prononcer, au mieux, qu'après l'indemnisation mettant un terme à cette affaire, au pis, qu'après que les tribunaux de l'ordre judiciaire auront, en l'espèce, dit le droit. C'est seulement si le requérant n'était pas satisfait, par l'une ou l'autre de ces décisions, qu'il pourrait introduire un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Pour ma part, je pense que la justice est un service public. Autant il faut respecter l'indépendance des magistrats, critère fondamental de l'équilibre de la démocratie, autant le service public de la justice doit considérer qu'il est au service, justement, des usagers, ce qui implique aussi de faire preuve de célérité, en particulier dans une affaire comme celle que vous évoquez, monsieur le sénateur. Il est évident que se posent actuellement des problèmes de moyens. Nous nous employons à les résoudre, mais cela implique, année après année des efforts importants. Dans le cas précis, on peut considérer que, faute d'avoir prévu les moyens adéquats, c'est effectivement l'Etat qui est responsable.
Depuis 1997, Elisabeth Guigou puis moi-même avons en tout cas tenu à ce que la responsabilité du service public de la justice soit engagée dès lors que cette responsabilité était avérée. C'est ainsi que le service public de la justice peut progresser et recueillir la confiance de nos concitoyens.
M. Jean-Patrick Courtois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Je vous remercie, madame le garde des sceaux, de votre réponse.
Bien entendu, je souhaite que, dans ce dossier, un accord amiable puisse intervenir rapidement. En effet, le malheureux industriel a dû hypothéquer sa maison pour obtenir le prêt. Il risque donc maintenant, sans avoir commis la moindre faute, de voir sa propre maison d'habitation vendue aux enchères.
J'espère qu'un minimum de décence conduira l'administration à accepter un accord amiable.

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