Question de M. OUDIN Jacques (Vendée - UMP) publiée le 13/02/2003

M. Jacques Oudin attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie et du développement durable sur les conditions d'élaboration de la charte de l'environnement. Ce texte fondamental portera au niveau constitutionnel les droits et les devoirs de tous les citoyens en matière d'environnement et de développement durable. Du fait des enjeux considérables liés à ce projet, l'élaboration de la charte nécessite une attention toute particulière. Elle doit certes s'appuyer sur les travaux d'un comité d'experts et sur les résultats d'une vaste consultation nationale, mais aussi, le cas échéant, sur l'analyse d'expériences analogues menées dans d'autres pays. Dans ce cadre, il souhaite connaître la liste des Etats déjà dotés de dispositifs similaires de portée constitutionnelle, le détail des principes fondamentaux figurant dans ces textes et les résultats observés à l'issue de leur mise en oeuvre.

- page 514


Réponse du Ministère de l'écologie et du développement durable publiée le 31/07/2003

La ministre de l'écologie et du développement durable a pris connaissance, avec intérêt, de la question relative aux travaux de préparation de la Charte de l'environnement et aux expériences étrangères. Pour répondre à l'engagement du Président de la République, exprimé à Orléans en 2001 et à Avranches en 2002, de proposer aux Français une charte de l'environnement adossée à la Constitution afin de fonder une nouvelle relation entre l'homme et la nature, conjuguant développement économique et respect des équilibres, la ministre de l'écologie et du développement durable a proposé, le 5 juin 2002, une méthode et un calendrier de travail, et la nomination autour du Professeur Yves Coppens d'une commission composée d'élus, d'experts juridiques et scientifiques, de représentants des partenaires sociaux, des associations et des entreprises. Cette commission, installée par le Premier ministre le 26 juin 2002 pour proposer un contenu et évaluer les enjeux d'une charte en s'appuyant sur une très large consultation, a présenté le 8 avril 2003 à la ministre de l'écologie et du développement durable son rapport, rendu public le 15 avril 2003. Le rapport de la commission Coppens est centré sur un projet de loi constitutionnelle qui vise à faire de la protection de l'environnement une nouvelle étape des droits de l'homme, dont les objectifs et principes seraient énoncés dans une charte ayant une valeur équivalente à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au préambule de la Constitution de 1946. La commission Coppens considère que l'adoption d'une telle charte constitue une nécessité de notre temps, répondant à la fois à des enjeux décisifs pour l'avenir de l'humanité et à une attente sociale de plus en plus fortement exprimée. La commission a notamment étudié les dispositifs de portée similaire dans d'autres pays. Un certain nombre de constitutions étrangères comportent en effet des dispositions relatives à l'environnement, à la santé et à la qualité de la vie, et notamment pour les pays suivants : Allemagne (art. 20) ; Argentine (art. 41, 43) ; Brésil (art. 225) ; Espagne (art. 45, 53) ; Equateur (art. 19) ; Grèce (art. 24) ; Italie (art. 9, 32, 41) ; Pays-Bas (art. 21) ; Portugal (art. 64, 66) ; Suisse (art. 73 à 80) ; Suède (art. 2). Constitution allemande : article 20 :[Fondements de l'ordre étatique, droit de résistance]. La République fédérale d'Allemagne est un Etat fédéral démocratique et social. Tout pouvoir d'Etat émane du peuple. Le peuple l'exerce au moyen d'élections et de votes et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Le pouvoir législatif est lié par l'ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit. Tous les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser cet ordre, s'il n'y a pas d'autre remède possible. Article 20 a : [protection des fondements naturels de la vie] ; assumant ainsi également sa responsabilité pour les générations futures, l'Etat protège les fondements naturels de la vie par l'exercice du pouvoir législatif, dans le cadre de l'ordre constitutionnel, et des pouvoirs exécutif et judiciaire, dans les conditions fixées par la loi et le droit. Constitution argentine ; article 41 : tous les habitants ont le droit à un environnement sain, équilibré, apte au développement de l'homme et à ce que les activités productives satisfassent les nécessités présentes sans pour autant compromettre les droits des générations futures, mais elles doivent les préserver. Le dommage à l'environnement entraînera prioritairement l'obligation de sa restauration, conformément à ce que réglera la loi. Les autorités sont chargées de la protection de ce droit de l'utilisation rationnelle des ressources naturelles, de la préservation du patrimoine naturel et culturel et de la diversité biologique, de l'information et de l'éducation environnementales. Il appartient à l'Etat fédéral d'édicter les dispositions complémentaires nécessaires sans que les normes fédérales puissent empiéter sur les juridictions locales. Est interdite l'introduction dans le territoire de la nation de déchets réellement ou potentiellement dangereux et de déchets radioactifs. Article 43 : toute personne peut intenter une action judiciaire de protection libre d'entrave et rapide, à condition qu'il n'existe aucun moyen d'agir en justice plus apte, contre tout acte ou omission d'autorités publiques ou de particuliers qui, de manière actuelle ou imminente, restreint, altère ou menace, avec illégalité ou arbitraire manifestes, les droits ou garanties reconnus par cette Constitution, un traité ou une loi et y porte atteinte. Le cas échéant, le juge pourra déclarer l'inconstitutionnalité de la disposition sur laquelle se fonde l'acte ou l'omission dommageable. Seront habilités à intenter ladite action contre toute forme de discrimination, aussi bien en ce qui concerne les droits qui protègent l'environnement, la concurrence, les usagers et les consommateurs, et les droits d'incidence collective en général, la victime, le défenseur du peuple et les associations visant à ces objectifs, enregistrées conformément à la loi, laquelle fixera les conditions et formes de leur organisation. Constitution brésilienne : article 225 : chacun a droit à un environnement écologiquement équilibré, bien à l'usage commun du peuple et essentiel à une saine qualité de vie ; le devoir de le défendre et de le préserver au bénéfice des générations présentes et futures incombe à la puissance publique et à la collectivité. Paragraphe premier. Pour assurer le caractère effectif de ce droit, il appartient à la puissance publique : I. De préserver et restaurer les processus écologiques essentiels et de pourvoir à une gestion écologique des espaces et des écosystèmes ; II. De préserver la diversité et l'intégrité du patrimoine génétique du pays et de surveiller les entités qui se consacrent à la recherche et à la manipulation du matériel génétique ; III. De définir, dans toutes les unités de la Fédération, les espaces territoriaux et leurs éléments constitutifs qui doivent être spécialement protégés, leur modification ou suppression ne pouvant être autorisée que par la loi ; toute utilisation menaçant les caractéristiques pour lesquelles ces espaces ont été déclarés zone protégée est interdite ; IV. D'exiger, selon les formes de la loi, pour toute installation de chantier ou d'activité pouvant entraîner une dégradation significative de l'environnement, une étude préalable sur les incidences écologiques, qui est publiée ; V. De contrôler la production, la commercialisation et l'emploi de techniques, de méthodes ou de substances qui comportent un risque pour la vie, la qualité de la vie et l'environnement ; VI. De promouvoir l'éducation écologique à tous les niveaux d'enseignement et la prise de conscience du public en ce qui concerne la préservation de l'environnement ; VII. De protéger la faune et la flore ; sont interdites, selon les formes de la loi, les pratiques qui mettent en danger leur fonction écologique, provoquent l'extinction d'espèces ou soumettent les animaux à des traitements cruels. Paragraphe 2. Quiconque exploite des ressources minérales est tenu de restaurer l'environnement dégradé en utilisant la solution technique exigée par l'organe public compétent, selon les formes de la loi. Paragraphe 3. Les conduites et activités considérées comme lésant l'environnement exposent les auteurs d'infraction, personnes physiques ou morales, aux sanctions pénales et administratives, sans préjudice de l'obligation de réparer les dommages causés. Paragraphe 4. La forêt amazonienne brésilienne, la forêt littorale atlantique, la Serra do Mar, le Pantanal du Mato Grosso et la zone côtière constituent un patrimoine national ; leur utilisation se fait selon les formes de la loi et dans des conditions garantissant la préservation de l'environnement, y compris en ce qui concerne l'usage des ressources naturelles. Paragraphe 5. Les terres publiques inoccupées ou récupérées par les Etats à la suite d'actions discriminatoires sont indisponibles dès lors qu'elles sont nécessaires à la protection des écosystèmes naturels. Paragraphe 6. La localisation des usines qui utilisent des réacteurs nucléaires est définie par une loi fédérale, faute de quoi elles ne peuvent être installées. Constitution espagnole : article 45 : chacun a le droit de jouir d'un environnement approprié pour le développement de la personne, et le devoir de le préserver. Les pouvoirs publics veillent â l'utilisation rationnelle de toutes les ressources naturelles, dans le but de protéger et d'améliorer la qualité de la vie, ainsi que de défendre et de restaurer l'environnement, en s'appuyant sur une indispensable solidarité collective. Pour ceux qui violent les dispositions du paragraphe précédent, dans les termes fixés par la loi, on établira des sanctions pénales ou, le cas échéant, administratives, ainsi que l'obligation de réparer le dommage causé. Article 53 [...] : la reconnaissance, le respect et la protection des principes reconnus au chapitre trois inspireront la législation positive, la pratique judiciaire et l'action des pouvoirs publics. Ils ne pourront être allégués devant la juridiction ordinaire que conformément aux dispositions des lois qui les développeront. Constitution équatorienne : article 19 (2) : sans préjudice des autres droits nécessaires à un développement moral et matériel complet qui découle de la nature de la personne, l'Etat garantit : [...] 2. Le droit de vivre dans un environnement exempt de contamination. L'Etat a le devoir d'être vigilant de manière qu'il ne soit pas porté atteinte à ce droit, et de veiller à la sauvegarde de la nature. La loi fixera les restrictions à l'exercice de certains droits ou libertés de manière à assurer la protection de l'environnement. Constitution grecque : article 24 : 1. La protection de l'environnement naturel et culturel constitue une obligation de l'Etat. En vue de sa sauvegarde, l'Etat est obligé de prendre des mesures spéciales, préventives ou répressives. La loi règle les matières relatives à la protection des forêts et des espaces forestiers en général. La modification de l'affectation des forêts et des espaces forestiers domaniaux est interdite, à moins que leur exploitation agricole ou un autre usage imposé par l'intérêt public ne soit prioritaire pour l'économie nationale. 2. L'aménagement du territoire du pays, la formation, le développement, l'urbanisme et l'extension des villes et des zones à urbaniser en général sont placés sous la réglementation et le contrôle de l'Etat, afin de servir au caractère fonctionnel et au développement des agglomérations et d'assurer les meilleures conditions de vie possible. 3. Pour la reconnaissance d'une région comme zone à urbaniser et en vue de son urbanisme opérationnel, les propriétés qui y sont incluses contribuent obligatoirement tant à la disposition, sans droit à une indemnité de la part de l'organisme impliqué, des terrains nécessaires pour l'ouverture des rues et la création des places et d'autres espaces d'usage ou d'intérêt public en général, qu'aux dépenses pour l'exécution des travaux d'infrastructure urbaine, ainsi qu'il est prévu par la loi. 4. La loi peut prévoir la participation des propriétaires d'une région caractérisée comme zone à urbaniser à la mise en valeur et à l'aménagement général de cette région suivant un plan d'urbanisme dûment approuvé ; ces propriétaires reçoivent en contre-prestation des immeubles ou des parties des propriétés par étage d'une valeur égale dans les terrains finalement destinés à la construction ou dans les bâtiments de cette zone. 5. Les dispositions des paragraphes précédents sont également applicables en cas de réaménagement des agglomérations urbaines déjà existantes. Les terrains libérés par ce réaménagement sont affectés à la création d'espaces d'usage commun ou sont mis en vente pour couvrir les dépenses du réaménagement urbanistique, ainsi qu'il est prévu par la loi. 6. Les monuments et les sites et éléments traditionnels sont placés sous la protection de l'Etat. La loi déterminera les mesures restrictives de la propriété qui sont nécessaires pour la réalisation de cette protection, ainsi que les modalités et la nature de l'indemnisation des propriétaires. Constitution italienne : article 9 : la République suscite le développement de la culture et la recherche scientifique et technique. Elle protège le paysage et le patrimoine historique et artistique de la nation. Article 32 : la République protège la santé en tant que droit fondamental de l'individu et intérêt de la collectivité, et elle garantit des soins gratuits aux indigents. Nul ne peut être contraint à un traitement sanitaire déterminé si ce n'est en vertu d'une disposition de la loi. La loi ne peut en aucun cas violer les limites imposées par le respect de la personne humaine. Article 41 : l'initiative économique privée est libre. Elle ne peut s'exercer en contradiction avec l'utilité sociale ou de manière à porter atteinte à la sécurité, à la liberté, à la dignité humaine. La loi détermine les programmes et les contrôles opportuns pour que l'activité économique publique et privée puisse être orientée et coordonnée vers des fins sociales. Constitution néerlandaise : article 21 : les pouvoirs publics veillent à l'habitabilité du pays ainsi qu'à la protection et à l'amélioration du cadre de vie. Constitution portugaise : article 64 : santé : 1. Chacun a droit à la protection de sa santé et le devoir de la préserver et de l'améliorer. 2. Le droit à la protection de la santé est assuré : a) au moyen d'un service national de santé universel et général qui tendra à la gratuité en tenant compte de la situation économique et sociale des citoyens ; b) par la création de conditions économiques, sociales, culturelles et environnementales qui puissent garantir, notamment, la protection de l'enfance, de la jeunesse et de la vieillesse, et par l'amélioration systématique des conditions de vie et de travail, ainsi que par la promotion de la culture physique et sportive, scolaire et populaire, et par le développement de l'éducation sanitaire du peuple et d'habitudes de vie saine. 3. Pour assurer le droit à la protection de la santé, il incombe de manière prioritaire à l'Etat : a) de garantir à tous les citoyens, indépendamment de leur situation économique, l'accès à la médecine préventive, curative et de rééducation ; b) de doter le pays d'un réseau rationnel et efficace de ressources humaines et d'unités de santé ; c) d'orienter son action vers la socialisation des coûts des soins médicaux et des médicaments ; d) de discipliner et de contrôler l'exercice de la médecine sous forme associative ou privée, en la coordonnant au service national de la santé, afin d'assurer des institutions de santé publiques et privées efficaces et de qualité ; e) de discipliner et de contrôler la production, la distribution et la commercialisation et l'usage des produits chimiques, biologiques et pharmaceutiques, ainsi que des autres moyens de traitement et de diagnostic ; f) d'établir des politiques de prévention et de traitement de la toxicomanie. 4. Le service national de la santé a une gestion décentralisée et un régime de participation des bénéficiaires. Article 66 : environnement et qualité de la vie. Toute personne a droit à un environnement humain, sain et écologiquement équilibré, et a le devoir de le défendre. Afin de garantir ce droit, dans le cadre d'un développement durable, il appartient à l'Etat, au travers d'organismes spécialisés et en faisant participer les citoyens : a) de prévenir et de contrôler la pollution et ses effets, ainsi que les formes d'érosion susceptibles d'occasionner des dommages ; b) d'organiser et de promouvoir l'aménagement du territoire en vue d'une localisation correcte des activités, d'un développement socio-économique harmonieux et d'une valorisation des paysages ; c) de créer et d'agrandir des réserves et des parcs naturels et d'agrément, ainsi que de classer et de protéger paysages et sites afin d'assurer la préservation de la nature et la sauvegarde des valeurs culturelles d'intérêt historique ou artistique ; d) de promouvoir l'exploitation rationnelle des ressources naturelles, en sauvegardant leur capacité de renouvellement et la stabilité écologique, dans le respect du principe de solidarité entre générations ; e) d'encourager, en collaboration avec les collectivités locales, la qualité de l'environnement des communautés rurales et urbaines, notamment au plan de l'architecture et de la protection des zones historiques ; f) d'insérer des objectifs environnementaux dans les différentes politiques de portée sectorielle ; g) de faire respecter les valeurs environnementales et de promouvoir l'éducation dans ce domaine ; h) de garantir que la politique en matière fiscale allie le développement à la protection de l'environnement et à la qualité de la vie. Constitution suédoise : article 2 : le bien-être personnel, économique et culturel du particulier devra constituer l'objectif primordial des activités publiques. Il incombera tout particulièrement à l'autorité publique [...] d'oeuvrer en faveur [...] d'un cadre favorable à la vie. Issue de la consultation nationale, en particulier des travaux de la commission présidée par le professeur Yves Coppens, la charte pose des principes constitutionnels sur lesquels pourra s'appuyer un véritable droit de l'environnement, avec pour objectif plus d'efficacité dans la lutte contre les atteintes à l'environnement et dans la mise en oeuvre du développement durable. C'est dans cet objectif que Dominique Perben a présenté, mercredi 25 juin 2003, en conseil des ministres le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement. Il modifie, pour la première fois depuis 1958, le préambule de la Constitution afin d'inscrire la troisième génération des droits de l'homme au même rang que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui a consacré les droits civils et politiques et le préambule de la Constitution de 1946 qui a reconnu les droits économiques et sociaux. La Charte de l'environnement de 2003, auquel renverra désormais le préambule de la Constitution, représente ainsi une nouvelle étape dans la construction de notre pacte républicain, qui place au plus haut niveau de notre édifice juridique les droits et les obligations en matière d'environnement. Ces droits et devoirs s'imposeront à tous : pouvoirs publics, législateur, entreprises, citoyens, administrations... La charte, qui affirme le droit pour chacun de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé, définit les devoirs de prévention et de réparation. Elle précise les conditions de mise en oeuvre par les autorités publiques du principe de précaution, consacre l'intégration dans l'ensemble des politiques publiques de la préservation de l'environnement, qui doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation. Elle consacre également le droit à l'information des citoyens ainsi que leur droit à participer aux décisions ayant un impact sur l'environnement.

- page 2468

Page mise à jour le