Question de Mme DEMESSINE Michelle (Nord - CRC) publiée le 26/01/2006

Mme Michelle Demessine souhaite interroger Mme la ministre de la défense sur les décisions que compte prendre le Gouvernement concernant le désamiantage et le démantèlement du bâtiment français l'ex-Clemenceau. Les différents problèmes que rencontre le Clemenceau caractérisent l'incapacité de l'état français à traiter correctement et jusqu'au bout la question de l'amiante. Lors de la mission parlementaire, les sénateurs ont souhaité souligner avec force qu'il ne fallait plus que les sous-marins de notre force de dissuasion et que nos porte-avions soient promis aux désamianteurs aux pieds nus des chantiers indiens de démolition. Elle lui rappelle que : selon diverses estimations, il reste entre 4 et 85 tonnes d'amiante dans le Clemenceau dont 40 000 m² amiantés de dalles de sol ; qu'aucun diagnostic amiante n'a été effectué sur le Clemenceau ; qu'aucun plan de retrait de l'amiante ni de formation des ouvriers et qu'aucun suivi médical n'ont été prévus dans le cadre du démantèlement du Clemenceau ; que le cahier des charges relatif à l'appel d'offres de la direction nationale d'intervention domaniale stipule explicitement : « de désamianter le bâtiment selon les obligations légales en vigueur et fournir l'adresse précise du lieu de désamiantage. Cette opération pourra être effectuée librement dans un pays ressortissant du Conseil de l'Europe » ; que le désamiantage en Inde ne correspond véritablement à aucune nécessité technique ; que la réglementation française spécifique à l'amiante interdit formellement l'exportation, la vente et la cession à quelque titre que ce soit de tout produit de l'amiante. Elle lui demande donc de bien vouloir l'éclairer sur les dispositions que le Gouvernement envisage de prendre pour assurer la pleine sécurité du démantèlement du Clemenceau dans le respect des règles internationales et de la protection des ouvriers.

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Réponse du Ministère de la défense publiée le 08/02/2006

Réponse apportée en séance publique le 07/02/2006

Mme Michelle Demessine. Madame la ministre, je souhaite interroger le Gouvernement au sujet du chantier de désamiantage et de démantèlement de l'ex-Clemenceau.

Compte tenu des divers et trop nombreux aléas juridiques que rencontre ce chantier, je ne peux, en premier lieu, que vous interroger. Combien faudra-t-il de missions, de rapports parlementaires, de drames humains chaque jour révélés par les médias, pour que le Gouvernement prenne la pleine dimension de la catastrophe de l'amiante et de ses conséquences ?

Il nous apparaît tout à fait incompréhensible que le ministère de la défense dont vous avez la charge, condamné plus de 500 fois pour fautes inexcusables vis-à-vis de salariés ayant été exposés sur les chantiers de la défense par les juridictions des affaires de sécurité sociale, n'en tire pas tous les enseignements.

Malheureusement à ce jour, vous n'avez pu apporter aucune des garanties essentielles et nécessaires au désamiantage du Clemenceau.

Nous constatons qu'aucun diagnostic amiante n'a été effectué dans les règles d'indépendance indispensables à ce genre de chantier. Au final, nous ne savons pas quelles quantités d'amiante et de matières dangereuses restent à bord du Clemenceau.

Certains experts annoncent des quantités très importantes, de 500 à 1 000 tonnes. Quand bien même le chiffre de 45 tonnes que vous avancez serait exact, cette quantité représente tout de même un risque majeur pour les ouvriers indiens.

Alors que le Clemenceau continue sa route sur les mers, nous constatons qu'aucun plan de retrait amiante, tel que notre législation le prévoit et l'impose, n'a été établi, qu'aucun suivi médical n'a été envisagé pour les travailleurs indiens exposés et ce, dans un pays où aucune législation, l'amiante n'y étant pas interdite, ne les protège des risques encourus lors du désamiantage.

Vous affirmez pourtant, madame la ministre, que ce chantier s'effectuera dans le respect de la réglementation française. Comment, en effet, pourrions-nous croire sérieusement un instant que les ouvriers de la baie d'Alang, recrutés à plus de 1 000 kilomètres de là, payés à la journée et qui acceptent ces travaux dangereux pour tenter d'échapper à la misère la plus totale, bénéficient de protection et de suivis médicaux équivalents aux travailleurs français ?

Nous savons tous que le chantier indien de recyclage des navires est totalement informel, qu'il ne tient sa relative rentabilité que par des salaires extrêmement bas et des conditions de sécurité minimales et non contrôlées même si, comme vous le dites, quelques améliorations ont vu le jour dans la dernière période à la suite des interventions des syndicats indiens et de la Cour suprême indienne.

Ce constat n'est, du reste, pas une offense exclusive à l'État indien, et je reprends l'avant-propos, puisque la société SDI chargée des travaux en Inde, n'est autre que la filiale du géant de l'acier allemand Thyssen Group.

Madame la ministre, l'affaire du Clemenceau en annonce beaucoup d'autres. Pendant des dizaines d'années, la construction navale a utilisé des milliers de tonnes d'amiante. Toute la flotte doit être à l'image du Clemenceau.

Nous connaissons aujourd'hui, après avoir tant tardé à interdire l'utilisation de l'amiante, le prix à payer en maladies et en vies humaines : 3 000 morts par an, 100 000 annoncés jusqu'aux années 2025.

C'est la raison pour laquelle les associations de défense des victimes, de sauvegarde de l'environnement vous alertent avec autant d'insistance. Elles sont animées, je pense là aux veuves de Dunkerque, par le « plus jamais cela » et se sentent solidaires des travailleurs indiens.

Ne serait-il pas plus judicieux, madame la ministre, pour affronter cette situation lourde et difficile, de s'orienter, comme elles le proposent, vers un projet industriel, innovant, français ou européen pour le traitement et le recyclage de l'ensemble des navires marchands ou nationaux, mais aussi également des voitures motrices ou citernes de la SNCF et de la RATP ?

Ne sommes-nous pas, dans notre pays et en Europe, en mesure de réunir toutes les conditions pour créer une véritable filière industrielle susceptible de répondre aux exigences de sécurité des travailleurs et de l'environnement ?

Nous disposons, même s'il convient de les améliorer encore, de l'expertise, des compétences, des dispositifs de prévention et des mesures de contrôle médical et technique qui permettraient de répondre aux problèmes posés par les très nombreux chantiers de désamiantage à venir.

Alors que la Commission européenne rappelle, par son commissaire à l'environnement, que nous sommes tenus par la directive européenne sur le transport des matières dangereuses intégrant la convention de Bâle, qui précise qu'il ne pourrait y avoir de dérogation militaire, alors que la France est passible de sanctions pour violation des lois communautaires, comment l'État français peut-il s'obstiner dans cette voie catastrophique ?

Avant que la Cour suprême indienne ne rende sa réponse, le 13 février prochaine, sur l'accueil du Clemenceau dans la baie d'Alang, pourquoi, madame la ministre, ne prenez-vous pas la décision de rapatrier le Clemenceau ?

Enfin, je vous demande solennellement de bien vouloir nous éclairer sur les dispositions concrètes que le Gouvernement envisage de prendre pour assurer la pleine sécurité de désamiantage et du démantèlement du Clemenceau dans le respect intégral des règles européennes et internationales de protection des ouvriers et de l'environnement.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Je voudrais d'abord remercier Mme Demessine de me poser cette question qui me permettra de répondre sur un sujet où, derrière les positions, se cache plus d'intérêt personnel que d'honnêteté intellectuelle. Je me ferai donc un plaisir, madame Demessine, de répondre point par point aux questions que vous avez soulevées.

Tout d'abord, il reste à bord du Clemenceau 46 tonnes d'amiante, soit moins de 0,2 % de la masse totale, ce qui correspond à des parties du navire qui ne peuvent être touchées sans mettre en cause sa navigabilité. L'estimation initiale était de 220 tonnes, mais l'analyse a permis de déduire que les 59 tonnes de matériaux contenues dans la cheminée étaient en fait du verre filé, et non pas de l'amiante.

Du chantier de désamiantage à Toulon sont parties 115 tonnes, selon les propres estimations de la société Technopure.

Il n'y a pas d'amiante dans les dalles de sol et les ciments des planchers. Ce fait est prouvé par une analyse d'expert, madame Demessine.

Certains cadres du chantier indien ont été formés en France. Environ trente ouvriers seront employés pour le désamiantage. Ils seront formés par les cadres indiens, eux-mêmes formés en France, et aidés par les ingénieurs des sociétés françaises qui ont réalisé le chantier de Toulon. C'est la première fois qu'est mis en place un tel suivi de la société qui est intervenue sur le désamiantage préalable.

La sécurité du démantèlement du Clemenceau sera pleinement assurée parce que le chantier indien a été choisi pour sa qualité, je rappelle qu'il est en norme iso, et pour sa capacité à mettre en oeuvre les techniques de désamiantage avec l'aide des sociétés françaises.

Les normes techniques de désamiantage françaises seront appliquées là-bas. Le matériel de protection individuel et collectif des salariés sera envoyé de France. Ce sera donc le même matériel que celui qui est utilisé chez nous.

Bien sûr, un plan de retrait amiante sera établi après l'arrivée du navire.

En outre, il est faux de dire qu'il n'y aura pas de suivi médical des salariés indiens. Un suivi médical des opérateurs sera mis en place. Il prévoit un examen médical initial - radio pulmonaire, biométrie - pour chacun des cadres et ouvriers travaillant en zone amiante. Un examen à la fin du chantier sera pratiqué une année après. De même, est prévue la traçabilité des durées d'exposition des travailleurs.

Le cahier des charges cité correspond à un contrat passé avec la société espagnole GDRS.

Vous vous souvenez sans doute que ce contrat avait été rompu après que nous nous fumes aperçus que la société envoyait la coque vers la Turquie et non vers l'Espagne, comme cela était prévu initialement

S'agissant du caractère proprement technique de cette opération, il est inexact de dire que le désamiantage du Clemenceau en Inde ne correspond à aucune nécessité. En effet, il n'existe aujourd'hui en Europe aucun chantier capable d'effectuer ce travail ; d'ailleurs, vous le reconnaissez vous-même, madame la sénatrice.

Quant au respect des réglementations française et internationale, le Clemenceau ne saurait être considéré comme un déchet. En tant que navire de guerre, il peut parfaitement être exporté et je vous signale, au passage, qu'il a navigué pendant des années, comme bien d'autres navires. Ce point a été confirmé par la justice, madame Demessine, et reconnu par les autorités égyptiennes qui avaient soulevé le problème à un certain moment.

Le projet Clemenceau respecte donc les instructions de principe de l'Organisation maritime internationale et de l'Organisation internationale du travail qui ont été fixées pour le démantèlement du navire, à savoir, d'une part, l'engagement des États propriétaires et, d'autre part, le respect de la sécurité des travailleurs.

Enfin, je tiens à vous préciser qu'un expert indépendant contrôlera, sur le chantier, le respect des normes européennes spécifiées dans le contrat et qu'il en rendra compte à l'État français, qui demeure, je le rappelle, propriétaire du navire jusqu'à la fin du désamiantage.

Il est vrai, madame Demessine, que beaucoup de navires militaires et surtout civils doivent aujourd'hui être démantelés dans le monde. Je tiens à faire remarquer que l'État français a fait dans ce domaine bien plus que n'importe quel autre détenteur de navires militaires ou civils

C'est la raison pour laquelle il me semble que nous devons faire très attention à l'aspect méprisant de certains propos qui pourraient être émis à l'encontre d'un grand pays qui se situe, en outre, à la pointe du modernisme dans un certain nombre de secteurs, je veux parler de l'Inde, pays qui se montre aujourd'hui soucieux de créer une filière moderne pour répondre à un problème qui concerne non pas simplement la France ou l'Europe, mais le monde entier.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Je voudrais remercier Mme la ministre de sa réponse complète et détaillée.

Cela étant dit, je ne vois pas à quel intérêt personnel elle fait référence.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Je vous le dirai en privé !

Mme Michelle Demessine. J'ai bien noté toutes les précisions qui ont été apportées par Mme la ministre, même si j'ai quelques doutes.

Quoi qu'il en soit, je continuerai à suivre avec beaucoup d'attention ce problème. S'il était si aisé de garantir la sécurité nécessaire à une telle distance et avec des interlocuteurs au contact desquels nous ne serons pas en permanence, je croirais bien volontiers Mme la ministre.

Un rapport du Sénat a montré que plus des trois quarts des entreprises de désamiantage situées en France ne respectaient pas la réglementation. Le ministère du travail est obligé d'intervenir très sérieusement afin de faire respecter les conditions de sécurité sur ces chantiers dans notre pays.

Par conséquent, nous allons faire tout notre possible pour qu'il soit remédié à cette situation.

Je veux bien croire à votre optimisme, madame la ministre, mais je ne le partage pas entièrement.

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