Question de Mme BOUMEDIENE-THIERY Alima (Paris - SOC-R) publiée le 10/04/2008

Mme Alima Boumediene-Thiery attire l'attention de M. le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire sur les conditions d'accueil sur le territoire français, des enfants abandonnés et recueillis par kafala judiciaire en Algérie et au Maroc par des familles françaises titulaires d'un agrément français délivrés par les services d'adoption de l'aide sociale à l'enfance.

La kafala judiciaire permet de recueillir légalement un enfant abandonné. La kafala judiciaire est un parcours sécurisé. Le juge joue un rôle déterminant dans les étapes clés de la procédure, notamment pour ce qui concerne les conditions d'abandon et de placement de l'enfant.

Or l'article 370-3 alinéa 2 du code civil issu de la loi n° 2001-111 du 6 février 2001 précise que :"L'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution".

Cette phrase vise sans les nommer les pays de droit coranique et exclue de facto les orphelins, en majorité de filiation inconnue que beaucoup de parents français souhaitent pourtant adopter comme ils le faisaient traditionnellement.

Ainsi, les enfants recueillis par kafala judiciaire par des familles françaises ont vocation à vivre sur le sol français et doivent bénéficier du droit du pays d'accueil, comme tout autre enfant abandonné et adopté.

L'inquiétude est réelle, les familles adoptantes se retrouvent bloquées avec leur enfant en Algérie et au Maroc, faute de délivrance de visa pour ces enfants malgré une autorisation de sortie de territoire de l'enfant par le juge compétent.

Les familles françaises rencontrent également une kyrielle d'obstacles administratifs, juridiques, humains dans leur parcours de l'adoption.

Elle souhaite savoir quelles mesures le Gouvernement entend mettre en œuvre afin de mettre un terme à cette situation et permettre aux français recueillant des enfants par kafala de jouir paisiblement de leur droit de vivre en famille.

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Transmise au Ministère de la Justice


Réponse du Secrétariat d'État chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique publiée le 30/04/2008

Réponse apportée en séance publique le 29/04/2008

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, auteur de la question n° 202, transmise à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Alima Boumediene-Thiery. On me permettra, avant d'entrer dans le vif du sujet, de relever un « couac » gouvernemental quant à la détermination du destinataire de ma question.

Celle-ci concerne en effet les enfants recueillis en France au titre d'une procédure non reconnue dans le droit français, la kafala, et porte plus précisément sur les conditions d'entrée en France d'enfants étrangers recueillis par des familles françaises. Je m'attendais donc à ce que Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales ou M. le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire réponde à ma question. Or les services de Matignon m'ont fait savoir que, en raison de son sujet, elle devait être transmise à Mme la garde des sceaux – ce qui m'a d'ailleurs étonnée, puisque le thème ne relève pas de son domaine.

Cela étant, aujourd'hui se produit exactement ce que je craignais : l'interlocuteur que j'attendais en premier lieu est absent, l'interlocuteur qui m'a été attribué d'office également ! J'ose espérer, monsieur le secrétaire d'État, que vous serez en mesure de répondre à ma question, au nom du Gouvernement bien entendu. Je déplore néanmoins que ce sujet, si sérieux pour de nombreuses familles françaises, ne fasse pas l'objet de l'attention qu'il mérite de la part du ministre compétent aux sens juridique et politique du terme.

Je souhaite donc aujourd'hui interpeller le Gouvernement sur un sujet qui préoccupe de nombreuses familles françaises ayant choisi de recueillir dans leur foyer un enfant abandonné par la voie de la kafala judiciaire, une procédure qui concerne exclusivement le Maroc et l'Algérie et se substitue, dans le droit interne de ces pays, à la procédure de l'adoption, institution qu'ils ne reconnaissent pas.

La kafala judiciaire est un parcours sécurisé, encadré et structuré qui permet le placement d'un enfant abandonné dans un foyer, sous le contrôle strict d'un juge. Il s'agit en réalité d'une mesure proche, quant à ses effets, de l'adoption simple.

Je n'entrerai pas ici dans le débat sur la reconnaissance de cette institution dans le droit interne français : le deuxième alinéa de l'article 370-3 du code civil la prohibe.

Je souhaite néanmoins attirer votre attention, monsieur le secrétaire d'État, sur les obstacles auxquels se heurtent les parents ayant obtenu un jugement de kafala au Maroc ou en Algérie lorsqu'ils veulent faire venir sur le territoire français les enfants recueillis.

Alors même qu'ils bénéficient d'un agrément de leur département de résidence, ces parents éprouvent de très grandes difficultés à obtenir les visas nécessaires. Les représentants français au Maroc et en Algérie ne délivrent ceux-ci qu'au compte-gouttes, allant même jusqu'à effectuer, avant de se prononcer, un contrôle d'opportunité sur le bien-fondé de la mesure de placement prise par le juge compétent.

Les délais d'octroi des visas sont extrêmement longs, de trois à six mois au minimum. Ces délais trop longs ne sont pas sans conséquences pour les parents, qui doivent endurer un véritable parcours du combattant : difficultés professionnelles, séparation très longue d'avec l'enfant recueilli, aller-retour souvent extrêmement coûteux. Il faut ajouter à cela l'absence de droits sociaux, tels que le congé d'adoption ou l'inscription à la sécurité sociale.

Cette situation est liée à un problème très simple : l'absence de consignes et de circulaires des services compétents concernant le traitement spécifique des demandes de visas de parents recourant à la procédure de la kafala.

Ces familles aspirent à une reconnaissance légitime du lien qui se crée par la voie de la kafala judiciaire, et souhaitent que l'arrivée en France de l'enfant recueilli, qui est inévitable et a lieu dans l'intérêt de ce dernier, soit mieux encadrée juridiquement.

C'est pourquoi je fais appel à vous, monsieur le secrétaire d'État : il me semble qu'il est aussi de votre devoir de garantir à ces personnes le droit de vivre en famille en prescrivant un traitement uniforme et diligent des demandes de visas pour les enfants recueillis par kafala.

Il est devenu nécessaire d'élaborer à l'intention des postes consulaires une circulaire qui rappellerait les règles applicables en matière de délivrance des visas pour les enfants recueillis par kafala et définirait de manière précise les documents devant être produits, tels que l'acte de naissance de l'enfant, la décision de justice et l'autorisation de sortie du territoire délivrée par le juge des tutelles.

Permettez-moi de préciser que le Conseil d'État a développé depuis plusieurs années une jurisprudence constante concernant l'octroi de visas aux enfants recueillis par kafala : l'entrée en France d'un enfant recueilli par cette voie relève de la procédure de regroupement familial pour les enfants algériens, et d'un visa classique pour les enfants marocains. Le Conseil d'État a clairement défini le cadre du pouvoir d'appréciation des autorités consulaires en la matière et sanctionne systématiquement les refus d'octroi de visa, sur la base d'une atteinte disproportionnée au droit des requérants au respect de leur vie privée.

En se fondant sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que sur l'alinéa 1 de l'article 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant, qui reconnaît que « l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale », la haute juridiction garantit l'intérêt supérieur de l'enfant ainsi qu'une meilleure prise en compte des obstacles administratifs et financiers rencontrés par les parents dans l'accomplissement de leur démarche. Dans ces affaires, le juge a systématiquement condamné l'autorité administrative à délivrer sous un mois le visa de l'enfant.

Ma question est donc simple, monsieur le secrétaire d'État : vous engagez-vous ici à permettre un meilleur traitement des demandes de visa pour les enfants recueillis par kafala et entendez-vous rendre la délivrance de ces visas conforme aux engagements internationaux de la France en clarifiant par une circulaire les règles applicables ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Éric Besson, secrétaire d'État chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique. Madame la sénatrice, je vous prie tout d'abord d'excuser Mme la garde des sceaux, retenue par une noble cause, puisqu'elle accompagne M. le Président de la République, actuellement en visite d'État en Tunisie. C'est un honneur pour moi, natif de Marrakech et ayant vécu mes dix-sept premières années au Maroc, que M. Roger Karoutchi m'ait proposé de répondre à votre question à sa place !

Madame la sénatrice, sachez que Mme la garde des sceaux partage pleinement votre souci de mieux prendre en considération la situation des enfants recueillis en France dans le cadre d'une kafala judiciaire marocaine ou algérienne. Cependant, elle appelle votre attention sur le fait que la kafala ne crée pas de lien de filiation. Cette procédure ne peut donc en aucun cas être assimilée à une adoption, les législations du Maroc et de l'Algérie ne reconnaissant pas ce mode de filiation.

Dans ces conditions, vous comprendrez que la loi française ne permette pas l'adoption d'un enfant qui n'est pas adoptable selon sa loi personnelle.

Toutefois, dès lors que l'enfant a été élevé pendant cinq ans en France par des Français, la nationalité française peut lui être accordée. La loi française lui étant alors applicable, l'enfant peut être adopté par ceux qui l'ont recueilli. Ce dispositif apparaît tout à fait équilibré. Mme la garde des sceaux observe d'ailleurs que le rapport sur l'adoption en France remis au Président de la République le 19 mars 2008 par M. Colombani ne prévoit aucune modification législative sur ce point, mais préconise de s'orienter vers des mécanismes de coopération avec les pays d'origine, notamment en vue de faciliter la délivrance de visas au profit des enfants concernés. Ces conclusions rejoignent celles qui ont été formulées par le groupe de travail chargé de réfléchir au statut des enfants recueillis par kafala, mis en place par le ministère de la justice en février 2007, en liaison avec les autres ministères concernés. Elles font actuellement l'objet d'une concertation à l'échelon interministériel.

Les difficultés qu'éprouvent les parents qui recueillent des enfants sous kafala judiciaire semblent pouvoir être résolues à droit constant. Pour ce faire, une circulaire interministérielle viendra prochainement rappeler aux services administratifs, consulaires, sociaux et éducatifs que les enfants sous kafala judicaire doivent se voir reconnaître les mêmes droits que les enfants placés sous une autorité parentale déléguée.

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Peut-être M. le Président de la République et Mme la garde des sceaux évoqueront-ils avec leurs interlocuteurs tunisiens la question des flux migratoires. Or les enfants recueillis en Algérie et au Maroc relèvent de ces flux migratoires, et j'espère donc que l'on va trouver des solutions les concernant.

Le problème que j'ai posé ne concerne pas le lien de filiation, puisqu'il n'existe pas, ni l'adoption en elle-même : celle-ci n'étant pas possible, il existe une procédure d'exequatur qui permet de valider la tutelle.

Le problème a trait à l'arrivée légale en France des enfants. Nombre d'enfants entrent de façon illégale parce qu'ils ne peuvent pas obtenir de visa pour rejoindre leurs parents adoptifs. Monsieur le secrétaire d'État, nous nous réjouissons que la circulaire que vous avez évoquée ouvre aux enfants recueillis par kafala les mêmes droits sociaux qu'aux enfants placés sous une autorité parentale déléguée, mais il serait souhaitable qu'on leur permette également d'obtenir plus facilement des visas pour arriver sur le sol français dans une situation légale.

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