Question de Mme LEPAGE Claudine (Français établis hors de France - SOC) publiée le 22/10/2009

Mme Claudine Lepage appelle l'attention de Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur les contestations abusives de la nationalité française dont sont victimes les Français nés à l'étranger ou d'origine étrangère qui sont tenus de produire à plusieurs reprises au cours de leur vie un certificat de nationalité française susceptible d'être soudain contesté.

Ainsi le cas récent de M. Ounoussou Guissé, né le 13 octobre 1982 au Sénégal, né français de père français, qui s'est vu à plusieurs reprises lors de son enfance attribuer un certificat de nationalité française, le 20 février 1990, de même que le 15 novembre 1999 par le tribunal d'instance de Rouen. La nationalité française de M. Ounoussou Guissé ne souffre pas à l'époque de discussion : il est né français d'un père français qui vivait en France, sur le territoire métropolitain s'entend, avant l'indépendance du Sénégal proclamée en juin 1960.

Et pourtant, le parquet de Rouen, suivant en cela les instructions de la chancellerie, va contester en 2008 la nationalité française de M. Ounoussou Guissé au motif que son père, M. Daouda Cissé, avait certes son domicile civil en France à la date de l'indépendance du Sénégal, mais pas le domicile de nationalité, c'est-à-dire « la résidence effective présentant un caractère stable et permanent et coïncidant avec le centre des attaches familiales et des occupations professionnelles ».

Le concept de « domicile de nationalité » est intéressant pour les deux millions de Français à l'étranger qui peuvent dorénavant légitimement se poser la question de la concordance de leurs attaches familiales et de leurs occupations professionnelles. Un jour viendra peut-être où il leur faudra expatrier leurs grands-parents s'ils veulent garder leur nationalité française.

Elle lui demande quelle est cette justice qui se déjuge elle-même pour contester, des années après l'avoir reconnue par deux fois, le droit d'un homme à la nationalité française. Elle lui demande en particulier de faire respecter, conformément aux lois de l'époque où la nationalité française leur a été reconnue, les droits des Français des anciennes colonies françaises qui ont revendiqué, au moment de l'indépendance, leur nationalité française.

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Réponse du Secrétariat d'État aux affaires européennes publiée le 04/11/2009

Réponse apportée en séance publique le 03/11/2009

Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage, auteur de la question n° 673, adressée à Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Mme Claudine Lepage. Monsieur le secrétaire d'État, j'interviens non pas pour sauver le soldat Ryan, mais pour m'élever contre le traitement infligé au brigadier Ounoussou Guissé, né français de père français, à qui est contesté aujourd'hui le droit à la nationalité française.

En effet, Ounoussou Guissé, né français de père français le 13 octobre 1982 au Sénégal, se voit, à plusieurs reprises alors qu'il est mineur, attribuer un certificat de nationalité française : à sept ans le 20 février 1990, à dix-sept ans le 15 novembre 1999, chaque fois par le tribunal d'instance de Rouen. À l'époque, la nationalité française d'Ounoussou Guissé ne souffre pas de discussion : il est né français d'un père français qui a vécu des années en France, sur le territoire métropolitain, où il est arrivé avant l'indépendance du Sénégal proclamée en juin 1960.

Pourtant, le parquet de Rouen, suivant en cela les instructions de la Chancellerie, va contester en 2007 la nationalité française d'Ounoussou Guissé au motif que son père avait certes son domicile civil en France à la date de l'indépendance du Sénégal, mais pas le domicile de nationalité, c'est-à-dire « la résidence effective présentant un caractère stable et permanent et coïncidant avec le centre des attaches familiales et des occupations professionnelles ».

Le concept de « domicile de nationalité » est d'ailleurs intéressant pour les 2 500 000 Français de l'étranger qui peuvent dorénavant légitimement se poser la question de la concordance de leurs attaches familiales et de leurs occupations professionnelles.

Mais revenons à Ounoussou Guissé. Arrivé en France en 1998 à l'âge de seize ans, engagé en 2002 dans l'armée française, il a participé aux campagnes du Tchad et d'Afghanistan en 2007 et 2008. Son comportement ne lui vaut que des louanges et il est nommé brigadier-chef. Mais rien n'y fait, la Chancellerie s'acharne à vouloir lui retirer la nationalité française. Tout au plus pourrait-elle lui être concédée comme une aumône par le biais de la naturalisation, au détriment du droit qui est le sien : un droit de naissance, un droit du sang, le droit de sa filiation et le droit de son père. L'offense à sa dignité est d'autant plus cuisante que lorsqu'il risquait sa vie pour la France, personne ne lui contestait son appartenance à la nation.

Monsieur le secrétaire d'État, quelle est cette justice qui se déjuge elle-même pour contester, des années après l'avoir reconnue par deux fois, le droit d'un homme à la nationalité française ? Quelle est cette justice qui remet en question la dignité et l'honneur de cet homme et qui pourrait même le radier de l'armée en lui retirant la nationalité française ? Sur combien de cas anonymes, des humbles et des « sans-grade » dont nous n'avons pas connaissance, la Chancellerie va-t-elle encore s'acharner ? (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Madame le sénateur, en tant qu'ancien représentant spécial de la France pour l'Afghanistan et le Pakistan, je tiens à vous dire, en préambule, que je suis particulièrement sensible à l'aspect humain que recouvre votre question et, naturellement, au sort de nos soldats.

Cela étant dit, au nom de Mme le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, je vais vous donner lecture des éléments de droit de cette affaire, qui revêt maintenant un caractère juridique.

Je tiens tout d'abord à vous rappeler, madame le sénateur, que le certificat de nationalité française n'est pas en soi un jugement ; il est simplement un mode de preuve de la nationalité française.

Il ne fait foi de la nationalité française que jusqu'à preuve du contraire.

Il est exact que M. Ounoussou Guissé s'est estimé Français depuis de nombreuses années, et il a fait la preuve de son attachement à la nation française en s'engageant dans son armée pour la servir.

M. Ounoussou Guissé peut obtenir la nationalité française simplement en déclarant auprès du tribunal d'instance sa possession d'état de Français détenue depuis plus de dix ans, l'enregistrement de cette déclaration se faisant rapidement.

C'est d'ailleurs l'option qui a été choisie par l'un de ses frères, M. Mamadou Guissé, qui a souscrit en 1998 une déclaration de nationalité française au titre de l'article 21-13 du code civil, car il était détenteur de bonne foi de documents qui le considéraient comme Français depuis plus de dix ans, cas que vous avez-vous-même rappelé tout à l'heure.

Mais, dans l'affaire qui nous occupe, la situation se complique car M. Ounoussou Guissé se prévaut d'une nationalité par filiation. Or le certificat de nationalité française de son père a été remis en cause par la découverte d'une situation qu'il avait cachée.

Un certificat de nationalité peut toujours être contesté s'il apparaît, après sa délivrance, que les documents qui ont été remis lors de son obtention se révèlent être des faux ou qu'un événement a fait perdre sa nationalité française à son détenteur.

En l'espèce, pour obtenir des certificats de nationalité, le père de M. Ounoussou Guissé avait affirmé que son domicile était fixé en France après l'indépendance du Sénégal, alors que toutes ses attaches familiales étaient en réalité restées au Sénégal ; il était polygame, et plusieurs enfants sont nés au Sénégal de ses différentes unions. Sa demande de réintégration dans la nationalité française, refusée en raison de sa situation familiale incompatible avec les valeurs de la République, laisse d'ailleurs penser qu'il a lui-même reconnu qu'il avait perdu la nationalité française au moment de l'indépendance.

La question de savoir si, dans ces conditions, M. Ounoussou Guissé peut être Français comme né d'un père français est l'une de celles qui sont posées à la cour d'appel. L'affaire étant en délibéré, il ne m'appartient pas d'en dire plus.

Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Je tiens à vous remercier, monsieur le secrétaire d'État, des précisions que vous venez de m'apporter. À un moment ou à un autre, je pense que la situation s'arrangera pour M. Ounoussou Guissé, qui pourra sans doute obtenir la nationalité française par naturalisation.

Toutefois, je m'inquiète de la multiplication des cas – Mme Monique Cerisier-ben Guiga peut en témoigner ! – de personnes placées dans des situations extrêmement délicates parce que leur est contestée, cinquante ans après, la nationalité française qui leur avait été accordée lors de l'indépendance de leur pays d'origine.

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