Question de M. YUNG Richard (Français établis hors de France - SOC) publiée le 05/11/2009

M. Richard Yung interroge M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat sur l'abattage organisé des troupeaux de bovins, de moutons et de mouflons sur les îles australes de Kerguelen et de Saint-Paul-et-Amsterdam dans le territoire des Terres australes et antarctiques françaises.
Les Taaf se sont engagées dans un important programme de préservation de la biodiversité. Dans ce cadre, l'abattage des troupeaux de mouflons et de moutons, localisés sur deux petites îles de l'archipel des Kerguelen, et du troupeau de bovins contenu dans un enclos représentant un cinquième de l'île d'Amsterdam, est actuellement réalisé. Ces abattages ont été décidés sans que toutes les implications qui en découlent soient vraiment envisagées.
Leur impact environnemental, certes réel, est fortement minimisé par leur installation ancienne sur des portions très réduites des Taaf. Leur élimination n'est pas un gage de retour à une antériorité des systèmes biologiques insulaires. Des actions prioritaires et autrement plus urgentes concernant les espèces invasives telles que les rats, les souris, les chats, les rennes et bien d'autres semblent s'imposer. La destruction définitive de ces troupeaux pourra, elle, facilement intervenir si les Taaf redevenaient un sanctuaire naturel comme l'île St-Paul par exemple.
Les mouflons, les moutons (de race Bizet, une race française à faible effectif) et les bovins (originaires de La Réunion) de ces îles ont un patrimoine génétique et biologique exceptionnel du fait de leur isolement génétique et géographique extrême depuis plus de 50 ans pour les premiers et de près de 150 ans pour les bovins. En cas d'épizooties de grande gravité dans le reste du monde, ils pourraient être un jour une source d'étude essentielle et un réservoir biologique et génétique que jusqu'à aujourd'hui il est difficile d'estimer. A contrario, leur suivi régulier pourrait permettre de mettre en évidence l'apparition ou la circulation d'organismes pathogènes. Ils sont et seront donc une source très importante d'études pour la communauté scientifique dans des situations de recherche fondamentale et appliquée qui pourraient apparaître plus particulièrement en temps de panzooties. Leur élimination est à terme un appauvrissement possible de la connaissance scientifique.
Ils garantissent un approvisionnement en viande de très haute qualité sanitaire. Leur exploitation raisonnée a fait l'objet de maints investissements qui vont être anéantis. Il convient également de noter que l'apport de viande extérieure au territoire, même sous garantie sanitaire sérieuse, est fortement déconseillé sur des îles aussi isolées. Leur maintien est une sécurité supplémentaire pour les populations de mammifères et d'oiseaux autochtones vivant sur ces îles. En réduisant de façon importante l'apport en viande importée sur les districts, ils préservent la faune et la flore de l'apparition de maladies extérieures. Leur disparition est un non-sens sanitaire.
Le patrimoine culturel de ces troupeaux est à plus d'un titre exceptionnel. Ils contribuent au rayonnement des Taaf et sont universellement connus. Contrairement à l'éradication d'autres espèces animales, celle des troupeaux n'est pas imposée par un impératif évident. En conséquence, il lui demande s'il est possible d'organiser un débat contradictoire en saisissant le Conseil consultatif des Terres australes et antarctiques françaises et, pour commencer, de poser un moratoire sur l'abattage des mouflons, moutons et bovins.

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Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat publiée le 03/02/2010

Réponse apportée en séance publique le 02/02/2010

M. Richard Yung. Ma question porte sur l'abattage organisé des troupeaux de bovins, de moutons et de mouflons sur les îles australes de Kerguelen et de Saint-Paul-et-Amsterdam dans le territoire des Terres australes et antarctiques françaises, les TAAF. Pour se poser loin d'ici, les problèmes que soulève cette affaire n'en sont pas moins bien réels.

Les TAAF se sont engagées dans un important programme de préservation de la biodiversité. Afin de protéger la reproduction de certains oiseaux, il est actuellement procédé à l'abattage – je ne sais pas dans quelle proportion – des troupeaux de mouflons et de moutons localisés sur deux petites îles de l'archipel des Kerguelen, ainsi que du troupeau de bovins contenu dans un enclos représentant un cinquième de l'île d'Amsterdam. Il semble que ces abattages aient été décidés sans que toutes leurs conséquences soient vraiment envisagées.

L'impact environnemental de ces troupeaux est indéniable, mais il est minimisé par leur installation ancienne sur des portions très réduites des TAAF. En outre, leur élimination n'est pas un gage de retour à un état antérieur des systèmes biologiques insulaires. Des actions concernant les espèces invasives telles que les rats, les souris, les chats, les rennes, entre autres, paraissent bien plus urgentes et devraient être entreprises prioritairement. La destruction définitive de ces troupeaux pourrait, quant à elle, facilement intervenir si les TAAF redevenaient un sanctuaire naturel, comme l'île Saint-Paul, par exemple.

Il importe de signaler que les mouflons, les moutons – de race Bizet, une veille race française à faible effectif – et les bovins – originaires de la Réunion – qui sont présents sur ces îles possèdent un patrimoine génétique et biologique exceptionnel du fait de leur isolement génétique et géographique extrême, depuis plus de cinquante ans pour les mouflons et les moutons, depuis près de cent cinquante ans pour les bovins.

En cas d'épizootie de grande gravité dans le reste du monde, ces animaux pourraient servir en quelque sorte d'étalons… dans tous les sens du terme (Sourires). Ils permettraient en effet de repeupler les troupeaux.

Je tiens également à indiquer que ces animaux garantissent un approvisionnement en viande de très haute qualité sanitaire pour les chercheurs en poste dans ces bases. Leur exploitation raisonnée a fait l'objet de maints investissements, qui vont être perdus. Dans la mesure où l'apport de viande extérieure au territoire, même sous garantie sanitaire sérieuse, est fortement déconseillé sur des îles aussi isolées, leur maintien est une sécurité supplémentaire pour les populations de mammifères et d'oiseaux autochtones vivant sur ces îles. En réduisant très sensiblement l'apport en viande importée sur les districts – aussi rigoureux que soient les contrôles dont elle fait l'objet, cette viande peut toujours être porteuse de micro-organismes susceptibles, dans un tel milieu, de provoquer des ravages –, ils préservent la faune et la flore de l'apparition de maladies extérieures.

Ces troupeaux représentent en vérité un patrimoine tout à fait exceptionnel et précieux. Ces animaux contribuent au rayonnement des TAAF et sont universellement connus.

Dans ces conditions, je souhaiterais savoir s'il ne serait pas possible, d'une part, d'instaurer un moratoire sur l'abattage des mouflons, moutons et bovins et, d'autre part, d'organiser un débat contradictoire en saisissant le Conseil consultatif des terres australes et antarctiques françaises.

Je précise que cette demande émane d'un groupe de scientifiques du Muséum national d'histoire naturelle ayant séjourné aux Kerguelen. Ils m'ont entretenu de cette question et je me fais ici l'écho de leur préoccupation.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Monsieur le sénateur, la lutte contre les espèces exotiques envahissantes est l'un des engagements du Grenelle de l'environnement. Elle représente en ce sens une politique importante, particulièrement outre-mer, du fait de la fragilité d'écosystèmes généralement insulaires et abritant des espèces endémiques.

Ainsi, eu égard aux impacts mesurés sur les espèces autochtones, l'élimination des troupeaux introduits dans les terres australes est l'un des objectifs majeurs du plan d'action « biodiversité » des TAAF, plan validé par les ministères chargés de l'écologie et de l'outre-mer. Cette mesure s'inscrit dans l'affectation d'un caractère prioritaire aux objectifs environnementaux sur ces territoires, qui a été décidée avec la création, en octobre 2006, de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises.

Elle est en outre parfaitement cohérente avec le futur plan d'action national pour l'albatros d'Amsterdam, sachant que cette élimination est l'une des mesures phare nécessaires au sauvetage de cette espèce.

Enfin, dans le cadre du plan de gestion de la réserve naturelle en cours de rédaction, les mesures visant à lutter contre les espèces exogènes ayant un impact sur la biodiversité des territoires feront partie des objectifs prioritaires.

Il convient de rappeler que des actions d'abattage d'espèces introduites, aux fins de préservation de la biodiversité, sont menées depuis de nombreuses années sur ces territoires. À titre d'exemple, l'élimination des bovins de l'île d'Amsterdam a commencé en 1987, accompagnée dès 1989 de plantation de phylicas.

L'administration des TAAF, gestionnaire de la réserve naturelle, a présenté cette mesure d'élimination au Conseil consultatif des TAAF et au Comité de l'environnement polaire, qui constituent respectivement le comité consultatif et le conseil scientifique de la réserve naturelle. Le premier n'a pas émis de critique ; le second a rendu un avis très favorable, en rappelant la nécessité d'une telle mesure et en demandant la mise en place d'un protocole de suivi permettant d'en mesurer précisément les effets.

L'administration des TAAF a en outre préparé ce projet et ses modalités très strictes de mise en œuvre en collaboration étroite avec l'Institut polaire français Paul-Émile Victor, l'IPEV, qui coordonne les travaux scientifiques sur ces territoires ; une note conjointe de l'administration des TAAF, de l'IPEV et du président du Comité de l'environnement polaire a d'ailleurs été rédigée sur ce sujet : elle ne laisse pas de doute sur l'intérêt de cette mesure. Le ministère de l'agriculture, consulté, n'a pas relevé d'obstacle à ces abattages.

La fédération « Races de France » ayant fait part de son inquiétude, une réunion d'information spécifique a été organisée au ministère de l'agriculture. Celle-ci a permis de rassurer les représentants des races concernées : leur souci majeur étant la perte de la spécificité des races présentes sur les terres australes, des échantillons génétiques doivent être prélevés avant élimination.

Le Gouvernement apporte son soutien à cette mesure et, vous l'aurez compris, rejette l'idée d'un moratoire.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d'État, et je prends acte de l'ample concertation qui a été conduite.

Il reste qu'un patrimoine génétique et un patrimoine biologique unique au monde risquent de disparaître. Certes, la précaution est prise de recueillir des prélèvements d'ADN. Cependant, je ne suis pas sûr que cela suffise.

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