Question de Mme HOARAU Gélita (La Réunion - CRC-SPG) publiée le 12/11/2009

Mme Gélita Hoarau attire l'attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur la situation de l'archéologie à La Réunion.

Alors que la France dispose d'une archéologie moderne et structurée, couvrant l'ensemble de son territoire, La Réunion, depuis les années 1970, n'a pu bénéficier des dispositions appliquées aux autres régions métropolitaines et ultramarines, dans ce domaine. De ce fait, elle ne profite pas d'un service régional d'archéologie, attaché à la direction régionale des affaires culturelles. Outre le fait qu'elle porte préjudice à la connaissance historique de La Réunion, cette anomalie va à l'encontre des articles 1, 2, 3, 4 et 5 de la convention de Malte pour la protection du patrimoine archéologique, ratifiée par la France en mai 1992.

Aussi, elle lui demande l'application des textes législatifs et réglementaires créant un service régional d'archéologie à La Réunion.

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Réponse du Ministère de la culture et de la communication publiée le 27/01/2010

Réponse apportée en séance publique le 26/01/2010

Mme Gélita Hoarau. Monsieur le ministre, je vous remercie d'être présent parmi nous pour répondre à ma question.

L'histoire de la Réunion a été profondément marquée par près de deux siècles d'esclavagisme sur les trois cent cinquante ans qu'elle compte. Occultée jusque récemment, cette période obscure fait aujourd'hui l'objet d'une volonté de réhabilitation, affirmée par les états généraux de l'outre-mer.

À la Réunion, cela se manifeste en particulier par les travaux d'historiens et d'associations, par diverses célébrations, comme celle du 20 décembre, ou encore par l'inauguration, en octobre dernier, d'une stèle rendant hommage aux esclaves morts sans sépulture, sur l'initiative de la Maison des civilisations et de l'unité réunionnaise.

Cette volonté de rétablir la mémoire des esclaves achoppe toutefois sur le manque de sources : les traces écrites émanent non pas des esclaves, mais des dominants. Seule l'archéologie pourrait pallier ces lacunes.

Or, alors que la France, dans les années soixante-dix, s'est dotée d'une archéologie moderne et structurée couvrant l'ensemble de son territoire, la Réunion n'a pu bénéficier des dispositions appliquées en métropole et dans les autres régions ultramarines dans ce domaine. De ce fait, elle ne dispose pas de service régional d'archéologie attaché à la direction régionale des affaires culturelles, la DRAC.

Outre que cette anomalie va à l'encontre des articles 1er, 2, 3, 4 et 5 de la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique signée par la France à Malte en 1992, elle porte gravement préjudice à la connaissance de l'histoire de la Réunion. Ainsi, à la Réunion, la prévention archéologique est quasiment inexistante, des sites mis au jour sont compromis et des vestiges disséminés. De facto, un pan de l'histoire réunionnaise, celle des opprimés, est condamné inéluctablement à demeurer dans l'obscurité. Sans archéologie, comment comprendre l'héritage du marronnage dans la société réunionnaise actuelle, en termes de pratiques culturelles, d'imaginaire, de connaissance et d'utilisation des espèces florales indigènes et endémiques, de médecine traditionnelle ?

De même, le vivre-ensemble réunionnais, cité en exemple à l'heure des questionnements identitaires, ne résulte pas uniquement de l'organisation sociale régentée par le politique pendant la période esclavagiste. Le métissage s'est élaboré dans les pratiques intimes vécues dans le cadre familial, pratiques qui n'ont pas, ou peu, été décrites ni relatées, et qui nous sont parvenues grâce à la mémoire orale. Quels qu'aient été les tensions, les affrontements, les exclusions vécus par les Réunionnais au cours de leur histoire, c'est ce métissage qui a permis à l'identité réunionnaise d'être disposée à s'enrichir des apports de toutes les composantes de la population, indépendamment des hiérarchies sociales et culturelles imposées par le système.

Monsieur le ministre, pouvez-vous me dire s'il est possible d'appliquer les textes législatifs et réglementaires, en créant le service régional d'archéologie à la Réunion ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Madame la sénatrice, permettez-moi de vous dire que, à titre personnel, je suis profondément sensible à votre question. Dans une autre vie, alors que je dirigeais les programmes de la chaîne de télévision TV 5, la préparation d'une émission de vingt-quatre heures en continu à la Réunion m'a donné l'occasion de me pencher sur ce problème de l'archéologie et celui de la mémoire. J'ai alors pu constater qu'il y avait beaucoup à faire dans ce domaine, l'histoire de la Réunion ayant été surtout écrite, comme vous l'avez très justement souligné, madame la sénatrice, par les possédants, par les maîtres. Or l'histoire des autres, qui a été terriblement négligée, est nécessaire pour construire une histoire commune.

Parcourant des chemins du marronnage, j'ai pris conscience de la dureté physique des épreuves épouvantables infligées aux esclaves, des conditions terribles dans lesquelles ils devaient survivre. Les vestiges – outils, habitations, souvenirs divers – qu'ils ont laissés méritent à l'évidence d'être inventoriés et étudiés. Ce propos liminaire vous montrera, madame la sénatrice, à quel point je juge votre demande digne d'être étudiée dans un esprit positif.

J'accorde la plus haute importance à la part que l'archéologie doit prendre dans la connaissance des territoires d'outre-mer en général, et tout spécialement de l'île de la Réunion. La recherche archéologique se développe : je tiens à signaler, notamment, les travaux des chercheurs du Centre de recherche sur les sociétés de l'océan Indien de l'université de la Réunion. Je rappelle en outre que ma prédécesseur avait pris la décision, en 2007, d'envoyer une mission exceptionnelle pour encadrer la mise au jour de vestiges humains sur le site de Saint-Paul, après le passage du cyclone Gamède.

Je souligne aussi que depuis 2007 existe une Commission interrégionale de la recherche archéologique outre-mer, qui élabore la programmation scientifique des recherches concernant des sujets tels que les premiers peuplements, les habitations, l'esclavage et le marronnage, les installations industrielles, ainsi que la genèse et le développement des espaces urbains.

J'ajoute, enfin, que l'archéologie réunionnaise ne saurait être conçue sans situer l'île au cœur du vaste espace maritime qui l'entoure et qui l'inscrit dans un système de relations et d'échanges variés avec les territoires voisins. Je demande ainsi au Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines d'être particulièrement attentif à cet aspect. Si l'on songe, par exemple, aux relations maritimes qui existaient entre la Réunion et l'île Rodrigues, on peut présumer que des épaves de bateaux naufragés et autres vestiges attendent là aussi d'être mis au jour.

C'est pour ces raisons que nous étudions, avec le préfet de région et le directeur régional des affaires culturelles, la perspective d'ouvrir dans les meilleurs délais un poste de conservateur régional de l'archéologie chargé de la Réunion au sein de la direction régionale des affaires culturelles. Il permettra que l'action de l'État en matière d'étude et de protection du patrimoine archéologique puisse s'exercer à la Réunion de la même manière et avec la même ambition que sur le reste du territoire national. Je précise que, dans le cadre des redéploiements internes du ministère, j'ai obtenu que le budget de la DRAC locale connaisse une augmentation qui me permettra certainement de financer ce poste.

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Monsieur le ministre, je suis très touchée de votre réponse, dont je vous remercie vivement. L'absence de service régional d'archéologie à la Réunion est vécue comme une injustice. Par exemple, des corps ont été découverts sur un site, mais les services de la gendarmerie, pensant de bonne foi avoir affaire à un crime collectif, ont tout piétiné en menant leur travail d'enquête, alors que des recherches archéologiques auraient dû être effectuées. Je pense que la création d'un service ad hoc permettra de remédier à de telles situations.

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