Question de Mme DURRIEU Josette (Hautes-Pyrénées - SOC) publiée le 24/12/2009

Mme Josette Durrieu attire l'attention de Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur les garanties sociales du financement de la recherche par les fonds publics (région ou département). En France, la recherche est primordiale et reconnue, il suffit de se référer au dernier classement paru consacrant le CNRS en tête du nombre de publications mondiales.

Le département des Hautes-Pyrénées est un département à vocation industrielle forte : hier, marqué par une industrie secondaire traditionnelle et lourde autour de la chimie, de l'électro métallurgie, de Giat, aujourd'hui, tourné vers des industries de pointe, notamment : le pôle céramique sur le secteur de Tarbes-Bazet, la recherche-développement à Alstom, le pôle aéronautique autour de Daher- Socata et de la plate-forme aéroportuaire de Tarbes Lourdes Pyrénées. La concentration d'industriels spécialisés dans les céramiques techniques, regroupés au sein du pôle de compétitivité « européen de céramique » fait du pôle tarbais, le premier centre industriel français dans ce domaine. Cette position de leader est un élément fort pour l'image de marque du département et pour son attractivité. Pourtant, aujourd'hui, alors que l'on déplore la fermeture récente de la société ESK (97 emplois), le pôle de la céramique de Tarbes est à nouveau affecté par un plan social émanant cette fois de la société SCT. Et ce, alors même que les actionnaires de la société ont obtenu des bénéfices importants et n'ont pas réalisé d'investissements nouveaux sur le site.

Les pôles de compétitivité sont vidés de leur contenu (ESK, SCT…). Des entreprises qui ne perdent pas de marchés licencient...

Les collectivités locales et l'État ont accompagné les pôles de compétitivité et un certain nombre d'entreprises dans leurs opérations de recherche et de développement. Cela justifie un contrôle exercé par les pouvoirs publics. Est-il dès lors possible d'envisager une procédure de mise sous tutelle de l'entreprise par le tribunal de grande instance sur saisine des salariés en amont des licenciements ? Est-il envisageable qu'un administrateur judiciaire soit nommé pour gérer l'entreprise le temps nécessaire pour faire cesser des pratiques contraires aux intérêts de l'entreprise et de ses salariés ?

Par ailleurs pour faire face à des rachats d'opportunité d'entreprises, uniquement liés à l'existence de brevets, nous réfléchissons à la création d'une fondation territoriale dont l'objet serait le financement du développement technologique du territoire. Parmi les conditions mises à l'intervention de cette organisation dans un projet, on pourrait par exemple prévoir la perception de tout ou partie des royalties liées à l'exploitation par des tiers des brevets pris dans le cadre de ce projet (le partenaire privé en jouissant gratuitement). On peut aussi imaginer qu'elle conserve la propriété de certains investissements stratégiques et de leur équipement (centre d'expérimentation, salle blanche, équipement spéciaux...) qu'elle mettrait à la disposition des entreprises partenaires. L'État semble s'orienter vers de tels dispositifs pour financer l'enseignement supérieur. Peut-on imaginer que la démarche soit élargie à d'autres acteurs publics?

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Réponse du Ministère chargé de l'industrie publiée le 17/02/2010

Réponse apportée en séance publique le 16/02/2010

Mme Josette Durrieu. J'ai souhaité interroger le Gouvernement sur le financement de la recherche par des fonds publics, qu'ils viennent de l'État ou des collectivités, notamment dans le cadre des pôles de compétitivité.

Monsieur le ministre, vous êtes récemment venu à Tarbes. Sur l'ancien site du groupement industriel des armements terrestres, le GIAT, qui regroupait jadis 3 200 emplois, vous avez pu voir qu'il ne restait qu'une entreprise, la SAGEM, laquelle n'emploie qu'une soixantaine de personnes. Sans doute avez-vous appris que le contrat prend fin en 2015. J'ai envie de vous demander ce qui se passera après, mais c'est une question annexe.

Sur les décombres du GIAT, de Pechiney, de Céraver, le département des Hautes-Pyrénées s'est malgré tout reconstitué. On a perdu 10 000 emplois, on en a recréé 10 000 !

Aujourd'hui, nous faisons le pari de l'avenir avec des industries de pointe : le pôle céramique du secteur de Tarbes-Bazet est le premier de France dans ce domaine. Alstom intervient dans le secteur de la recherche-développement. Le pôle aéronautique se déroule autour de Daher-Socata. Enfin, nous avons la toute récente plateforme aéroportuaire de Tarbes-Lourdes-Pyrénées, le projet TARMAC.

Le pôle céramique est un pôle d'excellence pour nous, mais aussi pour la France entière : il accueille quatre entreprises, qui représentent quatre cents emplois. La première – la société ESK – est déjà fermée, ce qui a provoqué la disparition de 97 emplois.

La deuxième, la société SCT, va également fermer, je le crains. Ce sont 110 emplois qui sont en cause. Son devenir est aujourd'hui au cœur du débat dans les Hautes-Pyrénées. Nous vivons de la façon la plus cruelle la non-convergence entre le financeur, qui distribue un dividende de 1 million d'euros, et l'entreprise qui est en déficit. Il n'y a aucune solidarité entre les deux !

La troisième entreprise, qui apparaissait solide, Boostec, est en train de battre de l'aile.

Ce pôle céramique concentre donc toutes nos inquiétudes, car aucune solution n'est envisageable.

Et pourtant, nous pensions que le fait d'être dans un pôle de compétitivité assurait une protection, un accompagnement, une sorte d'assurance contre les risques de l'aventure. Dès lors, j'ai quatre questions à vous poser.

Première question : est-il possible d'envisager des procédures de suivi, voire de contrôle des entreprises et des partenaires dans le cadre d'un pôle de compétitivité européen ?

Deuxième question : comment s'organiser pour anticiper sur des rachats d'entreprises au nom de l'opportunité ?

Troisième question : peut-on constituer des fonds de garantie – appelons-les comme on voudra ! – liés à l'exploitation des brevets qui ont été financés dans le cadre de projets précis ? Comment constituer un fonds destiné à sauver l'entreprise et à la faire éventuellement reprendre ? Un tel mécanisme serait nécessaire pour gérer l'avenir.

Ma quatrième et dernière question, très angoissante et lancinante, je la pose en ma qualité de présidente du conseil général des Hautes-Pyrénées, car j'ai conscience d'engager des fonds publics dans une démarche aventureuse : sans garantie d'aucune nature, comment préserver et promouvoir les brevets dont nous contribuons à l'élaboration, comment protéger les savoir-faire qui ont été acquis et qui ne cessent de nous échapper ? Comment éviter que notre combat pour l'avenir ne soit finalement qu'un combat sans lendemain ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie. Madame la sénatrice, vous avez appelé l'attention du Gouvernement sur la situation d'entreprises tarbaises regroupées au sein du pôle de compétitivité européen de céramique. Au cours de la visite que j'ai faite hier en Bourgogne de l'une des entreprises qui fait partie de ce pôle européen, il a été question de la stratégie à conduire pour l'ensemble du pôle tarbais et de Midi-Pyrénées.

La société ESK, qui comprenait 97 salariés a été fermée fin décembre 2009. Dans les prochaines semaines, une partie des salariés – une vingtaine – sera reprise dans le cadre du développement de l'entreprise Végéplast spécialisée dans l'extrusion de produits végétaux et qui connaît une croissance importante.

La société SCT est une PME de 110 personnes spécialisée dans la fabrication de composants en céramique dédiés à des applications de pointe dans le secteur du médical, de la défense et du nucléaire. En 2009, l'entreprise a perdu un très important marché représentant 60 % de son activité. En conséquence, l'exercice 2009 se solde par une activité en très fort recul par rapport à 2008 – 8,5 millions d'euros contre 25 millions d'euros.

Mais une amélioration est attendue en 2010, grâce à la concrétisation de nouvelles commandes sur le marché des micro-capteurs de neurostimulation implantables. En effet, l'entreprise a indiqué qu'elle pourrait, dans les mois qui viennent, proposer de nouveaux projets à la labellisation du pôle.

Vous demandez au Gouvernement si les salariés peuvent engager une procédure de mise sous tutelle ou de nomination d'un administrateur judiciaire. En cas de salaires impayés, les salariés pourront agir en vue de déclencher une procédure de règlement judiciaire des difficultés des entreprises.

De plus, si le comité d'entreprise constate des dysfonctionnements, des carences des organes de gestion ou des conflits d'intérêts entre associés ou actionnaires suffisamment graves pour considérer que l'entreprise court un péril imminent, il peut demander au juge des référés la nomination d'un administrateur provisoire.

S'agissant de la création d'une fondation territoriale dont l'objectif serait de financer le développement technologique du territoire et dont une partie des revenus pourraient provenir de royalties attachées à la propriété industrielle découlant de projets soutenus par elle, il n'existe, à notre connaissance, aucun obstacle à la mise en place d'une telle structure.

D'ailleurs, sous d'autres formes et avec d'autres modalités, les conseils régionaux et les autres collectivités territoriales soutiennent la création et l'innovation des acteurs industriels du monde socio-économique. L'État a confié à certaines régions la gestion des fonds FEDER – le fonds européen de développement régional – du programme 2007-2013, notamment pour venir en abondement des fonds régionaux déployés sur des actions ayant trait à la recherche et à l'innovation.

Rien n'empêche, sur le principe, qu'un financeur d'un projet de recherche et développement soit intéressé à la réussite de ce projet par le biais de royalties sur la propriété industrielle en découlant, à condition, bien sûr, que cela soit prévu dans la convention de financement et l'éventuel accord de consortium.

À cet égard, le ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi a mis en place, dans le cadre des appels à projets des pôles de compétitivité, des accords de consortium qui permettent d'assurer que l'ensemble des partenaires disposent des éléments nécessaires à la rédaction de termes équitables autour du partage de la propriété industrielle. Des modèles de contrat à visées très opérationnelles ont été mis en ligne sur le site internet du ministère de l'industrie.

En ce qui concerne la propriété industrielle et les brevets, je partage vos préoccupations, madame la sénatrice. Ces questions ont été abordées lors des états généraux de l'industrie, qui, durant trois mois, ont réuni près de 5 000 participants. Au terme de débats très nourris, notamment dans votre région, madame Durrieu, nous avons recueilli près de 800 propositions émanant des partenaires sociaux, des chefs d'entreprise, des élus locaux et des parlementaires. Certaines d'entre elles seront retenues fin février ou début mars par le Président de la République, dans le cadre de la nouvelle stratégie industrielle pour notre pays, qui comprendra, outre des mesures budgétaires, des dispositions portant sur la réorganisation de nos filières ou sur l'avenir des pôles de compétitivité.

Pour répondre à votre interrogation sur la capacité de protection d'un pôle de compétitivité, madame la sénatrice, je dirai qu'une telle structure protège pour peu qu'elle reste un lieu de recherche, de développement et d'innovation. En effet, un pôle de compétitivité ne doit pas se réduire à une addition d'entreprises qui produisent, mais constituer un lieu de décloisonnement entre universités, laboratoires publics et privés, grands groupes industriels et PME, voire très petites entreprises, autant d'entités tournées vers l'innovation, la recherche et le développement, qui, ensemble, unissent leurs savoirs et leurs compétences.

Plus les projets sont innovants, plus le pôle de financement unique du Gouvernement les soutient, souvent d'ailleurs avec le concours des régions.

Il faudra donc accentuer ce décloisonnement pour la nouvelle génération de pôles qui va voir le jour en région Midi-Pyrénées, notamment autour de Toulouse, dans les domaines de l'aéronautique, du nucléaire, de la santé ou de la céramique.

Parallèlement, nous devons mieux protéger la propriété industrielle, car les procédures sont plus longues et plus coûteuses en France qu'aux États-Unis, où l'on peut enregistrer un brevet en vingt-quatre ou quarante-huit heures, pour un coût très modeste. Les états généraux de l'industrie ont fait des propositions intéressantes en la matière ; certaines seront retenues, ce qui permettra de renforcer les grandes politiques d'innovation, de recherche et de développement menées sur nos territoires.

M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.

Mme Josette Durrieu. Nous perdons beaucoup de savoir-faire dans notre région. C'est ce qui s'est passé avec le rachat de Pechiney par Alcan, lui-même absorbé par Rio Tinto. Ce processus, qui semble se poursuivre à l'infini, ne manque pas d'inquiéter.

Vous avez évoqué l'actionnaire de SCT, monsieur le ministre. Or c'est précisément son intransigeance qui a probablement fait perdre à cette entreprise le marché qu'elle avait avec General Electric. Je n'insiste pas sur ce point : l'actionnaire est là pour faire des bénéfices, sûrement pas pour gérer la production industrielle…

J'espère que les accords dont vous avez parlé dans le cadre des pôles de compétitivité sont bien réels. Il me semble toutefois que, si des clauses de garantie existaient, elles auraient été mises en œuvre.

Je souhaiterais enfin vous poser une dernière question, monsieur le ministre. Dans le dossier SCT, nous sommes lancés dans une véritable course-poursuite. Car, en l'absence d'intervention des pouvoirs publics, cette entreprise va fermer bien avant la fin de l'année 2010.

L'actionnaire principal réclame à la préfecture des Hautes-Pyrénées le remboursement anticipé d'un million d'euros au titre du crédit d'impôt. Mme la préfète, avec qui j'en ai discuté hier, hésite : elle ne voudrait pas, en l'absence de garanties, alimenter le tonneau des Danaïdes.

De leur côté, les collectivités territoriales sont disposées à soutenir financièrement des projets nouveaux, mais pas à recapitaliser une entreprise en difficulté. Or nous ne voyons pas émerger de tels projets.

Que devons-nous faire, maintenant, monsieur le ministre ? Tout se jouera dans les jours à venir et, une fois encore, une centaine d'emplois sont en jeu. L'actionnaire dispose d'un million d'euros, l'État également, dans le cadre du remboursement anticipé des impôts. Comment peut-on agir dans cette situation sans perdre à nouveau de l'argent public, si nous n'avons pas de garantie.

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