Question de Mme BLONDIN Maryvonne (Finistère - SOC) publiée le 25/02/2010

Mme Maryvonne Blondin attire l'attention de Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le contexte juridique de l'identité de genre et sur l'avenir du statut des personnes transsexuelles.

Elle signale alors même que de nombreux faits rappellent que l'identité de genre est un mobile récurrent de discriminations, et trop fréquemment de violences, qu'aucune loi ne prévoit de l'inscrire au titre des motifs de discriminations universellement prohibés.

De la même façon, le législateur s'est jusqu'alors toujours refusé à encadrer juridiquement le statut des personnes transsexuelles, laissant au juge le soin de définir, par sa jurisprudence, les dispositifs permettant leur reconnaissance juridique.

À ce jour, le changement d'état civil pour les personnes transsexuelles est toujours judiciarisé. Il suppose des procédures très lourdes, longues et coûteuses. Les différences de pratique d'un tribunal à l'autre confinent de plus à l'arbitraire. Enfin, l'opération chirurgicale est toujours une condition indispensable à ce changement.

Derrière ces mesures, se profilent non seulement l'enjeu du respect du principe fondamental de l'universalité des droits, mais également celui du respect du droit à la vie privée et à la vie familiale tels que définis par l'article 8 de la Cour européenne des droits de l'homme.

La commission des questions juridiques et des droits de l'homme de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a approuvé en novembre 2009 un rapport sur les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre rappelant toute l'actualité du débat. Des projets de résolution et de recommandation sont également en cours.

Aussi, elle lui demande quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour promouvoir un message clair de respect et de non discrimination à l'égard des personnes transgenres, et pour faciliter leur reconnaissance juridique.

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Réponse du Ministère de l'éducation nationale publiée le 19/05/2010

Réponse apportée en séance publique le 18/05/2010

Mme Maryvonne Blondin. Hasard du calendrier, au lendemain de la journée internationale de lutte contre l'homophobie et la transphobie et le jour même où le président du Portugal ratifie une loi autorisant le mariage entre homosexuels, je voudrais attirer l'attention de Mme Michèle Alliot-Marie sur la discrimination subie par des milliers de personnes du fait de leur identité, non pas nationale, mais de genre.

Le Conseil de l'Europe, dont je suis membre, a adopté en avril dernier une résolution avec une recommandation visant à lutter, au sein des quarante-sept pays membres, contre les discriminations sur la base de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre. Le débat a aussi porté sur l'importance de favoriser le respect des personnes lesbiennes, gay et bisexuelles – dites personnes LGB –, de combattre les préjugés ainsi que de faciliter les débats publics et les réformes sur ces questions.

Je m'emploie donc à relayer auprès du Gouvernement ces recommandations du Conseil de l'Europe.

Aujourd'hui encore, l'identité de genre est un mobile récurrent de discriminations, d'agressions, mais aussi de suicides. Or elle ne figure toujours pas dans la liste des dix-huit motifs de discrimination prohibés par la loi. Pourtant, au regard de nos engagements internationaux, cette inscription ne peut plus être retardée !

Il est tout aussi urgent que notre système facilite et allège la procédure visant à la reconnaissance juridique du nouveau sexe des personnes transgenres.

En effet, jusqu'à présent, le législateur français s'est toujours refusé à encadrer juridiquement le statut des personnes transsexuelles, laissant au seul juge le soin de définir, par sa jurisprudence, les dispositifs permettant la reconnaissance juridique de leur nouveau sexe.

Ainsi, à ce jour, le changement d'état civil pour les personnes transsexuelles est judiciarisé et nécessite des procédures très longues et coûteuses.

Les différences de pratiques d'un tribunal à l'autre confinent à l'arbitraire et l'opération chirurgicale, même si elle n'est pas obligatoire en droit, reste une condition largement exigée. Or elle ne résout pas forcément les incohérences. Des situations ubuesques s'imposent en effet aux personnes transgenres et révèlent l'iniquité de traitement qui leur est réservée d'une administration à l'autre, mais également d'un territoire à l'autre.

Notre législation ne permettant pas la reconnaissance juridique des couples de même sexe, il est notamment impossible aux personnes transsexuelles d'obtenir un changement de sexe à l'état civil, si elles sont préalablement mariées et ne souhaitent pas divorcer.

Je pense notamment au cas d'un habitant de Besançon, marié à une femme depuis trente-neuf ans, mais devenu femme depuis deux ans. Ce cas a d'ailleurs servi de base de réflexion à la sixième recommandation du rapport de Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l'homme, Droits de l'homme et identité de genre. Cette recommandation vise à supprimer les dispositions qui portent atteinte au droit des personnes transgenres de demeurer mariées.

Avec ces mesures, se profilent des enjeux liés non seulement à l'application du principe fondamental de l'universalité des droits, mais également à celle du droit au respect de la vie privée et familiale, tel que défini par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Aussi, afin que la France se montre à la hauteur de ses déclarations et des engagements internationaux qu'elle a souscrits, je voudrais savoir quelles mesures elle entend prendre aujourd'hui pour promouvoir un message clair de respect et de non-discrimination à l'égard des personnes transgenres, mais également et surtout pour faciliter et alléger la procédure de reconnaissance juridique de leur nouveau sexe.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, je tiens avant tout à excuser ma collègue Michèle Alliot-Marie qui, pour des raisons d'agenda, ne peut vous répondre elle-même ce matin.

L'identité sexuelle est l'une des composantes de l'état des personnes et, à ce titre, elle est soumise au principe, d'ordre public, d'indisponibilité. C'est la raison pour laquelle une décision judiciaire est et doit rester nécessaire pour statuer sur les demandes de changement de sexe.

En 1992, la Cour de cassation a précisé les critères permettant le changement de sexe devant les tribunaux : la personne doit, d'une part, à la suite d'un traitement médico-chirurgical suivi dans un but thérapeutique, ne plus posséder tous les caractères de son sexe d'origine et, d'autre part, avoir pris une apparence physique la rapprochant de l'autre sexe, auquel correspond son comportement social.

Si ces conditions sont remplies, le principe du respect de la vie privée justifie, pour la Cour de cassation, que l'état civil indique le sexe dont la personne a l'apparence.

Les tribunaux doivent donc apprécier au cas par cas les demandes de changement de sexe, au regard de ces critères, et notamment du caractère irréversible du processus. Ce dernier peut être démontré par le suivi de traitements médico-chirurgicaux, comme l'hormonothérapie, associés le cas échéant à la chirurgie plastique.

Pour autant, il n'apparaît pas nécessaire d'exiger systématiquement qu'une opération de réassignation sexuelle ait été réalisée.

La médecine a beaucoup progressé en ce domaine. Désormais, la prise durable des traitements hormonaux peut entraîner des changements irréversibles, même en l'absence d'opération chirurgicale d'ablation des organes génitaux.

Par ailleurs, s'il est légitime d'exiger des personnes transsexuelles de rapporter la preuve des faits qui justifient leur demande, les expertises judiciaires doivent, elles, être ordonnées dans les seuls cas de doute sérieux sur la réalité du transsexualisme du demandeur, notamment en l'absence d'attestations de médecins ayant suivi la personne concernée.

Pour l'ensemble de ces raisons, une circulaire a été adressée, le 14 mai dernier, aux parquets. Celle-ci invite le ministère public à émettre un avis favorable aux demandes de changement de sexe à l'état civil dès lors que les traitements conférant une apparence physique et un comportement social correspondant au sexe revendiqué ont bien entraîné un changement irréversible.

Par ailleurs, cette circulaire préconise de limiter le recours aux expertises aux seuls cas où les circonstances l'exigent véritablement. Ces instructions devraient aboutir à une réelle simplification des démarches des personnes transsexuelles et à une harmonisation des pratiques des différentes juridictions.

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le ministre, j'ai bien pris note de votre réponse et surtout de la circulaire du 14 mai dernier, qui, je l'espère, va effectivement faciliter une harmonisation sur l'ensemble de notre territoire, car il est regrettable d'y constater autant de disparités. Peut-être la France pourra-t-elle imiter la Belgique, qui, à la suite d'une loi de 2007, a adapté son code civil aux besoins de la société pour prévoir que la simple rectification de l'état civil peut se faire désormais devant l'officier d'état civil de la commune. Et – qui sait ? – peut-être la France pourra-t-elle également, après le Portugal, légaliser le mariage homosexuel…

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