Question de M. MILON Alain (Vaucluse - UMP) publiée le 27/01/2011

M. Alain Milon attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés sur la convention de La Haye du 29 mai 1993. Cette convention prévoit que lorsqu'une adoption n'opérant pas rupture des liens de filiation préexistants a été prononcée dans l'État d'origine de l'enfant, elle peut être convertie en une adoption produisant cet effet à la double condition que l'État d'accueil le prévoie et que le représentant légal de l'enfant ait donné un consentement libre et éclairé à cette conversion. En 2001, la France a repris cette disposition afin que tous les enfants adoptés à l'étranger soient susceptibles de bénéficier de la protection maximale qu'accorde l'adoption plénière. Ce texte exige, pour la conversion d'une adoption étrangère équivalente à une adoption simple en adoption plénière, un consentement exprès à une rupture complète et irrévocable du lien de filiation préexistant.

Il n'est pas discuté que l'adoption en Haïti équivaut à une adoption simple de droit français.

Entre 2001 et 2009, selon le service de l'adoption internationale du ministère des affaires étrangères, 4 199 enfants haïtiens ont été adoptés par des français. On estime à plusieurs milliers les adoptions haïtiennes ainsi converties au vu d'actes reçus par des notaires ou des juges de paix. Durant ces années, ni le SAI ni ses prédécesseurs n'ont averti les familles adoptives d'avoir à faire légaliser ces actes qui, n'étant pas nécessaires à l'obtention du visa, voire obtenus après l'arrivée de l'enfant en France, ne passaient pas par les autorités diplomatiques ou consulaires françaises. Apparemment, les tribunaux et cours d'appel ne se sont pas non plus préoccupés de l'exécution de cette formalité.

Début 2010, le responsable du SAI a fait passer aux tribunaux une information selon laquelle les « autorités haïtiennes » seraient « opposées » à ces conversions. Les seules preuves avancées seraient que les juges de paix se seraient vu interdire de recevoir ces consentements et que le Commissaire du Gouvernement de Port-au-Prince aurait interdit à ses services, en septembre 2009, de légaliser les consentements reçus par des notaires.

Malgré les demandes qui lui ont été faites, le SAI n'a fourni aucun document d'origine haïtienne susceptible de confirmer cette information, dont on peut s'étonner d'ailleurs qu'elle n'ait pas fait l'objet d'une information officielle au ministre de la justice vu sa gravité.

Depuis quelques mois, les procureurs de la République, s'appuyant sur cette seule information, donnent des avis défavorables aux conversions demandées, sous les prétextes les plus divers mais, de plus en plus au seul motif du défaut de légalisation des actes en cause. Pourtant, dans la plupart des cas, ces actes sont antérieurs, parfois de plusieurs années, à l'interdiction alléguée, de sorte que celle-ci ne peut pas être la cause de l'absence de cette formalité.

Il lui demande s'il peut confirmer que l'absence de légalisation des actes de consentement, dont le but n'est que d'authentifier la signature de leur rédacteur, et en aucun cas d'en approuver le contenu, interdit radicalement la conversion et dans ce cas, de dire s'il estime admissible que les tribunaux aient négligé leurs contrôles au point d'avoir accordé illégalement des milliers de conversions sans consentements légalisés depuis 2001.

Dans tous les cas, il lui demande comment il envisage de contribuer à mettre fin à la disparité impressionnante de jurisprudence, non seulement dans l'espace mais aussi dans le temps, actuellement constatée et susceptible de s'aggraver avec l'arrivée de nombreux d'enfants par convoi spécial fin 2010, certains tribunaux refusant au second enfant d'une famille ce qu'ils ont accordé au premier au vu de dossiers parfaitement identiques, au risque de créer entre les enfants une disparité de statuts certainement peu conforme à leur intérêt.

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Réponse du Ministère de la justice et des libertés publiée le 16/02/2011

Réponse apportée en séance publique le 15/02/2011

M. Alain Milon. Monsieur le garde des sceaux, l'article 27-1 de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 prévoit que, lorsqu'une adoption ne rompant pas le lien de filiation préexistant a été prononcée dans l'État d'origine de l'enfant, elle peut être convertie en une adoption produisant cet effet, à la double condition que l'État d'accueil le prévoie et – en substance – que le représentant légal de l'enfant ait donné un consentement libre et éclairé à cette conversion.

En 2001, la France a repris cette disposition à l'article 370-5 du code civil, afin que tous les enfants adoptés à l'étranger soient susceptibles de bénéficier de la protection maximale qu'accorde l'adoption plénière. Ce texte exige, pour la conversion d'une adoption étrangère équivalente à une adoption simple en adoption plénière, un consentement exprès à une rupture complète et irrévocable du lien de filiation préexistant.

Il n'est pas discuté que l'adoption en Haïti équivaut à une adoption simple de droit français, donc qu'un acte de consentement indépendant de celui qui est fourni dans le cadre de la procédure haïtienne doit être présenté aux tribunaux français en vue de la conversion.

Entre 2001 et 2009, selon le service de l'adoption internationale, le SAI, du ministère des affaires étrangères, 4 199 enfants haïtiens ont été adoptés par des Français, de sorte que l'on peut estimer à plusieurs milliers les adoptions haïtiennes ainsi converties au vu d'actes reçus par des notaires ou, plus rarement, par des juges de paix.

Durant toutes ces années, ni le SAI ni ses prédécesseurs n'ont averti les familles adoptives d'avoir à faire légaliser ces actes qui, comme ils ne sont pas nécessaires à l'obtention du visa, voire sont obtenus après l'arrivée de l'enfant en France, ne passaient pas par les autorités diplomatiques ou consulaires françaises.

Apparemment, les tribunaux et les cours d'appel, dans leur ensemble, ne se sont pas non plus préoccupés de l'exécution de cette formalité.

Au début de l'année 2010, le responsable du SAI a fait passer aux tribunaux, puis confirmé par une simple lettre adressée à un procureur de la République local, une information selon laquelle les « autorités haïtiennes » seraient « opposées » à ces conversions.

Seules preuves avancées de cette opposition, les juges de paix se seraient vu interdire de recevoir ces consentements, sans qu'il soit précisé ni quand ni par qui, et le commissaire du Gouvernement de Port-au-Prince aurait interdit à ses services, en septembre 2009, de légaliser les consentements reçus par des notaires.

Malgré les demandes qui lui ont été faites, le SAI n'a fourni aucun document d'origine haïtienne susceptible de confirmer cette information, dont on peut s'étonner d'ailleurs qu'elle n'ait pas fait l'objet d'une communication officielle au ministre de la justice et des libertés, vu sa gravité évidente.

Depuis quelques mois, les procureurs de la République, s'appuyant sur cette seule information, donnent à peu près systématiquement des avis défavorables aux conversions demandées, sous les prétextes les plus divers mais, de plus en plus souvent, au seul motif du défaut de légalisation des actes en cause.

Pourtant, dans la plupart des cas, ces actes sont antérieurs, parfois de plusieurs années, à l'interdiction alléguée, de sorte que celle-ci ne peut être la cause de l'absence de cette formalité.

Monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous confirmer que l'absence de légalisation des actes de consentement, dont la finalité est seulement d'authentifier la signature de leur rédacteur et en aucun cas d'en approuver le contenu, interdit radicalement la conversion ? Dans ce cas, estimez-vous admissible que les tribunaux aient négligé leurs contrôles au point d'avoir accordé illégalement des milliers de conversions sans consentement légalisé depuis 2001 ?

En tout cas, comment envisagez-vous de contribuer à mettre fin à la disparité impressionnante de jurisprudence, non seulement dans l'espace mais aussi dans le temps, qui est actuellement constatée et qui est susceptible de s'aggraver après l'arrivée de plusieurs centaines d'enfants par convoi spécial à la fin de 2010, certains tribunaux refusant au second enfant d'une famille ce qu'ils ont accordé au premier au vu de dossiers parfaitement identiques, au risque de créer entre les enfants une disparité de statuts certainement peu conforme à leur intérêt ?

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le sénateur, sur cette délicate question de la conversion des jugements d'adoption simple haïtiens en adoptions plénières, il me paraît important de rappeler deux points.

Tout d'abord, Haïti n'est pas signataire de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale.

Ensuite, le consentement libre et éclairé des parents qui confient leur enfant à l'adoption est exigé tant pour l'adoption simple que pour l'adoption plénière. Bien sûr, dans le cas de cette dernière, la rupture complète et irrévocable du lien de filiation préexistant qui en résulte impose une parfaite compréhension par les parents de naissance des conséquences de cet acte. C'est pourquoi, de manière générale, pour pouvoir convertir une adoption simple en adoption plénière, les juges doivent s'assurer de la réalité et du caractère éclairé de ce consentement.

En ce qui concerne la légalisation, la Cour de cassation a rappelé, par un arrêt du 4 juin 2009, que le non-respect de l'exigence de légalisation suffit pour refuser de reconnaître tout effet en France à un acte étranger. Depuis la fin de l'année 2009, le site internet du ministère des affaires étrangères et européennes informe les adoptants du refus des autorités haïtiennes de légaliser les consentements donnés en vue de l'adoption plénière, qui, comme vous le soulignez, monsieur le sénateur, n'existe pas en droit haïtien.

Il n'est bien sûr pas envisageable que les autorités françaises passent outre la volonté du Gouvernement haïtien à l'égard de ces enfants en légalisant elles-mêmes ces actes. Je vous rappelle que ce sont les relations de confiance existant entre l'État haïtien et la France qui ont permis l'arrivée en urgence en France d'enfants haïtiens en décembre dernier.

Pour ma part, j'ai rappelé aux procureurs généraux, par une dépêche du 22 décembre 2010, ces exigences imposées par le droit international public et la Cour de cassation, afin que des réquisitions adaptées soient prises sur l'ensemble du territoire français.

M. le président. La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse technique à une question qui ne l'était pas moins…

Je comprends cette réponse, bien entendu, mais les familles qui ont reçu un enfant à Haïti sont aujourd'hui complètement déboussolées. Surtout, elles vivent très mal la façon dont elles sont traitées par les tribunaux, où, bien souvent, elles ont le sentiment d'être considérées comme des « voleuses d'enfants ». Il serait utile de faire le nécessaire pour améliorer les choses à cet égard.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Nous veillerons à ce que l'accueil de ces familles soit amélioré.

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