Question de Mme BLONDIN Maryvonne (Finistère - SOC-EELVr) publiée le 22/12/2011

Mme Maryvonne Blondin attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur la question du droit au changement de genre enregistré à l'état civil pour les personnes transgenres ou transsexuelles.

Le droit de vivre socialement son identité de genre est une liberté émancipatrice fondamentale de l'être humain. La résolution n° 1728 (2010) du 29 avril 2010 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe demande aux États membres de mettre fin aux violations des droits humains touchant les personnes transgenres pour pouvoir obtenir des documents officiels reflétant l'identité de genre choisie.

Force est ainsi de constater que le droit interne français n'est aujourd'hui pas compatible avec ces prescriptions internationales. Des flous juridiques existent et laissent parfois perdurer une iniquité des droits, source de souffrance et d'injustice, malgré les recommandations, toujours sans effet, d'une circulaire ministérielle du 14 mai 2010 adressée aux procureurs des cours d'appel. En témoigne un jugement récent, rendu le 15 décembre 2011 par le tribunal de grande instance de Brest, par lequel la juridiction a refusé de reconnaître le changement d'identité d'un homme en femme et donc d'état civil. Le motif invoqué est qu'il est toujours marié et ne souhaite pas se séparer de son épouse.

Or la loi française, qui prime en l'espèce, ne reconnaît pas le mariage homosexuel. Face à cette norme contraignante interne, une résolution du Conseil de l'Europe reste, certes, un simple énoncé politique sans aucune autorité juridique en France, mais elle revêt néanmoins le poids politique fort des textes adoptés massivement.

De plus, ces résolutions constituent en quelque sorte le prolongement de la Convention européenne des droits de l'homme, voire une interprétation officielle de cette dernière. Ainsi la France devrait, à ce titre, rendre au moins effectives de telles préconisations.

Nous sommes bien face à un imbroglio normatif qu'il conviendra de démêler afin que la situation de discrimination subie par les personnes transgenres en raison de leur identité disparaisse et que ces dernières ne se retrouvent pas face à un véritable chantage juridique.

En conséquence, elle lui demande de bien vouloir lui indiquer les mesures envisagées pour établir une sécurité juridique et un véritable respect des droits humains fondamentaux des personnes transgenres ou transsexuelles qui cherchent à vivre socialement en conformité avec leur identité de genre.

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Réponse du Ministère de la justice et des libertés publiée le 29/03/2012

L'identité sexuelle étant l'une des composantes de l'état des personnes, soumis au principe d'ordre public d'indisponibilité, les demandes de changement de sexe à l'état civil doivent être portées devant le tribunal de grande instance. En l'absence de disposition législative fixant les conditions de changement de sexe, la Cour de cassation a estimé, dans deux arrêts rendus par son assemblée plénière le 11 décembre 1992, que « lorsque, à la suite d'un traitement médicochirurgical subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d'origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l'autre sexe, auquel correspond son comportement social », le principe du respect dû à la vie privée justifie que l'état civil indique le sexe dont la personne a l'apparence. Les tribunaux apprécient donc au cas par cas les demandes de changement de sexe, au regard du processus de conversion sexuelle suivi par la personne. La Cour de cassation n'a pas eu, à ce jour, à connaître d'affaires refusant le changement d'état civil d'une personne mariée. C'est la raison pour laquelle, dans cette situation particulière, il ne s'est pas encore dégagé une jurisprudence constante des juridictions ; la décision à laquelle il est fait référence a fait l'objet d'un appel. Toutefois, la circulaire du 14 mai 2010 invite les parquets à donner un avis favorable à la demande de changement d'état civil dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, éventuellement accompagnés d'opérations de chirurgie plastique, ont entraîné un changement de sexe irréversible. La circulaire propose en outre de ne solliciter une mesure d'expertise que si les éléments fournis révèlent un doute sérieux sur la réalité du transsexualisme du demandeur. Suite à la diffusion de cette circulaire, une enquête réalisée auprès des parquets généraux pour la période du 14 mai au 31 décembre 2010 permet de constater que sur 127 requêtes en changement de sexe déposées devant les tribunaux de grande instance, les juridictions n'ont ordonné que 21 mesures d'instruction, ce qui représente un pourcentage de 16,5 %. Ces résultats ne conduisent pas à considérer que les recommandations contenues dans la circulaire précitée, tendant à harmoniser les pratiques des juridictions, sont sans effet et inefficaces. Elles sont de nature à simplifier les démarches des personnes transsexuelles et répondent en ce sens aux recommandations formulées tant par l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe que par le Parlement européen, le droit interne français permettant aux personnes transgenres d'obtenir des documents officiels reflétant l'identité de genre choisie.

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