Question de M. MÉZARD Jacques (Cantal - RDSE) publiée le 05/07/2012

M. Jacques Mézard attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les abus du travail des personnes détenues en établissement pénitentiaire.

Dans son rapport publié le 22 février 2012, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté souligne que 27,7 % des détenus ont exercé en 2010 une activité rémunérée, hors formation rémunérée ou emploi à l'extérieur. Cette activité s'exerce dans des conditions dérogatoires au droit commun du travail, même si elles ont été encadrées par la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009.

Les métiers ainsi exercés sont très majoritairement non qualifiés et peu propices à préparer la réinsertion des personnes. Les tâches exécutées sont en principe rémunérées au niveau du salaire minimum de référence, 4,03 euro de l'heure avec une erreur défavorable de calcul de 2 centimes, créé par la loi pénitentiaire et réévalué chaque année en fonction de l'évolution du SMIC. Or les rémunérations effectivement versées relèvent en réalité d'un mode de calcul très complexe et illisible pour les personnes concernées. Il en résulte qu'une grande proportion des détenus touche en réalité une rémunération inférieure au salaire minimum de référence. De plus, l'accès au travail reste encore soumis à l'arbitraire de l'administration pénitentiaire, le déclassement privant une personne de travail ne constituant qu'une simple mesure disciplinaire. Il ressort enfin de ce rapport que certaines des conditions élémentaires d'hygiène et de sécurité ne sont pas respectées, au risque de porter atteinte à la santé des personnes et de compliquer encore davantage le travail du personnel pénitentiaire.

Par conséquent, il lui demande de bien vouloir indiquer quelles conclusions elle tire de ce rapport, et quelles suites elle entend lui donner, pour que le travail en détention puisse s'exercer dans des conditions dignes.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 21/11/2013

La nécessité de trouver un équilibre entre le respect de la dignité de la personne détenue et les contraintes des établissements pénitentiaires constitue un objectif majeur pour la Garde des sceaux. Si son action poursuit l'application du droit commun en tous lieux et toutes circonstances, il n'en demeure pas moins que la question du travail en détention apparaît comme caractéristique de cet impératif visant à concilier les droits de la personne détenue avec les spécificités du travail en milieu pénitentiaire (impératifs de sécurité, qualification parfois très faible des personnes détenues etc.) alors même que le développement du travail en détention demeure une priorité. En effet, celui-ci contribue au maintien des liens avec la société civile, favorise l'acquisition de qualifications professionnelles et garantit l'indemnisation des victimes. En ce sens, il participe pleinement de la réinsertion sociale des personnes détenues, facteur de prévention de la récidive. À cet égard, la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 a sensiblement modifié les conditions du déroulement de l'activité rémunérée et a constitué une avancée considérable. L'administration pénitentiaire est chargée de veiller au quotidien à l'application de ces dispositions. En effet, bien que l'activité rémunérée en établissement pénitentiaire ne fasse pas l'objet d'un contrat de travail, la relation de travail entre la personne détenue et l'administration pénitentiaire bénéficie de règles protectrices, encadrée par un cadre juridique précis, de sorte que les droits élémentaires de la personne détenue se trouvent préservés et ce, quelle que soit la forme de travail retenue (service général, service de l'emploi pénitentiaire ou concession). Tout d'abord, un acte d'engagement, générateur de droits, est obligatoirement signé au préalable entre les parties quelle que soit la forme de travail envisagée (service général, régie ou concession). Il précise notamment la durée de l'embauche, la description du poste, la période d'essai, ainsi que les conditions de suspension et de rupture de l'engagement. Cet acte lie tant la personne détenue que l'établissement pénitentiaire. Les taux de rémunération sont également nécessairement mentionnés sur ce document. Concernant le classement à un poste de travail, celui-ci obéit également à des règles strictes visant à garantir les droits de la personne détenue par un examen des candidatures au sein d'une commission pluridisciplinaire unique. De même, la procédure de déclassement répond à des dispositions précises. Ainsi, seules deux hypothèses distinctes de déclassement sont prévues : le déclassement pour motif disciplinaire dès lors qu'une faute est commise lors ou à l'occasion de l'activité ; le déclassement administratif pour incompétence. Dans les deux cas, une procédure contradictoire est mise en œuvre, la décision portant déclassement devant répondre à l'exigence de motivation. La personne détenue est susceptible de contester le refus de classement ou toute décision de déclassement devant les juridictions administratives. S'agissant de la rémunération, son montant est fixée à partir de l'octroi d'un minimum horaire individuel de rémunération du travail, calculé sur la base du SMIC et indexé sur sa revalorisation annuelle pour l'ensemble de la population pénale classée au travail pénitentiaire. Les minima de rémunération applicables au travail pénitentiaire sont déterminés par la direction de l'administration pénitentiaire et sont revalorisés en fonction des évolutions du SMIC. Il s'agit donc d'un seuil minimum de rémunération, en dessous duquel les concessionnaires ne peuvent descendre pour rémunérer les personnes détenues. Par ailleurs, l'ensemble des règles d'hygiène et de sécurité définies par le code du travail sont applicables au travail pénitentiaire. Le chef d'établissement peut également solliciter les services de l'inspection du travail, pour s'assurer du respect de ces règles. Enfin, il convient de souligner que l'ensemble de ce dispositif a été récemment validé par le Conseil Constitutionnel saisi à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité. Par décision n° 2013-320/321 du 14 juin 2013, la haute juridiction a déclaré la relation de travail en détention conforme aux normes constitutionnelles. Au-delà de la question du travail en détention, la Garde des sceaux entend souligner que la politique pénitentiaire qu'elle met en œuvre depuis sa nomination a pour objectif de garantir la dignité des personnes détenues et améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaire. À cet égard, la lutte contre la surpopulation carcérale, induite par la politique pénale de ces dix dernières années, est un objectif majeur. Ainsi, la Garde des sceaux a élaboré dès son premier triennal un programme immobilier ambitieux, entièrement financé, d'extension (6.500 places supplémentaires, fermeture de 1082 places les plus vétustes et ouverture en substitution de nouveaux établissements) et de rénovation du parc pénitentiaire (grands chantiers à Fleury Mérogis, La Santé, Les Baumettes, etc.). Elle a également engagé plusieurs actions en faveur de l'amélioration des conditions de détention des personnes détenues handicapées ou malades, que ce soit par la construction de cellules adaptées, la mise en place des groupes de travail en lien avec le ministère des affaires sociales et de la santé pour la dignité des soins prodigués à toute personne détenue gravement malade, ou encore, au niveau du gouvernement, par sa participation au comité interministériel sur le handicap mis en place par le Premier ministre visant notamment à l'accompagnement humain des personnes malades ou souffrant de handicap sur lequel travaillent les services du ministère.

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