Question de M. LASSERRE Jean-Jacques (Pyrénées-Atlantiques - UCR) publiée le 02/08/2012

M. Jean-Jacques Lasserre attire l'attention de M. le ministre du redressement productif sur les difficultés liées à la mise en œuvre de la quatrième directive européenne, concernant les comptes annuels des entreprises. En effet, en application de cette directive, les entreprises françaises ont actuellement l'obligation de déposer, chaque année, leurs comptes aux greffes des tribunaux de commerce, ces comptes devenant ainsi publics.

Si la philosophie sous-jacente à cette obligation semble être positive, puisqu'elle vise à assurer une plus grande transparence et donc une plus grande confiance des entreprises entre elles, il semblerait toutefois qu'il y ait un manque d'homogénéité au sein des différents États membres de l'Union européenne. Un pays comme l'Allemagne par exemple, n'a en effet aucune obligation de ce type concernant le dépôt et la publicité des comptes annuels.

Dans le département des Pyrénées-Atlantiques, il y a un exemple, parmi tant d'autres, d'une entreprise familiale qui dispose de quatre filiales de commercialisation (en Italie, en Suède, en Allemagne et en Espagne) et qui est numéro deux sur le marché du miel européen après, justement, un concurrent allemand. Or cette année, cette entreprise française a décidé de ne pas produire ses comptes au greffe du tribunal qui a alors engagé des procédures. Mais si l'entreprise française n'a pas déposé ses comptes, c'est uniquement pour des raisons de concurrence. Son premier concurrent allemand aurait en effet été informé, de façon unilatérale, de l'état de ses finances et aurait ainsi pu préjuger, même à tort, d'une faiblesse de l'entreprise. On en arrive alors à une situation dans laquelle l'entreprise française se pose la question de savoir si elle doit délocaliser en Allemagne pour être sur un pied d'égalité avec son concurrent.

Ainsi, on comprend aisément que cette asymétrie d'obligation de publicité des informations sur les entreprises peut altérer la compétitivité des entreprises françaises. Elle peut s'avérer être particulièrement injuste et handicapante pour les entreprises françaises vis-à-vis des entreprises étrangères concurrentes, particulièrement en ce moment. Car en temps de crise la hausse de la dette des entreprises conjuguée à la baisse du chiffre d'affaires envoie un signal de faiblesse de l'économie française alors qu'au contraire, pour maintenir la confiance entre partenaires commerciaux européens, il semblerait plus opportun d'assouplir la règle.

Il lui demande donc, sans remettre en cause l'idée sous-jacente de transparence entre les entreprises à laquelle il est favorable, dans quelle mesure et dans quel délai le Gouvernement pourrait assouplir les mesures de transposition ou l'application de l'obligation de publication des comptes pour les entreprises françaises.

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Réponse du Ministère de la culture et de la communication publiée le 26/09/2012

Réponse apportée en séance publique le 25/09/2012

M. Jean-Jacques Lasserre. Madame le ministre, je souhaite attirer votre attention sur les difficultés liées à la mise en œuvre de la quatrième directive européenne, concernant les comptes annuels des entreprises.

En application de cette directive, les entreprises françaises ont actuellement l'obligation de déposer chaque année leurs comptes aux greffes des tribunaux de commerce, ces comptes devenant ainsi publics.

Si la philosophie sous-jacente à cette obligation est positive, puisqu'elle vise à assurer une plus grande transparence et donc une plus grande confiance entre les entreprises, il semblerait toutefois qu'existe un manque d'homogénéité entre les différents États membres de l'Union européenne. Ainsi, la législation de l'Allemagne sur le dépôt et la publicité des comptes annuels ne comporte aucune obligation de ce type.

Permettez-moi de vous citer l'exemple d'une entreprise familiale de mon département des Pyrénées-Atlantiques, qui dispose de plusieurs filiales de commercialisation et est numéro deux - précisément derrière un concurrent allemand - sur un marché européen très particulier.

Cette entreprise, comme beaucoup d'autres entreprises françaises, se pose cette année la question du non-dépôt de ses comptes, bien entendu au risque de voir des procédures engagées à son encontre. Mais, si elle ne souhaite pas déposer ses comptes, c'est uniquement pour des raisons de concurrence ! En effet, en cas de respect de cette obligation de dépôt, son premier concurrent allemand serait informé de façon unilatérale de l'état de ses finances et pourrait ainsi préjuger, peut-être à tort, de sa situation, de ses projets d'investissements et de sa stratégie.

On en arrive donc à un point où nos entreprises se demandent si elles doivent aller jusqu'à délocaliser en Allemagne pour être sur un pied d'égalité avec leurs concurrents...

Dans ces conditions, on comprend aisément que cette asymétrie d'obligation de publicité des informations sur les entreprises puisse altérer la compétitivité des entreprises françaises. Elle peut se révéler particulièrement injuste et handicapante pour les entreprises françaises par rapport à des entreprises étrangères concurrentes, notamment en cette période de crise : la hausse de la dette des entreprises, conjuguée, dans certains cas, à la baisse de leurs chiffres d'affaires envoie bien entendu un signal de faiblesse de l'économie française. Pour maintenir la confiance entre partenaires commerciaux européens, il semblerait au contraire plus opportun d'assouplir la règle.

Madame le ministre, dans quelle mesure et dans quel délai le Gouvernement pourrait-il, sans remettre en cause l'idée sous-jacente de transparence entre les entreprises - j'y suis, je le répète, favorable -, assouplir les mesures de transposition ou l'application de l'obligation de publication des comptes pour les entreprises françaises ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de M. le ministre du redressement productif, qui ne peut être présent au Sénat ce matin et que je vais donc tenter de suppléer.

Vous l'avez évoqué, les directives européennes, en particulier la quatrième directive du 25 juillet 1978, posent le principe selon lequel les documents comptables ainsi que la proposition d'affectation du résultat et la décision d'affectation doivent faire l'objet d'une publicité, sous réserve de certains aménagements et dispenses, que les États membres sont libres d'exercer.

En effet, l'établissement, le dépôt et la publication des comptes des entreprises favorisent le bon fonctionnement de l'économie, en permettant des rapports avec les tiers fondés sur la confiance et en contribuant à la sécurité des affaires, ainsi qu'à la prévention des difficultés des entreprises. Tels sont les principes qui sous-tendent les directives.

C'est pourquoi la France a transposé ces directives en inscrivant dans le code de commerce l'obligation de publicité des comptes annuels des sociétés, par leur dépôt au registre du commerce et des sociétés. L'absence de dépôt est sanctionnée par une contravention pénale de cinquième catégorie.

Selon des études comparatives conduites sur le sujet, les autres États membres de l'Union européenne, y compris l'Allemagne, ont également imposé le respect de l'obligation de publicité des comptes prévue par ces directives. Mais certains d'entre eux ont mis en œuvre les aménagements et les dispenses autorisés par ces directives, contrairement à la France, qui, considérant que l'établissement, le dépôt et la publication des comptes contribuent au bon fonctionnement de l'économie, avait estimé non opportun de faire un usage de ces facultés.

Monsieur le sénateur, vous avez évoqué le cas particulier d'une entreprise placée dans une situation de concurrence déséquilibrée avec d'autres entreprises européennes. À cet égard, soyez assuré que l'allégement des obligations de publicité de certains documents comptables s'inscrit dans les réflexions actuellement engagées par le Gouvernement pour améliorer la compétitivité des entreprises de notre pays. Le compte de résultat constitue en effet un document sensible et stratégique qui peut être habilement exploité par les concurrents d'une entreprise à son détriment.

M. le ministre du redressement productif a donc demandé aux autres membres du Gouvernement concernés par cette question d'envisager la dispense de publication du compte de résultat pour les petites entreprises et la publication d'un compte de résultat simplifié pour les entreprises de taille moyenne, dans le respect de toutes les marges de manœuvre permises par la réglementation communautaire.

Bien entendu, l'obligation d'établir des documents comptables subsistera et l'entreprise pourra produire ces documents en fonction de ses besoins - par exemple, dans le cadre de ses rapports avec les services fiscaux - ou de ses choix et de ses relations commerciales - par exemple, dans le cadre de ses relations avec ses financeurs.

Au terme de ces réflexions conduites au niveau interministériel, des solutions devraient être trouvées, constituant un compromis satisfaisant entre la nécessaire transparence des affaires, d'une part, et le développement de la compétitivité des entreprises françaises face à leurs concurrentes européennes, d'autre part, grâce à la réduction des écarts résultant de la transposition différente des directives dans chaque État membre de l'Union européenne.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.

M. Jean-Jacques Lasserre. Madame la ministre, je tiens à vous remercier de la précision de votre réponse, dont je suis extrêmement satisfait. J'imagine que nous aurons l'occasion d'évaluer les suites des initiatives que vous nous avez présentées.

Le Gouvernement, me semble-t-il, a bien pris conscience de la nature du problème : en effet, à elle seule, l'utilisation d'Internet permet la diffusion d'une information bien plus large que celle qui pouvait être imaginée à l'époque de l'élaboration de ces directives.

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